Intervention de Vivette Lopez

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 29 juin 2017 : 1ère réunion
Normes en matière de construction d'équipement et d'urbanisme dans les outre-mer — Présentation du rapport d'information

Photo de Vivette LopezVivette Lopez, rapporteur :

Je veux tout d'abord dire ma satisfaction d'avoir été associée en qualité de rapporteur aux travaux de la délégation avec cette étude sur les normes applicables au secteur du BTP en outre-mer. Cela m'a permis de constater très concrètement combien les outre-mer sont un atout et une richesse pour notre pays et je me réjouis que nos propositions puissent contribuer à matérialiser le concept d'égalité réelle.

Il me revient de vous présenter les quinze dernières propositions complétant notre dispositif, regroupées en deux blocs : le premier, rassemblant les mesures destinées à faire cesser un certain nombre d'aberrations et de libérer la production de logements et d'équipements de contraintes injustifiées ; le second pour veiller à la qualité de la construction et pourvoir à une meilleure maîtrise des surcoûts d'assurance.

Le premier bloc est assez étoffé puisqu'il comprend onze propositions, numérotées de 21 à 31 dans notre synthèse.

Nous suggérons tout d'abord une révision de la procédure d'autorisation des biocides qui sont indispensables à la lutte anti-termites (proposition n° 21). En effet, les produits bénéficiant actuellement d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) après homologation de la substance active par l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) sont largement inopérants dans les outre-mer où les espèces de termites sont particulièrement résistantes. Nous retrouvons ici les écueils rencontrés lors de l'étude sur les produits phytosanitaires dont le spectre est inadapté aux ravageurs tropicaux. Il faut revoir et étoffer la liste des termites visés, de même que les conditions d'utilisation des produits pour intégrer les contraintes liées au climat tropical ou équatorial. Certes la procédure européenne favorise l'importation de produits communs mais aux performances insuffisantes. En outre, il est particulièrement difficile pour des fabricants de monter un dossier de tests et d'expérimentations pour des produits développés en partenariat avec des laboratoires ultramarins dont le marché potentiel est très étroit au sein de l'Union européenne.

Un autre sujet est la règlementation thermique, acoustique et d'aération pour les DOM (RTAA DOM). Elle a été révisée récemment, mais des insatisfactions demeurent : ainsi, à titre d'exemples, la généralisation de la ventilation traversante ne tient pas compte de la variété des micro-climats et de l'exposition à certains éléments extérieurs tels que les alizés ou les tourbillons cycloniques. Par ailleurs, les règles d'acoustique imposent des charges supplémentaires liées au renforcement des structures, alors que les logements outre-mer sont le plus souvent ouverts sur l'extérieur pour favoriser la ventilation naturelle. Enfin, les exigences de porosité des façades posent quant à elles des problèmes d'étanchéité des logements. Il faut donc engager une réflexion spécifique pour poursuivre l'adaptation de la RTAA DOM sur les questions en suspens (proposition n° 22) qui posent le plus de problèmes et génèrent d'importants surcoûts tout en bridant la production de logements sociaux, comme la pose obligatoire de chauffe-eau solaires pour la production d'eau chaude sanitaire en Guyane. Ce dernier investissement représente un coût important pour un gain modique de 4° C et n'est pas opérationnel pendant les périodes de pluie où il faut avoir recours à une résistance pour maintenir la température. Le coût d'un chauffe-eau électrique est de 250 euros contre 1 200 à 1 300 euros pour un chauffe-eau solaire, soit un surcoût pour un programme d'une centaine de logements de 100 à 150 000 euros, ce qui est considérable et en tous cas économiquement dissuasif.

Concernant encore la RTAA DOM, si le volet acoustique et aération est commun aux cinq DOM, le volet thermique ne concerne pas la Guadeloupe et la Martinique qui ont adopté, sur habilitation, des règlementations régionales en 2013. Ces règlementations régionales, bien distinctes, font l'objet de certaines critiques et nous préconisons leur évaluation (proposition n° 23). La règlementation martiniquaise en particulier est fondée sur le principe d'une généralisation de la climatisation impliquant un isolement des logements qui est incompatible avec les exigences de ventilation.

