Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 juin 2017 à 9h30
Institutions européennes — Situation au royaume-uni à la veille de l'ouverture des négociations sur le retrait de l'union européenne : communication de mme fabienne keller

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Les élections législatives sont organisées pour donner à Theresa May une légitimité politique plus forte et une marge de négociation plus grande dans le cadre des axes qu'elle a fixés pour ce qui concerne les négociations sur le retrait de l'Union européenne. Theresa May a fait le choix audacieux de mettre son mandat en jeu, en espérant une majorité plus importante (aujourd'hui de 17 voix seulement).

Le Royaume-Uni reste obsédé par le Brexit et ses conséquences même si le débat est désormais moins vif, chacun ayant accepté que la question du départ soit définitivement tranchée, à l'exception des libéraux-démocrates et des indépendantistes écossais, qui ne sont plus très audibles. En revanche, Theresa May a gagné en autorité sur son parti et même sur l'opinion. Si le résultat reste incertain malgré l'avance des conservateurs, c'est parce que le programme économique du parti conservateur n'est pas aussi clair qu'avant et parce que, aujourd'hui, le Brexit soulève plus d'inquiétude. Un sentiment de crainte s'est emparé de l'opinion publique : incertitude sur l'avenir économique, crainte du risque terroriste, crainte aussi à l'égard de la radicalisation du parti travailliste et des indépendantistes écossais. Theresa May peut gagner les élections - rien n'est certain ! -, mais gagnera-t-elle un mandat explicite pour les cinq ans à venir ? C'est encore moins sûr.

J'aborderai d'abord les forces en présence et les programmes des trois principaux partis.

Évoquons en premier lieu les conservateurs.

La stratégie de Theresa May est claire : avec ces élections anticipées, elle recherche une légitimité personnelle irréprochable. En effet, on lui rappelait qu'elle avait été nommée par défaut après le départ de David Cameron et on critiquait dans ses rangs le tournant social et antilibéral qu'elle avait donné, sans mandat pour le faire, à sa politique générale, alors même que le parti conservateur avait été élu sur un programme très différent le 7 mai 2015.

Par ailleurs, elle souhaite disposer d'une majorité plus large et à sa main, de manière à être plus forte et plus crédible à Bruxelles.

Ainsi, Theresa May se présente comme la seule personnalité capable d'assurer une sortie avantageuse de l'Union européenne en obtenant un bon accord, et elle utilise la problématique des négociations du Brexit comme un puissant argument électoral. Cependant, le reste du programme du parti conservateur, dévoilé le 18 mai dernier, est loin de soulever l'enthousiasme. Certes, on y annonce la nécessité de ramener le solde migratoire annuel à 100 000 personnes, alors qu'il est aujourd'hui à 248 000 - c'est un sujet important dans l'opinion -, mais les mesures sociales très avantageuses qu'il contient ne sont pas encore encadrées ni budgétées et inquiètent les membres plus orthodoxes du parti, s'agissant notamment du financement.

Pour parfaire l'image de Theresa May comme seul rempart aux exigences démesurées de Bruxelles, le ministre chargé du Brexit, David Davis, refuse le calendrier et le séquençage proposés par Bruxelles, qu'il juge illogiques. Il affirme qu'il est hors de question que les négociations commencent par un accord sur les trois sujets posés par les Vingt-sept à savoir le règlement financier, le statut des ressortissants européens et la question de la nouvelle frontière, avec la situation particulièrement sensible en Irlande.

Quant au ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, il a tourné en dérision la facture de 100 milliards d'euros annoncée par Bruxelles comme prix du retrait. Cette attitude ferme devrait plaire à l'opinion.

Qu'en est-il des travaillistes ? Ils sont toujours un peu gênés par leur propre chef. Le premier problème du parti travailliste reste son leader : Jeremy Corbyn, dont les hésitations, les prises de position et les méthodes ont terni l'image de l'intellectuel marxiste qu'il avait voulu d'abord donner. Il apparaît maintenant comme un idéologue qui avance masqué, et il n'est pas suivi par l'ensemble du parti. Le plus grave est sans doute sa position ambiguë sur le Brexit lui-même pendant la campagne.

Sans remettre en cause les résultats du référendum de 2016, le programme travailliste rappelle les bienfaits du marché intérieur et de l'Union douanière et exige un accès sans barrière aux biens et aux services dans l'Union européenne. Il diffère du programme conservateur en reconnaissant que l'absence d'accord avec Bruxelles serait la pire solution, tandis que le programme conservateur maintient sa position : pas d'accord du tout est préférable à un mauvais accord. Pour le reste, le parti travailliste continue à préconiser une hausse massive de la dépense publique et, donc, une hausse des impôts.

Venons-en au programme des libéraux-démocrates.

