J'ai le plaisir d'accueillir en votre nom à tous M. Gilbert-Luc Devinaz, qui remplace M. Gérard Collomb. Nous accueillerons également bientôt Mme Josiane Costes, en remplacement de M. Jacques Mézard, ainsi que M. Alain Poyart, qui succède à notre regretté collègue Patrick Masclet.
Michel Mercier est nommé rapporteur du projet de loi n° 587 (2016-2017) renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (procédure accélérée).
La commission examine le rapport de M. Michel Mercier et le texte qu'elle propose pour le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence (procédure accélérée).
Voilà la sixième fois que je rapporte un texte de prorogation de l'état d'urgence, qui a été mis en oeuvre par trois décrets pris en conseil des ministres le 14 novembre 2015, à la suite des attentats commis le 13 novembre. Avec cette nouvelle prorogation, cela porterait la durée de l'état d'urgence à deux ans, soit la période la plus longue que nous ayons connue sous la Vème République. D'où une certaine accoutumance...
On s'accoutume à tout, mais vous serez d'accord qu'il ne faut pas s'habituer. C'est pourquoi le Gouvernement nous assure que ce sera « la der des der » puisqu'il présente concomitamment un texte visant à inscrire certaines mesures dans le droit commun, en les assortissant de garanties supplémentaires.
Cette sixième prorogation de l'état d'urgence est l'occasion de dresser le bilan de sa cinquième phase, qui a débuté le 22 décembre 2016. Cette phase mérite analyse, puisque tous les pouvoirs pouvant être confiés à l'autorité administrative dans le cadre de l'état d'urgence ont été utilisés, depuis l'assignation à résidence jusqu'à la perquisition administrative, pour un total, toutes mesures confondues, de 2 500 actes, pris entre le 22 décembre 2016 et le 28 juin 2017. Si le Conseil d'État, dans son avis, a jugé pertinente l'aire d'application retenue, qui englobe l'ensemble du territoire national, y compris l'outre-mer, je relève néanmoins que 32 départements n'ont pas utilisé ces pouvoirs.
J'en viens à quelques précisions sur les deux mesures les plus marquantes que sont la perquisition administrative et l'assignation à résidence.
La perquisition est l'un des principaux pouvoirs de police reconnus à l'autorité administrative dans le cadre de l'état d'urgence. Dans le droit commun, elle ne peut être pratiquée que sur décision d'une autorité judiciaire. Sous état d'urgence, elle peut être ordonnée par le préfet en tout lieu, y compris au domicile, lorsqu'il existe « des raisons de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ».
Le cadre juridique des perquisitions administratives a été revu tout au long de l'application de l'état d'urgence, jusqu'à l'article 38 de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, qui, encadrant les conditions dans lesquelles elles peuvent être effectuée de nuit, afin de transposer la jurisprudence du Conseil constitutionnel, précise que de telles perquisitions ne peuvent être ordonnées entre 21 heures et 6 heures que « sur motivation spéciale de la décision de perquisition, fondée sur l'urgence ou les nécessités de l'opération ». Ainsi, sur les 83 perquisitions administratives postérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 28 février 2017, seules 4 ont été effectuées de nuit.
Si 612 perquisitions administratives ont été ordonnées entre le 22 juillet et le 21 décembre 2016, ce nombre est redescendu à 161 au cours de la cinquième phase, dont 33 dans le département des Alpes-Maritimes, 15 dans le Val-d'Oise, 9 dans le Nord, 8 dans l'Essonne et 6 dans les départements de Seine-et-Marne et des Hauts-de-Seine. Je souligne, et je veux y insister, que très peu de perquisitions ont été conduites à Paris, pour une raison fort simple : le préfet de police de Paris et le procureur de la République se réunissent régulièrement et travaillent fort bien ensemble. Preuve que l'on peut rester dans le droit commun et être efficace - ceci dit sans anticiper une discussion à venir...
Les services du ministère de l'intérieur m'ont indiqué que, parmi les perquisitions réalisées au cours de cette cinquième phase, 84 ont donné lieu à des consultations de données informatiques, 14 à des copies de données informatiques, dont 6 ont donné lieu à un accord d'exploitation par le juge des référés - le ministère ne disposant pas d'information pour les autres cas - et 27 à des saisies de matériel informatique, dont 19 ont donné lieu à une saisine du juge des référés et 4 ont fait l'objet de suites judiciaires, la saisie ayant alors été traitée dans ce cadre - le ministère ne pouvant fournir d'information pour les quatre autres cas.
