Nous recevons M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Monsieur le ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir au sein de la commission des lois, dont vous avez été un membre très actif.
Nous étions lundi au Congrès, réuni sur l'initiative du président de la République. Ce dernier a abordé la question du terrorisme dans des termes particulièrement convaincants, indiquant que « Le code pénal tel qu'il est, les pouvoirs des magistrats tels qu'ils sont, peuvent, si le système est bien ordonné, bien organisé, nous permettre d'anéantir nos adversaires ». La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste ont déjà introduit dans notre arsenal juridique de nombreuses dispositions renforçant les pouvoirs de la police et de la justice, aussi bien ceux des magistrats du parquet que des juges de l'instruction, et aggravant les sanctions. Des mesures d'ajustement de notre législation sont néanmoins nécessaires.
Monsieur le ministre, de même que dans le cadre de la reconduction de l'état d'urgence, nous nous assurerons, lors de l'examen du projet de loi que vous allez nous présenter, de la réelle nécessité des moyens demandés et de leur conformité à notre État de droit, notamment à l'article 66 de la Constitution relatif à la protection de la liberté individuelle.
En dépit d'un certain nombre d'interrogations, beaucoup de dispositions de votre texte ne soulèvent aucune difficulté particulière ; c'est pourquoi nous les soutiendrons volontiers. Notre butoir, c'est la Constitution. Il convient aussi de ne pas donner plus de pouvoirs à l'autorité administrative dans le droit commun que celle-ci ne peut en obtenir dans le cadre de l'état d'urgence.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez examiné hier, en séance publique, le projet de loi prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence jusqu'au 1er novembre prochain.
Nous souhaitons mettre fin à l'état d'urgence, qui ne peut être permanent dans la mesure où il est très restrictif au regard des libertés publiques. Cette volonté a été réaffirmée avec force lundi, au Congrès, par le président de la République. Elle suppose toutefois, au préalable, d'adapter les moyens de lutte contre le terrorisme dans le droit commun. C'est à cette fin que nous avons proposé ce projet de loi. Son objet est simple : garantir en dehors de l'état d'urgence l'efficacité de la lutte antiterroriste, tout en veillant à la préservation de la plénitude des libertés publiques. Ce sujet est grave, car le niveau de la menace terroriste pour notre pays reste aujourd'hui très élevé, notamment eu égard au nombre de dossiers que nos services peuvent suivre.
Rappelons-nous la séquence d'attentats depuis celui qui a frappé Charlie Hebdo ; il y a eu 239 victimes depuis 2015 en France. Les signaux constatés sur notre sol, notamment avec l'attentat du 20 avril dernier sur les Champs-Élysées qui a coûté la vie à l'un de nos policiers, la tentative d'attentat sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, puis celle qui a visé un escadron de la gendarmerie également sur les Champs-Élysées, montrent que la menace est toujours importante. Cette dernière a peut-être un peu changé de nature, mais elle n'en est pas plus simple à gérer.
Dans les premiers temps, la menace était portée par des organisations qui se réclamaient de Daesh et du prétendu État islamique. Elle prenait la forme d'actions extrêmement organisées menées en synergie. Est ensuite venu le temps de la propagande, permettant à Daesh, via les réseaux sociaux, d'indiquer les voies et moyens de commettre des attentats sur le sol français. Nous sommes donc passés d'une menace exogène à une menace endogène.
Au cours de la période électorale, nous avons déjoué deux attentats qui étaient sur le point d'être commis à Montpellier par une jeune fille, au moyen d'une bombonne de gaz, et à Marseille, par deux individus en possession d'armes lourdes et d'explosifs. Si un attentat avait été commis lors de ce meeting politique, les Français se seraient dressés les uns contre les autres, et notre communauté aurait pu être profondément divisée. C'est précisément ce que recherche Daesh.
Face à cette menace, nous essayons d'agir à tous les niveaux.
