Notre commission d'enquête clôt aujourd'hui ses investigations, entamées au début du mois de janvier, avec l'audition du ministre de l'intérieur, M. Bruno Le Roux.
L'espace Schengen, conçu pour rendre effective la libre circulation en Europe, a été malmené par la crise migratoire et les attentats terroristes qui ont endeuillé plusieurs pays européens, et d'abord le nôtre. Ces événements ont conduit à s'interroger sur la pérennité de Schengen. Nos travaux nous ont toutefois montré que des mesures avaient été prises, souvent d'ailleurs sur le fondement d'initiatives franco-allemandes, pour améliorer son fonctionnement. Celui-ci a été rééquilibré dans un sens plus favorable à la sécurité des frontières et donc de nos concitoyens.
Nous avons également pu mesurer, lors de nos déplacements sur le terrain, l'investissement de nos forces de sécurité dans le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, depuis le 13 novembre 2015. Je voudrais remercier vos services, Monsieur le Ministre, pour leur excellente coopération dans le déroulement de nos travaux. Je puis vous assurer que mes collègues y ont, eux aussi, été sensibles.
Le 20 février dernier, avec votre homologue allemand, Thomas de Maizière, vous avez adressé une lettre à la Commission européenne pour l'alerter sur la nécessité d'aller plus loin dans la révision en cours du code frontières Schengen. Pourriez-vous nous en dire plus sur les intentions et les demandes françaises ? Après les réformes déjà engagées, qui sont nombreuses, quelles sont les perspectives du fonctionnement de l'espace Schengen à plus long terme ? Est-il opportun, et réaliste, de maintenir des contrôles aux frontières intérieures dans un espace de libre circulation ? Voilà quelques-unes des questions qui intéressent notre commission d'enquête.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le fil conducteur de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle enfin, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main et à dire : « Je le jure. ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur, prête serment.
Avant chaque sommet européen, nous nous retrouvons, avec mon homologue allemand, Thomas de Maizière, pour le préparer. Il y va de la force du couple franco-allemand que nous passions ainsi du temps ensemble. C'est ce que nous ferons tout à l'heure ; je devrai donc vous quitter à 15 heures.
Je traiterai les points les uns après les autres.
L'Union européenne est à la fois confrontée à une menace terroriste sans précédent, laquelle nécessite un renforcement de l'espace Schengen, et à une crise migratoire euro-méditerranéenne également sans précédent. J'étais il y a deux jours au Niger et je peux vous dire que nous ne répondrons pas à l'enjeu migratoire qui pèse sur notre continent sans répondre à l'enjeu du développement des pays d'origine et de transit.
Ce double mouvement nous a conduits à faire preuve de responsabilité dans la décision et de fermeté dans l'action.
La première urgence était la sécurisation des frontières extérieures de l'Union européenne. En effet, si l'Europe n'a pas de frontières, alors, aux yeux de ses citoyens, elle n'existe tout simplement pas. La question des frontières est un élément fondamental de l'identité et du sentiment d'appartenance à un territoire, par-delà même l'urgence des deux problèmes que je viens de mentionner. Aucun avenir européen n'est possible sans sécurisation des frontières et sans définition desdites frontières partagée par l'ensemble des citoyens européens.
En avril 2016, après de longues négociations, nous avons abouti à un premier accord, donnant lieu à la publication de la directive établissant un registre d'enregistrement du nom des passagers des compagnies aériennes, le fameux PNR, Passenger Name Record, européen. L'Europe doit aujourd'hui redoubler d'efforts pour que cette directive trouve une traduction concrète dans chaque État membre. La France a anticipé la mise en oeuvre de cette démarche, dès janvier 2016, en lançant un PNR français qui sera bientôt entièrement opérationnel. Nous avons en outre décidé d'appliquer toutes les clauses facultatives de la directive et d'y intégrer les vols intraeuropéens et les vols charters.
Nous avons par ailleurs mis en place, avec un certain nombre de ministres de l'intérieur européens, un projet de PNR pour les lignes à grande vitesse qui traversent l'Europe, donc de registre des noms des passagers utilisant ces trains à grande vitesse.