Les perquisitions administratives ont donné lieu à un abondant contentieux de fond - je rappelle que la procédure du référé est en l'espèce sans objet. Entre le 14 novembre 2015 et le 31 décembre 2016, 4 367 perquisitions ont été ordonnées. Sur ce total, 115 requêtes en annulation ont été déposées devant les juridictions administratives. À ce jour, 78 décisions ont été rendues et ont conduit à l'annulation de 31 perquisitions. À quoi sert l'annulation en pareil cas, me demanderez-vous ? Le défaut de base légale, notamment, autorise un recours en responsabilité pour indemnisation. De manière générale, 241 demandes d'indemnisation, représentant un montant global de plus d'un million d'euros, ont été formulées auprès des préfectures ; 51 de ces demandes ont été acceptées, pour un montant de 46 241 euros, 144 refus ont été signifiés et 46 demandes sont en cours d'instruction.
J'en arrive à l'assignation à résidence, qui s'inscrit dans un nouveau cadre bâti, au long de ces nombreux mois, par l'action conjuguée du Parlement, du juge constitutionnel et du juge administratif, et dont on verra, lorsqu'on en dressera le bilan, qu'il introduit beaucoup plus de contrôle que ce que prévoyait la loi de 1955.
De fait, en application de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Il a en outre la possibilité : d'assortir l'assignation à résidence de mesures complémentaires, en particulier de faire conduire la personne sur le lieu de l'assignation à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie ; d'astreindre la personne à demeurer dans le lieu d'habitation qu'il a déterminé, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures ; d'obliger la personne à se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine, dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; d'ordonner la remise à ces services du passeport ou de tout document justificatif de l'identité, en échange de quoi il est délivré un certificat tenant lieu de pièce d'identité ; d'interdire à la personne assignée à résidence de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; de placer, sous certaines conditions, la personne sous surveillance électronique mobile.
Or, ce cadre juridique a été profondément modifié à l'occasion de la loi de prorogation du 19 décembre 2016 et de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.
Se posait, en particulier, la question de la limitation dans le temps de l'assignation à résidence. La loi de prorogation du 19 décembre 2016 prévoit, au terme d'un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, que sa durée totale ne peut excéder douze mois au cours d'un même état d'urgence. Son article 2 ouvrait toutefois la faculté de dépasser cette limite, pour une durée maximale de trois mois, sur demande du ministre de l'intérieur et sur décision du juge des référés du Conseil d'État. Mais le Conseil constitutionnel, dans une décision sur une question prioritaire de constitutionnalité du 16 mars 2017 a déclaré ces dispositions partiellement contraires à la Constitution. Il résulte de cette censure qu'il appartient au ministre de l'intérieur de décider d'une prorogation au-delà de douze mois, pour une durée maximale de trois mois, au regard des conditions définies par le Conseil constitutionnel dans sa décision, c'est-à-dire « sous réserve, d'une part, que le comportement de la personne en cause constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, d'autre part, que l'autorité administrative produise des éléments nouveaux ou complémentaires, et enfin que soient prises en compte dans l'examen de la situation de l'intéressé la durée totale de son placement sous assignation à résidence, les conditions de celle-ci et les obligations complémentaires dont cette mesure a été assortie ». Ce qui compte, autrement dit, c'est la notion d'élément nouveau. Or, si élément nouveau il y a, l'autorité administrative ne peut le produire, au risque de brouiller les investigations ou les suivis en cours. On constate d'ailleurs que le juge des référés du Conseil d'État a annulé toutes les décisions de prolongation du ministre de l'intérieur. Restent aujourd'hui 63 personnes assignées à résidence, dont 11 depuis plus d'un an.