Nous voulons tout d'abord intervenir à l'échelon européen. Pour ce faire, j'ai rencontré récemment tous mes homologues européens. J'ai notamment eu des échanges avec le ministre de l'intérieur britannique à la suite des attentats de Manchester et de Londres, et avec le ministre de l'intérieur allemand, car le terrorisme est un vrai sujet de préoccupation pour nos pays. Nous continuerons à travailler étroitement ensemble, car il y va de notre sécurité commune.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez affirmé qu'il convenait de travailler à une meilleure prise en charge de notre appareil d'État, de notre sécurité intérieure, plutôt que d'élaborer des lois nouvelles. C'est évidemment ce que nous faisons, puisque les effectifs de la DGSI seront passés de 3 301 personnes en 2014 et 4 480 à la fin de 2017. La direction recrute encore aujourd'hui pour faire face à la menace.
Nous organiserons une meilleure coordination entre les services. Tel est l'objet de la création de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme voulue par le président de la République, notamment entre les services s'occupant de l'extérieur et ceux de l'intérieur, en vue de favoriser au maximum les échanges d'informations.
Je souhaite que, dans les mois à venir, nous progressions sur les questions relatives à l'organisation interne au ministère de l'intérieur. Depuis l'attentat manqué sur les Champs-Élysées, nous avons décidé de prendre un certain nombre de dispositions supplémentaires. Le fait qu'un individu inscrit « S » au fichier des personnes recherchées soit détenteur d'armes en toute légalité est le signe d'un dysfonctionnement important. J'ai écrit à tous les préfets à ce sujet, afin qu'ils identifient l'ensemble des individus inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) qui se trouvent dans cette situation.
Toutes ces mesures sont profondément utiles. Toutefois, elles ne pourront être pleinement efficaces que si nous renforçons significativement, hors état d'urgence, notre arsenal législatif en matière de lutte antiterroriste.
Depuis 2012, six lois ont été votées, dont plusieurs à l'initiative du Sénat, afin de renforcer les dispositifs existants. La Haute Assemblée joue un rôle éminent dans l'élaboration d'un nouveau cadre juridique en la matière. Au demeurant, compte tenu du caractère protéiforme et évolutif de la menace terroriste, nous devons mettre en place de nouveaux outils. Tel est le sens de ce projet de loi que le président de la République appelait de ses voeux.
La philosophie qui sous-tend ce texte est claire : garantir l'efficacité de la lutte antiterroriste tout en préservant en permanence les libertés individuelles. Dès l'automne, lorsque cette série de mesures s'appliquera après l'état d'urgence, les Français retrouveront certaines de leurs libertés, puisque les contrôles d'identité et les réquisitions ne seront plus soumis au même régime.
Concernant les périmètres de protection, un consensus peut se dégager, car il est difficile d'organiser de grands événements publics sans assurer un minimum de sécurité. Contrairement aux mesures appliquées pendant l'état d'urgence, les palpations ou les contrôles effectués supposeront le contrôle d'un officier de police judiciaire.
Le texte prévoit des dispositions qui concernent plus spécifiquement les habitants d'un périmètre de protection. En 2016, lorsque nous avons accueilli l'Euro de football à Lyon, en installant des écrans place Bellecour, nous avons dû opérer des vérifications concernant les véhicules qui étaient garés sous la place.
Le projet de loi propose également d'autoriser la fermeture administrative de lieux de culte aux fins de prévention du terrorisme et non plus aux fins de prévenir un trouble à l'ordre public. Dans le cadre de l'état d'urgence, nous avons fermé seize lieux de culte ; nous voulons encore en fermer trois autres, qui sont dangereux en ce qu'ils abritent des prêches ou des appels à la commission d'attentats sur le sol national. En outre, les lieux de culte visés ne pourront être fermés avant l'expiration d'un délai de 48 heures, afin de laisser la possibilité d'un recours en référé devant le tribunal administratif.
Le projet de loi prévoit également la création d'un régime de surveillance individuelle sur décision du ministère de l'intérieur. D'aucuns estiment que cette loi ne serait que la transposition de l'état d'urgence. C'est faux, car les assignations à résidence n'existeront plus, alors qu'elles concernent actuellement 62 individus. Ceux qui seront astreints au régime de surveillance individuelle pourront désormais se déplacer dans leur commune, voire dans leur département ou porter un bracelet électronique pour sortir de ce périmètre. Ils devront communiquer leurs identifiants. Les personnes faisant l'objet d'une telle mesure devront constituer une menace particulièrement grave pour l'ordre et la sécurité publics.