Pour sécuriser les frontières, nous avons également obtenu l'adoption du règlement portant rénovation de l'agence Frontex, dont les moyens humains et financiers sont accrus, avec la création d'une réserve permanente de 1 500 agents mobilisables à tout moment, à laquelle la France contribuera à hauteur de 170 agents. Ce résultat a été obtenu en seulement six mois !
Autre étape franchie en décembre : la révision du code frontières Schengen. La France y voyait une urgence absolue. Cette sécurisation des frontières extérieures doit donner lieu à des contrôles, mais également à des enregistrements : nous devons savoir qui franchit les frontières ! Si à cet enregistrement pouvaient être jointes des données biométriques, cela permettrait d'aller plus loin. C'est la demande que je formulerai auprès de mon homologue allemand lorsque nous nous rencontrerons tout à l'heure.
Depuis le 13 novembre 2015, nous avons rétabli le contrôle à nos frontières intérieures. Je n'imagine pas, à très court terme, que nous puissions lever ces contrôles, qui produisent des résultats, d'autant plus que d'autres États membres ont pris les mêmes mesures. L'attentat de Berlin a démontré la nécessité de réviser le code frontières Schengen. Sur ce dossier, la France est à l'initiative auprès de la Commission pour permettre la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures pour des durées supérieures à celles qui sont autorisées actuellement, qui sont de six mois. Nous souhaitons également que les conditions d'exercice de ces contrôles soient assouplies lorsqu'ils sont effectués dans les zones frontalières en dehors des périodes de rétablissement.
Enfin, nous avons soumis au Conseil une proposition de règlement portant création d'un système européen d'autorisation et d'information concernant les voyages (ETIAS), équivalent de l'ESTA américain, pour renforcer les vérifications de sécurité relatives aux voyageurs exemptés de l'obligation de visa. Enfin, la directive sur les armes à feu a été révisée ; en la matière, l'ensemble des propositions de la France ont été suivies.
D'autres chantiers sont en cours, en particulier le renforcement des systèmes d'information et des bases de données visant à sécuriser nos frontières. L'objectif est d'assurer une totale interopérabilité entre les différents systèmes. Un groupe d'experts a été mis en place et doit aboutir à des propositions au plus tard au début du deuxième semestre de 2017, afin de faciliter le travail des services répressifs, lesquels doivent aussi pouvoir accéder aux données biométriques qui sont contenues dans le système d'information sur les visas (VIS) et dans Eurodac, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La Commission a répondu à une demande de révision du SIS, le système d'information Schengen, émanant de la France, en proposant trois niveaux de règlements. Les textes sont à l'étude.
J'ai pris acte des recommandations de la Commission lors de l'évaluation Schengen, en novembre dernier. Nous devons pouvoir répondre aux dysfonctionnements, aux incidents d'exploitation, en adaptant notamment la base française du SIS.
Pour compléter la sécurisation, la France demande la révision du futur règlement concernant l'enregistrement des entrées et des sorties aux frontières extérieures de l'Union européenne. Nous ne pouvons pas nous contenter d'enregistrer les allées et venues des ressortissants des pays tiers : tout le monde doit être contrôlé, y compris les citoyens européens.
Enfin, il est nécessaire de lutter contre la fraude documentaire qui est devenue une marque de fabrique de ceux qui combattent nos libertés. Des milliers de passeports vierges ont été volés par Daech en Syrie, en Irak et en Libye. Sur ce dossier, la réflexion débute seulement.
La seconde priorité consiste à apporter une réponse efficace et coordonnée à la crise migratoire. La France est le premier pays d'accueil des demandeurs d'asile au titre des programmes européens de relocalisation et de réinstallation ; plus de 3 600 Syriens ont été accueillis sur notre sol depuis le Liban, la Jordanie et la Turquie. Nous avons signé, hier matin à l'Élysée, un accord notamment avec la Fédération protestante de France afin de sélectionner 500 réfugiés syriens qui pourraient très rapidement rejoindre notre pays et y être pris en charge de la meilleure des façons. D'ores et déjà, au titre de la relocalisation et de la réinstallation, nous avons accueilli plus de 6 300 personnes fuyant la guerre civile en Syrie et la barbarie de Daech.