Parmi les autres mesures autorisées par l'état d'urgence, mentionnons la faculté reconnue au préfet, par la loi du 21 juillet 2016, d'ordonner des contrôles d'identité. L'utilisation de cette mesure reste géographiquement localisée : 2 070 mesures ont été prises dans 24 départements, mais huit sont à l'origine de 90 % d'entre elles : la Saône-et-Loire, pour 499, suivi par le Nord, pour 476 ; viennent ensuite la Seine-et-Marne et le Calvados, puis Paris, avec 78 mesures seulement, pour les raisons que j'ai dites.
Mentionnons également la possibilité de procéder, sous conditions, à la fermeture des lieux de culte, sur le fondement de laquelle quatre nouvelles décisions ont été prises et neuf décisions de fermeture ont été renouvelées.
Pour aller à l'essentiel, je dirai que la menace terroriste persiste, à haut niveau. Si certains attentats ont été déjoués, d'autres ont bel et bien été perpétrés, y compris autour de nous, en Grande-Bretagne, en Allemagne. Bref, la menace est élevée, ainsi que le souligne le Gouvernement.
Les pouvoirs dévolus à l'autorité administrative par l'état d'urgence sont-ils efficaces ? La réponse est oui, et notamment pour ce qui concerne les perquisitions administratives et les assignations à résidence. L'étude des données informatiques recueillies a permis aux autorités de police de déjouer des attentats et de poursuivre des individus qui s'apprêtaient très certainement à participer à des opérations terroristes.
Comme le souligne le Conseil d'État dans son avis rendu en assemblée générale le 15 juin 2017, « eu égard à la situation dans les territoires de la zone irako-syrienne et à la présence en France d'individus adhérant aux objectifs de l'organisation terroriste qui contrôle une vaste partie de ces territoires », la menace terroriste constitue bien, conformément aux termes de la loi de 1955, « un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ». Il a donné par conséquent un avis favorable à la prorogation de l'état d'urgence.
Je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption de ce texte. Nos concitoyens attendent des mesures de sécurité : personne ne comprendrait que l'on interrompe l'état d'urgence aujourd'hui. Quant au texte renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme que nous serons bientôt appelés à examiner, et qui se veut, au-delà de cette prorogation, une réponse, peut-être en est-il une. Mais il soulève quelques interrogations. Le péril lié à « l'évolution de la situation dans les territoires de la zone irako-syrienne et à la présence en France d'individus adhérant aux objectifs de l'organisation terroriste qui contrôle une vaste partie de ces territoire », évoqué par le Conseil d'État ne sera pas conjuré en novembre prochain. Un texte de droit commun permettra-t-il de répondre aux exigences de ce double péril ? Quand on est dans l'état d'urgence, on y est, quand on n'y est plus, on n'y est plus... N'est-ce pas ce qu'il faut lire dans cet avis ? Nous aurons l'occasion d'en reparler.
En attendant, je vous proposerai d'adopter ce texte de prorogation, avec quelques amendements, visant à préciser la date de début de la prorogation - c'est important -, à prendre en compte la décision récente du Conseil constitutionnel sur les interdictions de séjour prises sur le fondement du 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955, comme le fait également un amendement du Gouvernement, plus englobant, au profit duquel je suis tenté de retirer le mien, et à mettre à jour certaines dispositions relatives à l'outre-mer.
Je me souviens de nos délibérations du 13 juillet 2016. Nous avions alors estimé, sur le fondement de votre bilan, qu'il convenait de mettre fin à l'état d'urgence. C'était la veille de l'attentat de Nice. On a beaucoup reproché au Président de la République son discours du 14 juillet, qui adoptait la même position : l'honnêteté m'oblige à reconnaître que c'est une position que nous partagions.
Je ne regrette pas, pour autant, cette position d'alors. Nous sommes toujours, bien sûr, en situation de péril imminent, mais il ne suffit pas que la situation justifie l'état d'urgence pour que l'état d'urgence soit utile. Nous avions de fait observé l'an dernier que les mesures mises en oeuvre à partir de novembre 2015 avaient, au bout de quelques mois, perdu en efficacité ; une efficacité devenue presque nulle à mesure que le temps passait. Je pense notamment aux perquisitions : ceux qui se sentent potentiellement visés prennent leurs dispositions.
