Intervention de Didier Porte

Commission des affaires sociales — Réunion du 12 juillet 2017 à 9h05
Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social — Table ronde des organisations syndicales

Didier Porte, secrétaire confédéral de FO :

L'exercice auquel nous nous livrons est assez compliqué, car il s'effectue dans des délais contraints. En outre, la concertation n'est pas terminée et des arbitrages sont encore en cours, tandis que le projet de loi d'habilitation reste vague. Mes propos porteront donc sur les orientations plus que sur des mesures fermes et définitives. Nous espérons que les derniers arbitrages prendront en compte nos propositions.

FO n'est pas demandeur d'une nouvelle réforme du code du travail qui vise à dérèglementer, sous prétexte d'emploi et de compétitivité. D'ailleurs, aucune étude ne démontre l'efficacité de la dérèglementation en termes d'emplois et d'embauches.

Le droit du travail a vocation à rétablir l'équilibre entre la partie faible - les salariés - et les employeurs. Ces derniers mettent en quatrième position le code du travail pour expliquer leurs réticences à embaucher.

Même si nous considérons que la concertation se déroule dans de bonnes conditions, elle ne préjuge en rien des décisions qui seront prises en dernier ressort. Nous prendrons toutes nos responsabilités si nous considérons que nous avons abouti à un échec. Ce texte intervient après une nouvelle réforme du code du travail sur laquelle aucune évaluation n'a été menée.

Notre organisation a toujours voulu renforcer le rôle des branches : il s'agit du niveau le plus judicieux des négociations pour renforcer la régulation économique et sociale. Les salariés d'un même secteur d'activité sont traités sur la même base et de la même façon, qu'ils soient salariés d'une multinationale ou d'une TPE. Cette égalité de traitement nous est chère. Il s'agit aussi du niveau le plus judicieux pour lutter contre le dumping social. A l'heure actuelle, la branche nous semble préservée et peut-être renforcée. Six thèmes sont verrouillés au niveau de la branche. La question de la pénibilité sera certainement traitée d'une autre façon, mais elle ne doit pas être remise en cause. Mais on ne renforce par la branche en vidant le code du travail. Parmi les six thèmes figurent les minima de salaires qui sont inscrits dans des grilles conventionnelles. À côté de ces minima, on trouve les rémunérations annexes. Aujourd'hui, ces dernières seraient transférées au niveau des entreprises. Il s'agit d'une rupture d'égalité entre salariés alors que les rémunérations annexes constituent un part importante de la rémunération.

En outre, les TPE pourraient contourner les six thèmes verrouillés au niveau des branches. Nous verrons ce qu'il en sera lorsque le contenu des ordonnances nous sera transmis. Tous les autres thèmes seraient réservés aux accords d'entreprise.

Autre problème : la primauté de l'accord collectif sur le contrat de travail. Nous estimons que les accords collectifs ne doivent pas justifier le licenciement d'un salarié qui refuserait de voir son contrat de travail modifié. Le Gouvernement veut harmoniser les motifs de licenciements. Aujourd'hui cinq types d'accords collectifs bénéficient de cette primauté sur les contrats de travail : les accords de maintien dans l'emploi, les accords de préservation et de développement de l'emploi, les accords de mobilité, les accords loi Aubry... Je ne vois pas comment un syndicat pourrait signer un accord qui aboutirait à des licenciements. Le motif de licenciement doit être motivé. Or, l'harmonisation consisterait à appliquer un licenciement pré-qualifié et sui generis, motif tout à fait contestable au niveau de la convention 158 de l'OIT. Nous avons évoqué ce sujet avec le Gouvernement et nous espérons que nous serons entendus.

Nous ne savons toujours pas quelle est la position du Gouvernement sur la présomption de légalité des accords d'entreprise : même un accord d'entreprise doit pouvoir être contesté devant le juge qui doit conserver sa marge d'appréciation. Or, on nous dit que le juge devrait a priori accepter ces accords collectifs. La négociation collective n'est pas la loi : attention à l'inconstitutionnalité d'une telle mesure. Laissons la possibilité de contestation individuelle aux salariés.

Les critères d'utilisation des CDD et la généralisation du contrat de chantier ne sont pas acceptables. Nous notons une certaine incohérence entre le fait d'utiliser le CDD au niveau de la branche et la généralisation du CDI de chantier : les salariés seraient transformés en intermittents du travail à perpétuité.

