Depuis l'annonce des résultats du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, le thème de la compétitivité des places financières fait l'objet d'une attention croissante, le Brexit étant susceptible de fragiliser la capacité de l'industrie financière britannique à déployer ses activités en Europe.
Dans ces conditions, j'ai souhaité mener un travail approfondi sur ce thème, avec un double objectif : d'une part, examiner l'incidence du Brexit sur le devenir et la stabilité des services financiers dans l'Union européenne, afin de tracer les « lignes rouges » susceptibles de constituer l'armature de la position française lors des négociations ; d'autre part, examiner les forces et les faiblesses de la place de Paris par rapport à ses principaux concurrents, afin de formuler des recommandations permettant de renforcer son attractivité.
Les conclusions de ce rapport ont été nourries par les deux tables rondes organisées par la commission en début d'année, par le déplacement du bureau à Hong Kong et à Singapour mais également par de nombreux déplacements dans l'Union européenne, à Luxembourg, Francfort, Amsterdam et Dublin, et des auditions à Paris, menées, pour leur grande majorité, conjointement avec la Présidente.
Posons-nous une question préalable : pourquoi vouloir développer une place financière domestique ? Depuis le déclenchement de la crise financière en 2008, le développement financier a principalement été appréhendé sous l'angle du risque. En outre, la technologie permet aujourd'hui de fournir la plupart des services financiers à distance. Pourtant, l'objectif de développer une place financière de référence en France me semble avoir conservé toute sa pertinence.
Cela tient d'abord à l'importance intrinsèque du secteur financier pour notre économie. En termes d'activité, la contribution du secteur financier au produit intérieur brut (PIB) est dix fois plus importante que celle de l'industrie automobile. En termes d'emplois, les effectifs de la banque et de l'assurance sont estimés à 750 000 équivalents temps plein (ETP). En termes budgétaires, les prélèvements acquittés chaque année par les entreprises du secteur financier représentent 40 milliards d'euros, soit 11 % du total des prélèvements sur les entreprises.
Au-delà de sa contribution directe à l'activité et à l'emploi, l'importance que revêt le développement d'un centre financier de référence tient également à ses effets d'entraînement sur l'attractivité et le dynamisme du territoire. Comme l'ont mis en évidence différentes études, l'existence d'une place financière active et innovante représente un argument important pour attirer les centres de décision des grands groupes, qui sont les principaux consommateurs de services financiers élaborés. Le développement d'un centre financier favorise également l'allocation efficace de l'épargne et de l'investissement au sein des zones économiques auxquels elle est adossée.
L'existence d'une place financière de premier plan présente donc un intérêt majeur pour l'économie française.
D'après les travaux économiques les plus récents, quatre principaux facteurs jouent un rôle déterminant pour expliquer le succès des places financières : le capital humain, les infrastructures, le niveau d'activité potentiel et l'environnement des entreprises. Au regard de ces critères, la place de Paris présente d'indéniables atouts pour jouer les premiers rôles.
S'agissant du capital humain, les écoles et les universités françaises ont la capacité de pourvoir aux besoins de l'industrie financière, puisqu'elles forment chaque année environ 8 000 étudiants aux métiers de front office et 18 000 étudiants aux métiers de middle et back office. L'excellence des formations offertes en France est reconnue à l'international. En 2016, cinq écoles françaises figurent ainsi aux dix premières places du classement des masters en finance publié par le Financial Times.
Un constat identique peut être dressé concernant la qualité de vie et les infrastructures - même s'il reste des choses à améliorer, les sénateurs franciliens le savent bien. Un grand cabinet d'audit a récemment classé Paris à la quatrième place des métropoles les plus attractives et dynamiques à l'échelle mondiale. Paris arrive même en tête du classement pour les critères de la qualité de vie et de la couverture des transports. Il peut être noté que Francfort, Dublin et Luxembourg ne figurent pas parmi les trente premières métropoles mondiales identifiées par le cabinet. Pour les entreprises, s'installer à Paris permet en outre d'éviter les problèmes de congestion liés aux prix de l'immobilier, comme à Londres, et au manque d'espace disponible, comme à Dublin, Luxembourg et, dans une moindre mesure, Francfort.