Par-delà cet effort de solidarité européenne, nous avons également accompli un travail, en étroite concertation avec l'Allemagne, qui conduira à assortir la libéralisation des visas vers l'espace Schengen d'une clause de sauvegarde dont le déclenchement sera rendu plus rapide, les critères le justifiant étant à la fois assouplis et étendus.
Toutes ces mesures constituent de véritables progrès. Cela est néanmoins loin d'être suffisant.
De ce point de vue, je voudrais d'abord évoquer le paquet législatif en matière d'asile présenté par la Commission, que la France soutient dans ses grandes lignes. Ce sujet n'est pas véritablement mis en avant par la présidence maltaise de l'Union européenne ; nous verrons comment nous pouvons le remettre au coeur du débat. La refonte du règlement Dublin constitue le point le plus délicat de nos discussions : elle pose la question du degré de solidarité des différents États membres, en matière de flux migratoires, les uns par rapport aux autres.
La France défend une position fondée sur deux principes : le principe de responsabilité, dont le respect incombe au pays dit de première entrée, chargé de la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne, au nom duquel la France s'oppose à tout mécanisme de relocalisation automatique, et le principe de solidarité, dont aucun État ne doit pouvoir se dispenser unilatéralement, par exemple en dressant des murs à ses frontières. Les États concernés sont bien identifiés ; au cours de nos réunions, lorsque ce sujet est évoqué, leurs représentants coupent leur micro ou baissent les yeux. C'est sur eux que doit peser la pression ! Il s'agit d'un devoir moral et humanitaire ; il y va de la préservation même de l'Europe.
Nous devons en outre oeuvrer à traiter la question migratoire à la source. J'étais il y a quelques jours au Niger avec mon homologue espagnol ; ce pays, l'un des plus démunis de la planète, voit chaque année transiter plus de 100 000 migrants sur son territoire.
Enfin, nous continuerons à défendre l'application de l'accord de mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie.
Sur un point au moins, nous sommes tous d'accord : la nécessaire interopérabilité des fichiers. Quelle est notre capacité à avancer rapidement sur ce thème ?
S'agissant du PNR, la France est en avance ; un beau travail, très précis, a été fait. Mais on constate que d'autres pays, en la matière, sont très en retard. À quelle date ce dispositif pourra-t-il fonctionner dans l'ensemble de l'espace Schengen ? La date officielle d'entrée en vigueur dans le droit de chaque État, c'est 2018, pour tout le monde ; mais, en termes d'effectivité opérationnelle, les spécialistes que nous avons auditionnés parlent plutôt de 2020 ou de 2022.
Concernant l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, au vu des récentes déclarations du président turc, quelle est notre capacité à en assurer réellement l'application ?
Par ailleurs, nous nous sommes rendus à Grande-Synthe. Le maire a initié l'opération dans son coin, avec Médecins sans frontières, avant de solliciter les moyens de l'État, lequel participe à hauteur de 3,9 millions d'euros. Cependant, aucun contrôle des personnes se trouvant sur le site n'est prévu. Nous devons faire très attention à ne pas y reconstituer un nouveau Calais ! La question est celle du contrôle de ce camp par l'État ; l'engagement de ce dernier doit nécessairement avoir des contreparties. En premier lieu, nous devons pouvoir répondre à la question : qui se trouve dans le camp ?
À Grande-Synthe, on ne peut plus laisser les choses continuer comme ça,...
d'autant que s'y multiplient les troubles à l'ordre public et les rançonnements.
J'ai mobilisé les préfets pour qu'ils commencent à procéder au démantèlement du camp. L'objectif est d'abord la reprise de contrôle du fonctionnement du centre. Mais, compte tenu de l'afflux et du point de fixation que représente désormais le site, la question posée est celle non seulement du rétablissement de l'ordre public, mais aussi du démantèlement progressif du camp. Je veux néanmoins m'assurer, au préalable, de la bonne mobilisation des places en CAO, les centres d'accueil et d'orientation.
