Pour conclure, j'aborderai les conséquences de la réforme avant de présenter nos principales recommandations.
Plusieurs éléments de bilan de la réforme méritent d'être tirés en termes d'apprentissage, de fatigue des élèves, d'accès aux activités périscolaires et du point de vue de l'institution scolaire.
Comme le rappelait Gérard Longuet, l'évaluation des effets pédagogiques de la réforme se heurte à l'absence d'anticipation de la part du ministère de l'éducation nationale, ce que nous regrettons.
Des expédients pourraient être envisagés, par exemple au moyen des évaluations réalisées en CE1 et CM2 jusqu'en 2012 ou encore en analysant les résultats obtenus par les écoles privées ayant mis en oeuvre la réforme au regard de celles - comparables - ayant choisi d'en rester à la semaine de quatre jours. Nous laissons aux services statistiques du ministère le soin de déterminer la bonne méthode.
Faute de mieux, nous avons tenté d'établir un bilan à partir du ressenti des enseignants et des acteurs de terrain que nous avons rencontrés.
Une majorité des enseignants d'école élémentaire nous a fait part d'un ressenti positif : d'une part, la cinquième matinée permet de placer les apprentissages fondamentaux aux moments où la capacité d'attention des élèves est la plus grande et de disposer de davantage de temps pour les enseigner ; d'autre part, la matinée supplémentaire permet une plus grande continuité et une plus grande régularité des apprentissages.
Dans certaines communes, l'introduction des nouveaux rythmes s'est accompagnée d'un allongement des matinées sur lequel beaucoup d'enseignants portent un regard positif.
Comme je l'ai rappelé, le ressenti est cependant beaucoup plus nuancé en ce qui concerne la maternelle, notamment les plus petites sections.
Il convient d'aborder la question de l'accroissement de la fatigue des élèves avec la plus grande précaution. En effet, si la plupart des personnes que nous avons entendues ont constaté une plus grande fatigue des élèves, notamment des plus jeunes d'entre eux, ce phénomène doit s'analyser à l'aune de différents facteurs : impact de la réforme, superposition d'activités extrascolaires, rythmes de vie des familles... Si un enfant se couche à minuit, l'impact des temps d'activités périscolaires sur sa fatigue devient difficilement évaluable...
Un inspecteur de l'éducation nationale de Haute-Savoie nous a ainsi fait remarquer que le nombre d'accidents survenant en fin de semaine, qui constitue un indicateur du niveau de fatigue des élèves, n'avait pas évolué depuis la mise en place de la réforme. Par ailleurs, une étude réalisée à Arras par François Testu et René Clarisse tend à montrer l'absence d'effet négatif de la fréquentation des temps d'activités périscolaires sur le sommeil des enfants.
À l'inverse, les élèves de CP d'établissements faisant partie de réseaux d'éducation prioritaire, les REP, participant aux temps d'activités périscolaires obtiennent de meilleurs résultats aux tests de vigilance que ceux qui n'y participent pas. L'impact semble positif pour les cours moyens, qu'ils soient en REP ou non.
Une étude scientifique nationale de ce phénomène, dans une large mesure subjectif, pourrait être utile au débat.
S'agissant de l'accès des élèves aux activités périscolaires, il est indéniable que la réforme a permis d'élargir l'offre pour l'ensemble des élèves, notamment pour ceux issus de milieux défavorisés qui ont ainsi pu découvrir certaines activités auxquelles ils n'auraient pu s'initier autrement.
La question de l'accroissement des inégalités liées notamment à l'hétérogénéité des modalités de tarification et de la qualité des activités proposées est cependant posée sans qu'une réponse pertinente puisse y être apportée.
Enfin, s'agissant des conséquences de la réforme sur l'institution scolaire, deux constats peuvent être établis.
D'une part, la réforme n'a pas eu d'effet positif sur le lien parents-enseignants, distendu lors de la réforme de 2008. Au contraire, la situation s'est parfois aggravée. En effet, lorsque les temps d'activités périscolaires sont placés en fin de journée, les parents n'ont pour seul « point de contact » que les animateurs et non plus les enseignants.
D'autre part, les heures consacrées à la concertation et à la formation continue des enseignants, généralement placées le mercredi matin, ont souffert de la réforme. Il pourrait être répondu à cette situation en envisageant de consacrer un mercredi ou un samedi par mois à ces activités, les heures ainsi libérées ayant vocation à être compensées par un raccourcissement des vacances scolaires. Il s'agit de l'une de nos préconisations.
Nous avons articulé nos propositions autour de trois axes principaux.
Premièrement, passer de la culture de la circulaire à celle du contrat et du partenariat. Le projet éducatif territorial doit constituer l'instrument du dialogue entre tous les acteurs de la communauté éducative. À chaque fois qu'une telle concertation a eu lieu, les choses ont bien fonctionné ; à chaque fois que le projet éducatif territorial a été imposé de manière pro forma pour toucher les subventions de l'État ou des caisses d'allocations familiales, le résultat n'a pas été excellent...
Deuxièmement, conserver le principe de la réforme des rythmes scolaires tout en l'inscrivant dans un cadre plus large.
Troisièmement, aider les collectivités à améliorer l'offre éducative.
Je ne ferai pas une présentation exhaustive de nos préconisations, je vous renvoie pour cela à notre rapport. Je reviendrai sur cinq d'entre elles qui me paraissent particulièrement importantes.
