Intervention de Elisabeth Borne

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 20 juillet 2017 à 11h00
Audition de Mme élisabeth Borne ministre auprès du ministre d'état ministre de la transition écologique et solidaire chargée des transports

Elisabeth Borne :

Je pense ne pas pouvoir répondre à la totalité des questions posées par monsieur Louis Nègre, mais nous aurons l'occasion de nous revoir très prochainement. La bonne répartition intermodale des voyageurs et du fret est évidemment un vaste sujet. Sur les voyageurs, une palette de mobilités ne fonctionnera qu'à la condition de construire une chaîne multimodale. Aujourd'hui, je suis déconcertée par la fréquentation des TER : dans la grande région Nouvelle-Aquitaine, 50 000 voyageurs utilisent quotidiennement les TER. D'après le Président Alain Rousset, 600 millions d'euros sont nécessaires à la remise en état du réseau ferré qui s'est dégradé, faute d'entretien. C'est là un sérieux sujet qui nous permet de prendre la mesure des marges de progrès qui sont les nôtres, à la condition toutefois que l'infrastructure soit de bonne qualité et que chacun prenne sa part dans la qualité de l'exploitation.

Il faut penser également les rabattements sur les gares et organiser toute la mobilité. Par exemple, la RATP exploite la ligne sud-africaine reliant Pretoria à Johannesburg et l'aéroport. La concession a été bien pensée, puisque dans son périmètre figurent à la fois l'exploitation de la ligne, les parkings et les bus de rabattement. Les choses fonctionneront à la condition de penser une logique intermodale. Si les trains ne s'arrêteront pas dans tous les villages, ceux-ci doivent avoir droit à une solution de mobilité. Il est inacceptable que des jeunes refusent des stages et que des personnes n'accèdent pas à l'emploi, faute d'une réponse adéquate. Bâtir des chaines de mobilité doit donner toute sa mesure au transport ferroviaire qui doit être un transport de masse. Heureusement, avec la révolution digitale, sous réserve que le réseau couvre l'ensemble du territoire, on sait permettre à un voyageur de démarrer en auto-partage, de prendre ensuite un TER et de continuer avec un vélo à assistance électrique, en l'aidant à construire à son parcours.

Je m'attacherai vraiment à ce qu'on dispose d'une tarification intermodale, puisque cette démarche est connue. De la sorte, chaque mode sera placé dans son domaine de pertinence, avec plus de voyageurs dans les trains.

Dans le domaine des marchandises, si la relance du fret ferroviaire était si simple, quelqu'un l'aurait déjà réussie ! Il faut que notre offre ferroviaire propose des sillons de qualité pour que la marchandise parvienne à l'endroit et au moment voulus par les chargeurs. C'est un travail que j'entends conduire avec tous les acteurs. De nombreuses réflexions ont été menées dans le cadre de la démarche France Logistique 2025 et il nous faut désormais proposer un plan d'action. Une offre ferroviaire et fluviale de qualité est la condition d'instauration du report modal. On ne peut se satisfaire d'avoir autant de camions sur les routes et de tirer aussi peu parti des réseaux ferroviaires et fluviaux. Il faut obtenir un meilleur partage modal.

Sur la compétitivité de nos ports, qui sont géographiquement bien situés, que ce soit au nord de l'Europe ou en Méditerranée, ceux-ci devraient occuper une meilleure place stratégique. Un problème d'hinterland et de desserte se pose. Au-delà, le fonctionnement de nos places portuaires doit être envisagé : il est certain que leur modèle économique est aujourd'hui fragilisé car, dans nombre de cas, celui-ci reposait sur le transport d'hydrocarbures, ce qui n'est guère l'avenir désormais. Nos ports doivent ainsi se repositionner dans la compétition avec les ports voisins, dans un contexte marqué par des enjeux fiscaux, que ce soit en matière d'impôts sur les sociétés ou de taxe foncière. Certes, tout le monde se déclare soucieux de la compétitivité de nos ports, mais aucune collectivité n'a souhaité exonéré les ports de la taxe foncière lorsqu'il était possible de le faire ! Je suis tout à fait d'accord pour que nos places portuaires puissent tirer parti de leur foncier, tandis que les ports concurrents tirent une bonne partie de leurs ressources de la valorisation foncière. Cette démarche permet également de capter de la valeur ajoutée sur les marchandises transportées. C'est aussi l'un des chantiers qu'il nous faut prendre en compte : simplifier les procédures pour tirer parti de la richesse que représente la réserve foncière de nos ports.

Je ne vais pas vous donner un avis sur l'évolution des grandes infrastructures évoquées par les Sénateurs Leroy et Pointereau et ce, d'autant moins que ce sujet doit être discuté avec les acteurs locaux qui, dans tous les cas, sont très engagés sur ces projets promis depuis des décennies. Il n'est pas normal d'avoir placé les gens dans une alternative, à l'instar du domaine ferroviaire, entre le maintien des lignes vétustes ou la construction d'une ligne à grande vitesse. Il nous faut sortir de la logique du tout ou rien qui est caricaturale ! Il va falloir que nos ingénieurs raisonnent autrement, comme dans l'un des projets sur lesquels nous travaillons actuellement et qui, avec 15 % de l'investissement initialement envisagé, assure 50 % du gain de temps escompté. La ligne Poitiers-Limoges a été l'occasion d'un débat en ce sens : lorsqu'on annonce que la seule façon de régler le problème de Limoges réside dans la construction d'une ligne à grande vitesse, je trouve cela anormal. Il faut améliorer la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, la ligne entre Poitiers et Limoges. Puisque la déclaration d'utilité publique a été annulée, c'est bien que ce nous allons devoir faire ! Nous aurions dû suivre cette démarche bien plus tôt !

Nos ingénieurs pourraient faire preuve de plus d'imagination ! Pourquoi les gares sont-elles saturées plus rapidement en France que chez nos voisins européens ? Il faudrait s'interroger sur l'exploitation de nos gares et la manière dont on retourne nos trains ! Il faut ainsi s'emparer réellement des sujets et ne pas placer les gens dans des alternatives qui nous mettent devant des impasses financières et qui nous empêchent d'agir sur les infrastructures existantes. Je viens d'une entreprise dans laquelle on exploitait toutes les deux minutes un RER transportant 2 500 personnes sur le tronçon central de la ligne A, ce qui, en l'occurrence, me semble un exemple de réelle saturation ! Il va ainsi falloir replacer sérieusement nos ingénieurs dans le monde moderne. Il faut d'abord commencer par travailler sur les procédures d'exploitation et ainsi améliorer l'existant, avant de réclamer des milliards d'euros pour la création, à côté, d'une nouvelle ligne. Ce point recoupe d'ailleurs les conclusions du rapport rendu par la SNCF sur la robustesse. Je me réjouis de cette démarche de vérité et de transparence ! Il est ainsi intéressant d'avoir sur la table des propositions dont les deux présidents nous disent qu'ils vont les prendre en bloc ; ce dont je vais d'ailleurs m'assurer, auprès d'eux, dès demain. Une telle perspective laisse entrevoir des améliorations rapides et je vais m'y atteler.

Sur les questions de financement soulevées notamment par madame Odette Herviaux et monsieur Ronan Dantec, il va nous falloir trouver des nouvelles recettes. Je souhaiterais évidemment que les centimes de TICPE, qui avaient été promis à l'Afitf, lui soient d'emblée remis en totalité. C'est un débat interne au Gouvernement et je ne vais pas vous y entraîner. Je pense qu'il faut absolument faire participer les poids lourds en transit, dont j'ai pu mesurer, sur les routes nationales, la dangerosité, notamment sur les RN10, 147 et 149. Ces files continues de poids lourds qui traversent nos villages, allant jusqu'à frotter les façades dans un certain nombre de cas, sont incompréhensibles ! Je n'ai pas la solution clé en main, mais nos voisins ont trouvé une façon pertinente de bien cibler les taxations sur les poids-lourds en transit, de façon pragmatique. On peut le faire à partir de dispositifs comme les vignettes ou les boîtiers. Je n'ai pas de position arrêtée sur le sujet ; l'essentiel étant que cela fonctionne ! On pourra également y parvenir y compris avec des péages en pleine voie, comme dans la RN10 dans les Landes, sans pour autant pénaliser le quotidien des acteurs du territoire en ménageant les entrées et les sorties. Nos sociétés concessionnaires font preuve de beaucoup d'imagination pour nous proposer des plans de relance et je souhaite qu'elles mobilisent toutes leurs capacités de réflexion pour nous proposer des dispositifs de péage et de financement du trafic de transit intelligents.

Sur les échéances de l'ouverture à la concurrence, je n'entrerai pas dans le débat sur la date-butoir pour les services conventionnés. Attendre la toute-fin de l'échéance n'est pas une solution, en raison de l'attente suscitée et du caractère pernicieux d'un scénario où l'on passe immédiatement du rien au tout. Nous souhaitons donner, dès que possible, la liberté aux régions de mettre en concurrence une partie de leur TER.

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