Quant à l'interopérabilité des systèmes d'information, elle ne peut être atteinte que progressivement. Des avancées ont déjà été enregistrées - je pense notamment aux hotspots grecs : l'interrogation d'Eurodac et du SIS est désormais possible en une seule fois. C'est un progrès. D'autres chantiers plus ambitieux, techniques, nécessiteront du temps, en particulier l'élaboration de l'ETIAS et la refondation de l'architecture du SIS.
Pour ce qui concerne l'interconnexion des fichiers, certaines barrières juridiques sont incontournables, en particulier s'agissant des libertés individuelles. Avec Thomas de Maizière et, je l'espère, mes homologues espagnol et peut-être italien, nous allons demander à être entendus par la commission LIBE du Parlement européen afin de montrer qu'aucune de nos propositions n'est restrictive pour la liberté des citoyens européens. L'expérience du PNR le montre : il faut beaucoup discuter avec le Parlement européen ! Nous en profiterons pour aborder également la question du chiffrement, c'est-à-dire de la communication de leurs données par les opérateurs.
Pour ce qui a trait à l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, l'une des questions dont nous discutons avec mon homologue allemand est celle de savoir jusqu'à quel point nous pouvons faire en sorte que la question politique ne l'emporte pas sur l'application de l'accord. Il s'agit de bien distinguer ce qui relève, d'une part, d'un accord de moyen terme, voire de long terme, et, d'autre part, d'une montée de tension ponctuelle, liée à un certain nombre de propos tenus récemment par le président turc à l'égard non pas de la France, mais d'autres États membres de l'Union. L'objectif est de préserver l'accord et de tenter, autant que faire se peut, de l'isoler des débats politiques.
Quant aux dates auxquelles les autres pays disposeront d'un PNR opérationnel, je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément. À chaque réunion du Conseil, je m'efforce de souligner que nous mettons en oeuvre le PNR, pour notre part, de façon très rapide et selon des modalités d'application très larges. Nous montrons ainsi aux autres que c'est possible ! Mais je ne dispose pas d'éléments précis sur la volonté et la capacité des autres États membres de mettre en oeuvre ce dispositif dans des délais proches.
Vous avez évoqué le contrôle des passeports et la fraude documentaire, notamment en provenance de Syrie. La sécurité passe beaucoup par l'échange d'informations ; en la matière, quelles sont les mesures qui garantissent la bonne circulation des informations entre les États ?
Par ailleurs, lorsque nous avons auditionné le responsable de Frontex, à la question de savoir s'il s'agissait d'un mini-OTAN ou d'un service européen en tant que tel, il a immédiatement répondu que Frontex, à ses yeux, était un service européen.
Au fil de nos auditions, nous nous sommes interrogés sur la place de Frontex, et notamment sur les investissements, en matière de drones par exemple, dont l'armée est de son côté parfaitement dotée. Autre source d'interrogation : il existe une vraie « culture de la mer », partagée par les garde-côtes et par la Marine ; de ce point de vue, Frontex me semble « entre deux eaux », si vous me pardonnez l'expression. Quelle vision de Frontex défendez-vous ? Faut-il en augmenter la puissance ? La diminuer ? Ne faudrait-il pas construire un partenariat plus adapté entre les services de garde-côtes et la Marine ?
S'agissant des mineurs, lorsque nous avions interrogé votre prédécesseur, il y a presque deux ans, il était patent que la situation était intenable. Y a-t-il matière à faire évoluer la législation pour ce qui concerne la prise en charge des mineurs ?
Enfin, vous avez évoqué la situation des États dont les représentants coupent leur micro lorsque certaines questions sont abordées. Mais la pression s'exerce en premier lieu sur nos voisins italiens ou grecs. Avez-vous le sentiment qu'existe réellement une juste répartition des tâches, des rôles et de la charge ? Lorsque les pays de première entrée accueillent des réfugiés, ils prennent le risque que la répartition, après coup, se révèle injuste.
