Nous accueillons MM. Charly Carayon, psychiatre, chef de pôle Psychiatrie enfant et adolescent au centre hospitalier d'Alès, Thierry Fouque, psychiatre, chef du service Enfant et adolescent au CHU de Nîmes, et Emmanuel Lafay, psychiatre, chef de pôle du 30i03 au mas Careiron à Uzès. Ils travaillent en réseau et vont nous en dire plus sur cet aspect de leur pratique.
Dr Charly Carayon, chef de pôle Psychiatrie enfant et adolescent au centre hospitalier d'Alès. - Nous avons le souci de faire vivre ces communautés psychiatriques de territoire (CPT) que la loi prescrit dans le cadre des Groupements hospitaliers de territoire (GHT). Mais nous les avions mis en place bien avant ! La chef de service qui m'a précédé avait proposé à Thierry Fouque de créer un interpole de pédopsychiatrie dans le Gard. Nous nous sommes inscrits depuis très longtemps dans cette politique de soins concertée en partenariat avec l'Éducation nationale, l'Aide sociale à l'enfance (ASE), le secteur médico-social, les associations culturelles, sportives, familiales. Faire de la pédopsychiatrie, c'est travailler avec les autres.
Les difficultés tiennent essentiellement à la pénurie médicale : les demandes de consultations s'accumulent, la file active augmente de façon exponentielle, alors que les moyens demeurent identiques ou diminuent...
Il faut former des pédopsychiatres en quantité suffisante : à Alès, sur cinq postes dans le passé, il n'en reste que deux. La pérennité de nos structures est menacée faute de médecins pour les encadrer. Je pense à La Rose verte, créée par le docteur Marie Allione. Un film y a été tourné, qui montre tout l'engagement des soignants auprès des jeunes autistes et des enfants affectés par des troubles graves de la relation. Nous sommes passionnés par notre métier, ce que parents et enfants sentent et apprécient, mais ce patrimoine est en danger.
Je veux insister aussi sur la qualité de la formation à dispenser, dans une discipline qui emprunte à de nombreux champs, médecine, biologie, mais aussi anthropologie, sociologie, linguistique, littérature, arts, poésie... Tout nous concerne car nous sommes confrontés à la complexité de la vie et les futurs médecins doivent y être préparés.
Les parents sont inquiets des évolutions, les professionnels le sont aussi.
Dr Thierry Fouque, chef du service enfant et adolescent au CHU de Nîmes. - Vous connaissez la situation de la discipline. S'y ajoute, pour nous, la situation locale. La population est largement composée de familles pauvres. Et nous sommes peu armés face à la pression économique qui pèse sur nos établissements. Ce sont de tout petits services, l'activité essentiellement ambulatoire est peu rentable, la consultation dure longtemps, les zones que nous couvrons sont vastes. Il faut deux heures de route, aller et retour, pour rencontrer un seul enfant. On nous dira « vous ne faites pas grand-chose ! », alors qu'en parcourant tous ces kilomètres pour voir l'enfant, nous faisons beaucoup, au contraire.
Nous sommes en souffrance, les moyens humains reculent, les budgets aussi, tandis que l'offre libérale est quasi inexistante : seulement deux pédopsychiatres inscrits dans le Gard - et l'un d'eux prenant bientôt sa retraite, il n'accepte pas de nouveaux patients. Le centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) est la seule structure de prise en charge, pourtant il perd une infirmière, puis une éducatrice,...
Ensemble, nous serons plus forts : voilà ce qui nous a poussés à adopter une vision plus territoriale, à partager une unité hospitalière pour les adolescents dans le département et une unité de trois lits à Uzès. Nous nous efforçons de penser ensemble un parcours de soins pour les adolescents et les tout petits. Nous sommes persuadés que nous devons partager la prise en charge avec les autres intervenants du secteur médico-social. Cela pose parfois des problèmes, y compris budgétaires, par exemple quand un enfant placé en institut médico-éducatif fréquente notre centre, car pour les journées que le jeune patient passe au centre, l'IME, lui, est privé de rémunération. Et qui doit payer le transport ? Nous obtenons peu de reconnaissance de nos établissements, mais plus, heureusement, de nos partenaires et des familles.
Dr Charly Carayon. - C'est aussi pour cela que l'idée d'un pôle pédopsychiatrique nous a séduits, pour défendre les intérêts de la filière, donc de nos patients. C'est ce que nous recherchons dans un interpôle, ou une CPT infanto-juvénile : se sentir soutenus, par les établissements, l'ARS. Notre association médicale infanto-juvénile du Languedoc-Roussillon envisage de s'allier avec celle de Toulouse.
Dr Thierry Fouque. - Oui car nos difficultés sont les mêmes qu'ailleurs, bien sûr. Notre association départementale a fait un état des lieux de l'offre de soins pédopsychiatriques dans le département, à la demande de l'ARS. Nous pourrons vous transmettre ce document. Une journée de formation a été organisée sur le thème des partenariats.
Dr Emmanuel Lafay, chef de pôle du 30i03 au mas Careiron à Uzès. - J'ai pris mes fonctions il y a un an et demi, dans un secteur très vaste (il me faut deux heures pour le traverser), avec peu de médecins et donc une couverture parcellaire. Cette semaine encore, pour deux adolescents qui ont connu un pic d'agitation, j'ai dû gérer la crise au téléphone... Le travail en réseau est indispensable. D'autant que le temps psychique de l'enfant doit être préservé, respecté, il n'est pas le temps institutionnel, ni celui de la famille, ni celui de la justice, ni de l'école, ni de l'ASE... ni celui de l'hôpital, hélas, désormais. Dans le passé, on « observait » les enfants, on leur portait attention ; aujourd'hui, on les « évalue ».
Il y a vingt ans, nous pouvions assurer un suivi régulier et voir les familles au moins toutes les six semaines environ. À présent, nous sommes dépassés par le nombre des demandes. Dans mon petit centre, avec un ETP médical de 0,4, il y a eu cette semaine 38 demandes nouvelles. L'attente atteint à Beaucaire, hors urgence, pas moins d'une année, et de deux années pour voir le psychologue du centre médico-psychologique (CMP). Nous n'avons pas affaire à une population qui se déplace à Nîmes ou ailleurs pour trouver un praticien. Nous pratiquons dès lors, en quelque sorte, une médecine de guerre : sur les 38 cas nouveaux, je traite les trois plus urgents, comme les adolescents suicidaires. Il ne nous est plus possible de prévenir la dégradation d'autres situations.
