Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, dans son rapport très complet et très argumenté, Michel Mercier a donné tous les faits, et dans votre intervention introductive, monsieur le ministre d’État, vous avez bien rappelé le contexte. Nous pouvons donc, je crois, concentrer notre débat et nos échanges sur la question de principe : voterons-nous en faveur de cette nouvelle et dernière prolongation de l’état d’urgence dans les conditions que nous connaissons ?
Nous en sommes à la fin d’une succession de renouvellements de l’état d’urgence, auxquels une large majorité du Sénat a consenti à chaque fois.
Je voudrais revenir sur l’épisode que nous avons vécu au sein de la commission des lois, en présence de M. le ministre d’État, alors sénateur, l’avant-veille du 14 juillet 2016. Nous étions alors tous convaincus que l’état d’urgence ne présentait plus d’avantage, de valeur ajoutée. Le Président de la République dit d’ailleurs la même chose dans son allocution du 14 juillet au matin. La semaine suivante, après le drame de Nice, nous avions tous changé de position. Quelle réflexion en tirer ?
Un rappel est nécessaire, surtout lorsque les drames s’éloignent dans le temps : celui de la permanence et de la violence de cette menace terroriste qui continue à peser sur notre pays et sur chacun de nos concitoyens. Nous devons donc faire l’effort d’accumuler le maximum d’outils de précaution et de prévention. C’est à cela que sert l’état d’urgence.
Au moment où le Gouvernement nous demande une dernière prolongation pour les trois prochains mois, ayons en mémoire les réflexions et les constats que nous avions faits non seulement lors de nos débats, lesquels ont été presque unanimes, mais aussi lors des auditions et des contacts qui nous ont permis de constater l’importance et la multiplicité des menaces face auxquelles l’État doit s’organiser.
Michel Mercier a bien montré, notamment dans son rapport écrit, quels ont été les outils conférés par l’état d’urgence, mais aussi combien ce dispositif a constitué un soutien très efficace au renseignement et à l’analyse des risques.
Les perquisitions ont fait débat. Certains collègues ont dit qu’elles n’avaient pas abouti à des centaines de mises en examen pour faits de terrorisme dans l’instant. Mais qui nous dit qu’une bonne partie de la détection des risques, d’embryons de réseaux et de préparatifs d’actes terroristes n’ont pas été découverts à partir de la chaîne de renseignement déclenchée par certaines de ces perquisitions ?
De même, s’agissant de l’assignation à résidence, je tiens à souligner que, face à la très lourde pression qui s’exerce sur nos services, et notamment sur le renseignement intérieur, cette mesure est un outil d’économies très importantes de ressources humaines de renseignement intérieur. Lorsque des individus sont identifiés, sous le contrôle du juge, comme des pivots, des organisateurs de réseaux, il est tout de même plus simple de les avoir à l’œil dans un espace géographique déterminé que d’engager des dizaines de fonctionnaires de police qualifiés pour vérifier où ils se trouvent et quels contacts ils ont.
Du point de vue de la gestion de la prévention du risque terroriste, il s’agit donc d’outils importants.
Nous pourrions dire la même chose à propos des zones de protection et de sécurité. Nous continuerons à organiser, et c’est heureux, de grands rassemblements et des événements festifs, tels que la fête des Lumières à Lyon, auxquels M. le ministre d’État fait allusion. Si l’État n’est pas doté d’outils administratifs, sous le contrôle du juge, pour assurer la prévention des risques exceptionnels qui pèsent sur ces événements, alors nous devrons choisir : soit augmenter le risque, soit supprimer des éléments fondamentaux du lien social et de la vie collective de notre nation.
Je rejoins les propos de notre rapporteur, qui a beaucoup travaillé sur le sujet, quant au développement du contrôle des juges.
Nous avons constaté au cours des deux dernières années une multiplication des décisions prises par les tribunaux administratifs, qui ont fort bien fait leur travail, puis par le Conseil d’État, lesquels ont précisé les conditions dans lesquelles pouvaient intervenir ces mesures administratives. Tout risque d’arbitraire a donc été écarté.
Jacques Bigot a évoqué le débat sur l’affaiblissement ou la remise en question de l’État de droit par l’application de ces mesures administratives. L’objectivité et l’analyse juridique scrupuleuse obligent à répondre que tel n’est pas le cas : le contrôle d’un juge indépendant permet de fixer de nombreux éléments de vigilance autour de ces mesures de précaution et de sûreté. Nous pouvons donc, en tant que chambre des libertés, approuver ces mesures avec la conscience tranquille.
Nous allons vers une nécessaire transition. Le président Philippe Bas a lancé le débat, avec beaucoup de prudence et d’ouverture, sans fermer aucune porte, relatif au projet de loi antiterroriste sur lequel nous allons délibérer dans quelques jours.
Je tiens à apporter le soutien déterminé de notre groupe au Gouvernement sur cette dernière prolongation. Il est nécessaire, bien sûr, que ces mesures administratives et celles qui leur succéderont soient entourées par un ensemble plus vaste : les mesures de déradicalisation et le renforcement du renseignement, en particulier de la capacité d’analyse.
En réaffirmant notre confiance au Gouvernement pour mener ces actions, je veux aussi l’appeler à veiller à assurer une gestion précautionneuse des ressources humaines de la police, de la gendarmerie et des forces armées, qui sont menacées de saturation et d’épuisement, et auxquelles nous souhaitons tous rendre hommage. Ce risque de saturation, je crois que le Gouvernement l’a bien perçu.