Nous accueillons MM. Charly Carayon, psychiatre, chef de pôle Psychiatrie enfant et adolescent au centre hospitalier d'Alès, Thierry Fouque, psychiatre, chef du service Enfant et adolescent au CHU de Nîmes, et Emmanuel Lafay, psychiatre, chef de pôle du 30i03 au mas Careiron à Uzès. Ils travaillent en réseau et vont nous en dire plus sur cet aspect de leur pratique.
Dr Charly Carayon, chef de pôle Psychiatrie enfant et adolescent au centre hospitalier d'Alès. - Nous avons le souci de faire vivre ces communautés psychiatriques de territoire (CPT) que la loi prescrit dans le cadre des Groupements hospitaliers de territoire (GHT). Mais nous les avions mis en place bien avant ! La chef de service qui m'a précédé avait proposé à Thierry Fouque de créer un interpole de pédopsychiatrie dans le Gard. Nous nous sommes inscrits depuis très longtemps dans cette politique de soins concertée en partenariat avec l'Éducation nationale, l'Aide sociale à l'enfance (ASE), le secteur médico-social, les associations culturelles, sportives, familiales. Faire de la pédopsychiatrie, c'est travailler avec les autres.
Les difficultés tiennent essentiellement à la pénurie médicale : les demandes de consultations s'accumulent, la file active augmente de façon exponentielle, alors que les moyens demeurent identiques ou diminuent...
Il faut former des pédopsychiatres en quantité suffisante : à Alès, sur cinq postes dans le passé, il n'en reste que deux. La pérennité de nos structures est menacée faute de médecins pour les encadrer. Je pense à La Rose verte, créée par le docteur Marie Allione. Un film y a été tourné, qui montre tout l'engagement des soignants auprès des jeunes autistes et des enfants affectés par des troubles graves de la relation. Nous sommes passionnés par notre métier, ce que parents et enfants sentent et apprécient, mais ce patrimoine est en danger.
Je veux insister aussi sur la qualité de la formation à dispenser, dans une discipline qui emprunte à de nombreux champs, médecine, biologie, mais aussi anthropologie, sociologie, linguistique, littérature, arts, poésie... Tout nous concerne car nous sommes confrontés à la complexité de la vie et les futurs médecins doivent y être préparés.
Les parents sont inquiets des évolutions, les professionnels le sont aussi.
Dr Thierry Fouque, chef du service enfant et adolescent au CHU de Nîmes. - Vous connaissez la situation de la discipline. S'y ajoute, pour nous, la situation locale. La population est largement composée de familles pauvres. Et nous sommes peu armés face à la pression économique qui pèse sur nos établissements. Ce sont de tout petits services, l'activité essentiellement ambulatoire est peu rentable, la consultation dure longtemps, les zones que nous couvrons sont vastes. Il faut deux heures de route, aller et retour, pour rencontrer un seul enfant. On nous dira « vous ne faites pas grand-chose ! », alors qu'en parcourant tous ces kilomètres pour voir l'enfant, nous faisons beaucoup, au contraire.
Nous sommes en souffrance, les moyens humains reculent, les budgets aussi, tandis que l'offre libérale est quasi inexistante : seulement deux pédopsychiatres inscrits dans le Gard - et l'un d'eux prenant bientôt sa retraite, il n'accepte pas de nouveaux patients. Le centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) est la seule structure de prise en charge, pourtant il perd une infirmière, puis une éducatrice,...
Ensemble, nous serons plus forts : voilà ce qui nous a poussés à adopter une vision plus territoriale, à partager une unité hospitalière pour les adolescents dans le département et une unité de trois lits à Uzès. Nous nous efforçons de penser ensemble un parcours de soins pour les adolescents et les tout petits. Nous sommes persuadés que nous devons partager la prise en charge avec les autres intervenants du secteur médico-social. Cela pose parfois des problèmes, y compris budgétaires, par exemple quand un enfant placé en institut médico-éducatif fréquente notre centre, car pour les journées que le jeune patient passe au centre, l'IME, lui, est privé de rémunération. Et qui doit payer le transport ? Nous obtenons peu de reconnaissance de nos établissements, mais plus, heureusement, de nos partenaires et des familles.