Je rappelle que l'état d'urgence peut être rétabli à tout moment, par décret. Une règle parfois méconnue de nos concitoyens qui en viennent à penser que lever l'état d'urgence, c'est lever la garde. Il faut prendre en compte cette perception. Mais nous sommes installés dans l'idée que l'on ne pourra en sortir qu'en inscrivant certaines mesures propres à l'état d'urgence dans le droit commun : le texte à venir s'inspire de cette philosophie dangereuse, pour ne pas dire erronée. Nous avons su prendre l'initiative de renforcer les mesures de lutte antiterroriste. C'est ainsi que nous avons introduit dans la loi du 3 juin 2016 la plupart des mesures contenues dans notre proposition de loi relative à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée qui nous tenaient à coeur, et nous les avons complétées encore dans la loi du 21 juillet 2016 sur l'état d'urgence. Nous nous sommes donc toujours montrés attentifs aux attentes des gouvernements successifs, en renforçant les moyens de la police et de la justice. Pour autant, l'idée que l'on ne pourrait sortir de l'état d'urgence qu'en renforçant encore cet arsenal de mesures me paraît dangereuse. Il y a des inconvénients à prendre des mesures restrictives des libertés applicables dans des temps ordinaires. L'avantage de l'état d'urgence, comme l'ont montré les abondantes jurisprudences du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel, est qu'il est assorti d'un contrôle juridictionnel très resserré, et que son application comporte un contrôle parlementaire régulier, comme en témoignent les mesures de suivi que nous avons prises, ce qui n'est pas le cas des mesures permanentes restrictives des libertés publiques.
Nous serons donc très attentifs au texte à venir. S'il faut des mesures efficaces, celles que prévoit l'état d'urgence le sont davantage. Sans oublier qu'il peut être rétabli à tout moment. Sans préjuger de ce que sera la position de la commission des lois, nous serons nombreux à estimer que s'il existe sans doute des marges de progression dans les moyens reconnus à la police et à la justice, on peut y remédier sans s'inscrire dans la philosophie qui a semblé à l'oeuvre dans la préparation du texte du ministre de l'intérieur.
Je dois dire que je m'étonne du mode de raisonnement qui préside trop souvent à nos travaux. Hier, la garde des sceaux, après nous avoir dit que les élus, dans leur grande majorité, étaient gens honnêtes, concluait qu'il faut les traiter comme des délinquants potentiels. Aujourd'hui, M. Mercier, après nous avoir cité l'exemple de Paris pour témoigner de l'efficacité d'un traitement ordinaire de la sécurité, nous dit qu'il faut prolonger l'état d'urgence. Demain, sous prétexte de sortir de l'état d'urgence, on va nous proposer d'enterrer éternellement les libertés.
Dire que les Français ne comprendraient pas que l'on ne reconduise pas l'état d'urgence relève, à mon sens, de la démagogie. Quand on juge que quelqu'un ne comprend pas, ne vaut-il pas mieux s'efforcer d'expliquer ? D'autant plus que nous sommes confrontés à des formes d'attentats très différentes, tant dans leurs modalités qu'au regard des raisons pour lesquelles ils sont perpétrés, de ceux qui demandaient un traitement essentiellement policier. Les acteurs sont connus, mais on peine à les suivre. Qui pourrait passer à l'acte ?
Quelle a été l'évolution des libertés depuis dix ou vingt ans ? J'aimerais que nous procédions à une évaluation, pour voir ce qu'il s'est passé, et réagir avant qu'il ne soit trop tard.
Merci de ce rapport et des chiffres que vous nous avez fournis : ils donnent une juste appréciation de l'effet d'une prorogation. Je me pose cependant une question : pourquoi proroger pour une durée de trois mois et demi ?
Vous avez souligné l'efficacité du travail mené en bonne intelligence par le procureur de la République et le préfet de police de Paris. Une telle pratique peut-elle être étendue ? Et si tel n'est pas le cas, faut-il considérer qu'il existe de fait deux régimes, l'un pour Paris, l'autre pour le reste du territoire ?