Si une place financière est susceptible de croître de façon autonome par rapport à son « arrière-pays », le dynamisme de la zone économique à laquelle elle est adossée constitue un atout pour son bon développement. À cet égard, la situation de la place de Paris est doublement favorable. Son développement peut tout d'abord s'appuyer sur l'abondante épargne des Français, dont le taux d'épargne reste significativement plus élevé que la moyenne de la zone euro. Surtout, la place de Paris est susceptible de bénéficier de la présence de nombreuses grandes entreprises en Île-de-France, qui constituent autant de clients potentiels. À titre d'illustration, 29 des 500 plus grandes entreprises mondiales ont leur siège dans la région, ce qui place Paris au premier rang européen et au troisième rang mondial, loin devant Francfort, qui pâtit de la dispersion des activités géographiques sur le territoire allemand.
Enfin, Paris peut s'appuyer sur des régulateurs efficaces et reconnus au plan international. Là encore, la situation de Francfort est plus contrastée, les Länder ayant conservé leur compétence de contrôle des bourses.
L'ensemble de ces atouts expliquent qu'à l'exception de Londres, Paris apparaît comme la seule place européenne « globale » capable de jouer les premiers rôles dans l'ensemble des secteurs d'activité du système financier. À l'inverse, les principaux concurrents de la place de Paris demeurent des centres financiers spécialisés sur certains métiers et activités.
S'agissant du secteur bancaire, cinq établissements français figurent ainsi parmi les quinze premières banques européennes. Les activités de marché de gré à gré qu'ils développent permettent à la place de Paris de figurer à la deuxième place des classements européens sur les marchés des changes et des taux.
S'agissant des infrastructures de marché, la place de Paris peut s'appuyer, contrairement à Dublin, Luxembourg ou Amsterdam, sur la présence d'entreprises de référence de la phase de négociation au post marché - au premier rang desquelles figure Euronext.
Dans le secteur de la gestion d'actifs, la place de Paris figure à la deuxième place en Europe pour le montant des actifs sous gestion et à la troisième place pour la domiciliation des fonds.
Un constat analogue peut être dressé s'agissant du secteur de l'assurance. En effet, la place de Paris compte quatre représentants parmi les vingt premiers assureurs européens - dont le premier assureur mondial, Axa. Si l'Allemagne compte trois représentants parmi les vingt premiers assureurs européens, ces derniers ont fait le choix d'installer leur siège à Munich et à Hanovre plutôt qu'à Francfort, illustrant ainsi la dispersion géographique des activités financières sur le territoire allemand.
Enfin, la place de Paris s'est progressivement dotée d'un écosystème favorable au développement du secteur des fintech. Trois entreprises françaises figurent désormais au classement mondial des cent premières fintech, contre quatre pour l'Allemagne et les Pays-Bas mais zéro pour l'Irlande et le Luxembourg.
Si la place de Paris apparaît ainsi comme le centre financier de référence en Europe après Londres, elle n'est toutefois pas parvenue à tirer pleinement parti de ses atouts dans la compétition internationale.
Comme nous avons eu l'occasion de le constater lors de nos différents déplacements, dans un monde ouvert, la localisation des activités à forte valeur ajoutée telles que les services financiers fait l'objet d'une vive concurrence entre les États, qui n'hésitent pas à prendre des mesures fiscales ad hoc ou à adapter leur cadre réglementaire pour attirer les marchés et les acteurs. Pour ne prendre qu'un exemple, les autorités de Hong Kong nous ont annoncé vouloir modifier la fiscalité applicable au financement et à la location d'avions afin de concurrencer l'Irlande, qui est parvenue en quelques années à attirer 55 % du marché mondial du leasing.
Dans cet environnement international concurrentiel, la place de Paris n'apparaît pas la mieux armée. Dans le classement international de référence sur la compétitivité des places financières, Paris a en effet perdu dix-huit places en moins de dix ans. Le développement de la place de Paris apparaît désormais davantage lié à l'importance de son marché domestique et à la présence historique de grands groupes français qu'à sa capacité à attirer, dans un monde ouvert, les entreprises et les capitaux étrangers.
La France n'attire pas suffisamment les entreprises étrangères, ce que l'on constate pour l'implantation des principales banques d'investissement américaines qui, pour la plupart, choisissent Londres, pour des raisons qui ne sont pas seulement linguistiques.
Cette difficulté à tirer parti de l'ouverture financière se manifeste également par une moindre capacité à capter l'épargne internationale. Si l'industrie française de la gestion d'actifs est la deuxième en Europe, elle repose essentiellement sur une base domestique. Les épargnants internationaux font davantage confiance à des gestionnaires situés à Londres pour investir leurs capitaux, tandis que les gérants choisissent Dublin et Luxembourg pour domicilier leurs fonds.