J'en viens au régime des visites domiciliaires et des saisies. Les perquisitions pouvaient auparavant être menées à la discrétion de l'administration pour prévenir un trouble à l'ordre public. Ces mesures se sont révélées très utiles pour que nous ne connaissions pas de nouveaux attentats, puisque les 4 400 perquisitions administratives réalisées depuis novembre 2015 ont permis de saisir 600 armes. Certes, ce rythme a fortement diminué depuis la dernière prorogation de l'état d'urgence. Néanmoins, ce cadre a été très utile pour mener deux opérations de police particulièrement importantes à Marseille et à Montpellier, qui n'auraient peut-être pas pu être menées dans le cadre d'une procédure judiciaire. Il nous paraît donc important de maintenir ce régime.
Les dispositions relatives aux visites domiciliaires et aux saisies visent aussi à renforcer significativement la protection des libertés individuelles, grâce à un double contrôle du juge. Le procureur du tribunal de grande instance de Paris sera informé préalablement de toute visite à domicile et pourra immédiatement judiciariser ce renseignement et reprendre l'enquête à son compte. En outre, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris pourra autoriser la visite et la saisie, puis contrôler l'exploitation des matériels saisis. Il reviendra donc à un juge des libertés et de la détention d'apprécier si nos actions sont nécessaires ou disproportionnées.
Le projet de loi prévoit par ailleurs la création d'un système national de centralisation des données issues des dossiers des passagers du transport maritime, à destination ou au départ de la France. Ce système distinct du système PNR (Passager Name Record) pour les passagers du transport aérien nous permettra de déceler des individus dangereux qui chercheraient à entrer sur notre territoire par la voie maritime. Un tel sujet aurait malheureusement pu devenir d'actualité sans notre vigilance.
De plus, l'établissement d'un cadre juridique est prévu pour la surveillance des communications hertziennes. Cette mesure tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 21 octobre 2016, par laquelle ont été censurées les dispositions du code de la sécurité intérieure définissant les règles applicables aux opérations de surveillance de ces communications électroniques, qui excluent toute intervention d'un opérateur.
Les possibilités de contrôles aux frontières seront renforcées, dans la zone frontalière intérieure, comme aux abords des ports, des aéroports et des gares. Le contrôle pourra durer douze heures consécutives, contre six heures aujourd'hui. Il s'agit, sans remettre en cause la libre circulation des biens et des personnes, de renforcer nos marges de manoeuvre face à une menace terroriste durable qui pose des problèmes particulièrement importants, notamment entre la France et la Belgique.
Vos propos sont rassurants, monsieur le ministre. Nous sommes tous ici conscients de la légitimité de ce combat crucial que vous conduisez contre le terrorisme et de la charge qu'il représente pour les forces de l'ordre et le ministre de l'intérieur lui-même. Nous sommes toujours disponibles pour endiguer ce fléau, mais en tant que législateur, nous devons nous assurer de la proportionnalité entre les besoins et les moyens pour y répondre et du respect des garanties fondamentales de l'État de droit. M. le rapporteur, Michel Mercier, et M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Michel Boutant, ont oeuvré en ce sens.
Je voudrais tout d'abord remercier M. le ministre de l'effort de pédagogie qu'il consent depuis plusieurs jours sur ce projet de loi qui, selon le Gouvernement, devrait permettre de sortir de l'état d'urgence.
Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que l'état d'urgence doit être jeté aux orties, car le niveau de la menace terroriste reste très élevé. L'état d'urgence a montré son efficacité, plus forte encore aujourd'hui depuis que les pouvoirs de l'autorité administrative ont été récemment encadrés sur le plan législatif et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, du Conseil d'État et de la Cour de cassation. En outre, les parlementaires ont pu s'exprimer à six reprises et analyser les mesures prises dans le cadre du suivi de l'état d'urgence par l'autorité administrative. L'Assemblée nationale et le Sénat sont destinataires de toutes les informations nécessaires pour suivre cet état d'urgence. À cet égard, je remercie les hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur.
L'état d'urgence est utile. À vouloir à tout prix le supprimer, nous nous priverions des possibilités offertes par ce dispositif qui doit pouvoir être rétabli à tout moment. Mais nous devons expliquer à nos concitoyens pourquoi l'état d'urgence ne peut être prorogé en permanence - c'est la menace qui est permanente. En outre, si l'état d'urgence est levé, il faut mettre en oeuvre des mesures alternatives, plus respectueuses des libertés publiques, tout en confiant à l'autorité administrative des pouvoirs accrus.
