Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 juin 2017 à 9h40
Compétitivité des places financières — Communication

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Dans le secteur financier, il est arrivé que la cour d'appel octroie au salarié licencié une indemnité de deux millions d'euros, voire, dans un cas, de six millions... En outre, la durée des procédures demeure significativement plus élevée en France que chez nos principaux voisins.

Mais la concurrence entre les places ne concerne pas seulement le cadre fiscal et social : elle touche l'ensemble du système juridique. Or la France n'a pas toujours fait preuve d'une réactivité suffisante pour remédier aux faiblesses du droit français, obligeant parfois les acteurs à développer hors de France certaines opérations. Pour ne donner qu'un exemple, le Sénat recommandait dès 2007 d'introduire les actions à droit de vote multiple en droit français. Cela ne coûte rien ! Faute de l'avoir fait, nous avons vu des sièges sociaux transférés aux Pays-Bas.

Dans ce contexte, l'enjeu ne se limite pas à essayer d'attirer les emplois et capitaux qui seraient transférés de Londres vers le continent en raison du Brexit, mais bien de développer le potentiel de croissance de la place financière de Paris dans une perspective de moyen terme, à l'image de ce qui a été réalisé dans les années quatre-vingt pour moderniser notre place financière.

Le Brexit constitue toutefois un levier unique pour renforcer la dimension internationale de la place de Paris, par le rééquilibrage du paysage financier européen qu'il est susceptible d'entraîner. En effet, la place financière de Londres est actuellement la première place financière européenne, sinon mondiale. Fort logiquement, la plupart des acteurs financiers internationaux ont donc fait le choix de s'y installer pour servir leurs clients européens. Au total, un quart des revenus du secteur financier britannique serait ainsi lié à l'Union européenne.

Cette concentration des services financiers à Londres a été facilitée par la mise en place d'un système d'agrément unique, aussi appelé « passeport européen », qui permet aux établissements d'exercer leurs activités dans l'ensemble des États membres dès lors qu'ils ont obtenu un agrément dans leur pays d'origine. Alors que la perte d'accès au « passeport européen » semble désormais actée suite au choix du gouvernement britannique de sortir du marché intérieur, le Brexit pourrait ainsi entraîner d'importants transferts d'activités et d'emplois vers le reste de l'Union européenne. Si les estimations produites sont à considérer avec une grande précaution, le volume d'emplois susceptibles d'être relocalisés à court terme serait compris entre 30 000 et 100 000 dans le scénario d'un Brexit « dur ».

Les effets de la perte du « passeport européen » sont toutefois susceptibles de différer sensiblement selon l'issue des négociations sur les services financiers. En effet, certains services financiers pourraient continuer d'être fournis depuis le Royaume-Uni après le Brexit dans le cadre des « régimes d'équivalence », qui permettent aux pays tiers dont le droit applicable est considéré comme équivalent par la Commission européenne de proposer librement leurs services dans l'Union européenne, sous la seule supervision de leur régulateur local.

En l'état, le système d'équivalence ne constitue toutefois pas une alternative crédible au « passeport » pour les acteurs britanniques. En effet, de nombreux textes européens relatifs aux services financiers ne prévoient aucun régime d'équivalence. En outre, lorsqu'il existe, le système d'équivalence n'offre pas une prévisibilité suffisante aux entreprises, notamment parce que la Commission peut revenir à tout moment sur ses décisions. La City et les autorités britanniques évoquent désormais la mise en place d'un régime « avancé » d'équivalence couvrant l'ensemble du secteur financier et dont les caractéristiques garantiraient aux acteurs une prévisibilité suffisante - par exemple en prévoyant l'intervention d'une autorité indépendante de résolution des différends.

Il peut être noté que le Royaume-Uni disposera de moyens de pression non négligeables dans la négociation. En effet, les conditions d'accès des acteurs européens au marché britannique ne sont pas garanties. Or, dans certains secteurs tels que l'assurance, les acteurs européens ont davantage à perdre avec le Brexit que leurs homologues britanniques.

Dans ce contexte, il me semble nécessaire de formuler quatre recommandations susceptibles de constituer l'armature de la position française lors des négociations de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Pour des raisons de stabilité financière, il me semble tout d'abord que les infrastructures cruciales au bon fonctionnement des marchés européens ne sauraient être soumises à un régime juridique et à une supervision distincts de ceux de l'Union européenne. En effet, ces activités engagent de facto la Banque centrale européenne en tant que prêteur en dernier ressort. Cela concerne au premier chef les activités de compensation libellées en euro, qui devront être relocalisées dans l'Union européenne ou faire l'objet d'une supervision extraterritoriale par les régulateurs européens.

