Intervention de Gérard Collomb

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 5 juillet 2017 à 18h50
Projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme — Audition de M. Gérard Collomb ministre d'état ministre de l'intérieur

Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez examiné hier, en séance publique, le projet de loi prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence jusqu'au 1er novembre prochain.

Nous souhaitons mettre fin à l'état d'urgence, qui ne peut être permanent dans la mesure où il est très restrictif au regard des libertés publiques. Cette volonté a été réaffirmée avec force lundi, au Congrès, par le président de la République. Elle suppose toutefois, au préalable, d'adapter les moyens de lutte contre le terrorisme dans le droit commun. C'est à cette fin que nous avons proposé ce projet de loi. Son objet est simple : garantir en dehors de l'état d'urgence l'efficacité de la lutte antiterroriste, tout en veillant à la préservation de la plénitude des libertés publiques. Ce sujet est grave, car le niveau de la menace terroriste pour notre pays reste aujourd'hui très élevé, notamment eu égard au nombre de dossiers que nos services peuvent suivre.

Rappelons-nous la séquence d'attentats depuis celui qui a frappé Charlie Hebdo ; il y a eu 239 victimes depuis 2015 en France. Les signaux constatés sur notre sol, notamment avec l'attentat du 20 avril dernier sur les Champs-Élysées qui a coûté la vie à l'un de nos policiers, la tentative d'attentat sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, puis celle qui a visé un escadron de la gendarmerie également sur les Champs-Élysées, montrent que la menace est toujours importante. Cette dernière a peut-être un peu changé de nature, mais elle n'en est pas plus simple à gérer.

Dans les premiers temps, la menace était portée par des organisations qui se réclamaient de Daesh et du prétendu État islamique. Elle prenait la forme d'actions extrêmement organisées menées en synergie. Est ensuite venu le temps de la propagande, permettant à Daesh, via les réseaux sociaux, d'indiquer les voies et moyens de commettre des attentats sur le sol français. Nous sommes donc passés d'une menace exogène à une menace endogène.

Au cours de la période électorale, nous avons déjoué deux attentats qui étaient sur le point d'être commis à Montpellier par une jeune fille, au moyen d'une bombonne de gaz, et à Marseille, par deux individus en possession d'armes lourdes et d'explosifs. Si un attentat avait été commis lors de ce meeting politique, les Français se seraient dressés les uns contre les autres, et notre communauté aurait pu être profondément divisée. C'est précisément ce que recherche Daesh.

Face à cette menace, nous essayons d'agir à tous les niveaux.

Nous voulons tout d'abord intervenir à l'échelon européen. Pour ce faire, j'ai rencontré récemment tous mes homologues européens. J'ai notamment eu des échanges avec le ministre de l'intérieur britannique à la suite des attentats de Manchester et de Londres, et avec le ministre de l'intérieur allemand, car le terrorisme est un vrai sujet de préoccupation pour nos pays. Nous continuerons à travailler étroitement ensemble, car il y va de notre sécurité commune.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez affirmé qu'il convenait de travailler à une meilleure prise en charge de notre appareil d'État, de notre sécurité intérieure, plutôt que d'élaborer des lois nouvelles. C'est évidemment ce que nous faisons, puisque les effectifs de la DGSI seront passés de 3 301 personnes en 2014 et 4 480 à la fin de 2017. La direction recrute encore aujourd'hui pour faire face à la menace.

Nous organiserons une meilleure coordination entre les services. Tel est l'objet de la création de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme voulue par le président de la République, notamment entre les services s'occupant de l'extérieur et ceux de l'intérieur, en vue de favoriser au maximum les échanges d'informations.

Je souhaite que, dans les mois à venir, nous progressions sur les questions relatives à l'organisation interne au ministère de l'intérieur. Depuis l'attentat manqué sur les Champs-Élysées, nous avons décidé de prendre un certain nombre de dispositions supplémentaires. Le fait qu'un individu inscrit « S » au fichier des personnes recherchées soit détenteur d'armes en toute légalité est le signe d'un dysfonctionnement important. J'ai écrit à tous les préfets à ce sujet, afin qu'ils identifient l'ensemble des individus inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) qui se trouvent dans cette situation.

Toutes ces mesures sont profondément utiles. Toutefois, elles ne pourront être pleinement efficaces que si nous renforçons significativement, hors état d'urgence, notre arsenal législatif en matière de lutte antiterroriste.

Depuis 2012, six lois ont été votées, dont plusieurs à l'initiative du Sénat, afin de renforcer les dispositifs existants. La Haute Assemblée joue un rôle éminent dans l'élaboration d'un nouveau cadre juridique en la matière. Au demeurant, compte tenu du caractère protéiforme et évolutif de la menace terroriste, nous devons mettre en place de nouveaux outils. Tel est le sens de ce projet de loi que le président de la République appelait de ses voeux.

