Les travaux de cette commission d'enquête se sont déroulés dans un très bon esprit. Je regrette que le bureau de notre commission ne se soit pas réuni avant la rédaction de ce rapport : cette réunion nous aurait permis de mesurer les convergences, les éventuelles divergences et les possibilités d'amélioration du texte.
Ce rapport rappelle très opportunément que Schengen est un acquis de la construction européenne, qu'il n'est pas le problème mais la solution pour assurer notre protection et gérer la crise migratoire. Nous prenons donc acte de cette affirmation et nous la faisons nôtre. En outre, le rapport souligne la démarche volontariste du Gouvernement depuis janvier 2015 pour retrouver la pleine et entière maîtrise de l'espace Schengen avec le renforcement et la sécurisation des frontières extérieures, l'amélioration des échanges d'informations et la nécessité d'une réponse coordonnée pour le contrôle des flux migratoires. Certaines réformes ont déjà été adoptées en Europe, comme le mécanisme de relocalisation, les contrôles systématiques aux frontières, la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, le lancement du PNR européen et la révision de la directive « armes à feu ». D'autres réformes sont en cours et il faudra veiller à ce qu'elles aboutissent : ainsi en est-il du système européen d'asile, de l'amélioration de l'utilisation du SIS et du EES, du dispositif ETIAS dont les délais de mise en oeuvre devront être tenus. Notre futur gouvernement devra y veiller. Enfin, d'autres dispositifs devraient intervenir au second semestre de cette année, comme l'interopérabilité des systèmes d'information et la révision d'Eurodac. Le Gouvernement français a été la plupart du temps à l'origine de ces réformes, soutenu le plus souvent par l'Allemagne, ce qui a permis d'améliorer la situation.
J'en viens aux propositions de notre rapporteur. Nous notons un certain décalage entre le texte du rapport et ses propositions. Certaines sont très techniques, d'autres soulèvent des réserves, voire des oppositions.
Nous partageons l'avis du rapporteur sur le développement au niveau européen d'un dispositif de visa pour l'asile, sur la nécessité d'améliorer la gouvernance, de renforcer la transparence et d'informer les parlements nationaux. Nous souhaitons également la simplification et l'amélioration de la coopération policière. Nous sommes aussi d'accord sur la nécessité de transposer la directive PNR et d'accompagner sa mise en oeuvre.
Nous approuvons aussi les propositions techniques permettant d'améliorer la collecte et la circulation des informations, la formation des personnels, l'augmentation des effectifs ainsi que la généralisation des dispositifs PARAFE.
J'en viens aux réserves, voire à l'opposition de notre groupe sur diverses propositions.
Nous ne partageons pas l'idée d'une mise en oeuvre de hotspots dans les pays hors espace Schengen. Cette externalisation n'est, à nos yeux, pas acceptable pour des raisons juridiques et politiques. Sur le plan juridique, la jurisprudence du Conseil d'État fait une lecture stricte du préambule de la Constitution de 1946 en soulignant que le droit d'asile ne peut être sollicité que sur le territoire de la République et, par extension, sur le territoire européen. D'autre part, de sérieux doutes pourraient être émis quant à la réalité des garanties en matière de libertés et de droits fondamentaux des personnes concernées si ces hotspots étaient installés dans des pays tiers ou de transit loin d'être considérés comme des pays sûrs. Nous sommes par ailleurs favorables à la mise en place d'une liste européenne de pays d'origine sûrs. Il serait également difficile de dissocier dans ces hotspots extérieurs les réfugiés qui relèvent du droit d'asile des migrants économiques, ce qui pourrait rompre l'accès équitable aux procédures d'asile.
Nous considérons qu'il y a lieu de faire évoluer le code frontières Schengen, mais avec mesure et discernement, en s'appuyant sur la demande de la France et de l'Allemagne qui ont indiqué leur souhait de moduler, après négociation, l'article 25. En revanche, nous ne sommes pas favorables à l'alignement des articles 25 et 29 du code frontières, considérant que les risques et les menaces aux frontières intérieures et extérieures ne sont pas de même nature. De plus, la possibilité de prolonger jusqu'à deux ans les contrôles aux frontières ne doit pas être automatique.
Le rapport mentionne la création d'une interface européenne unique de consultation des systèmes d'information et des bases de données nationales. Si l'interopérabilité des systèmes européens de fichiers de police est indispensable, elle doit être réservée à la vérification de l'identité déclarée, à la consolidation des données d'identité et permettre de nourrir les bases de données existantes. Rappelons qu'en France, l'interconnexion des fichiers de police n'est pas autorisée. Nous appelons donc à la plus extrême vigilance quant à la création de cette interface si elle devait aboutir à une interconnexion des fichiers de police à l'échelle européenne.
Nous partageons les propositions qui visent à s'assurer de la mise en oeuvre effective du PNR aérien, mais nous sommes beaucoup plus réservés sur un PNR spécifique à l'ensemble des transports internationaux car sa mise en oeuvre nous semble impossible. Tenons-nous à la déclaration de Paris du 29 août 2015 portant sur la sécurité dans les transports ferroviaires frontaliers qui estime qu'il faut privilégier « le plein usage » des outils de coopération policière et judiciaire déjà existants et l'ensemble des outils et des ressources d'informations disponibles, qu'il faut un meilleur partage des informations et qu'il convient de permettre aux agents habilités des polices ferroviaires de consulter les bases de données pertinentes.
Enfin, nous estimons que certains points auraient mérité d'être développés. Ainsi, il conviendrait d'achever la mise en place du système européen d'asile avec l'adoption de la révision de la directive « accueil » et la transformation des directives « procédures » et « qualifications » en règlements, la transformation de l'EASO en agence dotée de pouvoirs renforcés. Il faudrait aussi définir de façon précise la procédure permettant de déclencher les mécanismes de solidarité.
Il conviendrait également de réformer le système de Dublin et de mettre en oeuvre un mécanisme de solidarité en trois phases : renforcement des mécanismes du système Dublin en vigueur en cas d'afflux normal, mise en oeuvre d'un mécanisme de solidarité en cas d'afflux plus élevé et, en cas de crise exceptionnelle, déclenchement d'un mécanisme spécifique fondé sur la base du volontariat. Cette proposition a été émise par la France.
Nous pensons qu'il est très important d'étendre et de renforcer le Partenariat pour les migrations, notamment en développant les accords de réadmission. Il faut aussi mettre en oeuvre le plan Juncker d'investissements extérieurs et augmenter les contributions européennes et nationales à l'aide au développement à destination des pays d'origine et de transit.
Enfin, nous avons tous constaté la grande détresse dans laquelle les migrants se trouvent. Il convient de mieux garantir leur dignité, leur sécurité dans les hotspots de Grèce ou d'Italie, mais aussi dans les camps de Calais ou de Grande-Synthe. Il faut renforcer la lutte contre le trafic des migrants, accorder une attention toute particulière à la situation des mineurs isolés et, bien évidemment, veiller à ce que les conditions de vie soient meilleures.
En conclusion, beaucoup a été fait depuis 2015, en particulier à l'initiative de la France. Désormais, ces mesures doivent être consolidées et l'équilibre entre protection, sécurité et préservation de la liberté de circulation garanti.