Venons-en aux règles d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite (PMR) : sans remettre bien sûr en cause l'impératif d'intégration de ces personnes dans la vie de la cité, les règles applicables aboutissent parfois à des situations ubuesques et à une nette élévation du taux de sinistres dans les contextes ultramarins ; en outre, les surcoûts engendrés menacent la viabilité d'opérations de construction de logements dans ces zones qui en manquent cruellement. Il faut prévoir des possibilités de dérogations pour tenir compte des contraintes spécifiques aux outre-mer que sont la topographie, l'exiguïté du foncier ou encore les fortes précipitations (proposition n° 24). Ainsi, le rapport vous propose une photo éloquente : une habitation guyanaise dotée d'une rampe d'accès très longue aboutissant sur une zone de terre qui doit être totalement impraticable pour un fauteuil roulant après la pluie en pleine forêt amazonienne, à supposer même que la personne concernée ait pu atteindre ce site !

Il faudrait ainsi, par exemple, introduire des tolérances dans le dimensionnement des rayons d'ouverture des portes dans les logements : fournir gratuitement des fauteuils roulants adaptés serait sans doute moins onéreux que de systématiser des rayons de braquage maximisés dans des contextes de rareté du foncier ! En effet, le rayon giratoire pour un fauteuil manuel est d'1,5 m, soit une différence de 20 cm en plus que pour un fauteuil électrique, donc plus de 2 m2 d'emprise au sol, soit un surcoût de 6 000 euros par logement alors qu'un fauteuil électrique ne coûte que 3 000 euros !

Autre exemple : les faibles seuils pour les portes palières ne sont pas adaptés aux climats à fortes précipitations, si bien que les infiltrations contribuent à dégrader rapidement le cadre de vie et renchérit les primes d'assurance. La hauteur maximale prescrite est de 4 cm, ce qui est incompatible avec les critères d'étanchéité face à des pluies tropicales : écarter systématiquement les règles d'étanchéité au profit des exigences d'accessibilité est une cause importante de sinistres dans les outre-mer.

Pour desserrer les contraintes d'aménagement, il faut également autoriser des dérogations locales pour permettre l'installation de stations d'épuration à moins de 100 mètres des habitations hors agglomération afin de tenir compte de l'exiguïté du foncier disponible ; cela suppose de réviser l'arrêté du 21 juillet 2015 (proposition n° 25).

La richesse des outre-mer en biodiversité réserve par ailleurs souvent des surprises aux entrepreneurs car les chantiers peuvent être brutalement interrompus, voire remis en cause ! Aussi, afin d'accélérer, de fluidifier et de sécuriser les projets d'aménagement, il faut identifier en amont le patrimoine naturel dans les zones à aménager en achevant le recensement des espèces endémiques et protégées dans chaque territoire (proposition n° 26).

Concernant l'approvisionnement en matériaux, s'il n'est pas question d'exploiter sans discernement les ressources locales, il faut aussi valoriser la production locale en facilitant l'ouverture de carrières par la sanctuarisation de zones dans les schémas d'aménagement et les documents de planification, moyennant bien sûr des mesures de compensation environnementale et agricole (proposition n° 27).

Le risque sismique est encore une source de complexité normative et d'exigences supplémentaires. Aux dires des professionnels ultramarins de la construction, ce risque paraît surévalué par endroits et il conviendrait de revoir sa cartographie pour déclasser La Réunion en zone 1 et étudier la possibilité de déclasser la Martinique en zone 4 (proposition n° 28).

En matière de sécurité-incendie, la règlementation ne considère que des configurations d'immeubles avec des parties communes fermées, correspondant au climat tempéré et au mode de vie dans l'Hexagone. En outre-mer, les habitations sont à l'inverse le plus souvent largement ouvertes sur l'extérieur pour favoriser la ventilation naturelle et sont dotées de coursives à l'air libre. L'obligation d'installer des portes coupe-feu confine alors à l'absurdité ! Il faut donc poursuivre la révision de l'arrêté du 31 janvier 1986 sur la sécurité-incendie afin de corriger ces incohérences et de rendre compatible cette réglementation avec celle applicable en matière d'aération, sur la base des solutions techniques d'ores et déjà définies par des bureaux d'étude pour La Réunion (proposition n° 29).

Si certaines réglementations sont inadaptées « par excès » - nous venons d'en évoquer plusieurs - d'autres le sont « par défaut ». Ainsi, il n'existe pas de règlementation tenant suffisamment compte des vents violents et tourbillonnants qui peuvent souffler dans les zones tropicales lors des épisodes cycloniques. L'eurocode applicable et les scénarios qui servent de base de calcul sont pensés une nouvelle fois pour la seule Europe continentale, avec une force de vent considérée comme s'atténuant avec l'accroissement de la distance au rivage. Ceci n'est évidemment pas valable pour un environnement insulaire ! Il faut donc renforcer, pour les outre-mer, les normes de construction concernant le risque cyclonique et les vents violents (proposition n° 30).