Du point de vue de la stabilité financière, une relocalisation serait préférable à la mise en place d'une supervision extraterritoriale. En effet, il existe un risque, en cas de crise exigeant des décisions rapides et lourdes de conséquences, qu'une supervision extraterritoriale des infrastructures systémiques ne puisse garantir que la stabilité financière de l'Union européenne soit pleinement prise en compte. Toutefois, ces activités s'insèrent dans un écosystème financier complexe et reposant sur des économies d'échelle qu'il apparaît difficile de dupliquer à très court terme. En outre, la fragmentation excessive de cette activité pourrait se traduire par une hausse substantielle des appels de marge auprès des entreprises. Aussi, quand bien même l'option de la relocalisation apparaît plus satisfaisante en première analyse, une étude approfondie des bénéfices et des risques associés à cette solution doit être menée.

S'agissant des activités ne présentant pas de caractère systémique pour l'Union européenne, le Brexit doit conduire à une révision des régimes d'équivalence existants, qui présentent d'importantes faiblesses. La principale tient au risque de divergence réglementaire une fois l'équivalence accordée, en l'absence de tout mécanisme de réexamen régulier. En outre, les régimes d'équivalence ne sont pas systématiquement assortis d'une condition de réciprocité garantissant aux acteurs européens un niveau d'accès équivalent aux marchés des pays tiers. La révision engagée par la Commission européenne du règlement Emir (European Market Infrastructure Regulation) doit être l'occasion de repenser l'ensemble du dispositif d'équivalence.

Enfin, il existe un risque de contournement de la perte du « passeport européen » par la mise en place d'entités « boîtes aux lettres » dans certains pays peu regardants. C'est particulièrement le cas dans le domaine de la gestion d'actifs, où des « délégations de gestion » sont possibles au profit de pays tiers, sans réel encadrement. Nous l'avons constaté à Hong Kong, où opèrent des gestionnaires de fond dont l'activité est théoriquement localisée à Luxembourg - en réalité, ils n'y ont qu'une plaque en cuivre et un bureau où se tiennent deux réunions par an... On observe un phénomène analogue dans le secteur des jeux en ligne, où des sociétés enregistrées à Chypre vendent leurs produits dans toute l'Union européenne.

C'est pourquoi il me semble indispensable, d'une part, d'harmoniser l'interprétation de la notion de substance minimale devant être exigée par les autorités nationales délivrant les agréments ; d'autre part, de renforcer les pouvoirs et la gouvernance de l'autorité européenne des marchés financiers (ESMA), afin de lui permettre de contrôler plus efficacement le respect de ces exigences par les autorités nationales.

Dans ce cadre, l'Autorité bancaire européenne actuellement située à Londres pourrait être relocalisée à Paris, ce qui faciliterait la nécessaire coordination de la réglementation des établissements bancaires et des marchés financiers.

La dernière partie du rapport rassemble des propositions susceptibles de permettre à la place de Paris de tirer pleinement parti du Brexit et de se développer à l'international.

Au préalable, je souhaite revenir brièvement sur les initiatives bienvenues prises depuis le référendum de l'an dernier. Certaines relèvent d'une stratégie de valorisation de la place de Paris auprès des entreprises britanniques. J'y rattache les actions concrètes visant à faciliter les relocalisations - par exemple la mise en place d'un guichet unique et de procédures accélérées de délivrance d'agréments. Les initiatives prises en ce sens me semblent tout à fait satisfaisantes. Comme le reconnaît d'ailleurs le Financial Times, « la campagne la plus agressive pour la relocalisation d'activités a été menée par Paris ». Le Gouvernement, la maire de Paris, la présidente de la région Île-de-France ont su travailler de concert, toutes tendances politiques confondues.

Si ces actions doivent être saluées, elles ne sauraient néanmoins se substituer à des réformes plus structurelles pour attirer les entreprises et les capitaux internationaux. Or, en la matière, les réformes adoptées ne me semblent pas à la hauteur des ambitions affichées.

Trois mesures, bien que tardives, sont allées dans le bon sens. Tout d'abord, la sécurisation du financement du Charles-de-Gaulle-Express, dix-huit ans après les premières études de faisabilité. Les acteurs du secteur financier voyagent beaucoup, et la desserte actuelle du principal aéroport francilien, par le RER ou l'autoroute, est catastrophique.

Autre mesure opportune : la réforme du régime des impatriés dans la dernière loi de finances, avec un allongement de cinq à huit ans de sa durée d'application et une exonération des primes d'impatriation de taxe sur les salaires. Enfin, l'engagement d'une diminution progressive de l'impôt sur les sociétés, qui ne sera toutefois effective qu'à compter de 2019 pour les grandes entreprises.

