Quel rôle les paramédicaux et les psychologues peuvent-ils jouer face à la pénurie de médecins ?
Dr Charly Carayon. - Nous avons la chance de ne pas avoir de pénurie de psychologues. Lorsque j'étais sur Saint-Étienne, tous les enfants étaient reçus par un médecin. Aujourd'hui, le premier accueil est assuré par un psychologue.
La pédopsychiatrie est un travail pluridisciplinaire, associant médecins, psychologues, éducateurs spécialisés, infirmières. C'est la qualité de la formation, initiale et continue, qui fait la qualité des soins. La qualité des soins permet de réaliser des économies : aujourd'hui, il y a un incroyable gâchis, en termes tant économiques que de souffrance physique.
Dans les départements où le conseil départemental et l'aide sociale à l'enfance, l'ASE, n'ont plus de structures d'hébergement, les enfants sont « délocalisés » et « sous-traités » dans les départements voisins. Ainsi, dans le Gard, de nombreux jeunes sont placés dans des familles d'accueil, qui n'ont pas forcément la rigueur de l'ASE. Cela crée de la maltraitance et coûte cher. On n'a pas le droit de déplacer un enfant sans s'assurer qu'il sera bien accueilli, qu'il aura un centre de soins ou qu'il pourra aller à l'école !
Dr Thierry Fouque. - Chez moi, les premières consultations peuvent être assurées par les psychologues ou par les médecins, selon le motif indiqué lors de la prise de rendez-vous.
Nous essayons d'imaginer avec les CME une permanence de premier rendez-vous assurée par des paramédicaux, éducateurs ou infirmiers associés à une psychologue, pour garantir un premier contact et une première réponse aux familles. Ce n'est évidemment pas la panacée. Mais cela permet tout de même de rassurer des familles et de repérer les cas les plus urgents.
Dr Emmanuel Lafay. - Le problème des dispositifs en aval demeure. Une fois les familles reçues et les besoins de soins identifiés, il faut des moyens pour les assurer.
Comment nous, pédopsychiatriques, pouvons-nous remplir toutes les missions qui sont les nôtres - elles ont beaucoup augmenté en vingt ans - avec notre faible effectif ?
À un moment, la pédopsychiatrie ne peut plus répondre à tous. Nous récupérons tous les dysfonctionnements institutionnels mais avec de moins en moins de moyens. Il faut une vraie politique de l'enfance en France, avec un ministère regroupant l'aide sociale à l'enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, ou PJJ, la pédopsychiatrie, l'école...
La coordination, c'est bien en théorie mais très compliqué en pratique. Toutes les autres institutions sont complément saturées. Ce n'est pas une critique : l'ASE, la PJJ et l'école font ce qu'elles peuvent. Mais faire ce que l'on peut, ce n'est pas faire n'importe quoi ! Or, pour réfléchir à ce que l'on fait, il faut avoir du temps.
Dr Thierry Fouque. - Il y a une maison des adolescents, ou MDA, dans notre département. Mais l'histoire est douloureuse.
J'ai été le promoteur du projet. Nous avions déposé le dossier et obtenu les financements. Puis, pour des raisons politiques, lorsque les subventions sont arrivées, nous avons été avisés que la MDA serait gérée par une association d'associations ! Cela nous a contrariés, d'autant qu'il n'y avait pas vraiment de logique.
On constate une petite amélioration aujourd'hui mais la MDA reste un peu une coquille vide. Elle assure assez bien la fonction de premier accueil mais il n'y a pas assez de professionnels pour assurer l'arrière-plan médical. En même temps, les locaux sont très beaux...
Dr Charly Carayon. - Membre de l'équipe de coordination de RésaGard, réseau pour les adolescents en difficulté, j'ai voulu introduire une dimension clinique. Les stratégies thérapeutiques se construisent à partir des hypothèses diagnostiques.
Malheureusement, j'ai eu beaucoup de mal pour faire valoir cette dimension. On s'intéresse, semble-t-il, plus au paraître qu'à la qualité des soins et à ses effets sur les adolescents.
En raison de luttes de pouvoir, RésaGard s'est fait absorber ; là aussi, l'histoire est douloureuse. Lors de la constitution du réseau, nous insistions sur l'importance d'une affiliation à un hôpital. Nous avons été dessaisis et l'hôpital ne s'est pas battu. On ne se sent pas soutenus. Il y a des logiques administratives, comptables...
Dr Thierry Fouque. - Et de pouvoir !
Dr Charly Carayon. - Sur Alès, depuis six ans, je fais face à la pénurie. La solution est effectivement de relier les ressources. Le soin psychique, cela concerne tout le monde ! Les premiers soignants sont les parents qui consolent les enfants. Les enseignants et les personnels médico-sociaux ont chacun une part dans l'accueil et le traitement de la souffrance psychique.
Il est de notre responsabilité de soutenir les capacités soignantes. Nous le faisons lorsque nous allons dans les écoles. Nous essayons de donner du sens au comportement de l'enfant, qui demande de l'amour, de l'attention. Nous l'humanisons. Cela le rend moins terrifiant pour les enseignants.
J'ai essayé de transposer dans la pluri-institutionnalité ce que nous faisons dans l'institution. Une institution psychiatrique ne peut fonctionner qu'avec des réunions cliniques régulières. On s'éclaire du regard de chacun.
Il y a les supervisions : une fois par mois, nous sollicitons le regard d'un intervenant extérieur sur un cas difficile. Ce sont ces cas qui nous renseignent le plus sur nos dysfonctionnements. C'est un outil à la fois thérapeutique et de formation. Formation et supervision sont liées.
L'idée est de transposer cela sur le réseau.
Il faut d'abord garantir un temps de rencontre. Il a été convenu avec deux inspectrices de l'éducation nationale que je devais être disponible sur Alès le jeudi matin ; j'incite tout le personnel de la pédopsychiatrie à l'être aussi.
Il faut ensuite proposer des rencontres cliniques pluri-institutionnelles. On a fait plusieurs groupes : petite enfance, enfance-adolescence, autisme... Des enseignants et des éducateurs sont amenés à parler d'une situation qui a pu leur poser problème. On discute avec des gens d'expériences et de cultures différentes. Nous organisons aussi des formations territoriales.
Comment la communauté psychiatrique de territoire peut-elle soutenir cela ? C'est très compliqué. Beaucoup de gens viennent par engagement personnel. Ils prennent sur leur temps. Les temps de supervision et de formation sont essentiels.