Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis à la fois très honorée d'être présente devant vous aujourd'hui et un peu émue, car, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, la dernière fois que j'ai été reçue dans cette salle, ce fut à l'occasion de mon audition préalable à ma nomination au Conseil constitutionnel. C'est avec beaucoup d'humilité, d'intérêt et d'attention que je me présente aujourd'hui devant vous, en tant que représentante du Gouvernement.
Monsieur le président, vous avez rappelé l'ensemble des travaux qui ont été accomplis par le Parlement préalablement aux deux projets de loi qui vous sont aujourd'hui présentés.
Je rappelle que le Président de la République avait annoncé durant sa campagne électorale que le premier texte de son quinquennat porterait sur la moralisation de la vie publique. Conformément à cet engagement, mon prédécesseur, François Bayrou, a préparé un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire, lesquels ont été présentés en conseil des ministres le 14 juin dernier et déposés le même jour sur le bureau du Sénat, en raison, en effet, de sa qualité de « chambre de réflexion ».
J'ai l'honneur aujourd'hui de porter, au nom du Gouvernement, cette réforme ambitieuse destinée à rétablir la confiance dans l'action publique. La transparence, la probité des élus, leur comportement exemplaire constituent des exigences sociales, politiques et éthiques fondamentales. Il s'agit de renforcer la confiance des citoyens dans leurs gouvernants et dans tous ceux qui concourent à l'exercice de la fonction publique. Ces exigences s'expriment dès 1789 dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, plus précisément dans son article 15, qui prévoit que : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
Beaucoup a été fait ces dernières années sur ces sujets. Plusieurs lois ont été votées. Ces textes ont imposé des règles d'éthique et de transparence financière aux responsables publics, à travers de nouveaux mécanismes de contrôle et de publicité. Le Parlement avait d'ailleurs déjà pris des actes dans ce domaine. Dès 2009, le Sénat s'est doté d'un comité de déontologie parlementaire sur l'initiative du président Larcher. Cependant, en dépit de la rigueur de la très grande majorité des élus, la confiance des citoyens dans leurs représentants a parfois été mise à mal ces dernières années. Je ne citerai ici aucun exemple. De nombreux progrès restent donc à accomplir pour restaurer la confiance entre les citoyens et leurs représentants.
La réforme présentée par le Gouvernement vise à apporter une réponse globale et à proscrire définitivement certaines pratiques, mais aussi à renforcer l'exigence de transparence et de pluralisme de la vie politique figurant dans notre Constitution.
Notre vie politique l'a montré, nous avons besoin depuis des années d'un « choc de confiance » et d'une exigence éthique. Tout en édictant de nouvelles règles en matière de probité et d'exemplarité pour les élus et les responsables politiques, qui répondent à un objectif d'intérêt général, reconnu et qualifié comme tel par le Conseil constitutionnel, notamment dans des décisions de 2013, cette réforme se veut également respectueuse de la séparation des pouvoirs et des grands équilibres institutionnels, notamment de l'autonomie des assemblées.
Je me limiterai aujourd'hui à présenter de manière très générale les trois thématiques de ces projets de loi : l'exercice du mandat parlementaire, le renforcement des règles de probité des acteurs politiques et le financement de la vie politique.
L'exercice du mandat parlementaire implique une exigence renforcée de probité de la part des élus. Parce qu'ils représentent le peuple, parce qu'ils incarnent la souveraineté nationale, les parlementaires ne peuvent avoir des comportements inacceptables ni faire le jeu de différents lobbies. Chacun de vous en est convaincu.
Les mesures qui leur sont applicables sont donc au coeur de ces deux projets de loi. Elles ont été conçues dans le respect de la séparation des pouvoirs et du principe de l'autonomie des assemblées qui en découle. Un renvoi aux règlements des assemblées pour la mise en oeuvre de ces dispositions est ainsi prévu chaque fois que cela est nécessaire, dans la limite du champ de compétences défini par le Conseil constitutionnel, à savoir l'organisation et le fonctionnement des assemblées, la procédure législative et le contrôle de l'action du Gouvernement. En outre, chaque fois que cela était justifié, les mesures applicables aux parlementaires nationaux ont été étendues aux représentants nationaux au Parlement européen.
De nouveaux cas d'inéligibilité et d'incompatibilité sont prévus. Les parlementaires qui n'auraient pas rempli leurs obligations fiscales ne pourront plus rester en fonction. Saisi par le bureau de l'assemblée, le Conseil constitutionnel pourra prononcer la démission d'office du parlementaire.