Ces tendances font naturellement craindre une érosion progressive des parts de marché de la place de Paris au profit de ses concurrents pour les activités les plus mobiles. Ce phénomène peut déjà être observé sur certains marchés. De façon plus préoccupante, certains acteurs français semblent avoir fait le choix de localiser différentes activités à forte valeur ajoutée hors du territoire national. C'est notamment le cas dans le secteur de l'assurance-vie : quatre des six premiers assureurs luxembourgeois sont des filiales de groupes français, tandis que la France est devenue depuis 2010 le premier marché pour l'assurance-vie luxembourgeoise.
Ces signaux d'alerte imposent de s'interroger sur les freins rencontrés par la place de Paris pour tirer pleinement parti de ses atouts dans la compétition internationale.
De l'avis de l'ensemble des acteurs rencontrés, le principal handicap concurrentiel de la place de Paris tient au niveau des prélèvements sur le travail payés par les employeurs du secteur financier pour les salariés qualifiés. Ainsi, le montant des prélèvements payés par un employeur pour un salarié rémunéré à hauteur de 250 000 euros - soit environ 18 000 euros net par mois - est neuf fois supérieur en France à ce qu'il est en Allemagne. Pour un salaire annuel brut de 250 000 euros, le coût total pour l'employeur, c'est-à-dire la somme du salaire brut et des prélèvements sur le travail, s'élève ainsi à 265 000 euros en Allemagne, contre 387 000 euros en France, soit un écart de 46 %. Autrement dit, pour le coût de recrutement de deux banquiers français, un employeur allemand peut en embaucher un troisième à Francfort.
La décomposition de l'écart de coût total avec l'Allemagne conduit à mettre en évidence trois principaux facteurs explicatifs. La taxe sur les salaires, qui n'a aucun équivalent chez nos concurrents, explique près d'un tiers de l'écart entre la France et l'Allemagne. L'absence de contribution obligatoire aux régimes de retraite complémentaires constitue le deuxième facteur déterminant : elle explique environ un quart de l'écart de coût total pour l'employeur. L'importance de ce facteur peut toutefois être relativisée, dans la mesure où les employeurs allemands abondent généralement à titre volontaire les plans de retraite de leurs salariés. Enfin, le déplafonnement des cotisations sociales versées par les employeurs opéré à partir des années 1980 en France constitue le dernier facteur pénalisant, à hauteur d'un tiers de l'écart de coût. En Allemagne, les cotisations sociales demeurent plafonnées.
Comme le résume l'économiste Gilles Saint-Paul, « les politiques de l'emploi des dernières décennies », qui ont « reposé largement sur la baisse du coût du travail peu qualifié au moyen de baisses de charges », ont conduit à ce que les travailleurs qualifiés français figurent « parmi les plus chers du monde », au risque de provoquer une « accélération de l'exode des cerveaux et, à terme, une délocalisation des centres décisionnels et intellectuels des entreprises »
Contrairement à ce que l'on aurait pu penser - j'ai systématiquement posé la question à nos interlocuteurs - la fiscalité pesant sur les bénéfices des entreprises et sur les personnes n'apparaît en revanche pas particulièrement pénalisante. Elle est également élevée en Allemagne. Dans ces domaines, le problème tient moins au niveau de taxation qu'à l'instabilité qui caractérise la fiscalité française, comme l'ont illustré plusieurs épisodes récents que nos concurrents ont su exploiter - je pense au cas des actions gratuites. S'agissant du secteur financier, cette instabilité apparaît d'autant plus problématique qu'elle s'accompagne d'une véritable « inventivité » fiscale : le secteur a ainsi été soumis à quatre nouvelles taxes spécifiques depuis 2010, pour un rendement de près de 900 millions d'euros. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que certaines places financières aient fait de la stabilité fiscale un véritable argument de promotion : voyez le Luxembourg ou l'Irlande.
S'agissant du droit du travail, la situation française apparaît intermédiaire. Grâce aux réformes entreprises ces dernières années, le droit français est désormais plus flexible qu'en Allemagne, comme l'a d'ailleurs reconnu le ministre des finances du Land de Hesse. Il reste en revanche significativement plus rigide que dans les pays anglo-saxons : cela tient à une différence de culture. Des marges de progrès importantes me semblent exister sur deux points. Tout d'abord, la faible prévisibilité du coût d'un licenciement, liée à l'absence de barème encadrant les indemnités prononcées par le juge. J'anticipe sans doute sur un débat prochain...