J'ai moi aussi rencontré le directeur exécutif de Frontex, ces derniers jours. Sur ce point, notre position est claire : nous avons sollicité le renforcement de l'agence Frontex, dont nous pensons qu'elle doit être dotée de moyens supplémentaires. Elle représente le visage de l'Europe et du soutien de l'Europe aux dispositifs nationaux ! Plutôt que de doter en moyens supplémentaires les États confrontés à la situation que vous décrivez - dotation peut-être par ailleurs nécessaire, je pense à l'Italie par exemple -, il faut continuer à organiser la montée en puissance de Frontex. Son budget a été multiplié par six en quatre ans ; c'est donc bien un sujet de valorisation pour l'Europe, démontrant que nous sommes capables d'avancer vite pour rendre opérationnels des projets européens.
Le coeur de métier de Frontex, c'est le contrôle aux frontières ; c'est à ce titre qu'il faut développer ses moyens. Il faut donc assurer Frontex de tout le soutien de la France : l'agence a vocation à jouer un rôle majeur dans les politiques de contrôle aux frontières. Avec Thomas de Maizière, j'ai d'ailleurs sollicité l'organisation prochaine d'un exercice de gestion de crise majeure « grandeur réelle » aux frontières de l'Europe.
Concernant la Syrie, nous menons aujourd'hui une surveillance exhaustive et disposons d'un suivi individualisé de tous les ressortissants français présents sur zone. Les flux au départ, vers la Syrie, se sont taris ; commencent à s'organiser des flux au retour, qui font tous l'objet d'un suivi. Une variable contribue à limiter ces derniers : les « pertes sur zone ». On parle de 250 combattants originaires de France décédés sur zone au cours des combats, mais ce chiffre semble sous-évalué.
Le Président de la République et le Premier ministre feront la semaine prochaine une annonce sur la position de la France, notamment en matière de retour des mineurs sur notre territoire. Cette dernière question exige la mise en place d'une véritable stratégie de prise en charge. Quoi qu'il en soit, nous suivons tous ceux qui rentrent dans notre pays.
Quant à la question des mineurs isolés, elle relève du ministre de la justice. Pour les mineurs évacués de Calais, le dispositif a plutôt bien fonctionné : 300 mineurs seulement demeurent dans les centres ; 800 sont partis au Royaume-Uni. Je viens d'ailleurs de recevoir une lettre de mon homologue britannique, Amber Rudd, qui se dit prête à examiner une cinquantaine de dossiers supplémentaires. Il y a à peine un mois et demi, certains mineurs candidats au départ vers le Royaume-Uni étaient animés d'un sentiment de révolte et d'injustice devant le refus, apparemment immotivé - nous pensions qu'ils remplissaient les critères - de leur demande. La résolution de ce problème rend de nouveau possible le traitement des dossiers de ceux qui sont appelés à rester.
S'agissant de la prise en charge dans les CAO, il faut d'abord noter que parmi les mineurs se trouvent un certain nombre de majeurs. Certains adultes se réclament de l'« excuse » de minorité pour obtenir des délais plus souples. Par ailleurs, un certain nombre de mineurs ont fugué, quittant les CAO ; certes, une partie de ceux qui étaient partis pendant l'hiver sont revenus, mais un certain nombre d'entre eux n'ont pas été revus.
En matière de répartition européenne de l'effort, nous ne proposons pas un mécanisme qui reviendrait à appliquer une règle de 3, ou plutôt de 27... Il s'agit de définir des critères permettant de garantir la solidarité tout en tenant compte des caractéristiques de chaque pays en termes de population, de PIB, de capacités d'accueil, de structures. En tout état de cause, nous voulons qu'en cas de nouvelle crise migratoire, tous les pays européens prennent leur part de cet effort. L'enjeu des prochaines réunions du Conseil est donc que tous les pays acceptent que des critères s'appliquent. Je note d'ailleurs qu'aujourd'hui, parmi les pays qui ne jouent pas le jeu de la solidarité, certains ne sont pourtant pas soumis aux flux de première entrée.
