Je tenais d'abord à vous remercier pour votre accueil et pour l'organisation de ce débat sur les résultats du Conseil européen. Je me réjouis d'y participer moins d'une semaine après ma prise de fonction, d'autant qu'il s'agit pour moi de ma première intervention devant la représentation nationale. D'abord parce que ce débat permet au Sénat d'exercer sa mission de contrôle de la politique européenne du Gouvernement. Ces rencontres régulières, qui précèdent ou suivent le Conseil européen, participent au bon fonctionnement de notre démocratie et contribuent sans aucun doute à consolider nos positions dans les négociations à Bruxelles. J'y attache un prix tout particulier.
Mais ces débats seront surtout pour moi un moment privilégié d'échange avec vous sur les priorités que la France porte dans les négociations européennes.
Je sais pouvoir compter sur la grande qualité de votre expertise et sur votre engagement en faveur de la relance du projet européen. Je pense, par exemple, au récent rapport du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne, écrit avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Vous pourrez compter sur mon engagement, sur mes convictions européennes et sur ma volonté de ne négliger aucun effort pour que la voix de la France pèse davantage dans l'Union.
Le 7 mai dernier, les Français ont élu un président profondément engagé en faveur du projet européen ; un président qui a eu le courage de défendre, tout au long de la campagne, une vision ambitieuse de l'Europe. La large victoire du président Macron, mais aussi le nombre très élevé de suffrages qui se sont portés sur des candidats eurosceptiques, ont montré à la fois l'adhésion profonde des Français à l'Union européenne, et la désaffection croissante du nombre de nos compatriotes par rapport à une construction européenne souvent perçue comme trop lointaine et trop technocratique. On pourrait résumer la situation actuelle à une formule : les Français aiment l'Europe mais craignent que l'Europe ne les aime pas.
L'ambition que porte le Gouvernement, c'est de travailler à une autre Europe et d'agir pour réconcilier les Français avec l'idée européenne. Nous pensons qu'un sursaut est possible car c'est dans le cadre européen, avec le poids de tout le continent, que nous pourrons mieux relever les grands défis qui s'imposent à nous : défi du terrorisme, du changement climatique, des migrations, de la croissance et de l'emploi.
Le Président de la République a marqué, tout le long du Conseil européen, la vision qui était la sienne : celle d'une Europe qui protège efficacement les Européens, leurs valeurs et leurs intérêts, quels que soient les domaines, de la sécurité au commerce. Cette Europe n'est pas pour autant une Europe défensive, au contraire. C'est une Europe qui ose assumer le leadership qui lui revient dans de nombreux domaines, de l'économie au climat. L'Europe a beaucoup de raisons d'être fière d'elle-même, et nous, Français, avons beaucoup de raisons d'être fiers de ce que l'Europe a permis d'obtenir, et d'abord d'un modèle de société unique au monde, celui qui concilie la démocratie, l'économie de marché et la justice sociale.
Le Président de la République était très attendu par les chefs d'État et de gouvernement et par les responsables des institutions, qui lui sont reconnaissants de son engagement pro-européen et qui s'interrogeaient sur sa détermination à aller de façon concrète vers une Europe qui protège. La question du détachement des travailleurs, en particulier, était dans tous les esprits même si elle n'était pas à l'ordre du jour. C'est à ce sujet que le Président de la République a consacré l'essentiel de sa rencontre avec les représentants du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie). Cette discussion aura été très utile pour les convaincre que nous souhaitions travailler avec eux. Il ne s'agit pas d'opposer l'Est et l'Ouest de l'Europe mais de travailler à une convergence par le haut qui bénéficiera à tous. Cette approche a été entendue et comprise, même si elle n'a pas choisi la facilité de la complaisance.
En méthode, le Président de la République et la Chancelière ont marqué de façon très forte leur attachement au couple franco-allemand tout au long de ce conseil : nous avons passé des messages concertés au président Tusk et aux autres partenaires, et le Président et la Chancelière ont veillé à la cohérence de leurs interventions. L'organisation d'une conférence de presse commune, en fin de Conseil, a achevé de renforcer ce signal d'unité.
J'en viens maintenant aux débats du Conseil européen proprement dits. Le premier thème que le Conseil européen a abordé est celui de la sécurité et de la défense. La lutte contre le terrorisme est au coeur des préoccupations en Europe et au coeur de l'actualité après les récents attentats de Manchester et Londres. Les discussions en cours sur le paquet « frontières intelligentes » nous permettront de mieux contrôler nos frontières pour repérer les éventuels retours de combattants étrangers. Mais nous devons aller plus loin pour lutter contre l'utilisation d'Internet par les réseaux terroristes. Les retraits de contenus illicites en ligne, par exemple, se font dans des délais trop longs, même si des progrès ont été réalisés en travaillant avec les acteurs de l'Internet.
C'est la raison pour laquelle le Président de la République et Theresa May ont adopté, le 13 juin dernier, un plan qui demande le retrait immédiat des contenus incitant à la haine ou au terrorisme, avec un code de conduite renforcé. Les conclusions du Conseil européen constituent un progrès puisqu'elles demandent à la Commission d'examiner le recours éventuel à de nouvelles mesures législatives pour permettre la détection automatique et le retrait des contenus illicites, une législation qui serait donc applicable sur tout le territoire de l'Union.
Le Conseil européen a également invité la Commission à présenter une proposition législative sur l'interopérabilité des différentes bases de données, que vous avez à juste titre identifiée dans votre rapport de février dernier comme un enjeu majeur.
Enfin, le chiffrement constitue à l'heure actuelle un réel obstacle pour l'accès des enquêteurs aux communications. Le Conseil européen s'est penché sur cet enjeu, avec comme objectif que les services de lutte contre le terrorisme puissent disposer, dans le respect des libertés individuelles, des métadonnées de celles et ceux qui utilisent des messageries cryptées.
Les chefs d'État ou de gouvernement ont par ailleurs marqué une nouvelle étape significative dans le renforcement de la coopération européenne sur la sécurité extérieure et la défense. Le Conseil européen de décembre 2016 avait fixé des lignes communes, en particulier le principe d'autonomie stratégique de l'Union européenne. Le Conseil européen de la semaine dernière a permis d'avancer sur les outils dont nous avons besoin. Nous avons trouvé avec nos partenaires allemands un équilibre précis dans le texte sur deux grands sujets. Il s'agit d'abord du renforcement de nos efforts de recherche et de développement de capacités militaires en commun. Les conclusions marquent le soutien du Conseil européen au projet de fonds européen de défense, qui est une priorité de la France, au Programme de développement industriel en matière de défense européenne, qui mobilisera des outils financiers innovants, ou encore les encouragements du Conseil européen à ce que la Banque européenne d'investissement s'investisse plus dans le domaine de la défense. Je tiens à souligner le rôle très constructif de la Commission et de son président dans cette avancée substantielle.
Par ailleurs, les conclusions mentionnent aussi le projet de coopération structurée permanente. Comme nous le souhaitions, et dans l'esprit du traité, elles précisent que cette coopération structurée permanente devra être « ambitieuse » et rappellent que la première étape consiste à définir, dans les trois mois, des critères communs et à ce que les États qui le souhaitent prennent ensemble des engagements. Nous avons été attentifs à ce que les deux sujets, le fonds européen de défense et la coopération structurée permanente, avancent au même rythme.
Enfin, le Conseil européen a ouvert la voie à un financement par le mécanisme européen Athéna, et non plus majoritairement par les États membres concernés, du déploiement des Groupements tactiques de l'Union européenne.
Au total, il s'agit d'avancées majeures et inédites pour le développement en commun de capacités militaires et pour une interopérabilité accrue des forces armées.
Le deuxième thème à l'ordre du jour était l'emploi, la croissance et la compétitivité. Le travail engagé lors du Conseil européen de juin 2016 pour l'approfondissement du marché intérieur a d'ores et déjà porté ses fruits. C'est le cas sur le marché unique du numérique, avec la suppression des frais d'itinérance dont tous les Européens bénéficient depuis le 15 juin, ou encore de la portabilité des contenus. Plusieurs défis restent à relever, y compris dans le secteur du numérique, comme l'a souligné la Commission dans sa revue à mi-parcours du marché unique numérique, mais aussi s'agissant de l'union des marchés de capitaux, de l'union de l'énergie, ou encore de l'industrie.
C'est sur la réciprocité des échanges, des marchés publics et du traitement des investissements dans les secteurs sensibles, que la discussion a été la plus vive. L'Union est la première puissance commerciale au monde. Personne ne le remet en cause, pas plus que sa volonté de promouvoir un système commercial multilatéral ouvert et fondé sur des règles. Mais l'Union doit aussi défendre ses intérêts plus clairement et s'assurer que les conditions de concurrence internationale soient équitables. L'ouverture est souhaitable, mais à condition qu'elle soit réciproque et que les règles du jeu soient respectées. C'est pourquoi les conclusions appellent, à notre initiative, à accélérer la modernisation des instruments de défense commerciale et à mettre en oeuvre des mesures pour rendre notre défense commerciale plus réactive et efficace.
La question de la réciprocité se pose aussi sur les marchés publics : nos marchés publics ne peuvent rester totalement ouverts à des États tiers si ceux-ci n'ouvrent pas les leurs. Là aussi, le Conseil européen a donné une impulsion politique.
Enfin, nous devons mieux contrôler les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques en Europe. Sur ce dernier point, nous aurions préféré des conclusions plus ambitieuses, mais le texte actuel pose le principe de la réciprocité et soutient l'idée que la Commission « analyse » ces investissements. C'est une première étape importante qui a été franchie.
Le Conseil européen a également discuté de la façon dont l'Union peut agir vis-à-vis de la question des migrations. Confrontée à l'été 2015 à une pression migratoire sans précédent, l'Union européenne a rapidement su apporter des réponses d'urgence. L'agence dédiée à la gestion des frontières, FRONTEX, a vu ses moyens tripler et s'est transformée en agence européenne des gardes-frontières et des garde-côtes ; un accord a été conclu avec la Turquie le 18 mars 2016 ; deux décisions de relocalisation et un programme de réinstallation ont été lancés. Toutes ces mesures ont permis une réduction importante des flux migratoires d'ensemble.
Ces mesures d'urgence ne règlent toutefois pas les problèmes de fond, et il nous faut encore avancer sur des réformes plus structurelles qui sont actuellement en cours de discussion. C'est le cas du contrôle des frontières extérieures de l'Union, qui doit être systématique, c'est-à-dire viser aussi les bénéficiaires de la libre-circulation, y compris les citoyens européens, pour être pleinement efficace. C'est aussi le cas de la réforme du régime européen d'asile, qui doit reposer sur un équilibre entre responsabilité et solidarité. Enfin, être efficace suppose une action renforcée vers les pays d'origine et de transit des migrants. Nous devons renforcer notre engagement en Libye, même si les conditions de sécurité limitent fortement nos possibilités d'action, et soutenir activement les pays voisins, la Tunisie et l'Égypte mais aussi le G5 Sahel et la force conjointe qu'ils constituent. C'est ce qu'a souligné le Conseil européen dans ses conclusions qui trouvent le bon équilibre entre engagement auprès des pays tiers et efforts accrus de politique de retour, avec la notion de « pays tiers sûr », dans le respect de la convention de Genève et du droit primaire de l'Union.
Le Conseil européen a aussi permis aux chefs d'État et de gouvernement d'aborder les grands sujets d'actualité internationale, et notamment la lutte contre le changement climatique. La décision de Donald Trump de désengager les États-Unis de l'Accord de Paris est une faute pour l'avenir de notre planète. Face à cette décision, le Conseil européen a réaffirmé, à notre initiative, le caractère non négociable de l'Accord de Paris et l'engagement de l'Union et de ses États membres à le mettre en oeuvre.
Le langage a été renforcé à la demande du Président de la République, malgré les tentatives de certains partenaires. Il appelle également au renforcement de la coopération avec les partenaires internationaux.
Par ailleurs, le Président et la Chancelière ont présenté conjointement l'état du processus de Minsk. Le président chypriote Anastasiades a évoqué pour sa part la reprise des négociations inter-chypriotes.
Enfin, sur la question du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, les Vingt-Sept ont entendu Mme May qui leur a présenté les grandes lignes d'une première proposition sur les droits des citoyens. Cette proposition a été développée hier dans un rapport présenté au Parlement britannique que nous devrons examiner plus en détail. En tout état de cause, l'accord de retrait devra assurer la symétrie des droits garantis aux citoyens britanniques résidant dans l'un des 27 États membres et des droits des citoyens européens résidant au Royaume-Uni.
Après son départ, les Vingt-Sept ont fait le point sur le lancement de la négociation et ont souligné l'importance de respecter la séquence de négociation décidée par les Européens et acceptée par le Royaume-Uni. Celle-ci prévoit de se concentrer d'abord sur le droit des citoyens, sur les frontières et sur les modalités de calcul du règlement financier du départ du Royaume-Uni. C'est seulement dans un second temps, lorsque des progrès suffisants auront été constatés et normalement à l'automne, que les autres sujets seront ouverts et que le négociateur pourra commencer à évoquer l'avenir des relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
Les Vingt-Sept se sont très rapidement mis d'accord sur une procédure qui permet le transfert ordonné de l'Agence européenne du médicament et de l'Autorité bancaire européenne sur le continent. Vous le savez, les villes de Lille et de Paris sont candidates respectivement à l'accueil de chacune de ces agences. La procédure décidée par le Conseil européen permettra au Conseil Affaires générales de novembre 2017 de prendre une décision sur la base de critères objectifs évalués par la Commission, qui comprendront entre autres la continuité de l'activité de l'agence et l'accessibilité.
Tels sont les sujets qui ont été abordés lors de ce Conseil européen, qui aura permis de progresser sur les priorités définies par le Président de la République. C'est en avançant dans tous ces domaines par des mesures concrètes et efficaces que nous ferons de l'Europe une véritable puissance et que nous réconcilierons les citoyens avec le projet européen.