Il nous apparaît tout d'abord indispensable de mener une évaluation scientifique de l'allongement de la semaine scolaire.
D'une manière générale, nous estimons que toutes les politiques publiques en matière d'éducation devraient être fondées sur des constats scientifiquement validés, ce qui nécessite de procéder par l'expérimentation et par l'évaluation et non, comme cela a été le cas pour la réforme des rythmes, par des injonctions répétées, voire contradictoires.
Il nous semble ensuite indispensable d'élargir la réflexion portant sur les rythmes scolaires à l'ensemble de l'année scolaire. Nous estimons que le calendrier scolaire gagnerait à être revu, par exemple en confiant à titre expérimental au recteur de région académique la prérogative de le déterminer. Nous devons sortir du paradoxe évoqué par Mireille Jouve : la journée la plus longue, la semaine la plus chargée au cours de l'année la plus courte... À cet égard, je tiens à rappeler les déséquilibres existant selon les zones de vacances scolaires : le troisième trimestre de la zone connaissant les vacances de printemps les plus précoces atteindra cette année douze semaines, ce qui est beaucoup trop long. Par ailleurs, au terme de nos travaux, nous considérons que le retour à la situation antérieure à la réforme de 2013 reviendrait une nouvelle fois à faire prévaloir le monde des adultes sur celui des enfants. Il convient en outre de prendre en compte le besoin de stabilité exprimé par les différents intervenants.
Par ailleurs, en matière d'apprentissage, tout laisse à penser que la semaine de quatre jours comporte plus d'inconvénients que d'avantages.
Si la possibilité d'un retour à la semaine de quatre jours est néanmoins proposée par le Gouvernement, comme cela semble être envisagé, puisqu'un décret en ce sens doit être examiné dès demain par le conseil supérieur de l'éducation, nous formulons plusieurs recommandations :
- premièrement, fixer un cadre pour les communes souhaitant revenir à la semaine de quatre jours passant par la définition d'un maximum horaire de 5 h 30 d'enseignement par jour, ce qui implique de réduire à due concurrence les vacances scolaires :
- deuxièmement, garantir une possibilité de prise en charge de l'ensemble des enfants le mercredi. Un certain nombre de familles se sont en effet organisées en fonction des rythmes actuels ;
- troisièmement, pour les communes souhaitant conserver la semaine de quatre jours et demi, maintenir l'accompagnement financier de l'État et des caisses d'allocations familiales et la mise en place d'une souplesse accrue dans l'élaboration des emplois du temps scolaire afin de favoriser les initiatives et les adaptations locales. Nous recommandons, par exemple, de permettre à toutes les communes qui le souhaitent de placer la cinquième matinée de classe le samedi, et non le mercredi, ou bien de libérer un mercredi ou un samedi matin par mois, ce qui serait compensé par la réduction de la durée des vacances scolaires. Une telle souplesse permettrait aux enseignants de pouvoir travailler en équipe ou de dégager du temps pour leur formation.
Si j'ai pu être très critique à l'égard de la réforme de 2013 - et je le suis toujours - je rappellerai que j'ai déposé, en janvier 2014, une proposition de loi visant à affirmer la liberté de choix des maires quant à l'organisation des rythmes scolaires dans l'enseignement du premier degré, dispositif assez proche de celui aujourd'hui proposé par le Gouvernement, mes inquiétudes portaient moins sur le fond que sur la méthode. Vous me permettrez de me citer : « nous pouvons nous accorder sur la nécessité d'une réorganisation globale et concertée du temps scolaire. J'ai critiqué en son temps la semaine de quatre jours et le paradoxe français qui conjugue l'année la plus courte et la journée la plus chargée. Ce constat ne nous oblige en rien à accepter une réforme, aussi bien intentionnée soit-elle. La réforme lancée par le Gouvernement est un cas d'école, qui illustre parfaitement le mode de fonctionnement pyramidal et rigide du ministère de l'éducation nationale. Aucune évaluation préalable des effets potentiels de la réforme n'a été menée. Aucune estimation de son impact sur les performances scolaires n'est disponible. Aucune enquête n'a été menée auprès des maires pour les associer à la conception de la réforme. »
Je ne retire pas un mot de ces déclarations : je reste convaincu que la semaine de quatre jours, conjuguée à l'année scolaire la plus courte, est une erreur profonde. Y revenir reviendrait non seulement à commettre une deuxième erreur, mais aussi à envoyer un mauvais signal à l'ensemble de la communauté éducative. Notre système a besoin de stabilité, comme l'ont souligné la plupart des acteurs que nous avons rencontrés.
Depuis trop d'années, les gouvernements successifs se sont attachés à défaire ce qu'avaient fait leurs prédécesseurs. Une telle décision tuerait dans l'oeuf l'un des acquis les plus bénéfiques de la réforme, celui d'avoir réuni autour d'une table l'ensemble de la communauté éducative. Il s'agit, selon moi, du point le plus positif, car nous passons d'un cadre de compétences séparées à un cadre de compétences conjuguées entre l'éducation nationale et les collectivités territoriales. Les élus ne sont plus seulement des payeurs, mais des partenaires à part entière. Rien de plus normal quand on sait qu'un enfant passe aujourd'hui autant de temps, si ce n'est davantage, avec les personnels des collectivités territoriales qu'avec ceux de l'éducation nationale.
Au-delà des questions financières et d'organisation, c'est bien la réussite de nos enfants qui est en jeu.