La justice ou l'école, lorsqu'elles sont dépassées, s'adressent aussi à nous. Le bon accueil des familles, qui exige une certaine tranquillité, est menacé par cet emballement récurrent. Les nouveaux infirmiers sont pleins de bonne volonté mais ils n'ont pas de formation pédopsychiatrique. Nous devons donc gérer à la fois la formation, la gestion des urgences et la pénurie de professionnels. En outre, le travail de réseau prend du temps, n'est pas valorisé - ce qui se passe en amont de la consultation n'existe pas ! Or, en cas d'ordonnance de placement, l'admission de l'enfant prendra deux heures. Le jeune est souvent jeté à l'hôpital sans vêtements de rechange, sans numéro de téléphone... C'est notre quotidien. L'unité hospitalière est ouverte du lundi au vendredi, mais pour un petit garçon placé par la juge, il a fallu laisser le centre ouvert et les équipes se sont relayées durant le week-end. « Ce n'est pas mon problème » a répondu la magistrate. Cela n'aurait pas dû être le nôtre non plus s'il avait été traité en amont mais à l'école, à l'ASE, les postes de médecins ont disparu.
Le tableau est assez noir.
Dr Charly Carayon. - L'hospitalisation de jeunes de douze ou treize ans dans des services pour adultes - parce que nous n'avons pas de structures appropriées - impose de les placer dans des chambres isolées, pour les protéger. Tout cela a un coût !
Ils sont donc accueillis à l'hôpital ?
Dr Charly Carayon. - Oui. Nous recevons aussi des jeunes errants, de plus en plus nombreux, avec des problèmes de toxicomanie, de prostitution.
Votre témoignage est d'autant plus précieux qu'il concerne un territoire plutôt rural et nous avons entendu des médecins en milieu urbain jusqu'ici. Notre mission veut livrer des préconisations concrètes. Les CPT prévues par la loi apportent-elles des éléments positifs ? Vous êtes soumis au GHT : avez-vous une dérogation comme groupement psychiatrique ou appartenez-vous au droit commun ? Et vous qui vivez au quotidien dans un tel réseau, pouvez-vous nous parler de l'articulation entre le sanitaire, le médico-social, l'éducation nationale, la justice ? Y a-t-il une maison de l'adolescent dans votre département ? Si oui, comment fonctionne-t-elle ? Et à quoi bon un dépistage précoce s'il n'y a pas une prise en charge précoce ?
Dr Charly Carayon. - La communauté psychiatrique de territoire est en voie de constitution. L'actuelle présidente de la CME de l'hôpital d'Uzès en serait la présidente.
Dr Thierry Fouque. - La réunion constitutive du GHT psychiatrique s'est tenue ce matin. Nous sommes encore loin d'une communauté psychiatrique de territoire.
Mais une communauté adultes-enfants risque d'être juste une instance de plus, trop vaste pour travailler efficacement. Nous avons besoin d'une structure plus resserrée.
Dans les centres hospitaliers généraux, la pédopsychiatrie est un peu la dernière roue du carrosse. Il y a une inertie. Les associations concernées ou le secteur médico-social sont bien plus réactifs.
Vos décisionnaires se rendent-ils compte du coût de la non prise en charge de nombreux enfants ?
Dr Thierry Fouque. - On nous répond cyniquement que c'est pour le bien des enfants et le nôtre, que ce serait inhumain de ne pas les prendre en consultation...
Mais combien de temps doit durer la consultation ? Quand je me rends dans une école, j'y reste une heure et demie. Faut-il que je n'y aille plus pour faire du chiffre ? En plus, notre activité n'est pas tellement valorisée : une partie du travail, par exemple appeler l'école ou l'orthophoniste, ne se voit pas.
Nous n'avons pas les mêmes objectifs. Pour l'hôpital, l'important est d'afficher un équilibre budgétaire ou de montrer que l'activité augmente. Nous, notre souci, c'est de soigner. Ça me désole qu'il faille attendre quatre ou cinq mois pour avoir une consultation avec moi.
Quel rôle les paramédicaux et les psychologues peuvent-ils jouer face à la pénurie de médecins ?
Dr Charly Carayon. - Nous avons la chance de ne pas avoir de pénurie de psychologues. Lorsque j'étais sur Saint-Étienne, tous les enfants étaient reçus par un médecin. Aujourd'hui, le premier accueil est assuré par un psychologue.
La pédopsychiatrie est un travail pluridisciplinaire, associant médecins, psychologues, éducateurs spécialisés, infirmières. C'est la qualité de la formation, initiale et continue, qui fait la qualité des soins. La qualité des soins permet de réaliser des économies : aujourd'hui, il y a un incroyable gâchis, en termes tant économiques que de souffrance physique.
Dans les départements où le conseil départemental et l'aide sociale à l'enfance, l'ASE, n'ont plus de structures d'hébergement, les enfants sont « délocalisés » et « sous-traités » dans les départements voisins. Ainsi, dans le Gard, de nombreux jeunes sont placés dans des familles d'accueil, qui n'ont pas forcément la rigueur de l'ASE. Cela crée de la maltraitance et coûte cher. On n'a pas le droit de déplacer un enfant sans s'assurer qu'il sera bien accueilli, qu'il aura un centre de soins ou qu'il pourra aller à l'école !
Dr Thierry Fouque. - Chez moi, les premières consultations peuvent être assurées par les psychologues ou par les médecins, selon le motif indiqué lors de la prise de rendez-vous.
Nous essayons d'imaginer avec les CME une permanence de premier rendez-vous assurée par des paramédicaux, éducateurs ou infirmiers associés à une psychologue, pour garantir un premier contact et une première réponse aux familles. Ce n'est évidemment pas la panacée. Mais cela permet tout de même de rassurer des familles et de repérer les cas les plus urgents.
Dr Emmanuel Lafay. - Le problème des dispositifs en aval demeure. Une fois les familles reçues et les besoins de soins identifiés, il faut des moyens pour les assurer.
Comment nous, pédopsychiatriques, pouvons-nous remplir toutes les missions qui sont les nôtres - elles ont beaucoup augmenté en vingt ans - avec notre faible effectif ?
À un moment, la pédopsychiatrie ne peut plus répondre à tous. Nous récupérons tous les dysfonctionnements institutionnels mais avec de moins en moins de moyens. Il faut une vraie politique de l'enfance en France, avec un ministère regroupant l'aide sociale à l'enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, ou PJJ, la pédopsychiatrie, l'école...
La coordination, c'est bien en théorie mais très compliqué en pratique. Toutes les autres institutions sont complément saturées. Ce n'est pas une critique : l'ASE, la PJJ et l'école font ce qu'elles peuvent. Mais faire ce que l'on peut, ce n'est pas faire n'importe quoi ! Or, pour réfléchir à ce que l'on fait, il faut avoir du temps.