Dr Charly Carayon. - C'est aussi pour cela que l'idée d'un pôle pédopsychiatrique nous a séduits, pour défendre les intérêts de la filière, donc de nos patients. C'est ce que nous recherchons dans un interpôle, ou une CPT infanto-juvénile : se sentir soutenus, par les établissements, l'ARS. Notre association médicale infanto-juvénile du Languedoc-Roussillon envisage de s'allier avec celle de Toulouse.
Dr Thierry Fouque. - Oui car nos difficultés sont les mêmes qu'ailleurs, bien sûr. Notre association départementale a fait un état des lieux de l'offre de soins pédopsychiatriques dans le département, à la demande de l'ARS. Nous pourrons vous transmettre ce document. Une journée de formation a été organisée sur le thème des partenariats.
Dr Emmanuel Lafay, chef de pôle du 30i03 au mas Careiron à Uzès. - J'ai pris mes fonctions il y a un an et demi, dans un secteur très vaste (il me faut deux heures pour le traverser), avec peu de médecins et donc une couverture parcellaire. Cette semaine encore, pour deux adolescents qui ont connu un pic d'agitation, j'ai dû gérer la crise au téléphone... Le travail en réseau est indispensable. D'autant que le temps psychique de l'enfant doit être préservé, respecté, il n'est pas le temps institutionnel, ni celui de la famille, ni celui de la justice, ni de l'école, ni de l'ASE... ni celui de l'hôpital, hélas, désormais. Dans le passé, on « observait » les enfants, on leur portait attention ; aujourd'hui, on les « évalue ».
Il y a vingt ans, nous pouvions assurer un suivi régulier et voir les familles au moins toutes les six semaines environ. À présent, nous sommes dépassés par le nombre des demandes. Dans mon petit centre, avec un ETP médical de 0,4, il y a eu cette semaine 38 demandes nouvelles. L'attente atteint à Beaucaire, hors urgence, pas moins d'une année, et de deux années pour voir le psychologue du centre médico-psychologique (CMP). Nous n'avons pas affaire à une population qui se déplace à Nîmes ou ailleurs pour trouver un praticien. Nous pratiquons dès lors, en quelque sorte, une médecine de guerre : sur les 38 cas nouveaux, je traite les trois plus urgents, comme les adolescents suicidaires. Il ne nous est plus possible de prévenir la dégradation d'autres situations.
La justice ou l'école, lorsqu'elles sont dépassées, s'adressent aussi à nous. Le bon accueil des familles, qui exige une certaine tranquillité, est menacé par cet emballement récurrent. Les nouveaux infirmiers sont pleins de bonne volonté mais ils n'ont pas de formation pédopsychiatrique. Nous devons donc gérer à la fois la formation, la gestion des urgences et la pénurie de professionnels. En outre, le travail de réseau prend du temps, n'est pas valorisé - ce qui se passe en amont de la consultation n'existe pas ! Or, en cas d'ordonnance de placement, l'admission de l'enfant prendra deux heures. Le jeune est souvent jeté à l'hôpital sans vêtements de rechange, sans numéro de téléphone... C'est notre quotidien. L'unité hospitalière est ouverte du lundi au vendredi, mais pour un petit garçon placé par la juge, il a fallu laisser le centre ouvert et les équipes se sont relayées durant le week-end. « Ce n'est pas mon problème » a répondu la magistrate. Cela n'aurait pas dû être le nôtre non plus s'il avait été traité en amont mais à l'école, à l'ASE, les postes de médecins ont disparu.
Le tableau est assez noir.
Dr Charly Carayon. - L'hospitalisation de jeunes de douze ou treize ans dans des services pour adultes - parce que nous n'avons pas de structures appropriées - impose de les placer dans des chambres isolées, pour les protéger. Tout cela a un coût !
Ils sont donc accueillis à l'hôpital ?
Dr Charly Carayon. - Oui. Nous recevons aussi des jeunes errants, de plus en plus nombreux, avec des problèmes de toxicomanie, de prostitution.