Intervention de Karine Claireaux

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 29 juin 2017 : 1ère réunion
Normes en matière de construction d'équipement et d'urbanisme dans les outre-mer — Présentation du rapport d'information

Photo de Karine ClaireauxKarine Claireaux, rapporteur :

Comme vient de l'exposer notre collègue Éric Doligé et comme nous avons d'ailleurs déjà pu l'observer à l'occasion de la précédente étude concernant le secteur agricole, nos outre-mer éprouvent de grandes difficultés à voir reconnues et prises en compte leurs spécificités.

Leur éloignement, leur dispersion et la petite taille de leurs marchés locaux favorisent leur marginalisation, alors qu'en dépit de leur diversité ils éprouvent des difficultés souvent comparables. Toute avancée en la matière passe par une mutualisation de l'information et des retours d'expérience ainsi que par une représentation portant la voix des outre-mer au sein des instances nationales intervenant dans le processus normatif, qu'il s'agisse des administrations centrales ou des organisations professionnelles et d'expertise technique. Cela passe aussi par une moindre centralisation des procédures afin de faciliter la validation de modes constructifs adaptés aux contextes locaux, développer les capacités d'expertise locale et, dès lors, réduire les délais et les surcoûts.

Afin de stimuler le développement et la diffusion de l'expertise sur les modes de construction adaptés aux outre-mer, nous vous soumettons quatre recommandations reprises sous les propositions 1 à 4 de la fiche de synthèse :

Notre objectif nécessite, à notre avis, la création d'une structure dédiée, inter-outre-mer, sur financement étatique, pour mettre en réseau les ressources techniques locales des différents outre-mer qui étudient le vieillissement des matériaux et valident des techniques innovantes sur le bâti tropical. Ainsi, des laboratoires comme ceux placés auprès du Cirbat à La Réunion - l'Observatoire régional de lutte anti-termites (Orlat), le Laboratoire d'essais de menuiserie (LEM) et le Laboratoire de vieillissement des matériaux (LVM) - qui ont présenté leur activité lors du déplacement, pourraient faire bénéficier d'autres territoires de leur expérience et servir de modèle (proposition n° 1). En effet, il est nécessaire de stimuler l'expertise locale en soutenant le développement des laboratoires et des centres techniques dans les territoires, capables de mener des expérimentations, de produire de l'information sur le bâti tropical ou de valider des solutions innovantes (proposition n° 2), mais il ne faut pas oublier Saint-Pierre-et-Miquelon dont le contexte climatique est bien différent ! Nous avons compris que cette collectivité d'outre-mer, tout en étant compétente en matière de droit de l'urbanisme, se trouvait prise en tenaille entre, d'une part, le droit de la construction métropolitain, par le truchement du droit des marchés publics renvoyant aux DTU et par le renvoi aux normes NF et CE et, d'autre part, les matériaux et modes constructifs canadiens nécessairement mieux adaptés aux conditions climatiques de l'archipel et largement utilisés pour les constructions privées. L'absence de prise en compte par les normes actuelles de la rigueur du climat conduit à procéder par extrapolation, que ce soit pour la règlementation thermique ou pour les eurocodes relatifs à la résistance des bâtiments aux charges de neige ou à la force et à l'orientation des vents - je rappelle que souvent la pluie tombe à l'horizontale à Saint-Pierre-et-Miquelon ! Or, ces extrapolations aboutissent à des approximations préjudiciables et des surcoûts considérables. Aussi, nous proposons que soit créé un centre national chargé du paramétrage applicable aux constructions en zone subarctique (proposition n° 3).

Enfin, malgré quelques avancées récentes telles que la création, en 2013, d'une cellule outre-mer au sein du bureau de l'économie de la construction de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), dont les moyens humains (2,5 ETP) restent cependant largement disproportionnés eu égard au champ de compétence, les outre-mer restent les grands oubliés des instances administratives centrales, des établissements techniques nationaux et des fédérations professionnelles nationales qui jouent pourtant un rôle majeur dans le fonctionnement des bureaux de normalisation. C'est pourquoi nous préconisons d'organiser et de diffuser la connaissance et l'attention portée aux outre-mer dans les instances nationales, publiques ou professionnelles, interférant dans le processus normatif (proposition n° 4).

