Intervention de Fabrice Angei

Commission des affaires sociales — Réunion du 12 juillet 2017 à 9h05
Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social — Table ronde des organisations syndicales

Fabrice Angei, membre de la direction confédérale de la CGT :

Nous sommes sur un projet de loi d'habilitation : c'est un contenant et les ordonnances présenteront le contenu, d'où la difficulté de la discussion malgré la concertation en cours. De plus, les comptes rendus des discussions ne sont pas exactement conformes à ce qui a été dit. En outre, nous ne disposons pas de texte de départ lors de ces discussions : le ministère du travail ne s'engage pas véritablement sur des mesures précises. Il ne s'agit donc pas de concertations, telles que définies à l'article L. 1 du code du travail introduit par la loi Larcher. Nous demandons donc une rencontre multilatérale plénière sur ce texte, ce qui permettrait à chacun d'avoir une vision collective et de présenter ses arguments et non pas de le faire de façon fractionnée comme aujourd'hui, ce qui permet au Gouvernement d'entretenir un certain flou. Je ne suis pas sûr que la parole avec les uns soit exactement la même avec les autres. Il va être difficile dans le temps très court accordé aux députés et aux sénateurs d'avoir un débat de fond sur le projet de loi d'habilitation. Cette réforme qui déstructure le droit du travail aurait nécessité bien plus que six réunions bilatérales sur les trois blocs et une discussion parlementaire accélérée en plein été.

Ce projet de loi fait la part belle aux exigences du Medef, bien plus qu'à celles des organisations syndicales : il prévoit la précarité pour ceux qui ont un emploi ainsi que pour ceux qui sont en recherche d'emploi et la liberté pour les entreprises : la flexibilité l'emporte sur la sécurité.

Cette réforme part d'un mauvais postulat : ce n'est pas le droit du travail qui explique les 6 millions de demandeurs d'emplois. Les études de l'Insee, de l'OIT, de l'OCDE démontrent qu'il n'y a pas de corrélation entre le niveau de garanties et celui de l'emploi. Une récente enquête de l'Insee menée auprès de 10 000 employeurs montre que leurs préoccupations majeures ont trait à la conjoncture économique et à leurs carnets de commande. Là réside le frein au recrutement. Nous sortons tout juste de la réforme du droit du travail avec la loi El Khomri. Pourquoi voter une nouvelle loi alors que la précédente n'a pas été évaluée ?

Les exemples internationaux démontrent que les accords d'entreprise n'ont pas d'impact sur le développement le dialogue social. En Espagne, une réforme identique s'est traduite par la réduction du nombre d'accords d'entreprise. Il en ira de même avec ce projet de loi.

Nous souhaitons la primauté des accords de branche sur les accords d'entreprise. Ces derniers doivent apporter un plus aux salariés et non pas du dérogatoire régressif. Ce projet de loi d'habilitation affaiblit les accords de branche avec, à terme, la fin des conventions collectives. Sur les six domaines qui relèvent exclusivement de la branche, cinq seraient confirmés. En revanche, quid de la pénibilité ? En ce qui concerne la durée et le renouvellement des CDD, le niveau de protection est en baisse.

Nous sommes préoccupés par la primauté des accords d'entreprise sur le contrat de travail : en cas de refus d'application par un salarié d'un accord d'entreprise, son licenciement sera bien plus aisé qu'aujourd'hui. Le ministère du travail nous a fait part de sa volonté de mettre fin, au bénéfice, dans ce cadre, du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) pour définir des modalités uniques mais amoindries. L'indemnisation et l'accompagnement en souffriraient. Ces mesures pousseront les salariés à accepter l'accord, même s'il leur est défavorable.

Contrairement à ce que prétend la ministre du travail, le but de cette réforme est d'instaurer un code du travail par entreprise.

Le regroupement des trois instances du personnel ne se ferait pas au détriment de leur mission, d'après le ministère. Nous estimons que ce sera une véritable usine à gaz. Les membres de cette instance unique ne pourront pas examiner tous les sujets, et cela se fera notamment au détriment des compétences du CHSCT. Or, on déplore un mort par jour sur les chantiers. Quid de la disparition des délégués du personnel, représentants de proximité ? Ces élus risquent de se professionnaliser et de passer leur temps en réunions, au lieu d'être auprès des salariés. Comment être consulté à la fois sur des sujets économiques, les conditions de travail, les comptes de l'entreprise, assister les salariés lors de leurs entretiens, mener des enquêtes de sécurité et de santé, organiser des activités sociales et culturelles ? Nous aurons au final des super élus, plus proches du patron que des salariés.

Nous déplorons l'impact qu'une telle réforme aurait sur le nombre d'élus et sur les moyens et le temps qui diminueraient de façon drastique, de même que le nombre de salariés qui pourraient s'exprimer librement au sein de l'entreprise parce que protégés.

En devenant une instance unique, cette instance fusionnée serait investie des missions de négociation. Cela porterait une atteinte fondamentale aux organisations syndicales car elles ne pourraient plus choisir librement leurs représentants ni les révoquer, ni décider de signer ou non un accord d'entreprise. Cette réforme fera disparaître à terme la représentation syndicale dans l'entreprise. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, la négociation s'effectuerait directement avec un délégué du personnel sans mandatement syndical. Ce n'est pas acceptable.

Avec ce projet de loi d'habilitation, c'est la précarité pour tous et des droits pour personne. Les entreprises pourront fixer leurs propres règles pour les CDD. Les licenciements seront facilités par l'augmentation des seuils des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), qui passeraient à 30 salariés, obérant la possibilité de bénéficier d'indemnisations majorées et d'actions de formation.

Les CDI de chantier ou de mission vont se généraliser, alors qu'il n'en avait jamais été question lors de nos discussions avec le ministère. Nous n'acceptons pas non plus la barèmisation des indemnités prud'homales ni la réduction des délais de recours pour les salariés licenciés abusivement.

Le contrat de chantier n'a de CDI que le nom car la case chômage est inscrite dès le départ sans même une prime de précarité.

La CGT est favorable à une refonte du droit du travail à condition qu'il soit plus accessible et adapté aux difficultés de notre temps en renforçant les garanties accordées aux salariés et aux travailleurs indépendants. L'évolution du travail impose de penser à de nouveaux périmètres et à de nouvelles protections. Je vous renvoie aux travaux menés dans ce domaine : le GR Pact et un groupe de chercheurs universitaires ont fait des propositions intéressantes. Pourquoi ne les auditionneriez-vous pas ?

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