Afin de faciliter l'adaptation des normes relatives à la construction en outre-mer et de réaliser leur contextualisation, une évolution législative récente doit être pleinement exploitée : il s'agit de l'article 88 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine qui ouvre des possibilités d'expérimentation de règles dérogatoires en matière de construction. Un décret du 10 mai dernier vient d'ailleurs de définir le cadre de l'expérimentation en visant en particulier la possibilité de déroger à certaines prescriptions de sécurité-incendie et d'accessibilité sur demande du maître d'ouvrage adressée aux ministres chargés de l'architecture et de la construction. Il convient de mobiliser, au bénéfice de la construction en outre-mer, toutes les possibilités ainsi offertes (proposition n° 31) !

Le sixième et dernier bloc de recommandations en comprend quatre : leur finalité est de conforter la qualité des constructions en outre-mer et de contenir les surcoûts d'assurance qui, parfois, s'envolent.

En matière d'assurance, si l'existence de surprimes est largement liée à la prégnance des risques naturels dans les outre-mer, une évaluation claire du différentiel et une analyse précise de ses justifications n'ont pu être recueillis dans le cadre de nos investigations. Ainsi, il est préconisé :

- d'une part, d'étendre à l'ensemble des DOM l'étude sur la sinistralité et les pathologies du bâtiment réalisée à La Réunion par l'Agence qualité construction, afin de disposer d'une évaluation concrète et précise des risques (proposition n° 32) ;

- d'autre part, sur la base de ces enquêtes de sinistralité, de mener des concertations avec les assureurs pour une meilleure maîtrise des coûts assurantiels (proposition n°33).

Par ailleurs, si la réduction des aberrations normatives et les efforts d'adaptation aux contextes ultramarins doivent logiquement aboutir à rehausser la qualité des constructions, cet objectif suppose également de développer la formation continue et de simplifier l'accès aux documents techniques pour les professionnels ultramarins du BTP (proposition n° 34) dont on rappelle qu'ils évoluent le plus souvent dans de petites structures.

Les visites de chantier effectuées à La Réunion lors du déplacement début mars, en particulier les visites de programmes de logements, ont fait sourdre une dernière inquiétude : il faut prendre garde à ce que l'amélioration qualitative des bâtiments, qui passe en partie par la standardisation, ne conduise à une uniformisation esthétique de l'habitat. En effet, cela serait lourdement préjudiciable à un secteur d'activité crucial pour les outre-mer, le tourisme. Les styles architecturaux et les modes de construction traditionnels doivent continuer à être privilégiés (proposition n° 35) car, à défaut, nos territoires ultramarins y perdraient une partie de leur âme et de leur attractivité !

Nous voilà parvenus au terme d'une enquête captivante et d'une grande richesse dont les conclusions, nous l'espérons très vivement, permettront de réaliser rapidement des avancées afin de libérer l'activité du BTP en outre-mer de ses nombreuses entraves, tout en contribuant à réduire la sinistralité et à renforcer la qualité du bâti. Le rattrapage nécessaire des retards accumulés en outre-mer en matière de construction de logements et de réalisation d'équipements passe par une incontournable adaptation normative pour laquelle tous les acteurs doivent se mobiliser. J'ajouterai que le dispositif normatif actuel est fait pour des opérateurs capables d'assimiler l'évolution rapide et complexe des normes techniques, ce qui n'est pas le cas des petites entreprises. Les chantiers importants sont ainsi l'apanage des grands groupes alors que les TPE-PME, qui forment l'essentiel du tissu économique ultramarin, sont très pénalisées. Lors de notre déplacement dans l'océan Indien, nous avons pu constater que la grande latitude de choix techniques laissée aux entrepreneurs à Maurice ne générait pas nécessairement une sinistralité très supérieure, ce qui faisait aspirer les petits entrepreneurs réunionnais à davantage de liberté normative adossée à une logique de performance, alors même que les acteurs mauriciens réfléchissaient à introduire une dose de logique prescriptive dans leur propre organisation. Les normes ne doivent pas être conçues isolément, sauf à nuire à la qualité finale des constructions.

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