Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 juillet 2017 à 9h30
Justice et affaires intérieures — Réunion interparlementaire sur l'institution d'un mécanisme européen sur la démocratie l'état de droit et les droits fondamentaux : communication de mm. philippe bonnecarrère et didier marie

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Le 22 juin dernier, Philippe Bonnecarrère et moi-même avons participé, à Bruxelles, à une réunion interparlementaire organisée par la commission LIBE du Parlement européen sur le thème suivant : « L'établissement d'un mécanisme de l'Union européenne sur la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux - le rôle des parlements nationaux ». Vingt-neuf parlementaires nationaux issus de quatorze États membres étaient présents, ainsi que le représentant du vice-président Frans Timmermans.

Cette réunion comprenait deux parties, la première sur ce mécanisme et la seconde sur l'indépendance de la justice. Nous avons axé notre communication sur la première partie qui nous a semblé la plus intéressante, la plus novatrice et la plus importante politiquement.

L'article 2 du traité sur l'Union européenne précise les valeurs communes sur lesquelles l'Union européenne est fondée. Si celle-ci s'est dotée de mécanismes de contrôle et de gouvernance extrêmement sophistiqués et solides sur le plan législatif en matière économique et financière, nous n'avons pas mis en oeuvre de dispositifs de même nature pour ce qui concerne le respect des valeurs. Si l'article 7 du même traité prévoit un certain nombre de dispositions à l'égard des États membres qui ne respecteraient pas les valeurs fondamentales, il n'en reste pas moins que cet article est difficile à mettre en oeuvre, au point d'être perçu comme une « arme nucléaire », ce qui réduit beaucoup sa portée.

Dans le contexte des débats sur la situation en Hongrie puis en Pologne, la Commission européenne, en mars 2014, avait proposé la création d'un dispositif spécifique pour faire face aux menaces envers l'État de droit. Toutefois, le service juridique du Conseil avait contesté la compétence de la Commission en la matière. Le Conseil a ensuite opté pour une démarche privilégiant le dialogue et organise désormais en son sein un dialogue politique annuel sur l'État de droit - un premier cycle a eu lieu en novembre 2015 et un deuxième en mai 2016.

De son côté, le Parlement européen, le 25 octobre dernier, a adopté, sur le rapport de notre collègue Sophia in't Veld (Pays-Bas-ADLE), une résolution contenant des recommandations à la Commission sur la création d'un mécanisme de l'Union pour la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux.

Cette résolution invite la Commission à présenter, avant septembre 2017, une proposition concernant la conclusion d'un pacte de l'Union pour la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux, dit « pacte DEF », sous la forme d'un accord interinstitutionnel fixant les modalités de coopération entre les institutions de l'Union et les États membres. Un projet d'accord interinstitutionnel est d'ailleurs annexé à la résolution.

Ce pacte comprendrait un rapport annuel incluant des recommandations spécifiques par pays tenant compte des rapports de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe et des travaux de diverses autres institutions et ONG - on pourrait faire un parallèle avec le rapport par pays de la Commission sur le respect des critères de convergence de Maastricht. Ce rapport serait rédigé par la Commission après consultation d'un panel d'experts indépendants et porterait sur divers aspects tels que la séparation des pouvoirs, la liberté des médias, la liberté d'expression et de réunion, la transparence et la corruption, la sécurité juridique, l'égalité devant la loi et la non-discrimination ou encore l'accès à la justice, etc.

Le pacte prévoit par ailleurs un débat interparlementaire annuel s'appuyant sur ce rapport ; des modalités de traitement des risques potentiels et violations telles que prévues par les traités et des conditions d'activation du volet préventif ou correctif de l'article 7 ; et un cycle de politiques en faveur de la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux.

Ce pacte serait ouvert à l'adhésion des institutions et des organes de l'Union qui le souhaitent. Il comprendrait des aspects préventifs et correctifs et s'appliquerait non seulement aux États membres, mais aussi aux institutions de l'Union, dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Enfin, il veillerait à prévenir les violations des valeurs de l'Union, mais prévoirait aussi des sanctions devant être conçues comme dissuasives.

Le Parlement européen et les parlements nationaux joueraient un rôle important dans l'analyse de la situation des valeurs communes à l'Union et de leur respect.