Cependant, ces mesures sont insuffisantes pour remédier aux faiblesses françaises, notamment en matière de prélèvements sur les employeurs et de droit du travail. Elles ne traitent pas non plus la question de la concurrence entre les systèmes juridiques. Enfin, elles ont été en partie contrebalancées par des signaux contradictoires : le renoncement du Gouvernement à supprimer la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui n'a pas contribué à renforcer la crédibilité des engagements français en matière fiscale, et le durcissement de la taxe sur les transactions financières et du régime des actions gratuites, à l'initiative de nos collègues députés.

Les premières mesures doivent donc être relayées par des réformes de plus grande ampleur. Mes propositions s'articulent autour de quatre grands objectifs : renforcer la compétitivité du cadre fiscal ; rénover le cadre juridique applicable au secteur financier ; moderniser le système de régulation ; adapter le droit du travail. Je me contenterai d'évoquer les principales recommandations.

En matière de fiscalité, il me paraît indispensable de réduire le différentiel de coût du travail avec nos principaux concurrents. Pour cela, je propose de concentrer les efforts sur la taxe sur les salaires, qui n'a aucun équivalent en Europe. Si sa suppression ne saurait bien évidemment être envisagée à court terme pour des raisons budgétaires, il serait tout à fait possible de supprimer la tranche marginale à 20 % introduite en 2013. Le coût est estimé à 137 millions d'euros, mais les emplois ainsi créées produiraient des rentrées fiscales. Les effets d'aubaine pour les autres secteurs seraient très limités, dans la mesure où le secteur financier bénéficierait de cette suppression à hauteur de 79 %.

En complément, une mesure ciblée sur les impatriés pourrait être décidée, dans le contexte du Brexit, avec une exonération de l'ensemble de leur rémunération de taxe sur les salaires, ce qui réduirait d'un tiers l'écart de coût avec l'Allemagne pour les employeurs. Dans une perspective de moyen terme, une réflexion plus générale devrait être engagée sur le coût du travail très qualifié en France, incluant la question du déplafonnement des cotisations sociales.

Je propose en outre de ramener le taux de la taxe sur les transactions financières de 0,3 % à 0,2 % et de supprimer son extension aux transactions intrajournalières. En effet, le durcissement opéré l'an passé anticipait de manière très inopportune l'issue du débat, d'ailleurs légitime, sur la mise en oeuvre d'une taxe européenne. Dans un tel domaine, on ne peut agir seul. Abstenons-nous à l'avenir de créer unilatéralement des taxes spécifiques à la place de Paris, l'intégration des marchés de capitaux européens justifiant de privilégier le cadre de l'Union européenne. Car rien n'est plus liquide que les capitaux, rien ne traverse plus facilement les frontières...

Enfin, il me semble souhaitable de modifier la fiscalité des stock-options, délibérément pénalisés par rapport aux actions gratuites, alors même qu'ils sont plus contraignants que ces dernières pour leurs bénéficiaires. L'objectif serait ainsi de rapprocher le niveau de la fiscalité des stock-options de celui observé aux Pays-Bas et en Allemagne, comme l'a récemment recommandé l'inspection générale des finances.

La concurrence entre les places financières ne concernant pas seulement le droit fiscal, il est également nécessaire de moderniser certains éléments du cadre juridique applicable aux services financiers. Je recommande notamment d'assouplir le droit des titres en introduisant les actions à droit de vote multiple, qui existent déjà dans la moitié des pays de l'Union européenne.

En matière d'assurance-vie, le rapport comprend plusieurs propositions pour garantir des conditions de concurrence équitables aux assureurs français et lever les rigidités du code des assurances. Il est ridicule de laisser une si grande part du marché français de l'assurance-vie nous échapper.

S'agissant du système de régulation, qui constitue un de nos points forts, deux pistes d'amélioration peuvent être formulées. Tout d'abord, mettre en place un « bac à sable » réglementaire pour les fintech, aussi appelé sandbox. Concrètement, il s'agit de permettre aux régulateurs d'octroyer à certaines fintech des assouplissements individuels aux réglementations nationales, afin de tester une idée innovante dans un périmètre réduit, comme cela se pratique au Royaume-Uni, mais aussi en Suisse, au Luxembourg, en Australie, à Singapour ou encore à Hong Kong.

En complément, il me semble nécessaire de diversifier les recrutements et les parcours au sein de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) afin de recruter davantage de profils dotés d'expériences reconnues dans le monde de la finance, et de formation scientifique, juridique ou comptable.

Enfin, s'agissant du droit du travail, je propose d'instaurer un barème encadrant les indemnités prononcées par les juges en cas de licenciement. Ce barème comprendrait un maximum mais aussi un minimum, ce qui garantira davantage de prévisibilité tant aux employeurs qu'aux salariés.

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