De ce point de vue, le texte présente une garantie : ces dispositions n'ont trait qu'à la lutte contre le terrorisme. Il s'agit donc d'élaborer une sorte de droit administratif spécial de la lutte contre le terrorisme, applicable aux personnes soupçonnées d'appartenir à la mouvance terroriste et susceptibles de passer à l'acte.
La question des zones de protection est primordiale. Le Gouvernement décide de confier des pouvoirs à l'autorité administrative pour effectuer des vérifications dans ces zones, mais il veille à respecter les libertés individuelles, notamment celles qui relèvent du domicile ou du travail. Je n'ai pas de critique fondamentale à formuler sur ce point, car ces mesures sont extrêmement importantes pour lutter contre le terrorisme.
Les lieux de culte doivent quant à eux rester des endroits où chacun est libre de pratiquer sa religion conformément aux principes constitutionnels.
S'agissant des perquisitions, j'ai compris qu'il valait mieux parler de gentilles visites organisées par l'administration ! Quant à l'assignation à résidence, elle est effectivement plus encadrée que dans le régime de l'état d'urgence, car elle vise non pas un domicile, mais un territoire donné. Mais sur certains aspects, elle est plus large que l'état d'urgence. Quelques précisions seraient bienvenues à ce sujet.
La vraie question est celle de la durée de l'assignation à résidence. Il existe déjà un régime de contrôle administratif des personnes qui reviennent sur le territoire national après avoir été sur des théâtres d'opérations à l'étranger. Or, dans ce système, la durée des assignations est plus courte que dans le système que vous nous proposez, monsieur le ministre. Nous devrions donc être attentifs aux conditions de renouvellement de l'assignation. En l'espèce, le Conseil d'État est très sévère, puisqu'il a proposé une durée maximale non renouvelable. Je comprends que l'administration ait parfois besoin de ce renouvellement, mais il faudrait alors apporter des garanties supplémentaires pour les libertés. Le juge des libertés de la détention du tribunal de grande instance de Paris pourrait peut-être autoriser le renouvellement lors d'un ultime contrôle.
Les perquisitions seront utiles dans un cas, à savoir pour lever le doute. L'administration devra saisir à la fois le juge des libertés et de la détention et le procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris. Cette mesure prévoit l'introduction d'un juge judiciaire, c'est pourquoi j'y suis favorable.
La perquisition est une mesure, à l'initiative de l'autorité administrative, dont l'ordonnance peut être contestée devant le premier président de la cour d'appel, puis faire l'objet d'un pourvoi en cassation. S'agit-il encore d'une mesure de police administrative ? Le juge administratif pourra-t-il être saisi autrement, par le biais d'un recours en responsabilité ? Le juge judiciaire reprenant la main en la matière, des précisions seraient utiles. Le terrorisme est protéiforme ; il nous oblige désormais à modifier quelque peu les catégories juridiques établies.
Monsieur le ministre d'État, vous nous avez dit, à propos de l'exception hertzienne, qu'il s'agissait d'un point essentiellement technique. Mais il y a d'autres enjeux. Dans une décision sur le sujet, le Conseil constitutionnel indique que cette exception hertzienne, qui permet l'interception de communications, n'était pas admissible car elle portait atteinte au respect de la vie privée. Le champ des interceptions était en effet extrêmement large. Circulent en effet par voie hertzienne des communications publiques, mais aussi des communications privées. Des fréquences peuvent ainsi être utilisées par des radios amateurs, par exemple.
Il s'est longtemps agi d'un champ sur lequel la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) n'avait aucune prise. Ce champ, aujourd'hui, a été considérablement réduit. Les interceptions tombent désormais, pour l'essentiel, sous le coup du droit commun. Toute demande d'interception est dorénavant instruite pour avis par la CNCTR, puis transmise à Matignon qui donne son accord ou non. Une exception résiduelle demeure néanmoins, pour les services extérieurs par exemple.