Dr Thierry Fouque. - Il y a une maison des adolescents, ou MDA, dans notre département. Mais l'histoire est douloureuse.
J'ai été le promoteur du projet. Nous avions déposé le dossier et obtenu les financements. Puis, pour des raisons politiques, lorsque les subventions sont arrivées, nous avons été avisés que la MDA serait gérée par une association d'associations ! Cela nous a contrariés, d'autant qu'il n'y avait pas vraiment de logique.
On constate une petite amélioration aujourd'hui mais la MDA reste un peu une coquille vide. Elle assure assez bien la fonction de premier accueil mais il n'y a pas assez de professionnels pour assurer l'arrière-plan médical. En même temps, les locaux sont très beaux...
Dr Charly Carayon. - Membre de l'équipe de coordination de RésaGard, réseau pour les adolescents en difficulté, j'ai voulu introduire une dimension clinique. Les stratégies thérapeutiques se construisent à partir des hypothèses diagnostiques.
Malheureusement, j'ai eu beaucoup de mal pour faire valoir cette dimension. On s'intéresse, semble-t-il, plus au paraître qu'à la qualité des soins et à ses effets sur les adolescents.
En raison de luttes de pouvoir, RésaGard s'est fait absorber ; là aussi, l'histoire est douloureuse. Lors de la constitution du réseau, nous insistions sur l'importance d'une affiliation à un hôpital. Nous avons été dessaisis et l'hôpital ne s'est pas battu. On ne se sent pas soutenus. Il y a des logiques administratives, comptables...
Dr Thierry Fouque. - Et de pouvoir !
Dr Charly Carayon. - Sur Alès, depuis six ans, je fais face à la pénurie. La solution est effectivement de relier les ressources. Le soin psychique, cela concerne tout le monde ! Les premiers soignants sont les parents qui consolent les enfants. Les enseignants et les personnels médico-sociaux ont chacun une part dans l'accueil et le traitement de la souffrance psychique.
Il est de notre responsabilité de soutenir les capacités soignantes. Nous le faisons lorsque nous allons dans les écoles. Nous essayons de donner du sens au comportement de l'enfant, qui demande de l'amour, de l'attention. Nous l'humanisons. Cela le rend moins terrifiant pour les enseignants.
J'ai essayé de transposer dans la pluri-institutionnalité ce que nous faisons dans l'institution. Une institution psychiatrique ne peut fonctionner qu'avec des réunions cliniques régulières. On s'éclaire du regard de chacun.
Il y a les supervisions : une fois par mois, nous sollicitons le regard d'un intervenant extérieur sur un cas difficile. Ce sont ces cas qui nous renseignent le plus sur nos dysfonctionnements. C'est un outil à la fois thérapeutique et de formation. Formation et supervision sont liées.
L'idée est de transposer cela sur le réseau.
Il faut d'abord garantir un temps de rencontre. Il a été convenu avec deux inspectrices de l'éducation nationale que je devais être disponible sur Alès le jeudi matin ; j'incite tout le personnel de la pédopsychiatrie à l'être aussi.
Il faut ensuite proposer des rencontres cliniques pluri-institutionnelles. On a fait plusieurs groupes : petite enfance, enfance-adolescence, autisme... Des enseignants et des éducateurs sont amenés à parler d'une situation qui a pu leur poser problème. On discute avec des gens d'expériences et de cultures différentes. Nous organisons aussi des formations territoriales.
Comment la communauté psychiatrique de territoire peut-elle soutenir cela ? C'est très compliqué. Beaucoup de gens viennent par engagement personnel. Ils prennent sur leur temps. Les temps de supervision et de formation sont essentiels.
Il y a des contradictions majeures. À l'origine, la psychiatrie était en secteur. Aujourd'hui, sous prétexte de travail en réseau, on ne préserve pas les secteurs, ce qui met à mal ce travail en réseau.
Le travail non quantifiable que vous évoquez - il est indispensable - est complètement contradictoire avec la logique qui est celle de la médecine depuis quelques années ! Je pense par exemple à la tarification à l'activité. Et les choses s'aggravent : depuis quelques années, la psychiatrie - et, au sein de la psychiatrie, la pédopsychiatre -, c'est la cinquième roue du carrosse.
Cette situation ne concerne pas seulement les zones rurales. Elle existe aussi dans les zones urbanisées. La logique actuelle, qui, vous l'aurez compris, n'est pas la mienne, est contradictoire avec la psychiatrie de secteur.
En outre, certains politiques voient un remède miracle dans la mise en oeuvre des pratiques avancées. Attention ! Psychiatres et psychologues n'ont pas le même rôle. On ne peut pas remplacer indifféremment les uns par les autres.
J'ai une autre inquiétude. Avec l'accueil de mineurs dans des services de psychiatrie pour adultes, la seule réponse des professionnels est souvent la chambre d'isolement. N'y a-t-il pas un risque de recours excessif à la médicalisation ?
Dr Charly Carayon. - Nous faisons en sorte que les adolescents concernés sortent très vite de ces secteurs. Mais nous sommes confrontés à de nouveaux problèmes, comme celui des fratries. En tout cas, pour ma part, je ne médicamente pas.
Dr Thierry Fouque. - Je pense que le risque existe. Quand on n'a pas beaucoup de temps, on peut être tenté de médicamenter. Certains font un usage un peu facile de la Ritaline face à des problèmes de comportement.
Dr Charly Carayon. - Sur Alès, nous insistons plus sur le contenant psychique. Nous voulons rassurer l'enfant, trouver une solution rapidement. C'est vrai que cela prend du temps.
Dr Emmanuel Lafay. - Sur l'ensemble du Gard, nous avons treize places d'hospitalisation. Ce n'est pas suffisant pour répondre réellement aux urgences. Si un adolescent arrive aux urgences d'Alès ce week-end, il n'aura pas de place et ira en psychiatrie pour adultes ! Il y a une vraie pénurie. Nous devons trouver d'autres solutions, adaptées aux besoins de ces enfants.
Les enfants ne sont plus pensés. Tout va trop vite. La clé, c'est question du temps. L'urgence est dans la tête des adultes. L'enfant, lui, n'est pas dans l'urgence ; il a besoin de temps pour se construire et se développer.
Dr Thierry Fouque. - Le nombre d'enfants qui passent aux urgences augmente, en raison de la lenteur des autres réponses et de la réduction du nombre de pédopsychiatriques. On peut avoir quatre, cinq ou six passages aux urgences par semaine, contre un seulement les mauvaises semaines voilà quinze ans.
À mon avis, les psychologues ne peuvent pas remplacer les médecins, ne serait-ce que pour des raisons d'autorité dans l'institution.
