Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 juin 2017 à 9h30
Politique étrangère et de défense — Relations entre l'union européenne et la russie : rapport d'information de mm. yves pozzo di borgo et simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour :

Avec Yves Pozzo di Borgo, nous travaillons depuis trois ans sur la question des relations entre l'Union européenne et la Russie. Nous avions proposé l'an dernier une proposition de résolution européenne qui, compte tenu de son importance, avait été débattue en séance publique et adoptée à une très large majorité.

Lors de notre déplacement à Bruxelles en mars dernier, nous avons ressenti un sentiment de « glaciation » sur le sujet, ce qui n'est positif ni pour l'Union européenne ni pour la Russie. Nous nous sommes également rendus en Russie. Il y a quelques jours, lorsqu'il a reçu le président russe à Versailles, le Président de la République a tenu des propos francs, mais a également amorcé un dialogue. Nous préconisons dans notre rapport la reprise d'un dialogue stratégique, ce qui ne signifie pas un alignement sur les positions russes. Je me réjouis que nous entrions dans une nouvelle phase de nos relations.

Notre déplacement à Moscou avait pour objectif d'évaluer l'impact de la crise ukrainienne et des sanctions mises en oeuvre depuis 2014 sur les relations politiques et économiques entre l'Union européenne et la Russie.

La relation de l'Union européenne avec la Russie, longtemps placée sous le signe du partenariat stratégique, est aujourd'hui suspendue. Quelles sont les causes de cette tension dont certaines remontent avant le déclenchement de la crise ukrainienne ? Alors que la mise en oeuvre des accords de Minsk est paralysée, quelles seraient les options pour un nouveau dialogue de confiance entre l'Union et la Russie ? Je ferai trois observations.

Première observation : la crise actuelle est le catalyseur de malentendus anciens.

La tension qui oppose la Russie et l'Union européenne sur l'Ukraine est née d'incompréhensions qui remontent bien avant 2014.

Un premier malentendu est apparu lors du lancement en 2001 de la politique européenne de voisinage. Même si la perspective d'adhésion ne fut jamais offerte explicitement aux pays partenaires, l'hypothèse faisait son chemin. Le cas de l'Ukraine portait ainsi dès le début des germes de dissension. Placer l'Ukraine en situation de choisir entre l'Union et la Russie ne pouvait qu'engendrer des difficultés.

Second sujet de malentendu : l'élargissement de l'OTAN. Le passage de 16 à 28 membres entre 1999 et 2009 a suscité un sentiment d'encerclement et d'isolement en Russie. Le Conseil de coopération nord-Atlantique, auquel a participé la Russie, l'Acte fondateur de 1997, puis le Conseil OTAN-Russie instaurant un partenariat stratégique entre les deux parties ont été d'utiles canaux de dialogue. Pourtant, à tort ou à raison, la Russie place encore aujourd'hui la politique d'élargissement de l'Organisation en tête de ses griefs à l'égard de l'Alliance.

En 2016, après l'annexion de la Crimée et le développement de la crise dans le Donbass, l'OTAN a renforcé son flanc oriental dans le cadre de « l'initiative de réassurance » au profit de la Pologne et des trois États baltes. Quatre bataillons multinationaux y sont ainsi déployés.

Dans ce climat de défiance, il est positif que le Conseil OTAN-Russie ait malgré tout maintenu son rôle de cadre de dialogue. Il permet aux deux parties d'échanger sur leurs postures militaires respectives, afin d'installer une transparence nécessaire pour réduire les risques.

Deuxième observation : une forte interdépendance économique et commerciale lie l'Union et la Russie.

Davantage encore que leurs volumes, le contenu des échanges est révélateur d'une forte asymétrie. Notre rapport contient des statistiques éloquentes. Cette interdépendance économique, financière et énergétique ne se fait pas au détriment de l'Union, vu la diversité des biens exportés et la valeur ajoutée technologique qu'ils contiennent.

Ces relations commerciales ne vont pas sans contentieux. La Russie a pris des initiatives anti-dumping et installé des barrières sanitaires non conformes aux règles en cours à l'OMC. Plusieurs litiges ont été portés devant l'organe de règlement des différends, qui a validé les recours de l'Union européenne.

Troisième observation : l'énergie est, et demeurera, un enjeu stratégique, pour lequel l'interdépendance est la plus forte.

En 2016, la Russie a couvert le tiers de la consommation de gaz du continent européen. Les exportations russes de pétrole et de gaz contribuent à plus de 40 % au budget fédéral. Cette interdépendance énergétique est appelée à durer. La proximité géographique et l'acheminement du gaz naturel par des pipelines en construction resteront des atouts solides pour la capacité et la continuité d'approvisionnement.

Quel est l'impact des sanctions sur la Russie et sur l'Union ?

À la mise en place des sanctions, l'économie russe était déjà déclinante, et la chute du marché pétrolier a fait sentir ses premiers effets négatifs à partir de 2014. Il est donc difficile de faire la part des effets respectifs du prix du baril et des sanctions. Celles-ci ont néanmoins affecté les principaux secteurs ciblés, en particulier l'industrie de défense russe, forte importatrice de composants extérieurs.

À court terme, les productions gazière et pétrolière n'ont pas été touchées. D'ailleurs, le secteur du gaz n'est pas ciblé par les sanctions européennes. En revanche, les technologies d'exploration pétrolière, de forage ou d'extraction sur l'offshore russe reposent souvent sur des acteurs extérieurs. Des financements chinois viennent cependant compenser la fermeture de l'accès aux capitaux occidentaux. Dans le secteur gazier, les coopérations avec des entreprises européennes peuvent se poursuivre. Nous en avons l'exemple avec le groupe Total.

C'est le secteur financier qui pâtit le plus des sanctions. Auparavant, les trois quarts des investissements directs étrangers et des prêts étrangers aux entreprises russes provenaient des pays de l'Union européenne.

Quel est l'impact sur l'Union européenne ?

Elle est le premier investisseur et le premier partenaire commercial de la Russie, qui est son quatrième client. La Commission européenne fait valoir que la fermeture du marché russe à certains produits européens a pu être compensée par la hausse des échanges avec d'autres partenaires commerciaux de l'Union dans le monde. Ce raisonnement est globalement juste, mais certains secteurs d'activité peuvent rencontrer des difficultés.

En effet, des secteurs agricole et agroalimentaire sont touchés. 9 % des exportations agroalimentaires de l'Union sont destinées à la Russie, deuxième client de l'Union dans ce domaine après les États-Unis. La réalité de l'impact local sur les producteurs, en particulier en France pour certaines productions spécifiques, comme les viandes et les fromages, ne peut être négligée. Les acteurs agricoles et agroalimentaires russes se félicitent, pour leur part, du développement de produits de substitution pour remplir le vide créé par la disparition de la concurrence européenne. Un lobby d'acteurs économiques russes défend même le maintien des sanctions européennes !

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