Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Commission des affaires sociales — Réunion du 28 juin 2017 à 9h35
Prise en charge sociale des mineurs isolés étrangers — Présentation du rapport d'information

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy, rapporteur :

La présence en France de mineurs non accompagnés n'est pas nouvelle. Elle a cessé d'être anecdotique à partir de la fin des années quatre-vingt-dix, notamment avec l'arrivée de mineurs venant de pays d'Europe de l'Est. Elle est devenue un phénomène établi au cours des années 2000, suscitant la rédaction d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales remis en janvier 2005, puis la mission confiée à notre collègue Isabelle Debré, qui a rendu son rapport, toujours d'actualité, en mai 2010. Ces rapports ont permis de mieux identifier la question et ont servi de base à notre travail.

Toutefois, au cours des années 2010, ce phénomène a changé d'échelle et connaît une progression exponentielle. Alors que l'Assemblée des départements de France (ADF) estimait à 4 000 le nombre de MIE pris en charge par les départements en 2010, il était de 13 000 au 31 décembre 2016 et s'élève actuellement à environ 18 000. À ce rythme, le nombre de MIE pourrait atteindre 25 000 d'ici à la fin de l'année, soit une multiplication par deux en l'espace d'un an. Ces chiffres ne tiennent pas compte des personnes en cours d'évaluation de minorité, ni des mineurs qui, souhaitant gagner le Royaume-Uni ou un pays d'Europe du Nord, évitent de se faire repérer par les services sociaux ou les forces de l'ordre.

Alors que la question des MNA ne concernait, il y a quelques années encore, qu'un nombre limité de départements, notamment ceux proches d'une frontière ou disposant d'un aéroport international, l'ensemble du territoire est aujourd'hui touché, y compris des départements ruraux pourtant à l'écart des routes migratoires.

Ces statistiques objectivent ce que beaucoup d'entre nous constatent chez eux, c'est-à-dire la saturation des capacités d'accueil devant l'intensité des flux d'arrivée. Cette saturation obère une partie des efforts déployés par les pouvoirs publics pour faire face au défi que représente la prise en charge des MNA et explique une grande part des difficultés et des dysfonctionnements que nous avons pu constater.

Dans le même temps, la prise en charge des MNA par les départements au titre de la protection de l'enfance représente un coût croissant, alors même que la situation financière des départements est extrêmement tendue.

Bien que la question des MNA, qui sont dans plus de 90 % des cas des garçons, s'inscrive dans un contexte de mouvements migratoires d'une ampleur sans précédent en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, nos travaux ont montré qu'elle répond à des dynamiques et à des déterminants distincts.

Les statistiques du ministère de la justice montrent que plus de 70 % des MNA pris en charge sont originaires d'Afrique, essentiellement de pays francophones d'Afrique de l'Ouest ou du Nord. À l'inverse, les personnes originaires de Syrie, d'Irak, d'Afghanistan ou de la Corne de l'Afrique, qui représentent la majeure partie des demandeurs d'asile, sont beaucoup moins nombreuses parmi les MNA. Au demeurant, la France n'enregistre qu'un nombre très faible de MNA demandeurs d'asile : 475 sur 77 000 primo-demandeurs en 2016.

Si la diversité des situations individuelles empêche toute généralisation, le phénomène de l'arrivée de plus en plus massive de MNA en France semble davantage s'inscrire dans la logique d'une migration économique, plus ou moins forcée, que résulter des conflits qui marquent certaines zones géographiques et expliquent largement la grande vague migratoire actuelle.

Pour reprendre une typologie établie par la sociologue Angélina Etiemble en 2002, les MNA seraient plus fréquemment des enfants « mandatés » pour apprendre un métier et aider financièrement leur famille que des exilés ou des fugueurs.

De plus, on constate que l'arrivée de ces jeunes est bien souvent organisée, depuis le pays de départ, par des filières que l'on peut parfois qualifier de « criminelles ». Les témoignages des responsables de services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) que nous avons recueillis sont à cet égard édifiants : il arrive fréquemment que des jeunes se présentent directement à l'accueil des services départementaux et demandent à voir un éducateur dont on leur a donné le nom, voire décrit l'apparence physique... La lutte contre de telles filières, qui dépasse l'objet de notre rapport et ne relève certainement pas des compétences de notre commission, est donc d'une impérieuse nécessité.

Nos travaux ont permis de dresser un certain nombre de constats et de formuler un certain nombre de préconisations.

Tout d'abord, il convient de souligner que l'ampleur prise, depuis 2014, par un phénomène qui restait jusque-là circonscrit à un nombre réduit de territoires a conduit les pouvoirs publics à développer des réponses spécifiques, parmi lesquelles il convient de citer le dispositif de répartition géographique créé, dans un premier temps, par la circulaire du 31 mai 2013 dite « Taubira », puis inséré dans la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.

Ce mécanisme, qui visait à assurer une certaine péréquation entre des départements inégalement concernés par les arrivées de MNA, ne donne pas pleinement satisfaction. Tout d'abord, alors que tous les départements sont aujourd'hui concernés et voient leurs capacités d'accueil saturées, la recherche d'une péréquation apparaît vaine. Ensuite, dans environ 20 % des cas, la cellule chargée d'orienter les décisions des magistrats n'est pas saisie. Enfin et surtout, la clé de répartition ne tient compte que du nombre de mineurs confiés l'année précédente par décision judiciaire et ne comptabilise pas les mineurs en cours d'évaluation pris en charge par les départements.

À titre d'illustration, le département des Alpes-Maritimes, qui est, de par sa position géographique, fortement concerné par les flux migratoires, continue d'accueillir des mineurs réorientés depuis d'autres départements. Une révision du mode de fonctionnement de ce mécanisme semble donc nécessaire.

Il convient ici de rappeler que les mineurs pris en charge à la suite des évacuations de campements sauvages, hébergés dans les centres d'accueil et d'orientation pour mineurs, les CAOMIE, n'entrent pas dans ce dispositif de péréquation. Si ces centres ont pu bénéficier d'une forte médiatisation liée à celle qui a entouré les opérations d'évacuation, ils ne concentrent en fait qu'une faible part du total des MNA. Au demeurant, les CAOMIE, solution d'urgence conçue pour être temporaire, sont en passe d'être tous fermés.

Des textes ont également été récemment publiés pour tenter de mieux organiser la période de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se présentant comme des MNA, notamment un décret du 24 juin 2016 et un arrêté du 17 novembre 2016 fixant un référentiel national. De l'avis des acteurs associatifs et institutionnels que nous avons rencontrés, ces textes posent un cadre qui pourrait être satisfaisant s'il était respecté à la lettre, ce qui s'avère difficile en raison de l'embolie des dispositifs.

En principe, le conseil départemental a l'obligation d'organiser la mise à l'abri de toute personne se disant mineure et isolée qui se présente ou est présentée à ses services, afin de procéder à une évaluation de sa situation.

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