La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé remet un peu en place la notion de secteur, qui est pertinente. Il ne faut pas calquer certains systèmes sur notre travail : il est arrivé que la directrice me reproche des chiffres d'activité insuffisants...
Je vous remercie de nous avoir éclairés, même si la situation que vous avez décrite n'est guère rassurante.
Dr Charly Carayon. - Il est vrai que c'est difficile mais nous avons beaucoup de projets.
En effet, nous avons bien ressenti la passion qui vous anime.
Professeur David Cohen, Professeur à l'Université Marie-Curie et chef du service de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Président de la sous-section du CNU. - Je souhaite vous donner lecture d'une note qui n'engage que moi-même, même si j'ai pris des informations auprès d'autres collègues.
Je tiens à remercier la commission du Sénat d'organiser une audition pour la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, pour l'effort louable pour améliorer la situation de la discipline et donc de notre principale clientèle, à savoir les enfants et adolescents en souffrance psychologique et psychiatrique et leurs familles.
De mon point de vue, la situation est actuellement tout à fait dramatique en terme de formation et digne du tiers-monde, que ce soit au plan des spécialistes médecins ou des paramédicaux concernés, en terme de correspondance besoins / moyens, en terme d'analyse des problématiques et du coup de cohérence des politiques publiques, en terme de médiatisation et de manipulation à court terme et enfin en terme de recherche dédiée.
Ce que j'appelle une politique tiers-mondiste dans un pays riche, c'est une politique qui conduit à enrichir les plus riches et à appauvrir les plus pauvres. Dans le système de santé français, les plus pauvres sont les disciplines en charge de la chronicité, à savoir la psychiatrie, la psychiatre de l'enfant et de l'adolescent, la gériatrie, la rééducation fonctionnelle.
La France est très en retard par rapport au standard européen puisqu'en termes de formation des médecins spécialistes, si on tient compte de la dernière enquête européenne sur le sujet, la France est au niveau de la Slovénie ou de la Roumanie. L'attractivité du métier s'est effondrée car la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent apparaît responsable de tous les échecs de la société. Il existe une nécessaire refonte de la formation en tenant compte des concepts de développement et de neuro-développement que nous avons tenu à préciser dans une lettre du CNU cosignée par l'ensemble des psychiatres universitaires de la discipline. L'autisme de ce point de vue est assez symptomatique de ce malaise. Pour ce qui concerne la formation des paramédicaux, s'il y a eu une réingénierie du diplôme d'orthophoniste qui a abouti (c'est la seule bonne nouvelle dans le domaine), les finances n'ont absolument pas suivi et la façon dont certaines caisses primaires d'assurance maladie traitent la question des carences d'occupation des postes d'orthophonistes dans les structures hospitalières est tout simplement surréaliste. Elle conduit du reste à pérenniser l'absence d'occupation des postes dans les structures publiques. Par contre, la réingénierie des métiers de psychomotricité et d'ergothérapie est restée en suspens. Et quant à la formation des psychologues, on attend comme dans d'autres pays européens la création de vrais diplômes de psychologie du développement avec spécialisation et surtout, pour les psychologues cliniciens, la création d'un Internat de psychologie, seul garant d'une expérience clinique suffisante pour pouvoir prétendre à s'inscrire dans la modernité des dernières avancées en psychologie du développement et en neurodéveloppement.
Au niveau macro-économique, on nous dit que les moyens de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent ont un peu augmenté ces dernières années (+ 5 %) mais dans le même temps les demandes ont explosé (+ 80 %). Par ailleurs, en 10 ans, le conseil de l'ordre a recensé moitié moins de psychiatres d'enfants et d'adolescents inscrits sur ses listes. Le niveau macroscopique ne décrit en aucune façon l'adaptation de ces moyens aux besoins sur le plan de la qualité et de la formation. Cet abord macroscopique ne dit rien non plus des inégalités territoriales et rien des absurdités administratives pour les cas complexes et enfin rien non plus de la réponse aux nouvelles demandes comme celle de la radicalisation (pour laquelle la discipline s'est engagée) ou du trauma.
Par ignorance, par bêtise, par soumission, pour ne pas faire de vagues quand on est un administratif qui doit faire carrière ou un médecin qui veut surtout servir ses propres intérêts ou ceux d'une corporation... Il existe une grande confusion des problématiques et des analyses erronées. Il est difficile d'entrer dans le détail mais si on prend le niveau des dispositifs et des institutions, on constate, au moins dans le public, différents types de structures, celles qui dépendent du secteur de psychiatrie infanto-juvénile (les CMP, hôpitaux de jour), celles qu'on peut considérer comme intermédiaires et qui sont parfois gérées par des associations (CMPP, hôpitaux de jour, parfois) et les structures qui relèvent du médico-social, qu'elles soient gérées par des structures publiques ou des associations (CAMPS, IME, IMPro, ...).
Sur ces différents types de dispositifs et institutions se rajoutent par-dessus les organisations en niveaux 1, 2, 3 qui concernent l'ensemble de la médecine et qui sont certainement des organisations vers lesquelles on doit tendre, en tout cas au niveau des territoires.
Très souvent, on identifie les structures par rapport aux dépenses et aux niveaux mais, à aucun moment, on ne vérifie l'adéquation des structures aux moyens humains. On confond trop souvent fonction et profession. Ainsi, aujourd'hui la plupart des médecins qui occupent une fonction de psychiatre d'enfant et d'adolescent ne sont pas pédopsychiatres (ce sont des psychiatres généralistes, à la retraite avec un vague souvenir du développement tel qu'on l'enseignait dans les années 70, ou des médecins généralistes qui on fait des formations professionnelles sur le tard ou des médecins étrangers) et encore quand un médecin occupe le poste. Du coup le discours que l'on entend régulièrement dans beaucoup de réunions, à savoir que les pédopsychiatres sont nuls, correspond bien souvent à un abus de langage puisque les pédopsychiatres dont il est question n'ont pas reçu de formation adéquate justement. Comme je l'ai dit plus haut l'exemple de l'autisme est particulièrement symptomatique. Certains collègues appartenant à des disciplines frontières et concernés par l'autisme (comme la psychiatrie d'adultes, la génétique, la neuropédiatrie) ne se privent pas pour être particulièrement critiques vis-à-vis des pédopsychiatres, ce qui ne favorise pas des discussions apaisées et un travail de fond pour répondre aux besoins des enfants et de leurs familles. C'est aussi le cas de certains chercheurs et je prendrai pour exemple une récente tribune dans Le Monde où près de la moitié des signataires n'avaient, à ma connaissance, jamais travaillé sur l'autisme et même jamais rencontré de personnes autistes.