L'article 2 prévoit la fusion des IRP. À l'origine, le ministère nous avait dit que la possibilité de conserver, par accord majoritaire, des instances séparées serait prévue. Aujourd'hui, tel n'est plus le cas et le Conseil d'État s'en est ému. Nous espérons que les ordonnances rétabliront ce dispositif.

La fusion des IRP nous poserait des problèmes de formation de nos militants. Aujourd'hui, ils se sont spécialisés en fonction des instances auxquelles ils appartiennent. Demain, on leur demanderait de tout connaître sur tout. Cette globalisation du dialogue social rayerait toutes les spécificités actuelles. Je crains que cela ne décourage les vocations des salariés qui veulent s'investir. Pour nous, il est indispensable que chaque instance garde ses propres prérogatives et que les questions d'économie et de compétitivité ne prennent pas le pas sur les questions de sécurité et de santé des travailleurs. Le CHSCT doit conserver sa personnalité morale pour ester en justice. Et puis, qui payera les expertises en justice, une fois la réforme adoptée ? Il ne faudrait pas que cela soit un frein à la prévention des risques.

Après la loi Rebsamen, les entreprises de 100 à 149 salariés ont perdu six titulaires, trois suppléants et près de 40 heures de délégation.

En Allemagne, les conseils d'entreprise sont des instances de négociation qui bénéficient d'un droit de véto sur les suppressions d'emplois et d'un pouvoir de codécision. Mais tous ces droits ne seraient pas appliqués en France.

Nous ne pouvons non plus accepter la remise en cause du monopole de négociation des organisations syndicales. Le Gouvernement serait sur le point de mettre en place une instance unique de négociation, qui priverait les organisations syndicales de ce monopole et qui accorderait ce pouvoir aux délégués du personnel non mandatés et non syndiqués. Ce serait une grave atteinte au droit des organisations syndicales : nous sommes dans une logique du tout accord sans organisations syndicales. Or, les interlocuteurs les mieux formés à la négociation sont les négociateurs syndicaux. La mise en place du conseil d'entreprise serait un changement fondamental du dialogue social, puisque trois des quatre instances de représentation sont aujourd'hui élues, la quatrième émanant des organisations syndicales. Cette réforme institutionnaliserait la représentation syndicale dans les rouages de l'entreprise et remettrait en cause l'indépendance syndicale, ADN de FO. En outre, comment intégrer les délégués syndicaux dans ces conseils d'entreprise ? La loi de 2008 impose déjà de désigner les délégués syndicaux parmi les candidats ayant obtenu plus de 10 % aux élections professionnelles. C'est une contrainte que l'OIT souhaite voir levée. Si les délégués syndicaux étaient intégrés à l'instance unique, ils devraient être élus et cela remettrait en cause la liberté de désignation des organisations syndicales.

Il nous a été dit hier que le plafonnement des indemnités visait à la fois les licenciements sans cause réelle et sérieuse et les dommages attribués pour les autres litiges. Nous demandons que les indemnités légales de licenciement - les plus basses d'Europe - soient réévaluées. S'agissant des dommages et intérêts, c'est la hauteur du plafond qui donnera au juge un pouvoir d'appréciation. Il n'est pas choquant qu'un salarié perçoive pour un même motif de licenciement abusif une indemnité trois fois plus élevée qu'un autre : tout dépend de son âge et du lieu de licenciement. Ce n'est pas la même chose de perdre son emploi quand on a 20 ans et qu'on vit à Paris que lorsqu'on a 50 ans et qu'on demeure en Haute-Marne. Le juge doit donc disposer d'une grande liberté d'appréciation. Nous avons fait hier des propositions en partant des exemples belges et allemands. Aujourd'hui, un salarié licencié de façon abusive touche six mois d'indemnités pour deux ans d'ancienneté. Nous souhaiterions que le plancher soit fixé à un mois de salaire par année d'ancienneté. Le plancher pourrait être doublé selon les situations. Nous avons aussi proposé que le juge puisse s'exonérer de ce plafonnement.

Depuis 2013, les délais qui permettent à un salarié de contester son licenciement ont été revus à la baisse. On ne peut aller plus loin : ne tombons pas dans une stratégie d'évitement du juge.

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