Je voterai la prorogation. Je m'inquiète, comme rapporteur pour avis des crédits budgétaires affectés à la mission « Sécurités », d'un phénomène sur lequel m'ont alerté des officiers supérieurs de gendarmerie : le nombre d'armes de guerre qui circulent en France. Or, seuls les douaniers sont autorisés à ouvrir des véhicules, sauf cas de perquisition judiciaire ou administrative, lesquelles exigent un cadre temporel précis et un lieu prédéterminé. Je souhaite que nous trouvions, dans les mois à venir, les voies et moyens juridiques de faciliter l'ouverture des coffres de véhicules par les gendarmes et les policiers.
Le 19 février 2016, nous étions appelés à proroger l'état d'urgence jusqu'à l'adoption de la loi du 3 juin 2016. On se souvient, ensuite, des déclarations du Président de la République, le 14 juillet 2016, jugeant que notre arsenal, désormais efficace, nous permettait de sortir de l'état d'urgence. Est venu l'attentat de Nice, et l'état d'urgence a été prorogé.
Dans un ouvrage intitulé Révolution, l'actuel président de la République écrivait, en novembre 2016, que l'on ne pouvait vivre en permanence dans un régime d'exception, qu'il fallait donc en revenir au droit commun, tel que renforcé par le législateur. « Nous avons tout l'appareil législatif permettant de répondre, dans la durée, à la situation qui est la nôtre », ajoutait-il. Mais aux mêmes causes, les mêmes effets : après les attentats commis en Grande-Bretagne et sur notre territoire par des individus isolés, voilà qu'il demande à son tour une prorogation, ajoutant qu'il va renforcer notre arsenal législatif. Si cela ne suffit pas, y reviendra-t-on, pour « rassurer les Français » ? Cela devient de mode, comme disait Pierre-Yves Collombat. Tel est l'esprit dans lequel s'ouvre cette période « révolutionnaire ».
Nous serions bien en peine de refuser la prorogation ; mais on ne pourra toujours proroger. Nous devons nous demander en quoi introduire certaines mesures dans le droit commun est utile. Comme le soulignait le rapporteur, l'intérêt des règles d'exception, c'est qu'elles sont assorties d'un contrôle permanent, ce qui ne sera pas le cas si on les introduit dans le droit commun.
Montrons-nous des parlementaires utiles. Ne nous laissons pas contraindre par l'état de l'opinion. Essayons plutôt d'oeuvrer pour qu'elle comprenne que nous sommes sous un péril permanent, d'autant plus important que le danger vient d'individus isolés qui peuvent en venir à commettre un attentat imprévisible, au point que bien des élus sont conduits à renforcer les précautions pour la moindre fête d'école. On l'a vu sur les Champs Élysées et à la gare de Bruxelles : là est bien la menace, qui doit nous conduire à travailler différemment. Le contrôle mis en place sous l'état d'urgence est plein d'intérêt, et il faudra se poser la question lorsque nous examinerons le texte à venir.
L'état d'urgence a montré ses limites et s'il faut probablement apporter quelques compléments au texte que nous avons pris l'an passé, par exemple sur la fermeture administrative de lieux de cultes ou encore sur la surveillance des communications hertziennes, ces mesures nouvelles qui pourront figurer dans le texte que le Gouvernement nous annonce, ne représentent certainement pas des changements de fond. Nous sommes déjà allés très loin, les textes existent, il faut les appliquer.
Ensuite, nous devons reprendre les politiques de prévention de la radicalisation et la prise en charge des personnes radicalisées, là où nous avons agi dans l'urgence : il faut des mesures plus fortes et plus cohérentes, ce travail reste largement devant nous.
La prorogation actuelle courant jusqu'au 15 juillet et le Gouvernement annonçant un texte censé rendre l'état d'urgence inutile, pourquoi nous demander de proroger jusqu'à novembre ? N'a-t-on pas le temps de prendre la loi avant le 15 juillet ?
L'état d'urgence a démontré qu'il était inutile, il n'a pas empêché les attaques à Magnanville, à Nice, à Saint-Etienne-du-Rouvray ni aux Champs-Elysées - et vous savez comme moi que nos voisins britanniques, allemands ou belges n'ont pas instauré l'état d'urgence et qu'ils n'en n'ont pas été plus attaqués que nous. Quand on regarde les choses dans leur détail, on voit bien que l'état d'urgence ne règle rien au problème posé et que nous devons plutôt, avec beaucoup d'humilité, rechercher des solutions sur le temps long. Et avant de prendre encore un nouveau texte, nous devrions au moins évaluer ceux que nous venons tout juste d'adopter !