Je voudrais revenir sur la question du contrôle aux frontières intérieures. Nous avons constaté, en nous rendant à Menton, la nécessité absolue de maintenir un tel contrôle. Or un tel maintien pose le problème de l'avenir, en Europe, de cette liberté fondamentale qu'est la liberté de circulation. Vous avez parlé d'assouplissements ; pourriez-vous préciser votre pensée ?
Deuxième question : nous sommes d'accord sur l'exigence de solidarité ; mais par quels moyens pouvons-nous, dans le cadre des négociations, obliger les États membres à en accepter le principe ? Discuter est une chose, obliger en est une autre ! Disposons-nous de moyens de pression ?
Ma première question rejoint celle de François-Noël Buffet : elle porte sur la façon dont la Turquie nous met la pression.
Vous dites que vous allez tenter de convaincre les Turcs que les deux sujets, l'accord, d'une part, et le différend politique, d'autre part, sont parfaitement distincts. Je ne doute pas de votre capacité de persuasion ; mais je ne doute pas non plus qu'un pays, quel qu'il soit, disposant d'une telle arme, ne l'utilise pas. Ce n'est pas vrai seulement pour la Turquie, mais pour tout pays réceptacle de hotspots. À défaut de pouvoir nouer des accords parfaitement intangibles, ne faut-il pas plutôt imaginer d'installer des hotspots à l'intérieur même de l'Union européenne, sans sous-estimer les inconvénients que cela supposerait ?
Ma deuxième question porte sur les centres d'accueil et d'orientation. Je me suis rendu compte, à Calais, de l'exceptionnelle mobilisation des élus et des associations. C'est dire que notre pays, quoi que l'on en dise parfois, dispose de réelles capacités d'accueil. Pour autant, le Gouvernement a pris un certain nombre d'engagements relatifs aux échéances. Un certain nombre de sites ont été retenus pour y installer des CAO, et la promesse a été faite aux élus qu'une telle installation n'aurait qu'un caractère éphémère. Ces engagements seront-ils tenus ? Ne serez-vous pas contraints de retourner voir les maires pour leur demander un effort supplémentaire, créant peut-être le sentiment d'une parole non tenue ?
Je souhaite vous poser une question sur les engagements de coopération bilatérale. Mme Merkel a passé de tels engagements avec certains pays du sud de la Méditerranée, notamment avec la Tunisie ou l'Égypte. Cette approche a souvent été évoquée au cours de nos auditions et présentée comme nécessaire. Quelle est votre position sur ce point ? Le Gouvernement envisage-t-il de mettre en place des coopérations de ce type ?
Ma deuxième question porte sur l'application de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie ; j'ai contribué aux travaux de la mission d'information du Sénat sur ce thème, auprès du président Jacques Legendre et de notre rapporteur Michel Billout. Je m'interroge sur le tracé des frontières : compte tenu du Brexit, est-il toujours nécessaire que la frontière se situe à Calais ? Ne doit-elle pas être déplacée à Douvres ?
Enfin, j'étais de la mission qui s'est rendue à Grande-Synthe. Le démantèlement du camp est prévu, nous dites-vous ; ce qui m'a le plus frappée, c'est l'impunité des passeurs, au sein des camps, certes, mais surtout tout au long des routes migratoires. Les personnes qui souhaitent passer au Royaume-Uni sont des victimes ; des filières kurdes ou albanaises tracent des routes, rackettent, violent, des adultes ou des enfants. Sur la lutte contre les trafiquants, j'aimerais connaître vos orientations.
Le Royaume-Uni et l'Irlande bénéficient d'un statut particulier par rapport à l'espace Schengen. Quelles seraient, de ce point de vue, les conséquences du Brexit ?
Vous avez évoqué le droit d'asile et la nécessité de présenter, en la matière, un paquet législatif convergent au niveau européen. Quelles sont aujourd'hui les divergences majeures qui pourraient être surmontées demain ?