La philosophie qui sous-tend ce texte est claire : garantir l'efficacité de la lutte antiterroriste tout en préservant en permanence les libertés individuelles. Dès l'automne, lorsque cette série de mesures s'appliquera après l'état d'urgence, les Français retrouveront certaines de leurs libertés, puisque les contrôles d'identité et les réquisitions ne seront plus soumis au même régime.

Concernant les périmètres de protection, un consensus peut se dégager, car il est difficile d'organiser de grands événements publics sans assurer un minimum de sécurité. Contrairement aux mesures appliquées pendant l'état d'urgence, les palpations ou les contrôles effectués supposeront le contrôle d'un officier de police judiciaire.

Le texte prévoit des dispositions qui concernent plus spécifiquement les habitants d'un périmètre de protection. En 2016, lorsque nous avons accueilli l'Euro de football à Lyon, en installant des écrans place Bellecour, nous avons dû opérer des vérifications concernant les véhicules qui étaient garés sous la place.

Le projet de loi propose également d'autoriser la fermeture administrative de lieux de culte aux fins de prévention du terrorisme et non plus aux fins de prévenir un trouble à l'ordre public. Dans le cadre de l'état d'urgence, nous avons fermé seize lieux de culte ; nous voulons encore en fermer trois autres, qui sont dangereux en ce qu'ils abritent des prêches ou des appels à la commission d'attentats sur le sol national. En outre, les lieux de culte visés ne pourront être fermés avant l'expiration d'un délai de 48 heures, afin de laisser la possibilité d'un recours en référé devant le tribunal administratif.

Le projet de loi prévoit également la création d'un régime de surveillance individuelle sur décision du ministère de l'intérieur. D'aucuns estiment que cette loi ne serait que la transposition de l'état d'urgence. C'est faux, car les assignations à résidence n'existeront plus, alors qu'elles concernent actuellement 62 individus. Ceux qui seront astreints au régime de surveillance individuelle pourront désormais se déplacer dans leur commune, voire dans leur département ou porter un bracelet électronique pour sortir de ce périmètre. Ils devront communiquer leurs identifiants. Les personnes faisant l'objet d'une telle mesure devront constituer une menace particulièrement grave pour l'ordre et la sécurité publics.

J'en viens au régime des visites domiciliaires et des saisies. Les perquisitions pouvaient auparavant être menées à la discrétion de l'administration pour prévenir un trouble à l'ordre public. Ces mesures se sont révélées très utiles pour que nous ne connaissions pas de nouveaux attentats, puisque les 4 400 perquisitions administratives réalisées depuis novembre 2015 ont permis de saisir 600 armes. Certes, ce rythme a fortement diminué depuis la dernière prorogation de l'état d'urgence. Néanmoins, ce cadre a été très utile pour mener deux opérations de police particulièrement importantes à Marseille et à Montpellier, qui n'auraient peut-être pas pu être menées dans le cadre d'une procédure judiciaire. Il nous paraît donc important de maintenir ce régime.

Les dispositions relatives aux visites domiciliaires et aux saisies visent aussi à renforcer significativement la protection des libertés individuelles, grâce à un double contrôle du juge. Le procureur du tribunal de grande instance de Paris sera informé préalablement de toute visite à domicile et pourra immédiatement judiciariser ce renseignement et reprendre l'enquête à son compte. En outre, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris pourra autoriser la visite et la saisie, puis contrôler l'exploitation des matériels saisis. Il reviendra donc à un juge des libertés et de la détention d'apprécier si nos actions sont nécessaires ou disproportionnées.

Le projet de loi prévoit par ailleurs la création d'un système national de centralisation des données issues des dossiers des passagers du transport maritime, à destination ou au départ de la France. Ce système distinct du système PNR (Passager Name Record) pour les passagers du transport aérien nous permettra de déceler des individus dangereux qui chercheraient à entrer sur notre territoire par la voie maritime. Un tel sujet aurait malheureusement pu devenir d'actualité sans notre vigilance.

De plus, l'établissement d'un cadre juridique est prévu pour la surveillance des communications hertziennes. Cette mesure tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 21 octobre 2016, par laquelle ont été censurées les dispositions du code de la sécurité intérieure définissant les règles applicables aux opérations de surveillance de ces communications électroniques, qui excluent toute intervention d'un opérateur.

Les possibilités de contrôles aux frontières seront renforcées, dans la zone frontalière intérieure, comme aux abords des ports, des aéroports et des gares. Le contrôle pourra durer douze heures consécutives, contre six heures aujourd'hui. Il s'agit, sans remettre en cause la libre circulation des biens et des personnes, de renforcer nos marges de manoeuvre face à une menace terroriste durable qui pose des problèmes particulièrement importants, notamment entre la France et la Belgique.

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