Je ne répondrai pas aux prises de positions générales, politiques, qui sont tout à fait légitimes mais qui dépassent le propos d'un rapporteur - et je me contenterai de rappeler que l'état d'urgence n'a pas pour objectif de régler le problème dans son ensemble, mais de donner à l'autorité administrative des outils pour faire face à un péril imminent, ceci sous contrôle du juge et maintenant du Parlement. La loi ne peut tout faire, c'est un classique ; elle interdit le vol depuis longtemps, ce n'est pas pour autant que le vol a disparu ! L'enjeu, c'est d'assurer, par un travail permanent de tous ceux qui se réclament de la République, d'assurer que contre le terrorisme, nos valeurs continuent d'exister et de s'épanouir.
Pourquoi proroger jusqu'au mois de novembre prochain ? Mais parce qu'il faut un peu de temps pour adopter le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme : le temps du débat, bien sûr, mais aussi des contrôles, en particulier celui du Conseil constitutionnel. La démocratie, c'est le règne de la loi écrite - c'est Platon qui l'a écrit et c'est, je crois, la définition la plus ancienne qu'on puisse trouver de la démocratie. La procédure est soeur jumelle de la liberté, la République consiste aussi en un ensemble de règles.
La fouille des voitures est réservée aux agents des douanes dans des cas précis ou bien elle nécessite des réquisitions du procureur de la République ou la présence d'un officier de police judiciaire, dans un cadre lui aussi très précis : c'est notre État de droit et nous tenons à ce qu'il en soit ainsi, car la fouille des véhicules touche à la vie privée, ce n'est pas une mince affaire que l'on pourrait confier à un auxiliaire de police ou de gendarmerie. Il en va de nos libertés publiques, je les défendrai toujours.
Nous avons considérablement renforcé notre arsenal juridique depuis la fin 2015, peut-être devons-nous davantage le faire savoir, mieux l'expliquer. L'exemple cité de Paris, où l'excellente concertation entre le préfet de police et le procureur de la République a rendu moins intense le recours aux mesures permises par l'état d'urgence, ne saurait valoir pour l'ensemble du territoire national : certains départements comptent plusieurs procureurs, c'est l'héritage de l'histoire, la situation est alors plus complexe - mais l'exemple de Paris n'est pas unique.
EXAMEN DES ARTICLES
Article unique
Avec l'amendement COM-1, je précise que cette prorogation de l'état d'urgence débute le 16 juillet 2017.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-2 est adopté.
Articles additionnels après l'article unique
L'amendement COM-3 est retiré.
Comme dans l'amendement COM-3 que je viens de retirer pour me rallier au sien, le Gouvernement, avec l'amendement COM-5, tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 9 juin 2017 dans laquelle il a jugé inconstitutionnelles, car trop larges, les conditions de l'interdiction de séjour fixées par l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence. Ces précisions portées à ces dispositions maintiennent la possibilité d'interdictions de séjour, dans des conditions mieux définies et mieux garanties.
L'amendement COM-5 est adopté.
L'amendement COM-4 est adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Puis la commission examine le rapport de Mme Catherine Di Folco et le texte qu'elle propose pour le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières.
Ce projet de loi tend à ratifier l'ordonnance du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières. Elle a été prise sur le fondement de l'article 86 de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui a habilité le Gouvernement à intervenir dans le domaine législatif pour : adapter les règles régissant l'exercice de l'activité des magistrats et personnels de la Cour des comptes et des magistrats et rapporteurs des chambres régionales et territoriales des comptes, leur régime disciplinaire et leur avancement, afin d'améliorer la garantie de leur indépendance ; modifier les règles statutaires relatives aux magistrats de ces juridictions ; moderniser le code des juridictions financières, « afin d'en supprimer les dispositions devenues obsolètes, redondantes ou de les clarifier » ; limiter la durée de certaines fonctions juridictionnelles ou administratives exercées par les magistrats concernés. Cette dernière mesure n'a toutefois pas été reprise au sein de l'ordonnance.
Le projet de loi a été adopté sans modification par l'Assemblée nationale, en première lecture, le 16 février 2017.
