Comment armer l'État contre le terrorisme tout en préservant les libertés publiques ? Si nous échouons dans cet exercice, nous ne sommes plus en République. Ce texte comporte quatre mesures nouvelles essentielles : la création de périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les assignations et les visites domiciliaires. Ces mesures lourdes peuvent être rendues compatibles avec notre droit public républicain - la Constitution, mais aussi la jurisprudence de la CEDH. C'est à Strasbourg qu'un grand juriste, Raymond Carré de Malberg, a formulé la théorie d'une loi limitée qui n'est pas seulement l'expression de la volonté générale, mais qui est soumise à un corpus juridique supérieur, à savoir la Constitution. Marcel Waline, autre maître de Strasbourg, avait une conception légèrement différente, mais c'est encore dans le cadre tracé par eux que nous intervenons aujourd'hui. Nous ne voulons pas que les terroristes fassent demain la loi chez nous, mais nous voulons défendre les libertés.
La création de périmètres de protection est la seule mesure essentielle vraiment nouvelle. L'article 1er précise qu'elle ne peut être décidée qu'en vue de prévenir des actes de terrorisme : on ne pourra pas créer de périmètre de protection pour empêcher des manifestations, contre les ordonnances modifiant le code du travail par exemple. J'ai déposé un amendement qui précise clairement ce point.
Le périmètre de protection ne peut être pérenne, car le principe de proportionnalité doit s'appliquer. Dans ce périmètre, un certain nombre de mesures de sécurité sont applicables, à l'exception des contrôles d'identité : des palpations de sécurité, des inspections visuelles et des fouilles de bagages ainsi que des visites de véhicule, sous réserve du consentement de leurs propriétaires.
La fermeture des lieux de culte, prévue par l'article 2, soulève beaucoup d'émotion ; j'ai reçu récemment un courrier des évêques de France à ce sujet. Il faut raison garder : il s'agit seulement de fermer certains lieux de culte qui, en raison des discours qui y sont tenus, de leur fréquentation ou de liens éventuels avec des théâtres terroristes extérieurs, deviennent des facteurs de risque. Par ailleurs, l'administration doit respecter un délai de 48 heures avant d'exécuter d'office sa décision, ce qui laisse le temps d'intenter un référé-liberté. Enfin, l'autorité administrative doit veiller à ce que les fidèles puissent pratiquer leur religion dans un lieu de culte rapproché.
L'article 3 est relatif aux mesures d'assignation. Le droit commun en comporte déjà, notamment, le contrôle administratif des retours sur le territoire (CART) concernant les personnes revenant des théâtres d'opérations djihadistes qui peuvent faire l'objet d'une mesure d'assignation à résidence renouvelable deux fois. Ce contrôle prend fin dès l'intervention du juge judiciaire.
Le projet de loi prévoit que le ministre de l'intérieur peut obliger une personne à résider dans un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur à la commune pour respecter le droit à une vie familiale et professionnelle normale. Cette personne est soumise à l'obligation de pointer régulièrement dans les services de gendarmerie ou de police. Le texte prévoit l'obligation de pointer une fois par jour au maximum, l'arrêté ministériel précisant si cette obligation s'étend aux dimanches et jours fériés. La personne assignée peut également être astreinte à communiquer ses identifiants électroniques. Enfin, aucune limite temporelle n'est prévue. Or, dans un avis rendu en 2015, le Conseil d'État explique très clairement que l'assignation est une mesure « restrictive » de liberté, mais que le fait de la renouveler indéfiniment en fait une mesure « privative » de liberté, ce qui suppose l'intervention du juge judiciaire. Deux solutions sont alors possibles : soit interdire toute prolongation, comme le préconise le Conseil d'État, mais le risque terroriste peut perdurer ; soit prévoir que le juge judiciaire peut seul autoriser la prolongation de l'assignation, passé un certain délai. Je propose donc que cette mission soit confiée au JLD de Paris, par symétrie avec l'article 4. Certes, nous créons ainsi un acte mixte, mais il y a bien longtemps que l'on a tendance, en matière de terrorisme, à rapprocher le domaine administratif du domaine judiciaire.
Je vous propose également de refuser l'obligation de communiquer les identifiants électroniques, pour respecter le principe constitutionnel fondamental selon lequel nul n'est obligé de participer à sa propre incrimination.