Ces erreurs d'analyse qui laissent de côté la question de la formation initiale et centrent les politiques publiques sur la formation continue ne risquent pas, à mon sens, de changer les choses sur le moyen terme et vont favoriser des prises de décisions illusoires. Par déplacement, on propose de passer la problématique d'une institution à une autre mais sans réelle réponse efficace.
S'il existe une prise de conscience actuellement, l'ampleur du problème n'est pas encore intégrée et les décisions politiques récentes sont des rustines qui, pour partie, relèvent des phénomènes de déplacement évoqués plus haut.
Au plan des soins, outre les niveaux 1-2-3, on propose à juste titre de distinguer les problématiques par tranche d'âge : nourrisson, enfant préscolaire, 6-12 ans et adolescent. Quelques exemples de décisions et propositions plus ou moins récentes. L'autisme quitte la santé pour le handicap, c'est-à-dire qu'il relève quasi exclusivement du médico-social. Le nourrisson, pour le diagnostic précoce et la prise en charge, est sur le point de rejoindre les CAMPS, sans tenir compte des inter-secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, d'une part, et des difficultés des CAMPS eux-mêmes à bien répondre à leurs missions propres. La déficience intellectuelle reste encore dans la santé principalement pour l'enjeu du diagnostic génétique via les centres référents maladies rares. Pour combien de temps ? L'adolescence revient en première intention aux acteurs de proximité et aux psychologues. Mais a-t-on fait quelque chose pour la formation des intéressés ? A-t-on décidé la généralisation du remboursement des soins de psychologue par la sécurité sociale ?
Au plan de la formation justement, une réforme est en cours mais les dernières propositions que nous avons reçues (et qui d'après nos interlocuteurs sont les seules réalistes au vue de la démographie actuelle) restent à mille lieues des ambitions de la réforme telles qu'elles sont énoncées. Il est vrai, comment appliquer une réforme à toutes les disciplines et spécialités quand dans certaines les ratios professeurs/internes sont d'un pour 4 quand il est d'un pour 40 en psychiatrie ?
La recherche en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent est un autre parent pauvre. L'Inserm compte 6 000 chercheurs (statutaires et étrangers), 2 600 contractuels, 4 800 hospitalo-universitaires pour près d'un milliard d'euros de budget. Une goutte est dédiée à la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Prenons l'exemple des deux instituts hospitalo-universitaires parisiens (investissements d'avenir liés au grand emprunt) qui auraient pu bénéficier à la discipline puisque l'un est dédié au développement et l'autre aux neurosciences. Là encore rien n'est proposé au-delà de la déclaration d'intention. « L'excellence n'y est pas » est la réponse qu'on nous renvoie pour pérenniser l'absence de financement vers la discipline tout comme l'absence de nomination d'hospitalo-universitaires pour former les jeunes collègues.
Et quand malgré tout, on essaie de conduire des activités de recherche (clinique ou non), tout est en place pour nuire et mettre des bâtons dans les roues : absence d'intérêt des promoteurs pour la discipline, enjeux idéologiques d'un autre temps, voire intimidation parfois. Un exemple venant d'un acteur du privé, très grosse entreprise qui depuis plus de 20 ans était un des rares financeurs dans l'autisme via une fondation d'entreprise. Depuis trois ans, devant les remontrances et les conflits qui entourent la discipline, cette entreprise a préféré se retirer du domaine car il était clair qu'au-delà de l'engagement vis-à-vis de l'autisme, l'entreprise ne pouvait pas investir via sa fondation sur une thématique qui devenait incontrôlable au plan politique et en termes de communication.
Je vous soumets une tentative schématique pour représenter la pédopsychiatrie et ses principales interfaces. On retrouve bien sûr certaines spécialités médicales : la pédiatrie, la neurologie, la périnatalité, la génétique, l'endocrinologie et la psychiatrie adulte. Au plan institutionnel, on retrouve l'université, la santé et la recherche. Dans la gestion quotidienne, un service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent situé dans un CHS devra batailler avec la psychiatrie d'adultes pour garder ses financements ; dans un CHU, il devra batailler avec les autres disciplines médicales. Mais dans tous les cas la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent est en général une variable d'ajustement. Ce qui est vrai pour la partie santé est également vrai à l'université et lorsqu'il s'agit d'obtenir des crédits de recherche dédiés.
Mais la pédopsychiatrie est également à l'interface et en lien avec de nombreux paramédicaux : orthophonistes, psychomotriciens, psychologues, ergothérapeutes, éducateurs spécialisés, travailleurs sociaux, pour ne citer que les plus spécifiques. La discipline est aussi à l'interface de l'école, des services sociaux de la ville et du département, de la protection de l'enfance et de l'aide sociale à l'enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse et de la justice. Au plan institutionnel on reconnaît les ministères de l'éducation, de la famille, de la justice, de la ville et de la jeunesse.
À tous les niveaux d'interfaces possibles, même s'il existe des partenariats très fructueux, les points de blocage sont aujourd'hui beaucoup trop nombreux pour espérer inverser une désaffection envers la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent malgré un intérêt conservé par les jeunes médecins. Il faut donc un véritable « plan Marshall » pour la discipline dont les grandes lignes en termes d'objectifs pourraient être les suivantes :
1. Mettre à niveau, en termes de moyens, les structures de la discipline pour répondre à l'augmentation des demandes récentes et aux carences anciennes déjà relevées dans de nombreux rapports.
2. Continuer les efforts pour garantir que, sur l'ensemble du territoire, soient appliquées les réformes salutaires qui ont vu l'amélioration des MDPH et de l'inclusion scolaire.
3. Prévoir une formation pour les jeunes générations qui suive les formats européens des pays les plus avancés (soit au moins 6 semestres en pédopsychiatrie lors de la formation des internes).
4. Augmenter le nombre d'universitaires de la discipline pour atteindre un taux d'encadrement qui permette une formation de qualité et, surtout, soutienne la recherche clinique.
5. S'assurer que les professions paramédicales en interface avec la discipline connaissent également une évolution de leurs standards de formation tenant compte des avancées en développement et en neuro-développement.
6. Sanctuariser les crédits de la psychiatrie d'enfants et adolescents que ce soit au niveau des dépenses de santé et de la gestion hospitalière, mais également des investissements en recherche.
7. Créer un institut de recherche en santé mentale et développement comme c'est le cas dans tous les grands pays occidentaux.
8. Supprimer les clivages au niveau des territoires entre les dispositifs relevant de la santé et des hôpitaux et les dispositifs relevant du médico-social. Les ARS n'ont pas réussi à surmonter cette difficulté qui aboutit à ce que les cas les plus complexes reçoivent le moins de soins du fait de la saturation des structures.