Le Conseil constitutionnel a confié à la CNCTR, jusqu'à la fin de l'année 2017, le soin de vérifier le champ d'intervention des services de renseignements, et que l'on ne se livrait pas à des interceptions au service d'une officine. Nous avons, ce faisant, fait un pas important vers le respect des libertés publiques.
J'aurai une question à vous poser à propos du PNR, que vous avez évoqué, en indiquant qu'il devrait être complété d'un contrôle des flux de voyageurs transitant par voie maritime. Où en est la coopération internationale, sur cet aspect de la lutte contre le terrorisme, avec les pays voisins, bien sûr, mais également avec l'Australie, les États-Unis et le Canada ? Comment cet ensemble s'articule-t-il avec la coopération européenne des services de renseignements ?
Avec l'évolution du risque terroriste et des technologies utilisées, notre réponse doit bien sûr elle aussi évoluer. La création des périmètres de protection semble donc utile, compte tenu de l'actualité des dernières semaines notamment.
Un point me semble néanmoins soulever des difficultés. En effet, les comportements exigés pour la fermeture des lieux de culte permettent à la fois une intervention de la justice pénale et de l'autorité administrative. La justice, comme l'autorité administrative, se trouvent habilitées à réagir à une même situation. Cette dualité dans la réponse, on la retrouve pour les nouvelles moutures des assignations à résidence et des perquisitions administratives.
Ce projet de loi va donc contribuer à multiplier les capacités de réaction, ce qui peut entraîner un risque de dilution des responsabilités. Je ne nie pas que l'intervention du juge des libertés et de la détention soit indispensable, mais elle conduit à une hybridation qui pose problème.
Je suis donc réservé sur ces évolutions législatives, au-delà même de ce que ces nouvelles réponses coûtent aux libertés.
Par ailleurs, sur le PNR, il me semble que, si l'on veut aller plus loin dans la coopération européenne, il est indispensable pour être plus efficace que nous avancions au même rythme. Or la France a eu du mal à convaincre ses partenaires du bien-fondé de l'adoption du PNR. Comment les convaincre de la nécessité d'aller plus loin ensemble, mais également d'adopter d'autres mesures, relatives par exemple aux cartes d'identité biométriques ?
Au cours des dernières années, de nombreux fichiers de renseignements ont été créés ou élargis. L'article 7 du projet de loi prévoit la création d'un système national de centralisation des données des dossiers passagers du transport maritime à destination ou au départ de la France. Ces différents fichiers sont bien sûr soumis au respect de la loi de 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Mais la plupart ne subissent pas de contrôle a posteriori. Il n'existe pas, en effet, de contrôle général de l'utilisation des données personnelles par ces fichiers. Que compte faire le Gouvernement sur ce point ?
Ma question porte sur les périmètres de protection prévus par l'article 1er du projet de loi et leur articulation avec les activités des professionnels des spectacles de rue et des festivals. Ces activités sont en effet soumises à des obligations très strictes, ayant parfois pour conséquence l'annulation pure et simple des festivals. Elles conduisent également à solliciter des protections qui coûtent fort cher.
Dans ce contexte de menace permanente, nous devons continuer à vivre et à affirmer nos valeurs. Un fonds d'aide avait été affecté pour traiter de cette question. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Que compte faire le Gouvernement pour remédier à ce problème ?
J'espère que ma question ne paraîtra pas incongrue. Selon certains spécialistes, Olivier Roy par exemple, la nature du terrorisme s'est modifiée. Nous assistons en effet à une islamisation rapide de jeunes gens radicalisés, et non à une radicalisation de « zélotes » musulmans.
Pour y faire face, des mesures de police sont nécessaires : les périmètres de protection, les investigations en cas de doute, notamment. Mais cette évolution du terrorisme change substantiellement le mode d'approche qui doit être le nôtre. L'accent que nous mettons actuellement sur la surveillance des lieux de culte, que ces gens ne fréquentent pas, est-il toujours pertinent ?
Ma question est donc simple : avez-vous intégré cette dimension nouvelle du phénomène dans ce texte ? Quelles conséquences en avez-vous tiré pour le repérage des individus ou les tentatives de déradicalisation ?
Le terrorisme est protéiforme. Ce qui se passe en Méditerranée n'est à ce titre pas anodin. Je suis savoyard, et donc plus proche de l'Italie que vous, monsieur le ministre d'État. Je vois ce que ce pays vit avec les migrations.