Les interventions au cours de cette réunion interparlementaire ont été relativement nombreuses et l'on notera que les parlementaires hongrois et polonais, mais aussi tchèques, ainsi que ceux issus des rangs de l'extrême droite, notamment l'AfD, se sont, sans surprise, montrés très critiques, voire hostiles au mécanisme demandé par le Parlement européen.

Les principaux reproches adressés à ce mécanisme ont porté sur les atteintes à la souveraineté nationale, sur la définition des valeurs constituant le coeur de l'identité politique des nations, sur l'absence de prise en compte de la diversité des traditions nationales, sur les droits sociaux par exemple, avec les risques de partialité et de doubles standards que cela comporte.

Ont été également mentionnés les risques de doublons avec l'activité d'autres organisations ou institutions spécialisées sur la démocratie et les droits de l'Homme, à commencer par le Conseil de l'Europe et l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, mais aussi avec des mécanismes existants comme le mécanisme de coopération et de vérification (MCV) qui s'applique à certains États membres, comme la Roumanie et la Bulgarie. La confusion entre la responsabilité des femmes et hommes politiques et l'activité des experts qui n'ont pas de légitimité démocratique a aussi été invoquée, ainsi qu'une composition non satisfaisante du panel d'experts. La priorité donnée au vote des lois sur leur mise en oeuvre effective et la politisation du processus ont été dénoncées, de même que le caractère potentiellement arbitraire des critères de prise de sanctions.

Nous sommes intervenus pour saluer l'initiative du Parlement européen qui vise à mieux assurer la démocratie. J'ai toutefois mis en garde contre les doublons en rappelant qu'il existait déjà à la fois des mécanismes proches au sein du Conseil et des organisations spécialisées. Il faut, surtout dans ce domaine, que l'Union européenne reste compréhensible pour l'opinion publique, la multiplication des dispositifs ne contribuant pas à la clarté. J'ai aussi insisté sur l'existence, dans quasiment tous les États membres, d'atteintes aux droits de l'Homme : si l'Union veut être crédible sur le respect des droits fondamentaux partout ailleurs, il faut bien que ceux-ci soient respectés au sein des États membres. Les parlementaires polonais, hongrois ou tchèques ne se privent pas de relever que la France vit aujourd'hui sous un régime d'exception.

Par conséquent, une veille sur ces sujets est indispensable et elle reste insuffisante : lorsque le dialogue est épuisé, des procédures efficaces et contraignantes sont nécessaires. En tout état de cause, l'institution d'un tel mécanisme requiert l'association des parlements nationaux.

Face à ces critiques, notre collègue députée européenne Sophia in't Veld, qui présidait la réunion, a répondu qu'il fallait absolument éviter une politisation du mécanisme. Elle a considéré que le dispositif actuel de la Commission se traduisait par la mise en cause de certains États membres, sans aboutir à des résultats probants pour autant. C'est pourquoi elle a estimé que le nouveau mécanisme permettrait de traiter tous les États membres de la même manière et sur des bases objectives, à partir de normes partagées, les sanctions ne constituant qu'un dernier recours. Elle a également cherché à rassurer sur le rôle du panel d'experts qui ne consistera pas à définir les normes, puisque celles-ci existent déjà, dans les traités notamment, mais aussi dans la jurisprudence.

Enfin, elle a proposé que chaque parlement national désigne en son sein un rapporteur sur les questions de démocratie, d'État de droit et de droits fondamentaux. L'ensemble de ces rapporteurs formerait, en lien avec le Parlement européen, un réseau parlementaire qui pourrait se réunir au cours des mois qui viennent.

Plusieurs intervenants, le représentant de la Commission en particulier, ont insisté sur le dialogue régulier entre les parlements nationaux et le Parlement européen que ce mécanisme pourrait permettre d'instaurer, dans la perspective d'une meilleure compréhension mutuelle. Ce mécanisme permettrait aussi de compléter, au niveau parlementaire, le dialogue sur l'État de droit instauré par le Conseil en son sein ; le compléter, mais aussi l'améliorer, puisque ce dialogue ministériel a été considéré comme devant être recentré sur les résultats, avec l'objectif d'en faire une « revue par les pairs » sur une base annuelle.

Pour conclure, il me semble que notre commission doit rester vigilante sur ce dossier sensible et se réserver la possibilité de poursuivre son examen, en particulier lors de la présentation de la proposition de la Commission qui, au vu du dispositif envisagé, pourrait faire l'objet, le moment venu, d'un avis politique.

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