Intervention de Michel Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 juin 2017 à 9h40
Projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Michel MercierMichel Mercier, rapporteur :

On s'accoutume à tout, mais vous serez d'accord qu'il ne faut pas s'habituer. C'est pourquoi le Gouvernement nous assure que ce sera « la der des der » puisqu'il présente concomitamment un texte visant à inscrire certaines mesures dans le droit commun, en les assortissant de garanties supplémentaires.

Cette sixième prorogation de l'état d'urgence est l'occasion de dresser le bilan de sa cinquième phase, qui a débuté le 22 décembre 2016. Cette phase mérite analyse, puisque tous les pouvoirs pouvant être confiés à l'autorité administrative dans le cadre de l'état d'urgence ont été utilisés, depuis l'assignation à résidence jusqu'à la perquisition administrative, pour un total, toutes mesures confondues, de 2 500 actes, pris entre le 22 décembre 2016 et le 28 juin 2017. Si le Conseil d'État, dans son avis, a jugé pertinente l'aire d'application retenue, qui englobe l'ensemble du territoire national, y compris l'outre-mer, je relève néanmoins que 32 départements n'ont pas utilisé ces pouvoirs.

J'en viens à quelques précisions sur les deux mesures les plus marquantes que sont la perquisition administrative et l'assignation à résidence.

La perquisition est l'un des principaux pouvoirs de police reconnus à l'autorité administrative dans le cadre de l'état d'urgence. Dans le droit commun, elle ne peut être pratiquée que sur décision d'une autorité judiciaire. Sous état d'urgence, elle peut être ordonnée par le préfet en tout lieu, y compris au domicile, lorsqu'il existe « des raisons de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ».

Le cadre juridique des perquisitions administratives a été revu tout au long de l'application de l'état d'urgence, jusqu'à l'article 38 de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, qui, encadrant les conditions dans lesquelles elles peuvent être effectuée de nuit, afin de transposer la jurisprudence du Conseil constitutionnel, précise que de telles perquisitions ne peuvent être ordonnées entre 21 heures et 6 heures que « sur motivation spéciale de la décision de perquisition, fondée sur l'urgence ou les nécessités de l'opération ». Ainsi, sur les 83 perquisitions administratives postérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 28 février 2017, seules 4 ont été effectuées de nuit.

Si 612 perquisitions administratives ont été ordonnées entre le 22 juillet et le 21 décembre 2016, ce nombre est redescendu à 161 au cours de la cinquième phase, dont 33 dans le département des Alpes-Maritimes, 15 dans le Val-d'Oise, 9 dans le Nord, 8 dans l'Essonne et 6 dans les départements de Seine-et-Marne et des Hauts-de-Seine. Je souligne, et je veux y insister, que très peu de perquisitions ont été conduites à Paris, pour une raison fort simple : le préfet de police de Paris et le procureur de la République se réunissent régulièrement et travaillent fort bien ensemble. Preuve que l'on peut rester dans le droit commun et être efficace - ceci dit sans anticiper une discussion à venir...

Les services du ministère de l'intérieur m'ont indiqué que, parmi les perquisitions réalisées au cours de cette cinquième phase, 84 ont donné lieu à des consultations de données informatiques, 14 à des copies de données informatiques, dont 6 ont donné lieu à un accord d'exploitation par le juge des référés - le ministère ne disposant pas d'information pour les autres cas - et 27 à des saisies de matériel informatique, dont 19 ont donné lieu à une saisine du juge des référés et 4 ont fait l'objet de suites judiciaires, la saisie ayant alors été traitée dans ce cadre - le ministère ne pouvant fournir d'information pour les quatre autres cas.

Les perquisitions administratives ont donné lieu à un abondant contentieux de fond - je rappelle que la procédure du référé est en l'espèce sans objet. Entre le 14 novembre 2015 et le 31 décembre 2016, 4 367 perquisitions ont été ordonnées. Sur ce total, 115 requêtes en annulation ont été déposées devant les juridictions administratives. À ce jour, 78 décisions ont été rendues et ont conduit à l'annulation de 31 perquisitions. À quoi sert l'annulation en pareil cas, me demanderez-vous ? Le défaut de base légale, notamment, autorise un recours en responsabilité pour indemnisation. De manière générale, 241 demandes d'indemnisation, représentant un montant global de plus d'un million d'euros, ont été formulées auprès des préfectures ; 51 de ces demandes ont été acceptées, pour un montant de 46 241 euros, 144 refus ont été signifiés et 46 demandes sont en cours d'instruction.

J'en arrive à l'assignation à résidence, qui s'inscrit dans un nouveau cadre bâti, au long de ces nombreux mois, par l'action conjuguée du Parlement, du juge constitutionnel et du juge administratif, et dont on verra, lorsqu'on en dressera le bilan, qu'il introduit beaucoup plus de contrôle que ce que prévoyait la loi de 1955.

De fait, en application de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Il a en outre la possibilité : d'assortir l'assignation à résidence de mesures complémentaires, en particulier de faire conduire la personne sur le lieu de l'assignation à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie ; d'astreindre la personne à demeurer dans le lieu d'habitation qu'il a déterminé, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures ; d'obliger la personne à se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine, dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; d'ordonner la remise à ces services du passeport ou de tout document justificatif de l'identité, en échange de quoi il est délivré un certificat tenant lieu de pièce d'identité ; d'interdire à la personne assignée à résidence de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; de placer, sous certaines conditions, la personne sous surveillance électronique mobile.

