Les textes - un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire - dont nous sommes saisis ne vont pas faire resplendir une aube nouvelle sur la vie politique, puisque j'en ai déjà recensé une trentaine en matière de régulation de la vie publique depuis 1985. S'ils contiennent des mesures très positives, il ne faut donc pas en attendre plus que ce qu'ils peuvent donner.
Ces textes traitent de six questions importantes.
La première est relative à la probité des candidats aux différentes élections. Durant la campagne, l'actuel président de la République avait proposé que tout candidat à une élection produise un extrait de casier judiciaire. Or pour les élections municipales, ce sont environ 1,5 million de candidats qui se présentent...
Au-delà des aspects pratiques, le Gouvernement a renoncé à cette mesure pour des raisons essentiellement constitutionnelles. L'éligibilité est en effet un droit fondamental en démocratie. Doit-on, si l'on commet une faute à un moment de sa vie, être continûment poursuivi par elle ? Le Conseil constitutionnel est très vigilant sur ce point ; il s'est souvent prononcé sur cette matière.
Le Gouvernement a donc cherché un autre terrain pour s'assurer de la probité des candidats, à ma grande satisfaction. Il propose désormais que le juge, lorsqu'il sanctionne n'importe quel crime ou un délit témoignant d'une atteinte à la probité, prononce également, sauf décision spécialement motivée, une peine complémentaire d'inéligibilité, pour une durée maximale de dix ans. Je soutiens cette nouvelle disposition, qui apporte la garantie du juge et évite, en outre, l'effet rétroactif de la disposition prévue initialement.
Deuxième point important : l'obligation pour les parlementaires de produire ce que l'on a abusivement appelé un « quitus » fiscal au moment de leur entrée en fonction. Le Gouvernement propose en la matière quelque chose de comestible. Il ne s'agit pas, en effet, d'un vrai quitus, qui implique une vérification d'ensemble, suppose une procédure contradictoire lente, accompagnée de nombreuses voies de recours, mais d'une simple attestation de l'administration fiscale, selon laquelle le contribuable s'est acquitté de ses obligations déclaratives, et a versé les impôts exigibles.
Je proposerai dans un amendement qu'il n'y ait pas de conséquence automatique au fait que le contribuable ne soit pas en règle sur ces deux points. Le Conseil constitutionnel ne pourra prononcer la déchéance du mandat que si le candidat élu est convaincu d'un manquement grave à ces obligations. Il faut également qu'il ait eu la possibilité de se mettre en règle avant que l'attestation de l'administration ne soit délivrée au bureau de l'assemblée concernée.
Troisième point important : les conflits d'intérêts. Quels sont les métiers que les parlementaires ne peuvent exercer ? Des dispositions sur ce point existent depuis le début de la Ve République, voire avant. Le Gouvernement propose qu'un parlementaire ne puisse exercer une activité de conseil s'il ne l'a pas débutée au moins un an avant son élection. La participation au capital d'une société de conseil et la direction d'une telle société seraient également visées par de nouveaux cas d'incompatibilité.
Le Gouvernement a prévu de créer un registre des déports pour les parlementaires - le Sénat a spontanément mis en oeuvre des règles de déport -, registre que je proposerai d'instituer également pour les membres du Gouvernement.
Quatrième priorité de ce texte : la question des emplois « familiaux » pour les membres du Gouvernement, les parlementaires et les autorités territoriales, mais aussi celle des « emplois croisés ». Pour ces derniers, il est prévu non pas de les interdire - même si cela a été envisagé -, mais de les déclarer.
Quant à la suppression des emplois familiaux, il s'agit d'une disposition perçue comme phare par l'opinion publique. Le Gouvernement est très ferme dans sa volonté de mettre un terme à ces pratiques, sans s'interroger d'ailleurs sur l'effectivité de cette mesure radicale. Mon avis est que, dans la navette, ce sujet ne sera pas négociable. Il me semble donc préférable d'accepter le principe de cette disposition afin de pouvoir l'amender sans être évincés de sa discussion.
