Le marché du travail et les institutions représentatives du personnel ont connu de nombreuses réformes ces dernières années. Il nous aurait semblé de meilleure politique de laisser du temps à la mise en oeuvre effective de ces réformes. Certaines ne sont d'ailleurs pas encore en oeuvre, comme celle sur les prud'hommes. Il aurait fallu également évaluer celles déjà en application.
Pour autant, la CFDT prend acte de la volonté politique d'une nouvelle réforme.
La situation du marché du travail mais aussi l'attitude très attentiste du patronat dans le domaine du fonctionnement des instances représentatives du personnel (IRP) et de la transparence des informations données par la base de données unique nous indiquent que le statu quo n'est peut-être l'option la plus souhaitable.
La concertation existe bel et bien. Pour autant, tous les sujets n'ont pas été traités à ce jour et beaucoup d'arbitrages n'ont pas été rendus. Il nous est donc difficile de préciser nos positions sur un certain nombre de sujets. La CFDT restera donc vigilante jusqu'au terme du processus législatif, notamment sur la place de la branche qui doit rester un régulateur de la concurrence économique et sociale et sur la décentralisation de la négociation vers l'entreprise dont la CFDT a soutenu le principe dès 2016. Cette décentralisation est souhaitable quand elle permet de cumuler les droits concrets et effectifs des salariés et l'agilité des entreprises. La médiation sociale s'impose au travers du fait syndical majoritaire, qui est le garant de cet équilibre entre les droits des salariés et l'agilité des entreprises.
Nous avons déjà traité de l'article premier avec le cabinet de la ministre : nous disposons d'un compte rendu précis sur l'articulation entre la branche et l'entreprise. La CFDT est d'accord sur la primauté de l'accord d'entreprise avec le renforcement des domaines d'intervention exclusive de la branche et sur la primauté de l'accord collectif qui représente l'intérêt général de la communauté de travail sur le contrat de travail ; enfin, le contrôle du juge demeure mais ne dénature pas l'intention des parties et l'équilibre de l'accord.
A ce stade, nous restons vigilants sur la déclinaison de ces principes. Dans son compte rendu, la ministre retient à notre demande un septième domaine réservé, celui de la gestion et de la qualité de l'emploi. Les négociateurs de branche pourront réguler le recours à l'ensemble des contrats atypiques (contrats courts, CDD, CDI de chantier) et encourager l'allongement de la durée des contrats pour lutter contre l'abus des contrats courts qui ont tendance à se raccourcir de plus en plus.
S'agissant du 2° de l'article premier, il n'est pas envisageable de désintermédier la négociation d'entreprise. La présence syndicale doit rester le principe afin de préserver l'autonomie des négociateurs vis-à-vis de l'employeur. A propos du b) de ce 2°, la CFDT n'est pas par principe hostile au principe du référendum tel qu'il a été mis en place par la loi travail de 2016, afin de débloquer les situations dans lesquelles il est difficile d'aboutir à un accord majoritaire à 50 %. Nous voulons que ce référendum reste dans le cadre actuel : un accord signé par au moins 30 % des organisations syndicales et n'ouvrir cette faculté qu'aux organisations syndicales signataires, mais pas à l'initiative de l'employeur, sans accord préalable, même minoritaire.
Sur le point c), nous sommes d'accord pour anticiper le passage des accords majoritaires prévus par la loi de 2016 en 2019, dans la mesure où la décentralisation de la négociation s'accélère. En revanche, le projet de loi d'habilitation ouvre la possibilité de changer les règles de calcul de la majorité, ce qui reviendrait à compter les signataires mais aussi ceux qui ne disent mot. Nous y sommes hostiles car il s'agirait d'un recul majeur par rapport à l'évolution de la représentativité et du dialogue social depuis 2008 et aux principes posés par la loi Larcher. Ce serait un contresens total avec l'objectif du projet de loi qui est de transformer en profondeur la démocratie sociale en entreprise. On accorderait en effet une représentativité à ceux qui ne se prononcent pas : la majorité silencieuse permettrait à l'employeur d'imposer ses choix.