Notre politique en matière d'accueil des réfugiés, de droit d'asile, relève du ministère de l'intérieur. On entend ici ou là qu'elle pourrait néanmoins relever d'une autorité différente. Ma question est donc simple : pouvez-vous me donner l'assurance que ces procédures continueront à relever du ministère de l'intérieur ?
Un dernier mot sur les périmètres de protection. Ils sont nécessaires chez nous, en France, mais ils pourraient l'être aussi dans les pays de départ. Avec quatre autres présidents de groupes interparlementaires d'amitié avec des pays du Moyen-Orient, nous avons saisi le président de la République, le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères pour leur proposer l'idée d'une création de telles zones en Syrie, en Jordanie ou en Libye, par exemple, voulant tirer profit de la mise en place espérée - hélas, ce qui se passe à Astana ne nous incite pas à l'optimisme - des zones de désescalade. Notre démarche est humanitaire, bien sûr, mais elle peut aussi avoir des effets sur la sécurité. Nous pourrions, dans ces zones, examiner les candidats au départ avant qu'ils ne s'engagent dans un périple dangereux.
Je tiens à souligner avant toutes choses que les procédures prévues par les articles 3 et 4 du projet de loi, les plus intrusives, répondent, selon l'avis très motivé du Conseil d'État, à l'ensemble des exigences de respect des libertés individuelles. Les mesures de contrainte sur les déplacements sont prises pour des durées de trois à six mois, et ne peuvent être renouvelées que si de nouveaux éléments apparaissent, ce qui est une condition très contraignante. Ces décisions répondent en outre aux conditions du recours par la personne visée au référé-liberté, ce qui lui assure une procédure tenue en 48 heures.
La mesure prévue par l'article 4, par nature une mesure de police administrative, serait soumise à l'accord du juge des libertés et de la détention, ce qui crée certes une situation sui generis mais me semble équilibrée.
Ne serait-il pas néanmoins judicieux d'interroger le Conseil constitutionnel sur le contenu de la loi avant sa promulgation, plutôt que d'attendre la première question prioritaire de constitutionnalité venue, qui sera l'oeuvre de n'importe quel avocat de la place de Paris désireux de se faire un nom ?
Une question de détail, enfin, sur l'article 1er. Les zones de protection sont déjà utilisées, à l'amiable, et reposent sur l'initiative des préfets. Mais il est préférable qu'elles soient organisées par loi. Dans cet article apparaissent néanmoins, de manière concomitante, les périmètres de protection pour des événements, par nature limités dans le temps, et pour certains lieux. Dans le premier cas, les contraintes qu'un tel dispositif fait peser sur un espace se termineront avec l'événement. Dans le second, quelle limitation de durée sera prévue ?
Je m'inquiète aussi du problème de responsabilité concurrente qu'entraîne l'article 4. Pourrait-on imaginer, pour éviter ce problème d'hybridation, un système de responsabilité calqué sur le système d'indemnisation des victimes d'infractions de la route ?
Ce n'est pas par goût du symbole que nous avons présenté les mesures contenues dans ce texte. Non : les dispositions contenues dans ce texte sont nécessaires.
Le rapporteur a évoqué, pour regretter ensuite ce terme, les « mesures dégradées » prévues par ce texte, par rapport à celles permises par l'état d'urgence : l'assignation à résidence et la perquisition administrative. Je veux vous dire que le cadre dans lequel s'inscrit l'ensemble des mesures que nous promouvons est très protecteur. L'état d'urgence vise à prévenir tout trouble à l'ordre public. Les mesures que nous proposons visent, elles, à prévenir les actes de terrorisme. Elles ne seront pas utilisées à d'autres fins. Je le répète, elles seront circonscrites au terrorisme, qui est une notion bien définie juridiquement, aux articles 421-1 et suivant du code pénal.
Initialement, les mesures prises par le régime de l'état d'urgence étaient entourées de peu de garanties légales. Ce n'est plus le cas désormais : elles ont été très encadrées par la loi, qui a intégré la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle vise toujours à concilier la prévention des atteintes à l'ordre public et le respect des droits et des libertés de ceux qui résident sur notre territoire.