9. Donner au niveau de chaque territoire une responsabilité coordinatrice à l'un des acteurs pour permettre de résoudre les difficultés institutionnelles de gestion des cas complexes. L'Inserm est une structure trop archaïque et il ne faut pas aborder les enjeux de recherche uniquement par les neurosciences.
10. Investir dans la formation continue des médecins généralistes, des médecins spécialistes mais également des paramédicaux pour s'assurer que tous adoptent et s'approprient les avancées de la discipline.
La discipline a demandé la mise en place d'un co-DES pour atteindre les équivalences de formation européennes. Dans le cadre actuel n'importe quel psychiatre adulte peut diriger une structure pour enfant. Si l'on met en place la réforme telle qu'elle est envisagée les psychiatres pour adultes seraient encore moins formés à la pédopsychiatrie.
Vous souhaitez avec le co-DES mettre les deux spécialités au même niveau ?
Professeur David Cohen. - Nous souhaitons qu'il y ait un temps commun de formation de deux ans puis une séparation avec deux ans de formation pour chaque branche de la psychiatrie. La discipline a besoin d'un signal au moment où on met en place une réforme de la formation qui doit durer vingt-cinq ans. Nous pourrions former une soixantaine de co-DES par an.
Professeur Jean-Luc Dubois-Randé, président de la Conférence des doyens des facultés de médecine et doyen de l'Université Paris Est Créteil Val de Marne. - Il y a un certain éloignement des pouvoirs publics de la question que nous abordons aujourd'hui. Pour y remédier, il me semble qu'il faudrait mettre en place un plan psychiatrie incluant la pédopsychiatrie.
Au cours du 2ème cycle des études de médecine les étudiants préparent les épreuves classantes nationales. Trente items concernent la psychiatrie, dont dix la psychiatrie de l'enfant, mais ils mélangent les sujets d'addictologie ainsi que la prise en charge des adultes. Le sujet n'est donc pas très traité à ce stade des études médicales. Il est vrai cependant que le 2ème cycle n'a pas vocation à former des spécialistes.
Le nombre de formateurs en pédopsychiatrie est dérisoire et plus qu'alarmant. La psychiatrie est clairement le parent pauvre de notre système de formation. Il y a également un enjeu de répartition géographique. La discipline compte 120 universitaires, dont 36 PU/PH, or un tiers d'entre eux se trouvent à Paris. Dès lors de nombreuses facultés n'ont pas de pédopsychiatre.
Cette situation touche également l'ensemble des professionnels qui ne sont pas adossés aux pédopsychiatres dans leur institution. Le fait que les prises en charge effectuées par plusieurs d'entre eux ne soient pas remboursées me paraît être un scandale.
Le problème du manque de pédopsychiatres à l'université ne relève pas uniquement des doyens, c'est une question de désaffection plus générale pour les postes universitaires qui nécessitent des parcours très longs orientés vers la recherche et l'étranger et qui peuvent décourager.
On demande l'excellence en matière de recherche pour les postes en pédopsychiatrie mais il me semble qu'il faut sortir de l'idée que la recherche ne peut se faire que dans le domaine de la biologie. D'autres domaines sont parfaitement envisageables et il faut présenter des options de recherche.
Il me semble qu'il faut engager un grand plan national pour la pédopsychiatrie pour compenser le manque de forces universitaires et dans un contexte où le nombre de postes disponibles ne va pas augmenter. Je pense que l'on peut notamment envisager, pour encadrer tous les internes, que des postes soient mis à disposition de fédérations CHU.
En effet nous ne disposons pas des moyens de créer des postes partout et le vivier d'enseignants est trop peu important. Il faut donc établir des priorités de recrutement pour la discipline et prévoir des postes ciblés comme cela a été fait en médecine générale ou en soins palliatifs.
Pr Benoît Schlemmer.- : Le sujet de la formation des pédopsychiatres s'inscrit dans le chantier très vaste de la réforme du 3ème cycle des études médicales. La feuille de route de la réforme a été tracée par la conférence de santé et par un décret en Conseil d'État qui fixe ses grandes lignes. La déclinaison pour chacune des 44 spécialités concernées se fera par arrêté.
La réforme concerne 44 spécialités, je suis donc tenu d'avoir une cohérence d'ensemble. Il s'agit d'une réforme globale du dernier cycle d'études médicales. On accède aux 44 spécialités à l'issue d'un cursus sanctionné par un diplôme d'études spécialisées (DES), qui se substitue à un ensemble de spécialités par l'obtention de DES auxquels venaient s'ajouter des diplômes d'études spécialisées complémentaires (DESC), dont la majorité n'était pas des spécialités d'exercice exclusif. C'était le cas de la pédopsychiatrie depuis 2004.
La réforme a pour objectif, en fin de formation de troisième cycle, de conférer au jeune en formation l'ensemble des compétences de son métier. En formation initiale, des briques de formation, tant théoriques que pratiques, seront également ouvertes en formation continue. On a demandé à chacune des spécialités et aux disciplines universitaires associées, c'est-à-dire en ce qui concerne la pédopsychiatrie à la fois aux universitaires de la pédopsychiatrie et à ceux de la psychiatrie, quels étaient leurs souhaits. Au final, la réforme ne permet de répondre aux voeux ni des uns ni des autres. Elle prévoit un DES de psychiatrie avec une option qui ajoute une cinquième année de formation pour ceux qui se destineraient à un exercice prédominant, mais non forcément exclusif, de pédopsychiatrie.
Selon les standards européens, il faut au moins six semestres de formation. Il faut faire en sorte que sur l'ensemble des semestres consacrés au DES et à l'option, un jeune souhaitant devenir pédopsychiatrie puisse effectivement avoir ces six semestres.
Nous devons trouver une solution qui soit au moins un bon compromis au démarrage et qui ne soit pas en retrait par rapport à ce que nous connaissons déjà. L'essentiel de la réforme, au-delà de ce qui est dans la loi et dans le décret, est porté par des arrêtés et donc susceptible d'évolutions dans le temps assez aisées. Il y aura un comité de suivi de la réforme et des points de réévaluation.
Actuellement, le problème auquel nous sommes confrontés pour la pédopsychiatrie est que dans l'association d'un DES et d'une option, on ne peut obliger personne à faire une option. Il faut essayer d'en assurer l'attractivité. Si on voulait pouvoir contraindre, il faudrait soit deux DES totalement séparés, soit un co-DES avec un tronc commun en début de formation (système en Y). La difficulté est que sur l'ensemble des centres universitaires hospitaliers (CHU), neuf ne disposent d'aucun universitaire en pédopsychiatrie et n'ont pas de possibilité d'encadrement universitaire. Sur le reste des CHU, dix-huit ne disposent que d'un seul universitaire de la spécialité. La pédopsychiatrie est donc une spécialité pour laquelle les forces universitaires sont trop faibles pour pouvoir assurer sur le territoire de façon homogène la formation.