Les incompatibilités relatives à l'activité de conseil sont renforcées et étendues. À l'heure actuelle, seule existe l'impossibilité pour un parlementaire de commencer pendant son mandat une activité de conseil. Cette interdiction ne s'applique d'ailleurs pas aux professions libérales réglementées comme celle d'avocat. Dans les textes qui vous sont soumis, et parce que cette disposition existante est apparue insuffisante en raison des risques de conflits d'intérêts, ce dispositif est complété selon trois axes.
Premier axe, un parlementaire ne pourra commencer à exercer ses activités pendant son mandat et il devra cesser celles qu'il a entamées dans les douze mois précédant le début de son mandat. La dérogation applicable aux professions réglementées est désormais supprimée.
Deuxième axe, les fonctions de direction exercées dans une société de conseil sont prises en compte.
Troisième axe, le contrôle par un parlementaire d'une société de conseil est également visé. Un parlementaire qui détient une société de conseil ou une participation peut en effet être influencé par les intérêts de ses clients. À cet égard, le code électoral ne prévoit rien. Le projet de loi définit des cas d'incompatibilité lorsqu'un parlementaire détient le contrôle d'une société de conseil, lorsqu'il acquiert ce contrôle au cours de son mandat ou peu avant son élection.
Le dispositif proposé par le Gouvernement en matière d'encadrement des activités de conseil assure, me semble-t-il, une conciliation entre les objectifs d'intérêt général qui sont poursuivis, tels que l'indépendance des élus, la prévention des risques de conflits d'intérêts et d'autres droits et libertés constitutionnellement garantis, en particulier la liberté d'entreprendre, laquelle est reconnue aux parlementaires comme à tout citoyen. Les dispositions prévues devraient permettre d'éviter les écueils constitutionnels qui avaient été relevés par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2013 en raison d'une disposition qui lui était alors apparue trop générale.
Ces nouvelles règles sont complétées par des dispositions renforçant la prévention des conflits d'intérêts. Le Gouvernement a choisi de retenir une définition de la notion de conflit d'intérêts moins « englobante » que celle qui figure dans les lois de 2013 et de 2016. Ce choix est justifié par le souci de ne pas mettre les parlementaires exerçant d'autres responsabilités, notamment électives, qui les conduisent à prendre en compte un autre intérêt public, notamment un intérêt local, dans l'impossibilité de participer aux travaux du Parlement. Il reviendra à chaque assemblée de préciser dans son règlement les règles internes de prévention et de traitement de ces situations de conflit d'intérêts.
Dans un souci de transparence, l'indemnité représentative de frais de mandat sera remplacée par un remboursement au réel, sur présentation de justificatifs, des frais engagés par les parlementaires dans l'exercice de leur mandat. Le Conseil constitutionnel a considéré dans une décision de 2015 que l'IRFM n'est pas une composante de l'indemnité parlementaire, dont le montant est fixé par la loi organique en vertu de l'article 25 de la Constitution. Dès lors, il appartiendra à chaque assemblée de définir dans son règlement les modalités de remboursement et de fixer un plafond.
Enfin, le projet de loi organique prévoit la suppression de la pratique de la réserve parlementaire. Le Gouvernement s'est rangé sur ce point à l'avis du Conseil d'État, qui a souligné la difficulté d'interdire dans la loi organique relative aux lois de finances une pratique qui est originellement contraire à l'article 40 de la Constitution.
J'en viens maintenant au renforcement des règles de probité des acteurs politiques.
La probité des représentants et l'exemplarité de leur comportement constituent à l'évidence des exigences démocratiques fondamentales. De ce point de vue, les obligations de transparence à l'égard du Président de la République sont renforcées. Chaque citoyen pourra juger de l'évolution de son patrimoine entre le début et la fin de son mandat, au regard d'un avis qui sera publié par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) dans des délais sur lesquels nous aurons peut-être l'occasion de revenir durant le débat.
Le projet de loi étend également, sauf décision spécialement motivée, l'obligation pour les juridictions répressives de prononcer la peine complémentaire d'inéligibilité pour tout crime, ainsi que pour toute une série d'infractions à la probité. Sont ainsi mentionnés : la concussion, la corruption, le trafic d'influence, la prise illégale d'intérêts, le favoritisme, le détournement de fonds publics, le recel et le blanchiment du produit de ces deux délits, le faux en écriture publique, la fraude électorale, la fraude fiscale, une déclaration mensongère à la HATVP. La liste des infractions concernées par cette peine tout comme le mécanisme retenu pour son prononcé permettent de s'assurer du principe de nécessité des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789. Le principe d'individualisation des peines qui en découle est également respecté, la peine ne pouvant être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.
