Intervention de Éric Doligé

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 29 juin 2017 : 1ère réunion
Normes en matière de construction d'équipement et d'urbanisme dans les outre-mer — Présentation du rapport d'information

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur coordonnateur :

Après les normes sanitaires et phytosanitaires applicables aux productions agricoles ultramarines, c'est le cadre normatif du secteur du BTP qui a retenu notre attention, car la construction est une autre activité primordiale pour la santé économique et sociale de nos outre-mer.

En effet, bien que les territoires soient confrontés à une grande diversité de situations, les besoins sont immenses, qu'il s'agisse du logement ou des infrastructures d'équipement, et les retards se sont accumulés.

De nombreux facteurs amplifient les besoins dans des contextes fortement contraints.

En premier lieu, les dynamiques démographiques sont à l'oeuvre dans nos outre-mer et, à cet égard, les territoires doivent relever des défis très différents : vieillissement et déclin démographique aux Antilles ; poursuite de la transition démographique à La Réunion qui doit affronter simultanément le vieillissement et la jeunesse de sa population (plus de 30 % de moins de 20 ans aujourd'hui) ; déséquilibre de peuplement avec une concentration de la population dans la ville-capitale, comme en Polynésie sur Tahiti ou en Nouvelle-Calédonie à Nouméa ; ou encore flux migratoires entrants non maîtrisés compromettant la mise en place d'un modèle de développement, comme en Guyane et, a fortiori, à Mayotte. À ce paramètre démographique déterminant s'ajoute la dimension culturelle avec, d'une part, la préférence généralisée pour l'habitat individuel, soit plus de 70 % des résidences principales en Guyane et à La Réunion, et d'autre part, une démultiplication des besoins de logement due au double phénomène de la décohabitation et de la dislocation de la cellule familiale. Rappelons qu'un quart des ménages correspond à des familles monoparentales en Guadeloupe et en Guyane contre 9 % dans l'Hexagone !

L'impératif de réhabilitation et de lutte contre l'habitat indigne caractérise également, à des degrés divers, la situation des territoires : l'Insee indique ainsi qu'en 2013, à Mayotte, 37 % des résidences principales sont des résidences individuelles en tôle et les deux tiers sont dépourvues d'un des trois éléments de confort de base (eau courante, douche, WC à l'intérieur de l'habitation).

Ces caractéristiques génèrent des besoins en logements et en infrastructures dont l'évolution excède systématiquement la programmation qui en est faite, si bien qu'en dépit d'une réelle prise de conscience les retards ont continué à s'accumuler.

En outre, l'activité de construction et d'équipement dans les outre-mer doit apprivoiser des contraintes spécifiques liées aux configurations géographiques :

- rareté du foncier disponible du fait de l'exiguïté et de l'éparpillement insulaire, d'une topographie accidentée ou bien de sols non stabilisés ;

- climats particulièrement corrosifs ;

- exposition forte aux risques naturels.

Enfin, si les grands chantiers d'équipement qui supposent des compétences techniques avancées et un outillage de pointe sont essentiellement la chasse gardée des grands groupes, les acteurs économiques locaux du bâtiment sont néanmoins souvent nombreux, formant un tissu entrepreneurial de petites entreprises. Tout en employant de 5 à 11 % des effectifs salariés selon les territoires et regroupant quelque 15 % des entreprises locales en moyenne, la construction est un secteur exposé et vulnérable, fortement dépendant de la commande publique qui, elle-même, connaît d'importantes fluctuations.

Dans ce contexte très contraint et face aux enjeux de développement et de préservation de l'équilibre social des territoires, est-il concevable qu'un cadre normatif inadapté constitue une cause de renchérissement et un frein supplémentaire à la production de logements et d'équipements structurants ?

La réponse est bien sûr négative et le rapport que nous vous présentons aujourd'hui s'attache à évaluer le cadre normatif actuel, à le confronter aux situations des territoires ultramarins et à inventorier les évolutions nécessaires à une réelle prise en compte de leurs spécificités.

Le constat que nous avons pu dresser à partir des informations collectées au plus près du terrain, à l'occasion de nos auditions réalisées grâce à la visioconférence ou lors de notre déplacement à La Réunion et à Maurice, montre clairement que la contrainte normative pèse lourd.