Pour renforcer une discipline universitaire, il faut, d'une part, ouvrir des postes et, d'autre part, pouvoir y attirer des jeunes qui sont alors certains d'y trouver l'avenir professionnel qu'ils souhaitent. Or les conditions d'exercice ne sont pas suffisamment favorables aujourd'hui.
Le co-DES est probablement la direction vers laquelle il faudrait aller. Des adaptations seront possibles dans le temps mais nous sommes dans un cadre contraint. Nous avons chaque année entre 8 000 et 8 500 étudiants à gérer, qu'ils sortent du deuxième cycle ou qu'ils viennent de l'étranger. Il s'agit d'un effectif fini, le reste ne peut être donné à une spécialité que par le biais de la formation continue, quelles qu'en soient les modalités, professionnels qui complètent leur formation ou qui accèdent à un nouveau champ de compétences par la voie de la validation des acquis de l'expérience (VAE) qui peut être universitaire ou dans la main du conseil national de l'ordre des médecins (Cnom).
Il y a, chaque année, 500 internes en psychiatrie générale, c'est le deuxième effectif derrière la médecine générale. On pourrait envisager de faire un co-DES et de voir combien d'étudiants il faut lui accorder et où on prend cet effectif. Si on le prend dans la psychiatrie, le système à deux branches permet d'avoir, à la sortie, l'effectif que l'on souhaitait. L'option ne permet pas cela. Si on va chercher des postes d'interne dans d'autres spécialités, la difficulté est de taille car les besoins sont immenses et le système s'est un peu verrouillé depuis un certain nombre d'années avec l'arrivée, en fin de carrière, de la génération du baby-boom et de la génération où l'accès à des spécialités était largement ouvert, en particulier par les CES qui sont désormais largement en extinction.
Le constat est assez noir. C'est le serpent qui se mord la queue. Quels sont les obstacles au système du co-DES ? Ne pourrait-on pas imaginer le même système à partir de la pédiatrie ?
Pr Benoît Schlemmer. - La mise en place d'un co-DES est aujourd'hui rendue impossible par la faiblesse des effectifs universitaires, qui fait obstacle à l'application de manière homogène de cette réforme qui est d'application nationale.
De plus, pour faire un co-DES, il faut que les deux spécialités qui le constituent se mettent d'accord entre elles sur les objectifs de métier, les objectifs pédagogiques, les effectifs à allouer à l'une et l'autre des deux branches. On imaginer que dans la vie professionnelle, il y ait ensuite des voies de passage de l'une à l'autre des deux branches.
Pour avoir des enseignants, il faut être en mesure de les attirer et de les accompagner dans leur parcours, ce qui n'est pas simple, eu égard à ce qui est demandé aux universitaires en général. On n'a pas à faire exactement de la même façon pour toutes les spécialités mais il faut une cohérence d'ensemble.
Combien, sur les 500 postes en psychiatrie, sont pourvus ?
Pr Benoît Schlemmer. - Une petite fraction n'est pas pourvue.
Comment « ré-enchanter » cette filière ?
Pr Daniel Cohen. - Je pense que quand on met en oeuvre une réforme ambitieuse, il faut prendre en compte l'historique. La psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent a toujours été très proche de la psychiatrie des adultes en France. A une époque, il existait un internat de psychiatrie. La discipline est née en se différenciant de la psychiatrie des adultes.
Les Italiens sont neuropsychiatres infanto-juvénile. lls font l'équivalent d'un DES de neuro-pédiatrie et de neuropsychiatrie. Cette situation est rare. Il existe des DES de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent où sont acceptés aussi bien une année en pédiatrie qu'une année en psychiatrie d'adultes. Il existe également ce qui s'apparente à des sur-DES où il faut faire d'abord trois ans de psychiatrie adultes puis deux ans de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Voici les configurations les plus fréquentes dans les pays occidentaux.
Il nous a été dit que les arbitrages pour les postes dans les universités étaient en général perdus par les pédopsychiatres.
Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - Pour être attractif, il faut un écosystème : si on met un pédopsychiatre tout seul sans environnement, il ne sera pas heureux.
l ne sera surtout pas efficace !
Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - C'était implicite dans mon propos. Il faut que les facultés fassent naître un environnement, ce qui n'est pas possible partout. Il faut donc plutôt raisonner par région, avec des centres de grande taille très bien équipés. Plutôt que d'éparpiller les pédopsychiatres, il en faut peut-être trois sur une zone, avec des équipes autour d'eux.
De façon plus globale, ne serait-il pas nécessaire de revenir à un examen à classement régional plutôt qu'à un examen à classement national (ECN), ce qui permettrait de se rapprocher des besoins du territoire ?
Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - J'ai soumis des propositions aux candidats à la présidence de la République en ce sens : selon moi, il faut sortir du tout ECN. Les étudiants, en particulier l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), partagent ce point de vue. Aujourd'hui, l'approche en termes de parcours professionnel des étudiants est privilégiée. Il faut introduire une part régionale dans l'examen.
Par rapport au DES en « Y », vous dites qu'il faut peut-être mieux le faire en deux temps avec une étape préalable avant d'arriver au double DES. Je suis plutôt favorable à un double DES, qui me semble plus logique. Je pense à l'orthophonie : à Paris par exemple, la formation se déroule à la faculté et à la Pitié Salpetrière mais cela n'est pas possible partout. Ne pourrait-on pas imaginer trois à quatre pôles de formation en pédopsychiatrie ? Je crains que ne pas aller directement sur cette formation fasse perdre du temps et je ne suis pas sûre que nous gagnions plus de professionnels.
Une seconde question relative à la démographie médicale : votre proposition est de supprimer le numerus clausus, ce que j'approuve.
Pr Benoît Schlemmer. - Pour augmenter le nombre de pédopsychiatres, il faut les attirer avec de la recherche, un environnement, etc. Des mesures simples peuvent être prises, par exemple en proposant des postes de chef de clinique ou d'assistant.
Comme la plupart des doyens aujourd'hui, je suis favorable à la suppression du numerus clausus. Nous sommes actuellement dans un moule unique : ne sont formés que des étudiants qui vont passer l'ECN. Or des étudiants veulent être biologistes, d'autres veulent faire de la médecine générale, de la chirurgie. L'indicateur de résultat d'une faculté est son taux de réussite à l'ECN : par exemple, à Dijon, la faculté est bien classée mais tous les étudiants partent ensuite ailleurs. Une fois que l'examen national est réussi, tous les étudiants sont ventilés et choisissent les meilleurs postes et partent dans d'autres régions. Par conséquent, quel est l'intérêt pour Dijon d'être bien classé au taux de réussite à l'ECN ? Il faudrait privilégier un indicateur de résultat portant sur le nombre de professionnels à former sur une région. Un exemple : en Aveyron, il n'y avait plus de médecins généralistes. Une action très forte de la faculté en faveur de la formation, pour augmenter le nombre de maîtres de stage, en collaboration avec les élus, a permis de repeupler le département en médecins. Plutôt qu'une politique portant sur l'installation des médecins, il est possible d'agir par la formation en université, à condition de modifier les indicateurs de résultat des facultés.
