Nous prenons acte de la volonté du Gouvernement de modifier le code du travail. Des constats et des motivations similaires avaient déjà guidé nos orientations : je vous renvoie à notre publication : « Dans un monde en bouleversement, construisons un nouveau contrat social ».
La mondialisation, les transition démographiques, numériques et écologiques bousculent nos certitudes et nous poussent à repenser notre rapport au travail et à adapter son organisation. Ainsi, nous militons depuis longtemps pour que les droits des travailleurs soient attachés à la personne, en cherchant des solutions adaptées à des parcours devenus souvent protéiformes, en oeuvrant pour une formation continue tout au long de la vie professionnelle. La CFTC place toujours l'humain au coeur de son action tout en s'adaptant aux évolutions du monde.
Nous ne sommes que concertés sur les trois articles du projet de loi d'habilitation : il n'y a pas de négociation en cours. Nous n'étions d'ailleurs pas demandeurs d'une nouvelle loi travail.
L'article 1er touche à l'articulation des normes entre accords de branche, accords d'entreprise et contrat de travail. Pour mener à bien ces évolutions, nous militons en faveur du rôle régulateur de la branche, comme nous l'avons fait l'année dernière. Six domaines semblent réservés : la branche pourra continuer à jouer son rôle de protecteur pour les droits des salariés et de régulateur de la concurrence. La branche pourrait conserver, à nos yeux, d'autres thématiques comme la responsabilité sociale des entreprises (RSE), afin d'adapter une approche globale de la protection des travailleurs et d'affirmer le rôle central des entreprises vis-à-vis de la société. Les dimensions environnementales et de gouvernance doivent être prises en compte, tant elles ont des conséquences sur la sphère sociale. Outre les avancées réelles pour les travailleurs, la création d'un septième domaine réservé serait bénéfique pour les entreprises, notamment les TPE et les PME ; la signature d'un accord RSE négocié au niveau de la branche permettrait d'aller plus loin et de limiter le dumping social et sociétal.
Les branches doivent aujourd'hui définir leur ordre public conventionnel. La CFTC a soutenu ce rôle moteur de la branche dans la détermination de ces normes qui deviendraient impératives. Nous défendons le maintien effectif de la notion d'ordre conventionnel de branche qui n'apparait pas vraiment dans la loi d'habilitation.
Nous ne sommes pas opposés à des accords d'entreprise, à condition qu'ils soient renvoyés à des accords de branche ou, à défaut, à la loi. Le supplétif ne doit pas permettre à l'employeur de déroger à la branche ni au code du travail de façon unilatérale, sinon le dialogue social n'aura plus aucun sens dans l'entreprise.
Toutes les nouvelles latitudes apportées aux entreprises devront se faire dans le cadre d'un accord majoritaire conclu au niveau de l'entreprise. Si cette dernière ne signe pas d'accord, la branche doit rester la norme.
D'après le Gouvernement, les différentes instances ne favoriseraient ni le dialogue social, ni la capacité d'influence des représentants des salariés, d'où la fusion des IRP prévue à l'article 2. Il prévoit même d'intégrer la négociation aux compétences de cette nouvelle instance. Or, les institutions représentatives du personnel ont chacune leur histoire, leur spécificité et elles ont fait preuve de leur utilité, du moins dans les entreprises d'une certaine taille. Les supprimer au profit d'une seule instance n'est pas une question facile à traiter. De même, il faudrait s'interroger sur le fonctionnement de la délégation unique du personnel (DUP) : aujourd'hui, aucune étude ne montre qu'elle fonctionnerait mieux que le triptyque délégué du personnel, comité d'entreprise et CHSCT. Si la multiplication des structures est susceptible de constituer un frein à un dialogue social de qualité, nous alertons sur la confusion que pourrait entraîner cette fusion pour des représentants du personnel qui seraient devenus multi-casquette non spécialistes des conditions de travail.
La CFTC n'est pas opposée par principe au regroupement des IRP mais elle ne pourrait accepter que ce regroupement conduise à un appauvrissement des prérogatives et des moyens, ce qui serait contradictoire avec l'objectif de la réforme, à savoir un dialogue social efficace parce que renforcé, et une représentation adéquate de la collectivité du travail.
