Nous parvenons aujourd'hui au terme de notre étude triennale sur le foncier dans les outre-mer. Comme vient de le rappeler notre président Michel Magras, les deux premiers volets ont traité successivement de la gestion des domaines public et privé de l'État, puis de la sécurisation des titres de propriété confrontée au phénomène de l'indivision et à l'existence de droits coutumiers très prégnants dans certains de nos territoires - je pense bien sûr plus particulièrement à Mayotte, mais également aux trois collectivités du Pacifique. Le troisième et dernier volet de l'étude est centré sur la problématique des conflits d'usage et sur les outils devant permettre d'optimiser l'utilisation du foncier disponible dans les outre-mer.
Alors que les deux premiers volets avaient donné lieu à des déplacements en Guyane, en Martinique et à Saint-Martin pour le premier, et à Mayotte puis à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française pour le deuxième, les exigences du calendrier et la contrainte budgétaire ne nous ont pas permis d'effectuer un nouveau déplacement à l'appui de notre étude sur les conflits d'usage. Nous avons néanmoins pu recueillir une masse d'informations via les réponses obtenues à nos questionnaires et lors des visioconférences que nous avons organisées. Ces visioconférences nous ont permis d'entrer en contact avec les responsables politiques, les gestionnaires de structures en charge des questions foncières mais aussi des acteurs économiques locaux de plusieurs territoires : successivement la Guyane, La Réunion, la Guadeloupe, la Polynésie française et Mayotte. Au total, pour l'instruction de notre sujet, plus de 70 personnes ont été entendues.
La question des conflits d'usage revêt une acuité toute particulière dans nos outre-mer car le foncier disponible y est rare et cher, qu'il y ait peu d'espace, comme dans la plupart de nos territoires insulaires, ou une vaste superficie comme en Guyane où l'essentiel du territoire est « sous cloche », selon l'expression chère à notre collègue Georges Patient, ou figé dans le giron étatique.
Or, la faiblesse du foncier disponible est d'autant plus préjudiciable au développement des territoires ultramarins que ceux-ci doivent le plus souvent relever des défis dont l'intensité est majorée en comparaison de ce que l'on connaît dans l'Hexagone. Qu'il s'agisse des phénomènes de décohabitation, de transition vers un modèle de cellule familiale plus restreinte et de proportion de plus en plus importante de familles monoparentales - un quart des ménages en Guadeloupe et en Guyane contre 9 % dans l'Hexagone --, ou qu'il s'agisse de territoires connaissant un fort dynamisme démographique tels que La Réunion dont la population approche les 850 000 habitants ou la Guyane, Mayotte ou encore Saint-Martin, aux prises avec des flux migratoires non maîtrisés, ces évolutions démographiques ont pour conséquences immédiates le gonflement des besoins de logements et la prolifération des occupations et constructions illicites.
Par ailleurs, la recrudescence des phénomènes climatiques extrêmes et la montée des eaux due au réchauffement global entraînant un recul du trait de côte réduisent l'habitabilité d'une bande littorale dont nous avons vu précédemment, au cours de nos travaux, qu'elle était partiellement sanctuarisée via la ZPG et ses zones naturelles.
Qu'elles aient une origine géographique - risques naturels d'ordres divers, sismique, de glissement de terrain ou encore de submersion -, d'origine culturelle comme la sanctuarisation coutumière de certaines terres, ou bien d'origine historique et juridique comme le caractère proportionnellement démesuré du domaine de l'État par rapport à celui des collectivités ou le classement de zones étendues pour préserver une biodiversité exceptionnelle - rappelons que 80 % de la biodiversité de la France se situe outre-mer ! - les contraintes conduisant à un amenuisement du foncier disponible se conjuguent et se cumulent.
En regard de ces contraintes, les besoins eux aussi sont multiples et concurrents en termes d'occupation foncière. Nous avons évoqué le logement, mais il y a également la création d'infrastructures pour répondre aux besoins collectifs - voies de communication, réseaux d'assainissement, bâtiments scolaires, hôpitaux... - ou encore les nécessités économiques - agriculture, installations touristiques, activités minières et industrielles, entreprises...
Les besoins d'espace sont multiples et rivaux et cette forte tension qui s'exerce sur le foncier rend d'autant plus cruciale la définition de stratégies territoriales s'adossant à des outils efficaces. En effet, la concurrence entre tous les usages possibles est exacerbée et nécessite de définir des priorités, dans l'immédiat et pour le développement futur. Ce constat général justifie notre choix de sujet ciblant les conflits d'usage.
Avant de céder la parole à mes collègues rapporteurs, je tiens à souligner le caractère largement lacunaire et disparate de la connaissance que nous avons de la situation foncière de nos outre-mer et du fonctionnement des marchés foncier et immobilier. En ce domaine comme pour d'autres secteurs, le manque d'information est une constante et, en dépit d'une prise de conscience réelle et d'avancées ponctuelles, cette faiblesse est préjudiciable au développement des territoires car, sans outil de pilotage, il est difficile de définir et de mettre en oeuvre des stratégies ou d'endiguer les mouvements spéculatifs. C'est pourquoi la première des dix recommandations que nous formulons dans le troisième volet de notre étude est de mettre en place des dispositifs locaux de collecte et d'agrégation des données relatives aux marchés foncier et immobilier, ainsi que des mécanismes de coordination au niveau central. Cela permettrait de rassembler les données éparpillées localement et disponibles dans les observatoires locaux du foncier, dans les établissements publics fonciers, dans les services déconcentrés de l'État (DEAL et DRFiP), dans les chambres consulaires et auprès des notaires. La remontée de ces informations doit permettre notamment une meilleure coordination entre le ministère des outre-mer et la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et de faire bénéficier la politique d'aménagement et du logement en outre-mer de l'ensemble des instruments et de l'expertise déjà disponibles pour l'Hexagone.
Après cette contextualisation de la problématique des conflits d'usage dans les outre-mer, je cède la parole à notre collègue Daniel Gremillet pour mettre la focale sur les problématiques spécifiques du logement et de l'agriculture et présenter cinq propositions pour « voler au secours » du foncier agricole.