Or, ce cadre juridique a été profondément modifié à l'occasion de la loi de prorogation du 19 décembre 2016 et de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.

Se posait, en particulier, la question de la limitation dans le temps de l'assignation à résidence. La loi de prorogation du 19 décembre 2016 prévoit, au terme d'un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, que sa durée totale ne peut excéder douze mois au cours d'un même état d'urgence. Son article 2 ouvrait toutefois la faculté de dépasser cette limite, pour une durée maximale de trois mois, sur demande du ministre de l'intérieur et sur décision du juge des référés du Conseil d'État. Mais le Conseil constitutionnel, dans une décision sur une question prioritaire de constitutionnalité du 16 mars 2017 a déclaré ces dispositions partiellement contraires à la Constitution. Il résulte de cette censure qu'il appartient au ministre de l'intérieur de décider d'une prorogation au-delà de douze mois, pour une durée maximale de trois mois, au regard des conditions définies par le Conseil constitutionnel dans sa décision, c'est-à-dire « sous réserve, d'une part, que le comportement de la personne en cause constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, d'autre part, que l'autorité administrative produise des éléments nouveaux ou complémentaires, et enfin que soient prises en compte dans l'examen de la situation de l'intéressé la durée totale de son placement sous assignation à résidence, les conditions de celle-ci et les obligations complémentaires dont cette mesure a été assortie ». Ce qui compte, autrement dit, c'est la notion d'élément nouveau. Or, si élément nouveau il y a, l'autorité administrative ne peut le produire, au risque de brouiller les investigations ou les suivis en cours. On constate d'ailleurs que le juge des référés du Conseil d'État a annulé toutes les décisions de prolongation du ministre de l'intérieur. Restent aujourd'hui 63 personnes assignées à résidence, dont 11 depuis plus d'un an.

Parmi les autres mesures autorisées par l'état d'urgence, mentionnons la faculté reconnue au préfet, par la loi du 21 juillet 2016, d'ordonner des contrôles d'identité. L'utilisation de cette mesure reste géographiquement localisée : 2 070 mesures ont été prises dans 24 départements, mais huit sont à l'origine de 90 % d'entre elles : la Saône-et-Loire, pour 499, suivi par le Nord, pour 476 ; viennent ensuite la Seine-et-Marne et le Calvados, puis Paris, avec 78 mesures seulement, pour les raisons que j'ai dites.

Mentionnons également la possibilité de procéder, sous conditions, à la fermeture des lieux de culte, sur le fondement de laquelle quatre nouvelles décisions ont été prises et neuf décisions de fermeture ont été renouvelées.

Pour aller à l'essentiel, je dirai que la menace terroriste persiste, à haut niveau. Si certains attentats ont été déjoués, d'autres ont bel et bien été perpétrés, y compris autour de nous, en Grande-Bretagne, en Allemagne. Bref, la menace est élevée, ainsi que le souligne le Gouvernement.

Les pouvoirs dévolus à l'autorité administrative par l'état d'urgence sont-ils efficaces ? La réponse est oui, et notamment pour ce qui concerne les perquisitions administratives et les assignations à résidence. L'étude des données informatiques recueillies a permis aux autorités de police de déjouer des attentats et de poursuivre des individus qui s'apprêtaient très certainement à participer à des opérations terroristes.

Comme le souligne le Conseil d'État dans son avis rendu en assemblée générale le 15 juin 2017, « eu égard à la situation dans les territoires de la zone irako-syrienne et à la présence en France d'individus adhérant aux objectifs de l'organisation terroriste qui contrôle une vaste partie de ces territoires », la menace terroriste constitue bien, conformément aux termes de la loi de 1955, « un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ». Il a donné par conséquent un avis favorable à la prorogation de l'état d'urgence.

Je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption de ce texte. Nos concitoyens attendent des mesures de sécurité : personne ne comprendrait que l'on interrompe l'état d'urgence aujourd'hui. Quant au texte renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme que nous serons bientôt appelés à examiner, et qui se veut, au-delà de cette prorogation, une réponse, peut-être en est-il une. Mais il soulève quelques interrogations. Le péril lié à « l'évolution de la situation dans les territoires de la zone irako-syrienne et à la présence en France d'individus adhérant aux objectifs de l'organisation terroriste qui contrôle une vaste partie de ces territoire », évoqué par le Conseil d'État ne sera pas conjuré en novembre prochain. Un texte de droit commun permettra-t-il de répondre aux exigences de ce double péril ? Quand on est dans l'état d'urgence, on y est, quand on n'y est plus, on n'y est plus... N'est-ce pas ce qu'il faut lire dans cet avis ? Nous aurons l'occasion d'en reparler.

En attendant, je vous proposerai d'adopter ce texte de prorogation, avec quelques amendements, visant à préciser la date de début de la prorogation - c'est important -, à prendre en compte la décision récente du Conseil constitutionnel sur les interdictions de séjour prises sur le fondement du 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955, comme le fait également un amendement du Gouvernement, plus englobant, au profit duquel je suis tenté de retirer le mien, et à mettre à jour certaines dispositions relatives à l'outre-mer.

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