Le document de synthèse qui nous a été remis hier soir sur le deuxième bloc ne répond pas entièrement à cette condition, notamment sur les expertises et leur co-financement.
Nous demandons que soit préservée la possibilité de garder les instances actuelles grâce à un accord collectif avec les attributions et les moyens accordés par la législation actuelle. À ce titre, nous regrettons le caractère irréversible de la fusion des IRP prôné par le ministère du travail. Le Conseil d'État a récemment fait la même observation au Gouvernement et la note d'hier ouvrirait une légère brèche. Encore faut-il qu'elle se retrouve dans le projet de loi, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.
Nous demandons que dans tous les cas de figure, seules les organisations syndicales représentatives puissent se présenter au premier tour des élections, surtout dans l'hypothèse où l'instance unique de représentation du personnel intégrerait la négociation des conventions. Nous ne pourrions accepter que cette réforme conduise à exclure de la négociation le délégué syndical, acteur historique de la négociation. Le texte d'hier lance des hypothèses selon les tailles des établissements et des entreprises. Nous estimons utile de maintenir le mandatement, sous une forme ou sous une autre, même si le Gouvernement n'y est pas favorable. Si l'on se dirige vers une codécision dans ce conseil d'entreprise ou d'établissement, il est nécessaire d'augmenter le champ de l'avis conforme par rapport à l'avis simple. La fusion des IRP devrait alors s'accompagner d'un élargissement des domaines de consultation nécessitant l'avis conforme du conseil d'entreprise.
Nous serons reçus demain pour parler du troisième bloc : nous ne pouvons donc arrêter une position tranchée. Concernant les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, nous ne sommes pas opposés au principe d'un référentiel obligatoire établi en fonction de l'ancienneté, mais nous arrêterons notre position lorsque nous connaîtrons les planchers et les plafonds. Nous veillerons aussi à ce qu'une part réelle d'appréciation soit laissée aux juges pour les cas de particulière gravité. Comment imaginer que l'on indemnise les salariés injustement licenciés en-deçà de la réalité du préjudice subi ?
Sur l'appréciation des difficultés économiques, la CFTC estime que le groupe multinational doit rester solidaire de ses entreprises françaises qui traversent des difficultés économiques. Le périmètre d'appréciation doit aller au-delà du territoire national.
L'article 5 touche à la lutte contre la pénibilité : le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) constitue l'une des innovations sociales majeures de ces dernières années. Nous ne pourrons pas accepter que les modifications des règles de prise en compte des pénibilités au travail conduisent à un affaiblissement de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites. La santé au travail est un enjeu crucial pour lequel nous ne devons pas ménager nos efforts. La CFTC a toujours affirmé la primauté absolue de la prévention sur la réparation. Un système de reconnaissance de la pénibilité doit trouver à s'appliquer. Le mécanisme du C3P, bien que complexe, organise cette reconnaissance et permet l'acquisition par le salarié de points qui lui permettront de financer tout ou partie d'une action de formation, la réduction de son temps de travail ou la majoration de trimestres. Un courrier du Premier ministre confirme que le Gouvernement a choisi de modifier le C3P tout en reconnaissant la nécessité de maintenir la première partie du dispositif. Il propose de créer le compte professionnel de prévention, qui remplacerait le C3P. Reste à voir si ce nouveau compte répondrait aux pénibilités subies pour certaines catégories de travailleurs.
J'en viens à l'alinéa 4 de l'article 4 qui traite des fonds paritaires. La transparence des comptes, des financements publics et paritaires a été mise en place il y a peu : la GFPN fonctionne depuis trois ans. Elle donne satisfaction en matière de transparence d'utilisation des fonds paritaires, de répartition équitable entre les organisations bénéficiaires et de contrôle puisqu'un rapport annuel est remis aux parlementaires. Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause ce dispositif même s'il est possible de l'améliorer encore. Sans doute faut-il lui ajouter d'autres financements du paritarisme qui sont épars. Ce n'est pas avec une nouvelle réforme que l'on règlera la situation.