Nous pouvons par exemple être exigeants sur la protection des collaborateurs qui se trouvent privés de leur emploi du fait de cette mesure, et ce dans des conditions de brutalité sans précédent. Nous devons remplir le vide laissé par les projets du Gouvernement sur ce point.
Je proposerai également que les collaborateurs « familiaux » des membres du Gouvernement soient définis dans la loi, mais aussi que l'injonction de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique - HATVP - de faire cesser une collaboration s'adresse non seulement aux ministres mais aussi à leurs collaborateurs.
Cinquième priorité de ces textes : la prise en compte des frais afférents à l'exercice du mandat parlementaire. En l'espèce, la disposition est laconique ; ce sujet relève en effet de la compétence du bureau de chaque assemblée. Le Gouvernement prévoit seulement que les frais engagés pour le mandat seront remboursés sur la base de justificatifs et dans la limite de plafonds.
Je proposerai d'introduire un élément de souplesse pour l'instruction que devra prendre le bureau, qui sera élaborée de manière pluraliste et après avis de l'organe chargé de la déontologie parlementaire. Nous voulons renforcer le système que nous avons d'ores et déjà mis en place, dont les règles sont sévères. Je vous en rappelle certaines, vous les connaissez : l'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) est versée sur un compte dédié, nous devons restituer au Sénat les sommes non dépensées en fin de mandat, et la liste des frais autorisés est limitative. Nous ne partons pas de rien !
Je proposerai également que les frais soient non pas « remboursés » comme le prévoit le Gouvernement, mais « pris en charge » sur présentation d'un justificatif, afin de permettre au bureau de chaque assemblée de procéder à des avances, qui éviteront au parlementaire de payer sur ses deniers personnels, en attendant le remboursement, des frais d'un montant qui peut dépasser son revenu mensuel.
J'en viens à la question des réserves parlementaire et ministérielle. Il est certain que le système de la réserve parlementaire a pu donner lieu à des abus dans le passé. Mais, pour lutter contre les abus, faut-il interdire ce qui est normal, ou seulement le réglementer ? À mon sens, priver les communes de crédits pour des dépenses d'équipement ou des travaux qui sont d'intérêt général et qui ne peuvent être financés autrement serait une erreur grave.
Je rappelle que, au cours des trois dernières années, nos collectivités territoriales ont perdu 9,6 milliards d'euros de dotations cumulées. Avec la réserve parlementaire, nous parlons d'environ 147 millions d'euros qui financent des projets essentiels pour les collectivités rurales.
Je propose donc de mettre en place un nouveau système : une dotation de soutien à l'investissement des communes et de leurs groupements. La procédure prévoirait des conditions de transparence totale et supposerait l'accord du Gouvernement pour inscrire les crédits correspondants en loi de finances. Elle répondrait à six critères d'éligibilité, dont un financement maximal de 20 000 euros par projet, pour une part maximale de 50 % des travaux aidés.
Sixième et dernière priorité : le financement de la vie politique. L'accès aux crédits des candidats aux diverses élections est une nécessité. François Logerot, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, nous a rappelé que de nombreux candidats n'obtenaient pas des banques l'ouverture d'un compte bancaire, ces dernières s'abstenant même de produire une lettre de refus, empêchant les candidats d'utiliser les voies de recours prévues.
Je dois dire, sur ce sujet, que la « banque de la démocratie », prévue dans le projet du Gouvernement, est une idée singulière. Elle n'est d'ailleurs pas encore traduite de manière substantielle dans les propositions du Gouvernement, qui demande par conséquent que nous l'habilitions à procéder par ordonnance. Interrogée par nos soins sur ce sujet, la garde des sceaux explique que le Gouvernement planche sur trois hypothèses pour mettre sur pied ce système, et qu'il a demandé un rapport à l'inspection générale des finances et à l'inspection générale de l'administration.
Cette réponse n'est pas satisfaisante. Le Parlement ne doit pas, à mon sens, se dessaisir de son pouvoir législatif en la matière et dans des conditions aussi floues. Que la ministre nous éclaire avant le débat en séance publique ou revienne nous voir ultérieurement avec un texte.