Notre deuxième bloc de recommandations a pour objectif de faciliter la certification et l'approvisionnement en matériaux tout en favorisant la coopération avec les pays de l'environnement régional. Elles sont au nombre de sept, numérotées de 5 à 11 sur la fiche de synthèse.

Sur une gamme de produits de base tels que le ciment, les plaques de plâtre ou les charpentes métalliques ou en bois, il conviendrait d'établir, pour une série de pays fournisseurs de chaque zone régionale, des tableaux d'équivalence pour la performance technique et les caractéristiques de sécurité entre matériaux estampillés CE et matériaux régionaux (proposition n° 5). Le choix des produits comme des critères de référence seraient établis par la DEAL après concertation avec les entreprises de BTP, les bureaux de contrôle et les assureurs ; puis, les tableaux d'équivalence seraient publiés par arrêté du ministre en charge de l'équipement et du logement.

Notons qu'un travail de comparaison des normes en vigueur au Suriname et au Brésil avec les normes CE/NF a été engagé, sur proposition des services déconcentrés de Guyane, par la DHUP en coopération avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ; il porte sur du ciment brésilien.

Afin que ces équivalences aboutissent à une utilisation effective sur les chantiers ultramarins de matériaux répondant à des normes étrangères de fournisseurs régionaux, doivent être prévues des dérogations ciblées à l'emploi de matériaux marqués CE. Toute baisse de qualité des constructions devant être évitée, le régime de responsabilité des différents acteurs resterait inchangé. Cette démarche étant très novatrice, il conviendrait de procéder dans un premier temps par expérimentation (proposition n° 6).

Sur la base des tableaux d'équivalence et des expérimentations réalisées, pourrait être établie, à moyen terme, une liste positive de pays fournisseurs et de produits bénéficiant d'une équivalence permettant leur emploi sur les chantiers ultramarins afin de minimiser les coûts (proposition n° 7).

Faciliter l'approvisionnement et le choix de matériaux adaptés aux contextes ultramarins implique également d'encourager l'émergence de filières locales de produits de construction par un soutien financier et un accompagnement technique (proposition n° 8). L'effort pourrait prioritairement porter sur des matériaux biosourcés pour lesquels des opérations pilotes sont déjà lancées en Guadeloupe pour des isolants de toiture, mais aussi sur le bois en Guyane pour huit essences différentes et à La Réunion sur une essence de résineux, le cryptoméria. L'effort devrait également bénéficier à la production de briques de terre crue, matériau traditionnel qui a fait ses preuves, à Mayotte et en Guyane.

L'émergence de nouveaux produits et de nouvelles filières dépend cependant de la possibilité d'obtenir des certifications. Or, les coûts et les délais actuels sont rédhibitoires. Aussi, il convient de rendre possible le recours à des certificateurs qualifiés hors de l'Hexagone en encourageant leur installation dans les outre-mer et en permettant la sollicitation de certificateurs étrangers, agréés comme maîtrisant les règlementations françaises et européennes (proposition n° 9).

Atteindre un tel objectif ne se fera pas sans développer la coopération avec les pays de l'environnement régional (proposition n° 10). Le développement de cette coopération devrait porter sur la mise en place de centres techniques communs, sur la standardisation des produits et des procédés de mise en oeuvre, sur la réalisation d'essais techniques ou encore la diffusion de l'expertise ultramarine en matière de prévention des risques naturels et sur l'architecture tropicale et bioclimatique. Mais la coopération régionale doit aussi se préoccuper d'économie circulaire : aussi faut-il envisager à une échelle régionale le recyclage des déchets de construction ainsi que la rentabilisation de l'outillage des grands chantiers (proposition n° 11). La problématique de recyclage des déchets est extrêmement complexe en milieu insulaire et respecter les exigences de la convention de Bâle n'est pas une mince affaire !

Le troisième bloc de propositions tend à organiser une décentralisation partielle de la production des normes de construction afin qu'elles soient adaptées aux contextes ultramarins. Trois propositions, numérotées de 12 à 14 dans le document de synthèse, visent cet objectif.