En ce qui concerne la fusion des IRP, la concertation n'est pas terminée mais le compte rendu publié hier par la ministre laisse beaucoup de points en suspens. Elle indique en effet que plusieurs arbitrages ne sont toujours pas rendus. Nous aurions voulu que le principe de négociation soit retenu, ce qui n'est pas le cas. Il aurait en effet fallu que les acteurs de l'entreprise puissent choisir la forme de leurs IRP. La ministre a décidé que la fusion systématique des instances s'imposerait. Nous avons réussi néanmoins à préserver les délégués du personnel de cette fusion automatique : il pourrait y avoir une négociation pour les rétablir. Autant la CFDT comprend que les discussions sur la stratégie de l'entreprise puissent ne se tenir que dans une seule instance, autant les délégués du personnel ont un rôle de proximité indispensable pour représenter les salariés. Certes, il faut que les IRP aient plus de pouvoirs, à l'instar de ce qui se passe en Allemagne, mais il faut alors privilégier les accords majoritaires dans les entreprises où le fait syndical existe et avec une extension des prérogatives de cette nouvelle instance : comme en Allemagne, elle aurait un pouvoir de codécision sur des sujets comme la formation professionnelle, que nous préférons appeler stratégie de transformation des compétences des salariés. Nous pourrions aussi inclure la rémunération des dirigeants ou l'utilisation des fonds publics. Avec le CICE, les informations que donnent les entreprises aux représentants du personnel sont dans un grand nombre de cas assez opaques. Si l'on fait le pari de transformer en profondeur le modèle de représentation des salariés en entreprise, il faut instaurer des codécisions, ce qui implique une grande transparence dans la transmission des informations et un recours accru aux expertises sous toutes leurs formes.
Il faut aussi aller plus loin dans la représentation des salariés dans les conseils d'administration en empêchant toute les stratégies de contournement mises en oeuvre dans des entreprises ou des groupes d'entreprises. Je pense en particulier aux groupes mutualistes, mais aussi aux entreprises qui transforment leurs statuts de SA en SAS pour échapper à cette obligation. Si l'on fait confiance au dialogue social au plus proche du terrain, on ne peut permettre à certains employeurs d'échapper à leurs obligations : le dialogue social n'est pas une contrainte mais un atout pour la vie des entreprises.
L'article 3 traite notamment du barème des indemnités prud'homales. Une réforme a été votée en 2015 mais commence juste à entrer en vigueur. Faute d'évaluation, il est regrettable d'aller vers un barème impératif qui contrevient à des principes généraux du droit comme celui à la réparation intégrale du préjudice. Si toutefois on s'engageait dans cette direction, il nous paraîtrait nécessaire de réévaluer nos indemnités légales de licenciement qui sont parmi les plus basses d'Europe. Il serait cohérent de le faire pour éviter le recours au judiciaire. Nous voudrions que les indemnités de licenciement puissent être versées dès après la période d'essai aux salariés comptant moins d'un an d'ancienneté, qui n'y ont actuellement pas droit. Pour cela, il faudrait que le projet de loi d'habilitation l'indique.
En 2016, nous étions hostiles à la référence au périmètre national pour apprécier les difficultés de l'entreprise en cas de licenciement économique, car nous craignions des arbitrages défavorables pour les salariés français. En tout état de cause, si l'on se place dans la logique du projet de loi, l'entreprise qui aurait recours au périmètre national devrait démontrer qu'elle n'a pas utilisé d'artifices pour prétendre qu'elle est en difficulté. A ce moment-là, n'autorisons les entreprises à utiliser un périmètre restreint que dans la mesure où elles auraient donné toutes leurs informations à la base de données unique et mis en oeuvre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Ce serait un moindre mal permettant de rétablir par le dialogue social un équilibre entre les représentants et une transparence dans l'information.