J'ajoute que le seuil de déclenchement des mesures ici prévues est élevé : les mesures individuelles ne peuvent viser qu'une personne dont le « comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme en France ou à l'étranger ou faisant l'apologie de tels actes ». Chaque mesure peut être contestée devant le juge administratif. Le prononcé d'une mesure de surveillance ne conduit pas à une assignation à résidence. Il s'agit seulement d'interdire à celui ou celle qui en fait l'objet de sortir d'un périmètre.
En réponse à la question de Jean-Yves Leconte sur la fermeture des lieux de culte, nous avons choisi de ne pas retenir de procédure judiciaire en la matière, car notre objectif est de prévenir la radicalisation Une procédure judiciaire, une fois lancée, doit aller à son terme. C'est un processus long et, avant de pouvoir fermer un lieu de culte, des dizaines de personnes auraient le temps de se radicaliser au contact d'autres.
J'en viens aux mesures individuelles de surveillance, puisque c'est désormais leur nom. Vous m'avez indiqué hier, monsieur le rapporteur, que les mots avaient un sens. Je me permets donc de nommer ces mesures pour ce qu'elles sont : il ne s'agit pas, au sens strict, d'assignations à résidence.
Notre objectif est que les personnes touchées par ces mesures puissent continuer à travailler et à mener une vie familiale normale. Si l'état d'urgence permet de maintenir une assignation à résidence pendant une longue durée, il n'en va pas de même ici : la durée des mesures de surveillance serait limitée de trois à six mois selon les cas. Elles seraient renouvelables sur la base d'éléments nouveaux et complémentaires, ce qui veut dire que les services vont devoir faire un gros travail ! J'espère que nous n'aurons pas à regretter d'avoir trop encadré cette disposition.
Pourquoi ne pas conditionner ces mesures de surveillance à une décision du juge judiciaire, comme pour la visite domiciliaire ?
À la lecture de l'article 66 de la Constitution et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, nous n'étions pas tenus de soumettre la visite à domicile à l'autorisation du juge judiciaire. Nous avons décidé de le faire, car nous estimions le dossier trop sensible. Mais aussi par volonté d'assimilation au droit commun, par parallélisme des formes : des procédures autorisant l'administration à pénétrer dans un domicile existent déjà en matière de police de l'environnement, de police des mines, de police des postes et télécommunications, qui prévoient déjà l'intervention du juge des libertés et de la détention.
Les mesures individuelles de surveillance sont donc placées sous le contrôle du seul juge administratif, comme c'est le cas pour les mesures d'assignation à résidence touchant les étrangers, comme prévu aux articles L. 561-1 à 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou pour le contrôle administratif des retours sur le territoire national, prévu par les articles L. 225-1 à L. 225-8 du code de sécurité intérieure.
Nous avons donc affaire, en somme, à un régime beaucoup plus encadré que celui de l'état d'urgence. J'ajoute que les décisions du juge administratif, qui peut être saisi immédiatement, sont très poussées. Deux annulations récentes de décisions d'assignation à résidence montrent que le contrôle par le juge administratif se fait aussi en opportunité.
Je fais pour ma part pleinement confiance au juge judiciaire et au juge administratif pour jouer pleinement leur rôle.
Je ne reviens sur la question des perquisitions judiciaires que pour vous dire pourquoi elles semblent mieux fonctionner à Paris. C'est qu'il existe entre les services de renseignements et le procureur du tribunal de grande instance de Paris, chargé des affaires de terrorisme, une liaison très forte, couplée à une connaissance très fine des dossiers, qui n'existent pas forcément sur les autres territoires.
J'en viens, enfin, au PNR. Il est vrai que la France était en avance par rapport à ses partenaires européens, qui étaient circonspects. Nous avions depuis 2013 mis en place le fichier informatique des passagers aériens dénommé Setrader. La France a aussi été à la manoeuvre pour que la directive PNR soit adoptée.
Hélas, sa mise en oeuvre est plus ou moins avancée. C'est un des problèmes de l'Europe : nous ne pouvons pas attendre le dernier État pour avancer. Si nous devons attendre que tout le monde soit d'accord, nous serons toujours bloqués. Pour avoir assisté à un sommet européen, je peux vous dire qu'il existe plus que des nuances sur ces questions entre les différents pays. Il faut donc pouvoir avancer avec ceux qui le veulent, et cela vaut pour les questions économiques comme de sécurité.
Sur les communications hertziennes, je n'ai rien à ajouter à l'exposé très complet de Michel Boutant. Le 21 octobre 2016, le Conseil constitutionnel a censuré l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure qui prévoyait des interceptions sans aucune autorisation par une instance de contrôle et portait par conséquent atteinte à la vie privée. L'article 8 du projet de loi met ce régime en conformité avec cette décision en l'alignant sur les autres techniques de renseignement : elles seront soumises à une autorisation du Premier ministre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Ne subsiste qu'une exception : la surveillance des communications exclusivement hertziennes, qui pourront être interceptées par toute antenne idoine placée sur leur chemin. La CNCTR dispose ainsi d'un contrôle approfondi sur le réseau hertzien privatif, à l'exception des réseaux publics, puisque ce qui est diffusé sur ces réseaux a vocation à être public.
Nous travaillons en ce moment sur le sujet des permis de port d'arme et les fichiers : la situation dans ce domaine n'est pas satisfaisante.
Concernant les fichiers, ils sont régis, chacun, par un décret en Conseil d'État après avis de la Cnil : cela protège les libertés individuelles.
Madame Blondin, j'ai prolongé la mission du préfet Weigel, qui devait se terminer cet été, de manière à ne pas interrompre des festivals qui animent l'ensemble de nos territoires pendant l'été.
Vous avez raison, monsieur Collombat, le terrorisme a changé. Il mobilise désormais des jeunes radicalisés hors des mosquées, nous en avons conscience. Avec les ministres de l'intérieur de l'Union européenne, nous demandons aux hébergeurs d'être plus proactifs dans la suppression des sites appelant ouvertement au djihad ; c'est par là qu'est passée la propagande de Daesh, qui avait à sa disposition de vrais professionnels de la communication.
Nous sommes en train d'évaluer le dispositif du ministère de l'intérieur d'aide à la la déradicalisation, pour un budget de 25 millions d'euros par an. Il faudra sans doute en changer : certaines personnes subventionnées n'utilisaient pas les fonds à des actions de déradicalisation, mais les faisaient parvenir à des gens sur le théâtre irako-syrien.
Monsieur Vial, nos services assurent un criblage des arrivées sur le territoire pour assurer notre sécurité. Sans vouloir lier terrorisme et migrations, ce criblage est naturellement plus efficace que celui que peut faire l'Italie lorsque 18 000 personnes débarquent sur son sol en trois jours.
J'adhère totalement à ce nouveau dispositif qui complète le droit commun pour pouvoir sortir de l'état d'urgence.
Sur la prévention des personnes radicalisées, Mme Benbassa et moi avons accompli un travail de fond que nous présenterons à la commission des lois la semaine prochaine. Nous avions lancé une alerte dès le mois de février dernier sur la gabegie que représentait ce dispositif établi par force dans la précipitation, sans cahier des charges ni évaluation, et aboutissant à un saupoudrage inefficace des fonds publics.
Je souhaiterais vous présenter ce rapport et, éventuellement, travailler sur ce sujet avec vos services. Si je puis me permettre un conseil, la première mesure devrait être de fermer le centre de Pontourny, qui coûte chaque année 2,5 millions d'euros de frais de fonctionnement pour pas grand-chose.
L'avis de Mmes Troendlé et Benbassa pourrait en effet vous être très utile.
Je serai heureux de vous recevoir pour vous entendre. Je me suis déjà rendu compte de la situation à Pontourny. On a fait appel à des associations souvent très récentes. Nous devrions plutôt mobiliser des associations avec plus d'expérience, notamment concernant le public spécifique des jeunes des quartiers. Le Premier ministre nous a exhortés à faire mieux avec moins : nous écouterons donc votre avis.
Cette audition prouve combien il peut être utile de mieux préparer le travail législatif par des auditions ouvertes à tous les membres de la commission ; il faudra s'en souvenir dans les futures discussions sur les évolutions institutionnelles. Nous avons dans ce cadre une vraie discussion générale, souvent plus intéressante qu'en séance, évitant en tout cas les postures trop politiques.
Merci.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 h 30.