L'initiative de notre délégation de mener la présente étude a suscité la création à La Réunion, dès l'automne 2016, d'un groupe de travail rassemblant la FRNTP, la CAPEB, les assureurs, les architectes, les promoteurs, les bureaux d'étude et de contrôle ainsi que la DEAL. Ce groupe de travail doit formaliser des propositions concrètes d'adaptation des normes de construction et recenser les DTU posant problème, ce qui a conduit à une saisine du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC). Ainsi s'est constituée une sorte d'antenne locale du bureau de normalisation, chargée de préparer les adaptations nécessaires en lien avec les commissions nationales compétentes du BNTEC. Les propositions 12 et 13 tendent, d'une part, à la pérennisation de l'expérimentation menée à La Réunion et, d'autre part, à sa généralisation en créant deux autres commissions techniques locales aux Antilles et en Guyane.

Afin d'éviter l'application de normes qui conduisent parfois à des aberrations coûteuses du fait de leur inadaptation au contexte ultramarin, il est proposé de prévoir dans les clauses-types de marchés publics ou de contrats d'assurance-construction la possibilité pour les entrepreneurs de s'en exonérer dès lors qu'il n'existe pas de déclinaison ultramarine (proposition n° 14).

Enfin, avant que je ne cède la parole à notre collègue Vivette Lopez, six nouvelles recommandations, numérotées de 15 à 20 dans le document de synthèse, forment un ensemble de mesures destinées à faciliter la diffusion de l'innovation en réformant les procédures nationales de validation. En effet, le processus de validation des innovations se distingue de la procédure applicable aux pratiques et savoir-faire traditionnels couverts par les DTU : les innovations font l'objet d'avis techniques instruits par le CSTB et délivrés par une commission regroupant quelque 400 experts, la Commission chargée de formuler les avis techniques (CCFAT), placée auprès du ministre chargé de la construction et de l'habitation.

Il est tout d'abord proposé de prévoir une représentation spécifique des outre-mer au sein de la Commission chargée de formuler les avis techniques et au conseil d'administration du CSTB (proposition n° 15). C'est une avancée nécessaire, et même indispensable, pour que les préoccupations des outre-mer soient intégrées au processus de production normative.

Mais il faut aussi réviser la procédure d'avis technique pour qu'elle intègre dorénavant la dimension ultramarine : pour ce faire, cinq directions peuvent être empruntées :

- faire en sorte que des avis techniques déjà délivrés pour l'Hexagone soient revus pour les adapter aux contextes ultramarins, sur la base d'une instruction par un groupe spécialisé dédié au sein de la CCFAT, mais avec une phase décentralisée et la réalisation des tests requis dans un centre technique implanté outre-mer (proposition n° 16). Des agréments bénéficiant à des produits similaires dans des pays voisins et des retours d'expérience relatifs à leur utilisation pourraient être pris en compte. Ces extensions à l'outre-mer bénéficieraient d'un soutien financier public car le coût de la procédure est aujourd'hui dissuasif pour les acteurs économiques de taille modeste ;

- sur la base des mêmes principes, permettre la délivrance d'avis techniques valables uniquement pour les DOM, sur des produits innovants destinés à un usage en milieu tropical (proposition n° 17) ;

- pour une liste de domaines prioritaires définis par l'État en concertation avec les professionnels, rendre obligatoire la couverture des contextes ultramarins pour toutes les nouvelles demandes d'avis techniques (proposition n° 18) ;

- encourager le dépôt de demandes collectives d'avis techniques, via des structures telles que des clusters ou des technopôles, afin de minimiser les coûts d'instruction pesant sur les entreprises (proposition n° 19) ;

- installer dans les outre-mer des relais régionaux du CSTB afin d'accompagner les entreprises ultramarines dans leurs démarches, et poursuivre l'accompagnement de la filière bois assuré par l'Institut technologique forêt cellulose bois-construction ameublement (FCBA), centre technique industriel (proposition n° 20).

L'ensemble de ces mesures, qui forment un tout cohérent et très complet, devrait permettre de progresser dans la prise en compte des spécificités des outre-mer !

Je cède la parole à notre collègue Vivette Lopez pour parachever la présentation

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