L'ordonnance est entrée en vigueur le 1er mai 2017. Ses 53 articles modifient l'ensemble des livres du code des juridictions financières. Ils concernent la Cour des comptes, les chambres régionales et territoriales des comptes, mais également la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).
L'ordonnance introduit peu de modifications de fond, à l'exception des questions statutaires et de la modernisation de la Cour de discipline budgétaire et financière.
Sur les missions, l'organisation et les procédures des juridictions financières, l'ordonnance modifie en profondeur la présentation du code ; elle tient compte de l'évolution des missions des juridictions au fil du temps, avec notamment l'ajout des fonctions d'évaluation des politiques publiques et de certification des comptes de diverses structures.
Ainsi, l'ordonnance harmonise les procédures d'enquêtes demandées à la Cour des comptes par le Parlement (article 8). Toutes les commissions parlementaires compétentes peuvent faire une demande d'enquête, les commissions des affaires sociales bénéficiant désormais des mêmes prérogatives que les commissions des finances et les commissions d'enquête. De même, l'ordonnance simplifie certaines procédures obsolètes concernant, en particulier, le contrôle des entreprises publiques et de leurs filiales (article 9). Elle renforce les droits des personnes contrôlées à être entendues sur l'ensemble des observations formulées par la Cour des comptes, y compris les observations qui ne sont pas rendues publiques (article 13). Enfin, elle adapte les compétences des juridictions financières à l'évolution de leurs missions (article 11 et 14).
L'ordonnance modifie, ensuite, le statut des membres de la Cour des comptes (articles 3 à 6) et des chambres régionales et territoriales des comptes (articles 16 à 20). Ainsi, elle applique les « normes professionnelles » des juridictions financières à l'ensemble de leurs membres (articles 3 et 16) : les magistrats financiers mais également les conseillers maîtres et référendaires en service extraordinaire, les rapporteurs extérieurs et les conseillers experts
Elle modifie le régime disciplinaire des magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes (articles 6 et 19) en s'inspirant de celui prévu par les articles 26 et 27 de la loi « déontologie des fonctionnaires » du 20 avril 2016 pour les agents publics et les militaires.
Elle modifie également certaines des conditions d'avancement des magistrats de la Cour des comptes (article 4).
Elle assouplit le régime de détachement et de mise en disponibilité des magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes auprès des collectivités territoriales, établissements publics et organismes de leur ressort (article 18). Il est ainsi permis à certains magistrats financiers du siège d'être détachés ou mis à disposition auprès d'une collectivité territoriale, d'un établissement public ou d'un organisme de leur ressort, avec des garanties suffisantes pour prévenir tout risque de conflit d'intérêts.
Les articles 45 à 49 de l'ordonnance modifient certaines règles de procédure applicables devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Les possibilités de représentation et d'assistance du procureur général près la Cour sont rendues plus claires et la liste des autorités pouvant déférer une affaire au ministère public est ajustée. L'ordonnance fait évoluer les conditions d'instruction des affaires devant la CDBF en renforçant l'indépendance du rapporteur et en précisant les règles de prescription. Les droits des personnes mises en cause devant la Cour sont également renforcés : elles peuvent désormais avoir accès à leur dossier dès l'instruction et n'ont plus à attendre le renvoi de l'affaire. Les avis du ministre concerné par les faits et du ministre des finances ont été supprimés.
L'ordonnance renforce également les critères d'impartialité de la CDBF, conformément à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Un dispositif de récusation des magistrats est consacré au niveau législatif, lorsqu'il existe une raison sérieuse de mettre en doute leur impartialité.
La prépondérance de la voix du président de la formation de jugement en cas de partage des voix est supprimée.
Enfin, des modifications sont apportées au régime de publication des arrêts de la Cour : désormais, ceux-ci peuvent être publiés même lorsqu'ils n'ont pas acquis un caractère définitif.
En conclusion, d'un point de vue formel, on peut constater que le Gouvernement a respecté le délai de l'habilitation fixé par le législateur ainsi que le délai qui lui était imparti pour déposer un projet de loi de ratification. Il convient également de saluer les efforts de clarification et de structuration du code des juridictions financières.