Au-delà des conflits de normes et de quelques cas de figure qui confinent à l'absurde, c'est, comme pour l'activité agricole, le défaut de prise en compte de la spécificité des contextes, climat, topographie ou encore modes de vie, qui est le plus pénalisant. Le cadre normatif applicable, qu'il s'agisse des matériaux ou des modalités de mise en oeuvre, est largement déconnecté des réalités locales. En revanche, contrairement à ce que nous avons pu observer en matière de normes phytosanitaires, une grande partie des normes applicables au bâtiment est d'origine professionnelle : ce sont des référentiels techniques. Les normes d'origine légale ou réglementaire portent principalement sur les questions de sécurité, de prise en compte du handicap ou de préservation de l'environnement et les normes européennes et nationales couvrent les produits de construction via le marquage CE ou NF. Mais les normes professionnelles s'imposent néanmoins et acquièrent une véritable valeur juridique obligatoire soit par le truchement de la règlementation des marchés - le code des marchés publics renvoie aux documents techniques unifiés (DTU) et il en est de même pour les marchés de travaux privés via les normes Afnor -, soit par le biais des exigences assurancielles.

Contrairement à la logique d'exigence de résultat et de niveaux de performance prévalant généralement ailleurs, et en particulier dans le monde anglo-saxon, comme nous avons pu le constater lors de notre séjour à Maurice, le dispositif normatif français applicable à l'activité de construction est extrêmement détaillé et obéit à une logique prescriptive qui multiplie les obligations de moyen. Ces deux logiques sont d'ailleurs difficilement conciliables : l'une impose a priori un niveau élevé de sécurité et de qualité ; l'autre obéit davantage à une logique de rentabilité économique et prévoit une gradation du niveau de prestation laissant une latitude de choix aux acteurs du bâtiment dont le corollaire est la prise de risque. Ce sont deux philosophies concurrentes et il n'est pas si aisé de passer de l'une à l'autre, encore moins de les combiner, nous l'avons constaté avec le témoignage de la Nouvelle-Calédonie à la recherche d'un dispositif qui lui permettrait une meilleure insertion dans son environnement régional, notamment pour l'importation et l'exportation de matériaux de construction.

Le processus de formation des normes est très différent de celui produisant les normes agricoles mais ses acteurs forment une nébuleuse tout aussi complexe, à la fois stratifiée et organisée en silos par domaines de compétence. Cette nébuleuse gravite autour de deux organismes pivots auxquels il faut ajouter les services centraux du ministère de l'équipement et du logement :

- le Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC) placé sous l'égide de l'Association française de normalisation (Afnor) et qui élabore l'essentiel des DTU,

- et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), établissement industriel et commercial qui apporte une expertise technique dans l'élaboration des normes, rend les avis techniques sur les procédés innovants et exerce l'activité de certification.

Ce processus, qui concentre l'évaluation, la certification et la validation de l'innovation, souffre sans doute d'un excès de centralisation et d'une tendance à ignorer les besoins de la périphérie. En outre, la longueur, la complexité et le coût corrélatif des procédures les rendent inaccessibles aux acteurs économiques de taille modeste.

Si sur certaines questions particulières - je pense par exemple à la règlementation thermique, acoustique et aération pour les DOM (RTAA DOM) pour les Antilles et la Guyane - une démarche décentralisée et concertée a été mise en oeuvre pour une adaptation pertinente, cette approche reste marginale et les outre-mer ont beaucoup de mal à faire entendre leur voix, y compris au sein des instances professionnelles !

Toutefois, des évolutions semblent se dessiner et l'initiative prise par notre délégation aura sans doute un effet d'accélération : nous pouvons ainsi nous féliciter d'être à l'origine de la mobilisation des professionnels du BTP et de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de La Réunion qui, pour répondre à nos questions, ont mis en place un groupe de réflexion afin d'identifier les principales difficultés normatives.

Les nombreuses informations recueillies lors de nos auditions à Paris, notamment les visioconférences avec les acteurs locaux de la Guyane, de la Martinique et de Saint-Pierre-et-Miquelon, et de notre visite de terrain à La Réunion et à Maurice où nous avons tenu une quarantaine d'heures d'entretien, ont permis d'évaluer le dispositif normatif en vigueur. De la centaine de témoignages recueillis depuis octobre 2016, nous avons tiré 35 recommandations pour :

- rendre possibles des adaptations indispensables,

- faire cesser les anomalies paralysantes et génératrices de coûts démesurés,

- valoriser les ressources locales,

- faire prospérer les démarches innovantes,

- mais aussi promouvoir une meilleure mutualisation des solutions et bonnes pratiques entre les outre-mer, ainsi que le rayonnement des savoir-faire ultramarins dans leurs environnements régionaux.

Nos collègues Karine Claireaux et Vivette Lopez vont maintenant vous présenter nos préconisations qui forment un ensemble cohérent, regroupées sous six rubriques distinctes. Je cède tout d'abord la parole à Karine Claireaux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion