Intervention de Bernard Roman

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 19 avril 2017 à 14h50
Contrat de performance état-sncf réseau — Audition de M. Bernard Roman président de l'autorité de régulation des activités ferroviaires et routières

Bernard Roman, président de l'Arafer :

Je vous remercie de m'entendre, à la suite de M. Jeantet, afin que je puisse vous livrer l'avis du régulateur sur le projet de contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau.

Comme l'a souligné Hervé Maurey, ce contrat de performance forme le coeur du dispositif de la loi du 4 août 2014 et devrait engager résolument la politique de l'État et des établissements publics sur l'ensemble de la décennie pour atteindre les objectifs fixés par la loi.

Nous avons mené sur ce contrat un travail d'instruction minutieux et fouillé de trois mois, à la hauteur des enjeux qu'il fait apparaître.

Nous n'avons pas limité nos travaux à une instruction écrite : nous avons également entendu, en février dernier, les deux parties au contrat, François Poupard, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, et Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau.

Dans cet exercice, nous nous sommes aussi appuyés sur les contributions que nous avons reçues des acteurs du transport ferroviaire. Nous pensons en effet que le régulateur se doit d'être à l'écoute de tous et que ces éclairages sont le gage d'une analyse de qualité.

Je rappelle à dessein ce qui peut sembler une évidence, car nous estimons que l'État et SNCF Réseau auraient pu utilement s'inspirer de cette démarche dans leur travail d'élaboration du projet de contrat.

Ce contrat est un outil essentiel de régulation économique du gestionnaire de réseau ferré, qui doit notamment fixer des objectifs de performance et prévoir, en cohérence avec ces objectifs, des mécanismes d'incitation efficaces. C'est d'ailleurs une exigence claire de la directive du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen.

Toutes les expériences de contractualisation similaires, que ce soit en France dans d'autres secteurs régulés - l'énergie, par exemple - ou à l'étranger, montrent que la préparation d'un contrat de ce type suppose un certain délai pour documenter, de façon approfondie, toutes ses dimensions techniques, économiques et financières. À examiner ce projet de contrat, l'Arafer n'a pas le sentiment que cela a vraiment été le cas.

Je formulerai plus précisément des observations sur six points différents.

Le premier point, plutôt positif, porte sur le financement de la rénovation du réseau. Comme je le disais tout à l'heure en aparté, si j'étais président de SNCF Réseau, je signerais ce contrat.

Suffisamment d'audits sur l'état du réseau ferroviaire ont montré que, depuis vingt ans, l'on avait consacré l'ensemble des moyens financiers, humains et matériels à la grande vitesse, en délaissant le réseau structurant. Ce contrat de performance assure 34 milliards d'euros d'investissements sur dix ans pour rénover de façon ciblée le réseau structurant français, et cela me semble utile et positif.

Deux interrogations, néanmoins, demeurent.

La première concerne le périmètre du réseau. Le projet de contrat ne comporte aucun objectif précis en la matière à la fin de la période de contractualisation. En particulier, la liste des lignes du réseau à conserver impérativement fait défaut. Notre pays compte 29 000 kilomètres de lignes et 49 000 kilomètres de voies ; les moyens existants ne permettent absolument pas le maintien de la totalité de ces lignes et de ces voies. Or l'État reste muet sur cette question ! Il évoque la rénovation du réseau structurant, c'est-à-dire à la fois de la grande vitesse et des lignes classées UIC 1 à 6, soit à peu près de la moitié du réseau. Pour le reste, il se contente de dire que les lignes UIC 7 à 9, à savoir celles qui sont laissées à la contractualisation avec les régions et les autorités organisatrices de transports (AOT) locales, « seront maintenues en lien avec les autorités locales ». C'est insuffisant ! Le rôle de l'État stratège est de dire les choses !

Deuxième lacune du projet de contrat : la politique de développement du réseau. L'État se contente de rappeler un principe général évoqué dans le rapport stratégique d'orientation sur le transport ferroviaire, mais ne précise pas où sera engagé le développement. Cette imprécision soulève d'ailleurs des interrogations, s'agissant y compris de certains engagements pris par l'État, dont la presse régionale se fait l'écho quotidien - je pense, par exemple, au projet de TGV Bordeaux-Toulouse, qui chaque jour donne lieu à des revendications.

Nous invitons donc l'État à dire ce qu'il souhaite faire, dans le respect de ce qu'il a lui-même décidé, et notamment dans celui de la règle d'or votée par le Parlement, objet d'un décret qui vient enfin d'être publié. J'avais évoqué cette question lors de ma précédente audition devant le Sénat ; je me félicite donc que le Conseil d'État ait validé ce décret, qui intègre la quasi-totalité des remarques faites par l'Arafer sur le projet qui nous avait été transmis par le Gouvernement, projet qui nous semblait insuffisant sur un certain nombre de points.