Sur le fond, l'ordonnance ne modifie qu'à la marge les procédures applicables devant la Cour des comptes et devant les chambres régionales et territoriales des comptes.
En revanche, elle modifie de façon importante les procédures de la Cour de discipline budgétaire et financière, alors même qu'il s'agit d'un sujet en soit, comme je l'avais souligné en tant que rapporteur de la proposition de loi de notre collègue Vincent Delahaye visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales. Sur ce sujet important, l'ordonnance prend des mesures qui dépassent de loin le simple « toilettage » et donc le périmètre de l'habilitation : je m'étonne de cette façon de faire.
Néanmoins, la plupart de ces modifications vise à renforcer les droits des personnes mises en cause devant la CBDF. Je me suis interrogée sur la suppression de la voix prépondérante du président de la formation de jugement. Cette mesure ne va pas de soi, d'autant que les magistrats de la Cour siègent en nombre pair. Je rappelle, par exemple, que l'assemblée du contentieux du Conseil d'État ne peut statuer qu'en nombre impair et que le président du Conseil constitutionnel dispose encore d'une voix prépondérante en cas de partage.
Lors de son audition, M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes et président de la Cour de discipline budgétaire et financière, a précisé qu'historiquement, il n'a jamais été fait appel à sa voix prépondérante, aucun partage de voix n'ayant été constaté.
Il a également souligné qu'en cas de partage des voix et en l'absence de voix prépondérante du président, le bénéfice du doute serait accordé à la personne mise en cause.
Dès lors, ces observations ne me paraissent pas constituer un obstacle dirimant à la ratification de l'ordonnance du 13 octobre 2016. Je vous soumets toutefois cinq amendements pour en préciser le contenu, corriger quelques erreurs matérielles et coordonner les dispositions relatives à l'outre-mer.
Je salue la qualité de votre rapport ; vous proposez des amendements très utiles concernant une ordonnance sur laquelle l'Assemblée nationale n'a rien trouvé à redire... J'y souscris donc tout à fait et je crois que la procédure tant décriée des ordonnances trouve, ici, avec l'organisation des juridictions financières, une démonstration de son utilité.
Cette ordonnance rénove utilement le code des juridictions financières, qui n'avait pas suffisamment tenu compte du rapprochement de la Cour des comptes, d'une part, et des chambres régionales et territoriales des comptes, d'autre part. Ce rapprochement s'est traduit par des responsabilités plus grandes confiées aux chambres régionales et territoriales, au service de l'évaluation des politiques publiques.
Ce rapport conduit à s'interroger sur le maintien, à long terme, de la Cour de discipline budgétaire et financière, c'est-à-dire une juridiction administrative née en 1948 à l'instigation de l'inspection générale des finances et dotée de pouvoirs de sanction dans une matière quasiment pénale, pour réprimer des actes graves de mauvaise gestion ou de malhonnêteté.
Faut-il, encore aujourd'hui, une juridiction administrative disciplinaire spécialisée dans un tel champ ? L'expérience montre qu'il fallait acquérir une jurisprudence, c'est à l'actif de cette Cour et sa composition est un gage de son indépendance. Ce débat, ancien, porte en fait sur la justice administrative dans son ensemble : l'outil est-il pertinent quand des sanctions importantes sont en jeu ?
Le premier président de la Cour de cassation paraît répondre par la négative, mais les exemples ne manquent pas, dans l'histoire, au bénéfice de la juridiction administrative. Je ne souhaite pas, pour ma part, que la répression des actes de malversation ou des fautes de gestionnaires d'entreprises ou de services publics « bascule » dans le champ de compétences des juridictions pénales, qui n'ont pas du tout cette spécialité.
EXAMEN DES ARTICLES
Articles additionnels après l'article unique
L'amendement COM-1 corrige des erreurs matérielles dans le texte de l'ordonnance.
L'amendement COM-1 est adopté.
Avec l'amendement COM-2, je propose de préciser, au niveau législatif, la liste des formations délibérantes des juridictions financières exerçant des fonctions juridictionnelles.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'amendement COM-3 est de coordination outre-mer.
L'amendement COM-3 est adopté.
Les amendements de précision et de coordination COM-4 et COM-5 sont adoptés.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 10 h 55.