Les hôpitaux sont-ils capables d'accueillir un nombre plus important d'étudiants en formation ?
Pour favoriser la profession, une révision de la nomenclature des actes de pédopsychiatrie serait-elle utile ? Une consultation de l'enfant et de sa famille est en effet forcément beaucoup plus longue qu'une consultation de psychiatrie générale.
Pr David Cohen. - Concernant votre seconde question, la réponse était sous-entendue dans la réponse de Benoît Schlemmer. Il est évident que le fait qu'une consultation de pédopsychiatrie soit tarifiée au même niveau qu'une consultation de psychiatrie est très défavorable à la pratique de la pédopsychiatrie. Certaines caisses primaires d'assurance maladie demandent même le remboursement des actes lorsque des collègues font des feuilles de soin pour des entretiens parentaux. En Belgique, où le DES de pédopsychiatrie a été introduit récemment, la tarification a été modifiée en même temps : elle doit être trois fois supérieure à une consultation de psychiatrie, ce qui prend en compte l'écart de temps moyen d'une consultation. C'est un aspect qui compte dans le manque d'attractivité de la profession. Les chiffres du Conseil de l'Ordre ne recensent que les pédopsychiatres exclusifs mais, en pratique, quelques psychiatres généralistes acceptent encore de recevoir des enfants. Mais ils ne le font qu'à la marge car sinon ce n'est pas viable pour eux.
Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - La capacité d'accueil des étudiants dans les hôpitaux constitue un point majeur. Cependant, supprimer le numerus clausus ne veut pas dire supprimer toute régulation ! Parce qu'in fine, le ratio du nombre de médecins, rapporté à la population française, n'est pas si faible. Il y a donc des éléments d'attractivité : dans votre département, Madame Cohen, plusieurs maisons de santé universitaires ont été créées. C'est un lieu d'attraction pour les plus jeunes qui permet de repeupler le territoire.
La spécificité est que, dans des zones très urbanisées, comme le département du Val-de-Marne, peuvent être crées des maisons de santé universitaires qu'il n'y aura pas dans des départements plus ruraux.
Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - C'est précisément pourquoi c'est au niveau régional que les solutions doivent être définies.
La réforme du troisième cycle n'est pas faite uniquement pour avoir des universitaires, elle est faite pour mettre des médecins auprès d'usagers. Il est important que les internes aient des maîtres de stage en dehors d'un hôpital. C'est le maître de stage, dans le cadre d'une pratique en ville, qui est le moteur d'attraction du plus jeune.
Mais, dans ma région, je constate qu'ils ne se bousculent pas pour devenir maîtres de stage.
Pr Jean-Luc Dubois-Randé. - Certes. Il y a un levier à activer.
Pr Benoît Schlemmer. - Pourquoi ne fait-on pas tout de suite un co-DES ? Rappelons que nous travaillons sur cette réforme depuis 2009 ; nous sommes désormais dans la dernière ligne droite. Il est donc primordial que cette réforme puisse être lancée, sous couvert de ce qui est prévu en termes de suivi de la réforme et d'adaptation. David Cohen a indiqué qu'il était dommage que l'on fige les choses pour 25 ans : non, nous n'inscrivons pas les choses dans le marbre. Le monde de la formation en santé est extrêmement rigide. L'un des points importants de la réforme est l'introduction de souplesse et d'adaptabilité dans le système car les besoins de santé évoluent considérablement et les exercices professionnels médicaux ne seront plus demain ceux d'aujourd'hui et il faudra que le système de formation s'adapte. Nous devons donc garder en tête l'idée d'un co-DES et essayer, dans le cadre de ce qui est prévu pour le moment - un DES de psychiatrie, avec une option de pédopsychiatrie - essayer de garantir que l'on puisse avoir au minimum les six semestres de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent qui constituent le standard européen. Mais il faut voir cela comme une étape et considérer que les perspectives sont ouvertes : il faut continuer à travailler le sujet car je pense qu'il n'est pas tout à fait mûr.
Les quarante-trois autres DES ont-ils également des spécialités ?
Pr Benoît Schlemmer. - Il y a quelques spécialités qui fonctionnent en co-DES : l'anesthésie réanimation et la médecine intensive réanimation qui partagent des éléments de formation et de métier mais qui sont différenciés car les champs de compétences ne sont pas tout à fait identiques. Nous avons également souhaité que la médecine interne, la pathologie infectieuse et l'allergologie partagent un tronc commun de formation car ce sont des formations généralistes qu'il n'est légitime de différencier que secondairement. Pour le reste, les spécialités sont constituées sur la base de leur DES puis, pour un certain nombre de spécialités, s'ajoutent une ou plusieurs options, en nombre limité, car nous n'avons pas voulu l'éclatement du système.
Quelle peut être la place de la télémédecine ? Est-ce que dans une spécialité comme la vôtre, la télémédecine pourrait apporter un élément de réponse ?
Pr David Cohen. - Étant dans un laboratoire de robotique, je connais bien ces sujets. Il y a actuellement une illusion dans l'idée que le numérique pourrait remplacer certains moyens : il faut tout de même un professionnel derrière la télémédecine ! Le problème d'effectif est un problème généralisé. Dans une discipline comme la pédopsychiatrie où les interventions ne sont pas brèves, il est certes possible de donner des avis d'expert par le biais de la télémédecine mais cela ne va pas plus loin. C'est plutôt dans les relations entre les différents niveaux de soins que la télémédecine pourrait avoir sa place afin de réguler un certain nombre de questions - encore faut-il avoir un professionnel de santé disponible à l'autre bout de la ligne ! Mais je ne crois pas que cela sera une réelle solution de remplacement aux problèmes d'effectifs que l'on rencontre.
Pr Benoît Schlemmer. - La télémédecine répond bien à ce que pourraient être des réseaux de prise en charges. C'est peut-être alors plus de la télé-expertise que de la télémédecine : favoriser l'échange entre professionnels médicaux ou non médicaux. C'est probablement un moyen de répondre aux besoins de santé sur l'ensemble du territoire, au-delà du champ de la pédopsychiatrie.
La réunion est close à 17 heures.