Après ce satisfecit agrémenté de deux remarques, sur le périmètre et sur le développement, je souhaite évoquer un deuxième problème : celui du manque d'indicateurs. Cette question a été évoquée cet après-midi avec Patrick Jeantet. Nous demandons que trois indicateurs contractuels cruciaux soient définis, permettant, année après année et non tous les trois ans, de mesurer le chemin parcouru par le système ferroviaire français. Ces indicateurs porteraient sur la productivité de l'entretien du réseau, sur la qualité de service des circulations et sur la qualité de l'infrastructure.

Ces trois indicateurs font aujourd'hui défaut. Or un contrat ne vaut pas grand-chose sans capacité à mesurer chaque année les progrès accomplis. On nous rétorque que les indicateurs seront construits en avançant ; mais comment voulez-vous que nous contractualisions sur une manière d'avancer si nous sommes incapables d'élaborer les indicateurs permettant de mesurer une telle avancée ? Il est donc essentiel que l'ouvrage soit remis sur le métier.

Troisième problème : en matière de réduction des coûts, la définition des objectifs présentée dans ce projet de contrat me semble entourée d'une grande incertitude.

Le projet affiche un objectif d'économies d'environ 1,2 milliard d'euros par an. Peu de détails sont donnés s'agissant des voies par lesquelles cet objectif pourra être atteint. À défaut, nous avons donc pratiqué ce que les économistes appellent avec délectation le benchmarking, c'est-à-dire la comparaison avec les réseaux étrangers. Conclusion : cette estimation nous semble correcte et correspond à peu près à ce qui se fait sur l'ensemble des réseaux européens.

Cependant, tout en validant ce chiffre, nous exprimons une triple réserve.

Tout d'abord, pour être pertinente, une cible de productivité doit être appliquée à une trajectoire d'augmentation raisonnable des dépenses. Or le projet de contrat prévoit une augmentation structurelle des dépenses de 2,5 % par an, à mettre en regard avec les économies de1,2 milliard d'euros parallèlement annoncées. En définitive, sur dix ans, l'effort de productivité est donc considérablement relativisé.

Ensuite, SNCF Réseau n'a pas été en mesure de préciser le détail des actions prévues pour concrétiser ses engagements de productivité. Nous le lui avons pourtant demandé. Tout au plus, l'entreprise fait valoir l'élaboration en cours d'un plan de performance. Mais, lorsque l'on signe un contrat, on n'annonce pas l'élaboration d'un plan de performance ! On présente un tel plan au regard des gains de productivité escomptés !

Enfin, troisième réserve, la courbe des économies annoncées est très étonnante. Les gains de productivité annuels sont raisonnables de 2016 à 2020, avec 77 millions d'euros d'économies, mais doublent après 2020, pour atteindre155 millions d'euros ! Cette soudaine accélération n'est pas documentée : on ne sait comment cette performance est censée être réalisée. Nous sommes donc très sceptiques, et invitons l'État à réexaminer de manière approfondie les leviers de productivité qui devront être mis en oeuvre pour atteindre de tels objectifs.

J'en viens maintenant à un point important du projet de contrat, à savoir la définition des orientations tarifaires.

Pour le dire vite, nous contestons le bien-fondé des évolutions tarifaires qui sont proposées.

S'agissant des péages voyageurs, le projet de contrat prévoit une chronique d'augmentation annuelle moyenne des péages de 2,8 % par an entre 2017 et 2026, avec une évolution là aussi exponentielle, puisque l'augmentation est d'abord de 0,9 % en 2017, puis de 1,1 % en 2018, et atteint 3,6 % en 2024, 2025 et 2026. Ces prévisions nous semblent relever d'une vision exclusivement budgétaire, aveugle à la réalité de la situation économique du pays. En particulier, l'inflation n'est pas prise en compte.

Je le dis d'autant plus fermement que l'Arafer a refusé de valider un projet de tarification pour 2017 qui conduisait à un maintien de la tarification précédente, alors que la prise en compte de l'inflation ferroviaire aurait normalement dû se traduire par une baisse des redevances de 0,9 %. Notre refus a d'ailleurs finalement obligé SNCF Réseau à appliquer une telle baisse. L'application de la même formule pour 2018 conduirait derechef à un tarif nettement inférieur à celui qui résulterait de l'augmentation de 1,1 % inscrite dans le projet de contrat.

Je veux y insister devant le Sénat - nous l'avons dit à la fois à SNCF Réseau et à la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), qui représentait le Gouvernement : il ne faudrait pas laisser croire qu'il serait possible, via un tel contrat, d'amputer l'Arafer des pouvoirs de validation annuelle de la tarification qui lui ont été clairement dévolus par le Parlement. Nous comptons bien assumer cette responsabilité !

Deuxième aspect : les péages du fret.

Comme pour les voyageurs, nous ne pensons pas que les tarifs prévus pour le fret soient soutenables. Les évolutions proposées conduisent à des augmentations encore plus fortes que pour les voyageurs, puisque l'on passerait de plus 2,2 % en 2018 à plus 9,6 % en 2026.

La loi prévoit certes que le coût « direct » du fret est couvert par la tarification, mais l'État apporte aujourd'hui une participation. Or, via ce projet de contrat pluriannuel, le Gouvernement - qui déclare par ailleurs vouloir soutenir le fret - va supprimer cette subvention dans les dix ans qui viennent. La charge du coût « direct » sera donc complètement couverte par la tarification, ce qui constitue une contradiction entre le discours et les actes. Dans le rapport stratégique d'orientation, le Gouvernement avait rappelé son engagement en faveur d'un dispositif d'aide au fret ferroviaire ; c'est donc le contraire qui se produit...

Nous avons aussi une réserve en matière de méthode : au vu des réponses qui nous ont été apportées, il est manifeste que les conséquences de ces augmentations tarifaires sur les trafics du fret n'ont pas été mesurées. SNCF Réseau renvoie à l'arbitrage de ses administrations de tutelle, sans chiffrer leur impact.

Nous pensons qu'il existe un risque immense de voir la part du fret dans le transport de marchandises diminuer dans notre pays, alors que nous sommes déjà à un niveau particulièrement faible, notamment par rapport à la moyenne européenne. Renforcer le fret ferroviaire nous semble pourtant constituer un objectif particulièrement important, qui plus est largement partagé parmi les groupes politiques et dans la société.

Cinquième observation : la trajectoire financière.

Nous ne croyons pas du tout que ce projet de contrat nous engage sur la voie du désendettement, qui en constituait pourtant l'objectif initial. Nous estimons que les recettes sont surestimées. Je mentionnerai trois incertitudes.

En ce qui concerne les tarifs et au-delà de ce que j'ai indiqué précédemment, on peut penser que, s'ils augmentent davantage, le trafic diminuera, ce qui pèsera naturellement sur les recettes...

Il existe aussi une incertitude sur la participation de l'État. D'une part, s'il est certes légitime, le principe de l'annualité budgétaire constitue une réserve importante. D'autre part, le projet de contrat prévoit que les aides de l'État et de SNCF Mobilités passeraient de 2 milliards à 3 milliards d'euros en dix ans, soit une augmentation de 50 %. Je note, en passant, que cette progression serait obtenue tout en supprimant l'aide apportée aujourd'hui au fret...

Autre incertitude, l'équilibre général du projet nous amène à penser que l'endettement de SNCF Réseau continuera d'augmenter durant la période. Il devrait passer d'environ 43 milliards d'euros à 63 milliards en 2026, alors même que, dans un rapport datant du dernier trimestre 2016, le Gouvernement prévoyait qu'il s'élèverait, à cette date, à 50 milliards. Qui plus est, nos calculs nous laissent penser qu'à la fin de cette période l'endettement continuera, dans la meilleure des hypothèses, à croître de 400 millions par an.

L'hypothèse d'un désendettement, pourtant au coeur du dispositif du contrat, est donc complètement irréaliste. C'est la raison pour laquelle nous avons émis un avis particulièrement défavorable sur cet aspect du projet.

Dernier point, le dispositif de pilotage nous semble insuffisant. Il existe notamment une dissymétrie entre les engagements de l'État, qui se limitent à rappeler que la loi doit être respectée et à fixer de grands principes, et ceux, nombreux, de SNCF Réseau. Qui plus est, les marqueurs permettant de mesurer ces engagements ne sont pas précisés. Rien n'est véritablement prévu en cas de manquement au contrat ; on évoque seulement sa révision éventuelle tous les trois ans, sans préciser ce qui se passe entre-temps. En l'état, le projet de contrat n'apporte donc, sur ces questions, aucune des précisions demandées par la loi.

Pour conclure, je souhaite que l'avis de l'Arafer puisse vous éclairer utilement dans l'analyse du projet de contrat. Dans cet exercice, le régulateur s'en est tenu à son rôle, tout son rôle et rien que son rôle, conformément à la mission que le Parlement lui a confiée.

Pour résumer, il nous semble que le projet de contrat manque la finalité essentielle de la loi : se doter d'un outil de pilotage du gestionnaire d'infrastructure comportant des objectifs de performance engageants et une trajectoire de redressement financier qui clarifie les perspectives pour l'ensemble des acteurs du secteur.

Nous avons formulé, chaque fois que c'était possible, des recommandations et des propositions concrètes pour enrichir et améliorer le document.

En revanche, nous nous sommes abstenus de nous prononcer sur des décisions de politique publique, qui ne relèvent pas de notre compétence. Notamment, il ne nous appartient pas de définir, en lieu et place de l'État et de SNCF Réseau, une trajectoire financière alternative.

Il reste un travail important à mener pour aboutir à un contrat qui soit à la hauteur des espoirs que la loi a placés en lui. Le projet actuel ne peut, en aucun cas, s'accommoder de quelques rafistolages pour remplir les objectifs prévus. Il s'agit de définir un ensemble cohérent, qui s'appuie sur une vraie vision stratégique. C'est aux différentes parties de prendre leurs responsabilités. À défaut, nous risquons de perdre trois précieuses années jusqu'à la prochaine actualisation du contrat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion