Nous avions pour mission d'évaluer le coût total de la mesure pour les entreprises. Nous nous sommes donc efforcés de répondre aux quatre questions suivantes : quel serait le coût administratif de la collecte pour l'entreprise ? Quel serait l'impact de la mesure sur les négociations salariales et, donc, sur la dynamique des salaires ? La possibilité, pour les très petites entreprises (TPE), de conserver pendant trois mois l'impôt prélevé, est-elle de nature à faciliter leur financement ? Quel serait l'effet de la mesure sur les relations sociales au sein de l'entreprise ?
Nous avons procédé par sondage, en soumettant à un grand nombre d'entreprises un questionnaire. Nous avons obtenu 482 réponses, émanant d'entreprises de toutes tailles, ce qui est satisfaisant d'un point de vue statistique. Nous avons complété l'analyse quantitative par des entretiens téléphoniques lorsque cela est apparu nécessaire. Nos conclusions, tirées de ce questionnaire, reflètent, pour l'essentiel, l'opinion des entreprises sur le prélèvement à la source. Toutefois, ces dernières se sont avérées incapables de répondre à un certain nombre de questions. Cela s'explique par leur manque de préparation sur certains sujets. Une majorité écrasante d'entreprises sont finalement mal informées. Ainsi, pour les questions auxquelles les entreprises ont été incapables de répondre, nous avons procédé à des estimations.
S'agissant du coût administratif de la collecte supporté par les entreprises, nous l'avons estimé à 1,2 milliard d'euros l'année de la mise en place du prélèvement à la source. Quant au coût récurrent, il devrait atteindre 100 millions d'euros. À souligner, le coût de la réforme sera supporté à 70 % environ par les TPE, dont le nombre, je le rappelle, s'élève à 1,6 million.
L'effet de la mesure sur les salaires est une question beaucoup plus complexe. Selon la théorie économique orthodoxe, le prélèvement à la source ne devrait avoir aucun effet sur le comportement des agents économiques, dans la mesure où le montant de l'impôt n'est pas modifié, seul le calendrier de paiement étant en cause. Toutefois, l'expérience nous enseigne une autre leçon : lorsque le président Bush, en 1992, avait décidé de réduire le taux de prélèvement à la source appliqué par les entreprises, et, en compensation, d'augmenter le paiement final, on avait anticipé qu'une telle mesure n'aurait aucun effet sur la consommation or, en réalité, tel n'a pas été le cas. Un certain nombre de ménages ont consommé davantage chaque mois. Par conséquent, une partie des ménages sont surtout sensibles au montant de leurs revenus mensuels disponibles, en fonction duquel ils prennent leurs décisions de consommation. Si nous extrapolons ce résultat au prélèvement à la source qui sera mis en place en France, nous pouvons craindre que la mesure ne suscite auprès des ménages un sentiment d'appauvrissement, créant des conséquences négatives non seulement sur leur consommation, mais affectant aussi, à terme, les négociations salariales. Une telle analyse est partagée par l'ensemble des entreprises que nous avons interrogées. Toutefois, les éléments dont nous disposons sont tout à fait insuffisants pour démontrer avec certitude que le prélèvement à la source aurait un tel effet négatif.
J'en viens à la question de l'impact de la mesure sur le financement des très petites entreprises, donc des entreprises de moins de 10 salariés. La réforme prévoit en effet que celles-ci pourront conserver l'impôt dans leur trésorerie, ne le reversant au Trésor que tous les trois mois. Nous avons pris l'exemple d'une très petite entreprise représentative de l'économie française, employant 2,1 employés gagnant chacun environ 30 000 euros annuels. Leur impôt sur le revenu s'élève ainsi à 2 730 euros par an, soit 228 euros par mois. Pour 2,1 employés environ, cette TPE aurait donc 478 euros de plus dans sa trésorerie. Si l'on considère le taux d'intérêt moyen sur les découverts bancaires, qui est aujourd'hui de 2,5 %, le gain financier pour les entreprises atteint environ 12 euros par an, soit un montant tout à fait négligeable, qui n'est pas de nature à avoir le moindre effet sur la problématique du financement des TPE.