Enfin, vous avez évoqué 3 600 asiles octroyés par la France à des Libyens et à des Syriens. Disposez-vous d'éléments de comparaison précis avec nos voisins italiens, allemands et britanniques ?
S'agissant des chiffres, nous vous communiquerons des éléments écrits.
Concernant l'assouplissement, tout l'enjeu, avant de restaurer une totale liberté de circulation, est de clarifier les contrôles aux frontières. Si la menace persiste, nous devons pouvoir allonger leur durée. Je le redis : il ne s'agit pas d'une fermeture des frontières, mais d'un contrôle aux frontières. Ce dispositif a permis de procéder, depuis son rétablissement, à 92 millions de contrôles, dont 65 000 procédures de non-admission. Il s'est révélé utile ; nous souhaitons donc le maintenir.
Pour ce qui concerne la solidarité, le traité prévoit déjà des procédures si certains pays ne respectent pas leurs obligations. Conseil après Conseil, je cherche à les convaincre plutôt qu'à accroître la coercition. Tous les États concernés ne sont pas totalement fermés ; je cherche à créer des effets de levier afin que l'un, prenant sa part de l'effort de solidarité, entraîne les autres.
La coopération avec les pays d'origine et de transit se décline dans de nombreux domaines : lutte contre l'immigration irrégulière, contrôles aux frontières, dispositifs d'accueil, développement. Au Niger, l'Union européenne est identifiée très précisément en tant que cheville ouvrière de dispositifs qui fonctionnent bien. Je pense en particulier aux 140 millions d'euros issus du fonds fiduciaire d'urgence mis en place en novembre 2015 au sommet de La Valette. Les résultats sont très concrets, même si les passeurs, en Afrique comme à Calais, changent de routes et tentent de déjouer les contrôles - nous devons sans cesse réadapter les dispositifs.
Sur le paquet asile, nous avons des divergences à surmonter, s'agissant notamment de l'étendue des responsabilités des pays de première entrée et de la solidarité dont ils doivent bénéficier. C'est cet équilibre qui est aujourd'hui au coeur de la négociation.
Concernant les CAO, oui, l'État doit respecter ses engagements ! L'ouverture d'un CAO est fondée sur la confiance entre les différents acteurs : la collectivité d'accueil, l'opérateur, l'État. Les conséquences d'une rupture de confiance s'étendraient bien au-delà du territoire directement concerné. On me demande s'il sera nécessaire de procéder à des réquisitions ; mais la réquisition doit être le dernier recours, dès lors que les élus sont aujourd'hui persuadés qu'accueillir un CAO, ça marche ! Peu d'élus, après coup, le regrettent ; en revanche, beaucoup le regretteraient si nous ne respections pas nos engagements.
Un certain nombre d'élus acceptent désormais d'envisager la possibilité d'un accueil en logement diffus. Cette option ne rend pas plus facile la prise en charge sociale, mais permet de diversifier le dispositif, sachant, en outre, qu'en cas d'augmentation de la tension, le prix de l'hébergement en CAO pourrait évoluer à la hausse. Quoi qu'il en soit, la base du fonctionnement des CAO est la confiance entre les différents acteurs concernés.
Enfin, à Calais, depuis le début de l'année, nous avons démantelé six filières de passeurs clandestins ; mais de telles filières se renouvellent en permanence. Les tentatives d'intrusion dans les camions se poursuivent : plus de 150 il y a deux nuits ! Ce n'est donc pas par manque d'humanité que le Gouvernement fait tout pour empêcher la réinstallation d'un camp à Calais,...
limitant notamment drastiquement la possibilité pour les associations d'y intervenir de façon pérenne.
Nous voulons éviter la réintroduction à cet endroit de campements sauvages, qui constitueraient un nouvel appel à s'y rendre. C'est tout l'enjeu des discussions que nous menons avec les associations sur ce territoire du Calaisis : solidarité, oui, bien entendu ; mais reconstitution des camps, non !
Très bien !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 heures 10.