Les libéraux-démocrates affirment leur engagement européen, et ils sont les seuls à placer dans leur programme l'exigence d'un nouveau référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne sans réussir pour le moment à convaincre l'électorat.

Dans ces conditions, il n'est guère étonnant que les derniers sondages créditent les conservateurs de 43 % des votes, les travaillistes de 36 % et les libéraux-démocrates de 9 %, ce qui annonce une victoire pour Theresa May en termes de sièges. Cependant, partie favorite, elle traverse des turbulences depuis quelques jours, et ce d'autant plus que son programme social reste controversé dans ses propres rangs et qu'une polémique a éclaté sur la possibilité ou non pour l'État de récupérer une partie de l'aide sociale sur la succession du défunt en ayant bénéficié. L'écart des intentions de vote se resserrerait ; si cette tendance se confirmait, Theresa May reviendrait à la case départ, avec une courte majorité. Le seul atout sûr de Theresa May paraît être la crédibilité qu'elle a acquise auprès de l'opinion, désormais convaincue qu'elle fera une meilleure négociatrice que Jeremy Corbyn, lequel pâtit de ne pas avoir de ligne claire.

La situation économique aura-t-elle une influence sur l'élection, alors que le problème migratoire et le risque terroriste continuent à figurer parmi les premières inquiétudes de l'opinion ?

La décision de sortir de l'Union européenne n'a pas entraîné un décrochage économique immédiat du Royaume-Uni. La situation économique, qui, dans l'ensemble, reste satisfaisante, n'est pas un enjeu dans la campagne. D'ailleurs, les conservateurs n'évoquent plus la prospérité économique comme leur marque de fabrique, comme si la bonne santé économique allait de soi. Tant que la croissance européenne ne dépassera pas la croissance britannique, le Royaume-Uni ne s'inquiétera pas des éventuelles conséquences économiques du Brexit. Mais si, au contraire, la croissance continentale s'accélère, ce qui semble être le cas, les Britanniques attribueront leur moins bonne performance au Brexit, même si cela n'est pas la véritable cause.

Pourtant, la baisse de la livre et l'inflation à 2,7 %, le niveau le plus haut depuis quatre ans, ne semblent pas des signes prometteurs. Du fait de cette inflation, les salaires réels sont en baisse de 0,2 % pour la première fois depuis deux ans et demi, alors qu'ils amorçaient une remontée juste avant le référendum. Les classes populaires reprochaient cette stagnation des salaires réels aux migrants intra-européens.

Quant au déficit commercial, il s'est creusé depuis le début de l'année avec la chute de la livre, ce qui ne représente pas non plus un indice encourageant. Dans ces conditions, la croissance a été revue à la baisse pour le premier trimestre de 2017.

Le solde migratoire est en baisse insuffisante, aux dires des Britanniques. En 2016, il a baissé de 273 000 à 248 000. Cette situation serait due au retour spontané de nombreux ressortissants européens sur le continent et à une baisse de l'immigration. Malgré le risque de conséquences néfastes sur la croissance de certains secteurs de l'économie britannique, l'opinion publique continue à réclamer la diminution du solde migratoire. Elle a été entendue par les conservateurs, tandis que le parti travailliste conserve une position diamétralement opposée.

Le risque terroriste est un enjeu de la campagne électorale. La Grande-Bretagne a connu trois attentats en trois mois. Si le risque terroriste n'avait pas déjà été un enjeu de cette campagne, il le serait devenu avec le terrible attentat de Manchester le 22 mai dernier et celui de ce week-end. Même si Theresa May a été fortement critiquée pour avoir laissé ses services traiter trop légèrement les très précieux renseignements obtenus sur les intentions et la dangerosité de l'auteur de l'attentat de Manchester et si on lui reproche la diminution du nombre de policiers pendant le mandat précédent, l'opinion considère qu'elle sera mieux protégée par le parti conservateur que par Jeremy Corbyn, dont les propos très ambigus sur l'attentat ont jeté le trouble jusque dans ses propres troupes.

En conclusion, à deux jours de ces élections très importantes pour un grand pays partenaire, Theresa May n'est pas sûre de réussir son pari. Toutefois, elle parvient à peaufiner son statut de leader solide, à défaut d'être charismatique. Contre toute attente, Jeremy Corbyn, malgré sa personnalité et ses outrances, se maintient et réussit à maintenir son parti en deuxième position. En revanche, les libéraux-démocrates et l'UKIP sont en perte de vitesse. Theresa May arrive à occuper le centre droit et le centre gauche, mais son plus grand défi sera ensuite de maintenir la cohérence de son parti sur la question du Brexit et sur ses options économiques et sociales, en rupture forte avec David Cameron et Margaret Thatcher.

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