Intervention de Philippe Bas

Réunion du 4 juillet 2017 à 15h00
Sixième prorogation de l'état d'urgence — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Dès le mois de février 2015, à la suite de la réunion d’un groupe de travail formé au sein de la commission des lois, je m’étais d’ailleurs adressé au Premier ministre pour lui faire des propositions, qui sont restées lettre morte pendant un temps. Puis à la suite des attentats de novembre 2015, le gouvernement de l’époque a décidé de présenter lui-même un projet de loi visant à renforcer la lutte contre le crime organisé et le terrorisme.

Nous ne l’avons pas attendu : dès le mois de décembre, nous étions prêts et nous avons déposé notre proposition de loi, laquelle a été adoptée par le Sénat le 2 février 2016. Cela n’a pas empêché le Gouvernement de poursuivre sa tâche, nous faisant d’ailleurs prendre, au passage, encore un peu de retard dans l’élargissement de l’arsenal antiterroriste. Nous nous sommes finalement entendus avec lui, si bien que la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a considérablement renforcé les pouvoirs de droit commun qui sont exercés, à la fois, par la police, par le parquet et par les juges pour prévenir, combattre et réprimer le terrorisme.

Nous avons été encore plus loin dans la loi du 21 juillet 2016, consécutive aux attentats de Nice, qui renouvelait l’état d’urgence, et qui, de surcroît, apportait de nouvelles mesures visant à renforcer la répression du terrorisme.

Nous avons, par exemple, prévu la perpétuité réelle pour les terroristes.

Nous avons multiplié les incriminations permettant de poursuivre un individu qui consulterait régulièrement des sites incitant à la commission d’attentats terroristes.

Nous avons permis que soient poursuivis des individus qui reviennent de camps d’entraînement djihadistes.

Je n’énoncerai pas l’ensemble des mesures de cet arsenal, qui est considérable.

Quand vous viendrez devant nous la semaine prochaine, monsieur le ministre d’État, et même dès demain pour nous présenter de nouvelles dispositions, je serai donc tenté de vous répondre que ces dispositions – et nous en soutiendrons beaucoup – ne constituent pas, par rapport à l’ensemble des dispositions déjà prises, un saut décisif permettant d’améliorer notre arsenal juridique.

Pour rassurer les Français, vous invoquerez comme argument que vous avez fait quelque chose de plus pour assurer leur sécurité, en dépit de la fin de l’état d’urgence. Or le véritable saut a d’ores et déjà été fait.

Pour ce qui est de prévoir dans le droit commun la possibilité de prononcer des assignations à résidence ou de faire des perquisitions administratives, même avec l’autorisation du juge des libertés, je crains que ces dispositions, que vous avez à juste titre voulu encadrer en prévoyant l’intervention du juge judiciaire, ne soient parfaitement inutiles.

Michel Mercier, ancien garde des sceaux, a évoqué voilà quelques instants une mesure qui marche bien : il s’agit des perquisitions décidées à Paris par le préfet, alors même qu’il n’utilise pas les pouvoirs qui lui sont conférés au titre de l’état d’urgence, lorsqu’il s’entend avec le procureur de la République pour que ces perquisitions aient lieu dans le cadre du droit commun.

Si vous nous proposez de nouveaux outils permettant de faire des perquisitions ou des assignations à résidence, mais qui s’insèrent dans des procédures tellement complexes qu’ils ne servent à rien, alors nous n’aurons pas fait un travail très utile. Nous aurons, en revanche, alimenté le débat sur la défense des libertés, qui suscitera ici de vives préoccupations. Le Sénat est en effet, dans l’histoire, l’assemblée qui défend les libertés. Cela ne nous empêche pas – et vous-même avez fait le lien, monsieur le ministre d’État, entre sécurité et liberté – d’être conscients au premier chef de la nécessité de renforcer nos instruments de lutte contre le terrorisme. Mais nous ne voulons le faire que lorsque cette mesure est strictement nécessaire à l’efficacité de l’action, sans mettre en péril des droits fondamentaux défendus par la Constitution.

Monsieur le ministre d’État, j’exprime ces préoccupations dans un souci d’unité. Il faut cesser de faire le lien entre la nouvelle loi que vous allez nous proposer et la sortie de l’état d’urgence. Si vous avez besoin de renforcer, dans le droit commun, l’éventail des possibilités permettant de lutter contre le terrorisme, nous sommes à votre écoute.

Je pense, pour ma part, que le meilleur moyen de lutter contre le terrorisme dans les périodes suraiguës que nous avons connues, c’est encore l’état d’urgence. Il présente en effet des avantages.

Le premier est le contrôle du Parlement. Nous avons ainsi mis en place un comité de suivi au sein de la commission des lois, que je préside, dont Michel Mercier est le rapporteur spécial.

La commission des lois a été dotée à plusieurs reprises des pouvoirs d’une commission d’enquête, et nous avons prévu dans la loi que vous devez nous informer de chaque décision que vous prenez. Nous avons la possibilité d’utiliser nos pouvoirs d’investigation. Enfin, les pouvoirs exceptionnels n’étant conférés que pour une durée déterminée, vous êtes obligés de venir nous rendre compte, ce qui est une garantie importante pour les Français.

Qui plus est, jamais on n’aura vu autant de décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel de nature à créer une véritable jurisprudence de l’état d’urgence protectrice de l’État de droit et de nos libertés.

Puisque vous pouvez rétablir l’état d’urgence à tout moment, vous n’êtes privés d’aucun instrument si vous ne durcissez pas le droit commun. En cas de péril imminent et de nécessité, il vous est possible, je le répète, de rétablir les moyens exceptionnels de l’état d’urgence : vous pouvez abandonner l’état d’urgence à minuit, et le remettre en œuvre par décret à minuit quinze…

La logique que nous suivons est la suivante : nous continuerons à vous soutenir dans la lutte contre le terrorisme en utilisant, éventuellement, le degré maximum de l’arsenal juridique autorisé par l’état d’urgence, sans pour autant aller jusqu’à dénaturer un certain nombre de règles fondamentales qui nous permettent de respecter les garanties constitutionnelles en dehors de la période de l’état d’urgence.

Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le ministre d’État, au moment où nous nous apprêtons à vous donner assez largement – à l’exception de certains groupes qui se sont exprimés ou qui le feront dans quelques instants – la possibilité de maintenir l’état d’urgence pendant plusieurs mois encore. Nous aurons l’occasion d’approfondir les questions relatives à l’amélioration de nos armes permanentes à l’occasion d’un débat ultérieur sur la base de l’audition qui aura lieu demain.

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