Ces dispositions sont de nature à renforcer l'exigence de probité des candidats aux élections en écartant des fonctions électives les personnes qui, par les infractions qu'elles ont commises, ont démontré ne plus remplir les conditions essentielles à l'exercice d'un mandat électif.
Enfin, il sera désormais interdit aux membres du Gouvernement, aux parlementaires et aux titulaires de fonctions exécutives locales d'employer les membres de leur famille proche en tant que collaborateurs. Cette interdiction a déjà été prévue s'agissant des collaborateurs du Président de la République et des membres du Gouvernement par un décret du 14 juin 2017, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la séparation des pouvoirs.
Telles sont les dispositions renforçant les règles relatives à la probité des acteurs politiques. Cela étant dit, je suis absolument consciente que la quasi-totalité des acteurs de la vie publique sont d'une probité exemplaire.
Les textes conduisent également à une réforme importante des règles de financement de la vie politique. Les partis politiques dépendent très largement du financement public. Cependant, les règles qui s'appliquent à eux n'offrent pas toutes les garanties contre les abus ou les dérives. Par ailleurs, ces règles ne sont pas nécessairement favorables au renouvellement de la vie politique et au pluralisme. Il est donc proposé de renforcer le contrôle des comptes des partis politiques et des campagnes électorales, dans le respect des dispositions de l'article 4 de la Constitution, qui prévoit que les partis et groupements politiques se forment et exercent leur activité librement.
Le mandataire financier du parti recueillera l'ensemble des ressources reçues par ce dernier, et non plus seulement les dons, comme c'est le cas actuellement. Les partis politiques devront donc tenir une comptabilité selon un règlement établi par l'Autorité des normes comptables. Cette comptabilité devra inclure les comptes de toutes les organisations territoriales du parti ou groupement afin de permettre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de disposer d'un périmètre de contrôle consolidé.
Le financement des partis et des campagnes électorales sera mieux encadré. Afin d'éviter les dons déguisés, les prêts des personnes morales, y compris de droit étranger, à l'exception des partis et des établissements de crédit européen, seront interdits. En contrepartie, l'accès au financement par les candidats et les partis politiques sera amélioré grâce à la création d'un médiateur du crédit.
Enfin, le Gouvernement souhaite la création d'une structure pérenne de financement, la Banque de la démocratie, afin de pallier les carences du financement bancaire privé. Le Gouvernement demandera donc au Parlement l'autorisation de légiférer par ordonnance sur ce point. Cette banque pourra se constituer sous la forme juridique d'un établissement doté de la personnalité morale, être adossée à un établissement de crédit existant ou prendre la forme d'un mécanisme de financement spécifique, par exemple un fonds de garantie. Une mission va d'ailleurs être confiée à l'inspection générale de l'administration et à l'inspection générale des finances pour étudier les conditions de mise en place de cette structure.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'ensemble des dispositions que le Gouvernement soumet à votre examen. Nous estimons qu'elles servent la démocratie en lui apportant un surcroît de transparence et de justice. Elles sont à la fois ambitieuses et équilibrées : ambitieuses, parce qu'elles s'attaquent aux vrais problèmes ; équilibrées, parce qu'il s'agit non seulement de poser des interdits, mais aussi de consolider dans notre pays le pluralisme politique, la transparence de la vie démocratique et la confiance des citoyens.
Ces mesures seront complétées par un projet de loi constitutionnelle, qui pourrait être présenté à l'automne, mais dont les grandes lignes ont déjà été arrêtées par le Président de la République et le Premier ministre afin d'assurer la confiance nécessaire à l'exercice de notre vie publique.
Ces grandes lignes seraient les suivantes : limitation à trois du nombre de mandats consécutifs que pourront exercer les parlementaires et les membres des exécutifs locaux, sauf pour les petites communes ; interdiction du cumul entre fonctions gouvernementales et fonctions exécutives locales ; suppression de la Cour de justice de la République, là encore pour rétablir la confiance dans l'action publique ; fin de la présence de membres à vie au sein du Conseil constitutionnel.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais en conclusion souligner tout à la fois l'ambition et la fermeté des intentions du Gouvernement quant aux principes que je viens d'exposer devant vous, rappeler sa vigilance sur le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et vous assurer, enfin, de l'écoute très attentive que je prêterai à toutes les observations et réactions dont vous me ferez part tant sur ces textes que sur les propos que je viens de tenir devant vous.