Intervention de Ronan Dantec

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 5 avril 2017 à 14h35
Examen du projet de rapport

Photo de Ronan DantecRonan Dantec, rapporteur :

Mes chers collègues, avant de nous concentrer sur les propositions de modifications qu'un certain nombre d'entre vous ont déposées pour enrichir le rapport, je veux rappeler les principaux constats et les principaux axes de proposition du rapport.

J'aborderai d'abord deux points qui font écho à ce que vient de dire le président.

Premièrement, je précise que le rapport s'appuie avant tout sur les auditions publiques. Leur compte rendu restera public, quoi qu'il arrive. Vu le sujet, et connaissant les positions des uns et des autres, il nous semblait que la seule manière d'arriver à un consensus était de rester strictement adossés à ce qui nous a été dit publiquement. Il y a donc énormément de citations dans le rapport.

C'est la première fois qu'est fait un travail aussi approfondi au Parlement sur la compensation, avec une cinquantaine d'auditions sous serment. Nous avons la prétention de penser que le rapport et compte rendu qui y sera annexé éclairciront un certain nombre de questions difficiles.

Deuxièmement, je rappelle que nous sommes dans une situation un peu compliquée au regard de la législation. En effet, nous avons étudié des projets mis en oeuvre avant la nouvelle loi relative à la biodiversité et un certain nombre de directives européennes. Nous sommes donc confrontés à un problème d'articulation. Pour autant, ce rapport montre bien les difficultés rencontrées par les uns et par les autres à propos des projets actuels, et nous permet de nous projeter sur l'application de la nouvelle loi pour identifier les points de blocage potentiels. Ce rapport se veut donc fondamentalement facilitant.

Il comporte plusieurs constats et formule 37 propositions.

Premier constat : l'application de la séquence ERC est toujours un compromis, qui doit permettre de concilier le déploiement d'aménagements et d'infrastructures nécessaires au développement, tout en tenant compte des exigences environnementales.

Deuxième constat : ce triptyque ERC est inscrit en droit français depuis déjà quarante ans, grâce à une loi de 1976, mais il est longtemps resté appliqué de façon très partielle. Il y a eu une évolution progressive : les projets post-Grenelle que nous avons étudiés intègrent déjà beaucoup plus cette séquence. Nous serons tous d'accord pour dire que le droit de la compensation est un droit d'une extrême complexité. L'audition des juristes que nous avons conduite nous a permis d'en prendre la mesure. On constate en effet une très grande diversité des régimes juridiques applicables, un faible encadrement des méthodes et, point important, une grande segmentation des procédures, ce qui est, j'y insiste, une source d'insécurité, d'abord pour les aménageurs. Ces derniers nous ont bien expliqué qu'ils pouvaient aujourd'hui voir leurs dossiers bloqués à tout moment, avec un risque financier important à la clé.

La question de la transparence des coûts de la compensation nous est aussi apparue comme de nature à alimenter la suspicion.

Enfin, nous avons tous pu constater que la compensation était davantage prise en compte que l'évitement et la réduction. Autant la culture de la compensation progresse, autant la capacité de mieux intégrer l'évitement et la réduction doit être améliorée.

Pour répondre à ces principaux constats, les propositions présentées par le rapport sont regroupées en neuf thèmes.

Premier thème, traité par les deux premières propositions : la connaissance de la biodiversité, et surtout de la fragmentation des milieux. Nous avons entendu des points de vue assez divers sur la question et nous sommes loin d'avoir une vision totalement claire du sujet.

Deuxième thème : assurer une plus grande anticipation et une meilleure application de la séquence ERC, notamment en demandant aux maîtres d'ouvrage de définir une stratégie plus intégratrice dans l'étude d'impact. Beaucoup de choses se jouant à ce moment-là, une très grande précision doit être de mise pour éviter des difficultés postérieures.

Troisième thème : améliorer les méthodologies pour arriver à une mise en oeuvre de la compensation souple et efficace. Cela fait écho à ce que le commissaire général au développement durable nous a dit en prenant notamment appui sur l'exemple américain : plus d'éléments de méthodologie ; approche fonctionnelle de la proximité ; prise en compte de la biodiversité ordinaire, ce qui était un peu un angle mort de notre approche jusque-là ; meilleure intégration de la séquence travaux des projets eux-mêmes.

Quatrième thème - important pour le Sénat : s'appuyer davantage sur les collectivités territoriales pour planifier la compensation. Pour être acceptée et cohérente, celle-ci doit être en lien avec la trame verte et bleue. Nous avons bien vu émerger un nouvel acteur, la région, qui sera demain un acteur clé de cette compensation. Nous n'oublions pas pour autant les départements, et la visite que nous avons faite dans les Yvelines a été très intéressante à ce sujet.

Cinquième thème : renforcer l'expertise publique et privée. Cela recouvre tant la diffusion des retours d'expériences, la formation des administrations que la réflexion sur la certification des bureaux d'études. L'audition de l'Agence française pour la biodiversité a montré l'apparition d'un début de stratégie.

Sixième thème : le monde agricole. Nous avons insisté pour garantir sa participation à toutes les étapes de définition et de mise en oeuvre de la séquence ERC, notamment par un dialogue renforcé avec les chambres d'agriculture et les SAFER ; il convient de réduire l'empreinte de la compensation sur le foncier agricole, notamment par une meilleure localisation des mesures et une plus grande souplesse dans le choix des terrains qui accueillent la compensation. La logique actuelle, c'est celle de l'extrême proximité, à côté de l'aménagement, alors que parfois, en s'éloignant quelque peu, on peut trouver des terrains plus intéressants en termes de biodiversité et plus en cohérence avec la trame verte et bleue et ayant un impact moindre sur la production agricole.

Septième thème : une expertise scientifique solide pour créer du consensus. Plus large est le consensus, mieux se passent les choses. On l'a vu avec la ligne LGV.

Huitième thème : la transparence des coûts qui fait partie du contrat de confiance entre les uns et les autres.

Neuvième thème, celui sur lequel nous avons le moins de retour : le suivi dans le temps des mesures de compensation, ce qui nécessite de renforcer les moyens humains et la formation.

Les propositions que nous formulons ne sont pas révolutionnaires. Certaines associations de protection de l'environnement ou certains syndicats agricoles les critiqueront probablement, considérant qu'elles ne sont pas suffisamment ambitieuses. J'en prends la responsabilité. Nous prenons position, dans un certain nombre de cas, en faveur des actifs de compensation qui ont suscité un vrai débat. Ce que nous avons vu sur le terrain, dans la plaine de la Crau, nous a plutôt convaincus qu'on pouvait trouver un consensus entre les acteurs, notamment en élargissant l'assiette de financement de ces opérations.

Si nous avons cherché le consensus, nous n'avons évidemment pas émis d'avis sur l'opportunité d'un certain nombre de projets ou sur les mesures de compensation de ces projets. Les acteurs concernés se sont largement exprimés au cours des auditions publiques que nous avons menées.

Ce rapport peut vraiment nourrir une stratégie renforcée de l'État, des collectivités locales et des maîtres d'ouvrage pour éviter en amont la multiplication des blocages. C'était son ambition. Nos propositions peuvent à la fois satisfaire les maîtres d'ouvrage et les associations de protection de l'environnement, au moins celles qui s'inscrivent dans des logiques pragmatiques.

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