Intervention de Elisabeth Doineau

Commission des affaires sociales — Réunion du 28 juin 2017 à 9h35
Prise en charge sociale des mineurs isolés étrangers — Présentation du rapport d'information

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau, rapporteur :

Cette phase de mise à l'abri est l'occasion d'une première série de dysfonctionnements. Il arrive en effet encore trop souvent que des jeunes soient hébergés à l'hôtel dans des conditions ne permettant pas un suivi éducatif et les exposant à de nombreux risques. Le département de la Haute-Garonne a ainsi été récemment condamné par le juge administratif, qui lui a enjoint d'assurer des conditions d'hébergement plus satisfaisantes. Il arrive même que des jeunes soient laissés à la rue alors que les textes prévoient leur mise à l'abri immédiate. Ces situations sont choquantes et sont régulièrement dénoncées à juste titre par des acteurs associatifs ou par le Défenseur des droits.

Toutefois, l'obligation faite aux départements de mettre à l'abri de manière inconditionnelle toute personne se disant mineure se heurte à la réalité de l'augmentation continuelle des flux d'arrivées.

De plus, les départements sont confrontés à un nombre important de personnes se déclarant mineures alors qu'elles sont en fait bel et bien majeures. Le principal objet de l'évaluation est donc de déterminer la réalité de l'âge allégué par le jeune. Or il n'existe pas de moyen irréfutable de vérifier la minorité d'une personne et les documents d'état civil des pays d'origine sont délivrés dans des conditions ne permettant pas de s'assurer de leur fiabilité et sont généralement aisément falsifiables, ainsi que nous l'ont confirmé les diplomates congolais et guinéens que nous avons pu rencontrer.

Les évaluateurs sont donc conduits à apprécier la réalité de la minorité des jeunes qu'ils ont en face d'eux à partir d'un faisceau d'éléments peu objectivables, ce qui ouvre la voie à des critiques, parfois justifiées, des associations.

Premièrement, il convient d'apprécier la véracité du récit fait par des jeunes souvent traumatisés par les épreuves du voyage, ce qui nécessite des compétences pluridisciplinaires dont ne disposent pas nécessairement les professionnels de la protection de l'enfance. Nous proposons à ce sujet d'améliorer les formations délivrées aux évaluateurs, en lien avec des organismes plus habitués à ce genre de démarche, comme l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Néanmoins, un récit appris par coeur auprès de passeurs, fût-il lacunaire, voire incohérent, ne permet pas à lui seul d'écarter la minorité alléguée.

Deuxièmement, s'agissant des tests de maturité osseuse, dont la fiabilité est sujette à controverse, nous rappelons que leur usage a été encadré par la loi du 14 mars 2016. S'il est désormais précisé que ces tests ne peuvent être pratiqués que sur demande de l'autorité judiciaire et avec l'accord de l'intéressé, la rédaction de l'article 388 du code civil continue de poser un certain nombre de difficultés.

Même si le doute doit profiter à l'intéressé, il est aisé d'imaginer que le refus de se soumettre à un tel test peut être interprété, même de manière non formalisée, comme un aveu de majorité. En outre, cet article exclut tout examen des caractères de développement pubertaire, y compris secondaires, ce qui suppose que les évaluateurs fassent totalement abstraction de l'apparence physique du jeune évalué, de sa pilosité ou de sa musculature notamment. Nous ne proposons toutefois pas de faire évoluer les dispositions législatives adoptées voilà à peine plus d'un an.

Par ailleurs, il convient d'évoquer le coût financier supporté par les départements au titre de l'évaluation et de la mise à l'abri.

L'accord trouvé par les départements et l'État en 2013, formalisé dans les textes récents, prévoit la couverture par l'État du coût de cette évaluation dans une limite de cinq jours et à raison de 250 euros par jour. Ce montant forfaitaire apparaît bien souvent inférieur au coût réellement supporté par les départements, la durée de l'évaluation dépassant bien souvent très largement cinq jours, notamment en raison des délais nécessaires aux expertises médicales ou à l'obtention d'une expertise documentaire par les services de l'État.

Selon les estimations de l'ADF, les départements auraient assumé en 2016 une dépense de 155 millions d'euros au titre de la phase d'évaluation, dont 16,5 millions, soit 10,6 %, ont été couverts par la participation de l'État. Si la prise en charge des mineurs en danger relève de la compétence des départements au titre de la protection de l'enfance, il ne nous paraît pas justifié que ces derniers supportent une telle charge au titre de l'évaluation de jeunes dont la plupart se révèlent être majeurs, d'autant que leur arrivée en France résulte d'une carence de l'État dans la maîtrise des flux migratoires, qui est de sa compétence.

Enfin, l'évaluation faite par le service de l'ASE peut être remise en cause. Il peut en effet arriver qu'un département décide de réévaluer la situation d'un jeune qui lui a été confié par décision de justice à la suite de son évaluation dans un autre département. Ce type de situation, particulièrement regrettable, résulte d'un manque de confiance entre les départements et semble devoir être éliminé à mesure que les départements développent une réelle expertise en matière d'évaluation.

À l'inverse, il arrive souvent que des jeunes, généralement avec l'appui d'associations militantes, forment différents recours contre des décisions administratives ou juridictionnelles défavorables. La situation de ceux qu'on appelle les « mijeurs », qui n'ont accès ni aux dispositifs de l'ASE ni aux structures pour majeurs, est alors particulièrement précaire : elle l'est d' autant plus à un âge où le délai de quelques mois peut entraîner l'accès à la majorité. À cet égard, il est souhaitable qu'un certain nombre de règles juridiques, notamment relatives à la détermination de l'état civil, soient clarifiées.

L'ensemble de ces constats nous amène à préconiser une évolution de l'organisation de l'évaluation des personnes se présentant comme MNA afin de mutualiser les moyens mis en oeuvre par les départements et de renforcer la participation des services de l'État.

Cette mutualisation que nous appelons de nos voeux pourrait se faire, à droit constant, par le biais de conventions conclues par plusieurs départements, en partenariat avec les préfets de département et de région.

Une solution plus ambitieuse, qui nécessiterait une évolution du droit, consisterait en la mise en place de plateformes d'évaluation, par exemple sous la forme de groupements d'intérêt public, rassemblant l'ensemble des acteurs concernés. Toute personne se présentant comme MNA serait alors orientée vers une telle structure disposant des moyens humains et financiers et de l'expertise technique nécessaires pour procéder à une évaluation appropriée. À l'issue de cette évaluation, le juge serait, le cas échéant, saisi pour prendre une décision de placement.

Une telle solution ne remet pas en cause la compétence des départements pour la prise en charge des MNA, mais allégerait substantiellement la charge qu'ils supportent tout en créant les conditions d'une réelle amélioration qualitative de cette évaluation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion