Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Réunion du 20 juillet 2017 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui, madame la ministre. C'est la troisième fois que vous vous présentez devant notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, mais la première fois en tant que ministre. Vos précédentes auditions nous ont permis de vous connaître et de savoir que vous disposez de toute l'expérience, la compétence, la volonté et l'énergie requises pour mener à bien votre mission. Cette importante mission n'est pas simple compte tenu des défis et chantiers qui sont devant vous. Je ne pourrai pas tous les citer, mais vais en rappeler certains à mes collègues, sur lesquels vous nous apporterez certainement des informations.

J'évoquerai en premier lieu la question du financement de l'entretien et de la modernisation des réseaux existants. Le Président de la République et le Gouvernement semblent être conscients qu'il s'agit d'une priorité absolue, comme nous le répétons depuis longtemps au sein de notre commission. L'état du réseau ferroviaire est plus que préoccupant et le réseau routier commence à donner des signes d'inquiétude. La question du financement se pose, compte tenu de la dette de la SNCF et de la baisse des investissements des départements et de l'État dans le domaine routier. À cet égard, l'annulation de crédits annoncée de 260 millions d'euros nous inquiète particulièrement.

Pour faire face à cette nécessaire modernisation du réseau, le Gouvernement a annoncé qu'il faudrait renoncer à un certain nombre de grands projets. La question de la taxation des poids lourds est également revenue à l'ordre du jour. La question des moyens de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), en grande difficulté financière depuis l'abandon de l'écotaxe, est aussi un vrai sujet d'inquiétude. Il pourrait, en effet, lui manquer jusqu'à 10 milliards d'euros pour faire face à ses obligations.

Le deuxième sujet important, sur lequel Louis Nègre et moi nous penchons est l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Je rappelle que les services conventionnés devront être ouverts à la concurrence d'ici le 3 décembre 2019, en application du quatrième paquet ferroviaire. Pour les services commerciaux (TGV), cette libéralisation devra être prévue par la loi à partir du 1er janvier 2019, pour une application effective à compter de l'horaire de service 2021.

Considérant qu'il n'y a pas une minute à perdre, je rappelle que Louis Nègre et mois travaillons à une proposition de loi depuis maintenant plus de six mois. Elle sera prête début septembre et nous avons l'intention de l'examiner au Sénat dès l'automne. Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler, madame la ministre, et je crois que vous avez, sur le fond, accueilli favorablement notre travail. Nous espérons donc que cette proposition pourra bénéficier de votre soutien. Comme nous vous l'indiquions, nous pensons qu'un problème de calendrier se posera si ce sujet est abordé à l'occasion du grand projet de loi sur la mobilité, car la libéralisation doit être adoptée dans son principe par une loi avant la fin du premier semestre 2018. Il serait donc impossible d'y arriver avec un texte déposé au Parlement à une date encore inconnue, au cours du premier semestre 2018. Nous vous proposons donc de vous appuyer sur notre initiative.

La dette de la SNCF est un sujet qui doit certainement vous mobiliser. La dette de SNCF Réseau atteint 45 milliards d'euros. Le contrat de performance entre l'État et les établissements publics concernés prévoit que cette dette s'élèvera à 63 milliards d'euros dans dix ans. L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) considère même que ce chiffre sera dépassé. Nous avons critiqué la forme et le fond de ce contrat cadre. Nous avons également relevé que le précédent gouvernement a complétement occulté la question que pose cette dette. Nous espérons donc que l'actuel gouvernement se montrera plus courageux dans ce domaine également.

En ce qui concerne le secteur autoroutier, vous avez clairement dit que vous ne souhaitez pas d'un nouveau plan de relance autoroutier, en échange d'une prolongation des durées de concession. Nous savons que les sociétés concessionnaires aimeraient également prendre en charge l'entretien d'autoroutes non-concédées, ou d'axes routiers y menant, en échange d'une telle prolongation. Avez-vous déjà arrêté des positions sur ce sujet ? Nous aimerions plus de transparence sur ce secteur. Malgré des courriers adressés aux ministres en charge et au Premier Ministre, je n'ai jamais obtenu, au cours du précédent quinquennat, le protocole d'accord signé en avril 2015 entre l'État et les sociétés d'autoroutes. Cette situation est contradictoire avec l'esprit de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques dite « Macron », qui a instauré plus de transparence dans ce domaine.

J'en viens à la question des aéroports. Il semblerait que le projet Charles de Gaulle Express ne soit pas remis en cause malgré la révision annoncée des grands projets. Vous pourrez peut-être nous donner des éléments sur la privatisation d'Aéroports de Paris dont on entend beaucoup parler, ou sur le souhait de l'Arafer de prendre en charge la régulation des aéroports. Enfin, quel avenir envisagez-vous pour Notre-Dame-des-Landes ?

On ne peut pas parler de transport sans évoquer le climat. En décembre 2015, pour signer l'accord de Paris, il avait fallu faire des compromis. Le passage qui incluait les transports aérien et maritime dans la réduction des gaz à effet de serre avait dû être supprimé. En octobre 2016, l'aviation a fait un premier pas lors d'un accord conclu à Montréal. Elle s'est engagée à compenser, de manière volontaire, jusqu'en 2027, les émissions de gaz à effet de serre des plus gros appareils.

Des discussions sur ce sujet sont en cours pour le domaine maritime. Elles suscitent des inquiétudes quant à la perte de compétitivité du pavillon français dans un contexte de forte concurrence internationale.

Comment souhaitez-vous lutter contre la concurrence déloyale des compagnies aériennes du Golfe qui portent préjudice à notre entreprise nationale ? Elle n'est, en effet, pas en très grande forme, même si l'acceptation par les salariés de la création d'une nouvelle société est un point positif.

Enfin, un point prospectif me semble nécessaire à l'heure où l'on parle presque quotidiennement de transports autonomes. Il me semble qu'une expérimentation avait été lancée par le précédent gouvernement afin d'établir un cadre juridique sur le sujet. Votre gouvernement a-t-il repris ce point dans sa feuille de route, afin notamment de développer une filière française ?

En ce qui concerne les assises de la mobilité, comme indiqué la semaine dernière au ministre d'État Nicolas Hulot, nous souhaitons que le Parlement puisse être associé à cette démarche. J'espère que vous pourrez sur ce point nous donner un accord de principe.

Debut de section - Permalien
Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports

ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. - Je suis très heureuse de venir devant votre commission. Comme vous l'indiquiez, ce n'est pas la première fois que je viens, mais c'est bien la première en tant que ministre. Je suis d'autant plus heureuse que je connais l'investissement de votre commission sur les problématiques de transport. Votre expertise, et votre soutien dont je ne doute pas, me seront précieux, pour mener à bien la mission qui m'a été confiée par le Président de la République et le Premier Ministre.

Cette mission se traduit dans une feuille de route dont je vais vous présenter les grandes lignes. Nos échanges permettront d'aller plus dans le détail. J'ai souhaité cette feuille de route réaliste, ambitieuse et tournée vers l'avenir.

Vous le savez, les transports et la mobilité connaissent déjà et vont, dans les prochaines années, connaître des mutations majeures. Les attentes des territoires, de la population et les besoins de l'économie ont profondément évolué. Par ailleurs, nous devons engager résolument la transition écologique et énergétique pour laquelle vous vous êtes pleinement engagés notamment lors de la loi transition ou la COP 21. Enfin, la révolution digitale bouleverse notre secteur et offre de nouvelles et nombreuses opportunités.

Dans ce contexte en mutation, l'action publique et l'action de l'État doivent évidemment changer. Au cours des deux derniers quinquennats, la politique des transports a été dominée par de grands plans d'infrastructures et il nous revient aujourd'hui d'inventer des nouvelles réponses face à tous ces besoins. Dans ce contexte, le sens que je veux donner à l'action de l'État est celui d'être un État stratège. Le sens de cette action tient en trois mots : orienter, protéger et soutenir. Il s'agit d'orienter les mutations, de réguler et protéger dans chacun des secteurs et de soutenir les acteurs pour faire face aux nouveaux défis.

Orienter, tout d'abord, revient à préparer les mobilités des prochaines décennies avec un objectif clair, qui est celui de la mobilité pour tous et dans tous les territoires en adaptant les réponses aux besoins de la population et de l'économie. De fait, deux défis nous pressent à agir. Le premier est celui de l'apport de nouvelles réponses à ces nouveaux besoins. Le second est celui de l'action dans un contexte financier extrêmement contraint, sur lequel la Cour des comptes a alerté avec force le 29 juin dernier.

Il y a donc, d'une part, des besoins auxquels nous répondons mal. Des pans entiers de la population, souvent situés aux franges des métropoles et dans les territoires ruraux, n'ont pas d'alternative à la possession d'une ou plusieurs voitures pour se déplacer et accéder à la formation, à l'emploi et aux services. Il ne s'agit pas d'une part marginale de la population puisque cela concerne 40 % des Français ! Il y a par ailleurs des millions de Français qui vivent au quotidien la saturation de leurs réseaux de transport, qu'il s'agisse des routes ou des transports publics. Je pense que les transports ont un rôle clé à jouer dans la lutte contre les fractures territoriales et contre l' « assignation à résidence » dont a parlé le Président de la République. Cette situation n'est pas acceptable, nous devons repenser nos politiques pour traiter ces maux de la société. Nous devons également repenser notre action pour prendre en compte les nouvelles mobilités qui ont bouleversé notre quotidien ces dernières années. Les termes d'auto-partage, de covoiturage, de mobilités actives, les véhicules autonomes font désormais partie de notre quotidien. Les « bus Macron » ont également donné l'accès à la mobilité à une large population et amplifié celle de citoyens opérant un arbitrage par le prix plutôt que par la vitesse. Les véhicules autonomes commenceront d'ici peu à circuler sur nos réseaux et devraient permettre, le plus rapidement possible je l'espère, de repenser à terme nos services de transport, notamment dans les zones peu denses. Enfin, les services numériques liés à la mobilité ne cessent quant à eux de se développer et de s'améliorer pour simplifier l'expérience des usagers au quotidien. Pour autant, je n'ignore pas que les territoires doivent bien sûr être connectés pour bénéficier de ces nouveaux services. Vous avez noté que le Président de la République a pris lundi dernier et ici même des engagements forts dans ce domaine.

Nous devons enfin repenser nos politiques pour les inscrire dans une exigence environnementale accrue. Je pense qu'il ne faut pas le vivre comme une contrainte mais comme une opportunité. De ce point de vue-là, les transports sont au coeur d'enjeux industriels, sociaux et sociétaux majeurs. La question de la décarbonation des véhicules est à cet égard un impératif stratégique à tous les niveaux.

Face à ces besoins, j'ai la conviction que nous devons revoir nos priorités d'investissement. En donnant trop longtemps la priorité aux axes lourds interurbains, l'action publique a trop fait l'impasse sur le traitement des noeuds routiers et ferroviaires, sur la modernisation des infrastructures existantes et sur les services associés. L'entretien et la remise à niveau de nos réseaux, qu'ils soient ferroviaires, routiers ou fluviaux, sont un préalable incontournable.

Il est nécessaire d'avoir quelques chiffres en tête. Ainsi, les déplacements ferroviaires à longue distance représentent moins de 1 % des déplacements en France mais ont mobilisé 16 % des investissements dans les infrastructures ces cinq dernières années. Alors que nous venons d'inaugurer simultanément deux lignes à grande vitesse (LGV), ce qui est une première, plus de 5 300 kilomètres de voie ferrée font l'objet de ralentissements car nous n'avons pas su entretenir nos réseaux de manière satisfaisante. Lors de l'inauguration de la LGV à Bordeaux, des élus de Dordogne ont attiré mon attention sur la dégradation de la qualité de la ligne Bergerac-Libourne. Nous sommes donc vraiment en train de créer une France à deux vitesses, ce qui n'est pas acceptable. Ce constat ne concerne d'ailleurs pas seulement le domaine ferroviaire. Il faudra attendre 2019 pour achever la mise à deux fois deux voies de la RN10, promesse faite aux élus et aux citoyens dans les années 70.

Par ailleurs, et c'est la deuxième raison qui nous pousse à nous réformer, le contexte financier de nos politiques est plus que préoccupant. Quelques chiffres le montrent. Les engagements de l'État pour de nouvelles infrastructures dépassent les 18 milliards d'euros sur les cinq prochaines années, hors Grand Paris Express. En face, sur la même période, nous n'avons que 11 milliards d'euros de ressources identifiées. Par ailleurs, ma priorité va porter sur le manque de 3 milliards d'euros pour entretenir et rénover les réseaux routiers et fluviaux ainsi que nos grands ports. Je vous rassure, monsieur le président, j'ai insisté pour que les économies qui devront être faites par mon ministère ne remettent pas en cause sa politique en ce qui concerne l'entretien routier.

Au total, l'impasse financière est de 10 milliards d'euros sur le quinquennat. Si on prend en compte les promesses faites et la priorité incontournable de l'entretien de nos réseaux, il faudrait donc l'équivalent de cette somme en plus de ce qui a été fait sur les quinquennats précédents. J'ajoute que, dans le ferroviaire, l'accélération indispensable de la régénération engagée ces dernières années s'est faite au prix d'une augmentation de la dette de SNCF Réseau de 16 milliards d'euros en 6 ans. Au-delà de la loi qui a créé le groupe public ferroviaire, la question de son modèle économique est posée, en particulier pour le TGV. Nous sommes face au paradoxe d'un réseau à grande vitesse qui s'étend, mais dont les péages augmentent, avec le risque de prix peu attractifs pour les voyageurs et, in fine, de moins de services et d'une sous-utilisation de la capacité sur ce réseau. La SNCF nous dit qu'aujourd'hui 70 % de ses dessertes TGV sont déficitaires. Il est donc impératif de revoir le modèle avant de l'ouvrir à la concurrence. La politique actuelle est donc à réviser en profondeur car la poursuite de cette trajectoire n'est simplement pas une option.

Pour résumer, je dirais que nous devons changer de paradigme, et pour cela passer d'une politique d'équipement à une stratégie pour les mobilités. Le rôle de l'État sera moins de construire que d'être un architecte de l'ensemble des mobilités, en appui des autorités organisatrices et de l'ensemble des collectivités. La déclinaison de ces deux priorités comporte deux volets. Le premier est de veiller à l'entretien et la modernisation des infrastructures existantes. Le second vise à raisonner davantage en termes de services, et plus seulement d'infrastructures.

Ces deux priorités sont également valables dans le domaine de la logistique. Il convient certes de construire les quelques chaînons manquants majeurs, notamment pour l'accès aux grands ports, mais l'essentiel réside dans la modernisation de l'existant ou dans l'optimisation des services. Je pense ici par exemple à l'allocation de capacités ferroviaires pour pouvoir offrir des services de qualité ou à la logistique du dernier kilomètre.

Mon second pilier d'action est la protection. Dans un monde de plus en plus ouvert, protéger comporte plusieurs aspects. Il s'agit de définir le cadre dans lequel l'ensemble des opérateurs vont agir et anticiper les risques ainsi que de donner les garanties que cette ouverture ne se fasse pas au détriment des salariés, des entreprises existantes et des consommateurs, face aux distorsions qu'elle peut créer. Certaines mutations sont inévitables comme l'ouverture à la concurrence dans le ferroviaire et le transport urbain en Ile-de-France qui en est un exemple emblématique. Dans ce cas précis, il faudra certes ouvrir le secteur ferroviaire à la concurrence dès 2020 pour les TGV et progressivement avant 2023 pour les TER, et préparer le cadre social de l'ouverture en Ile-de-France. Mais cette réforme nécessaire ne pourra être réussie qu'à la condition de la faire avec les agents de la SNCF et de la RATP.

Je sais l'engagement de votre commission sur ce sujet, monsieur le président, et cher Louis Nègre. Vous avez mis à profit ces derniers mois pour engager sans plus tarder une réflexion sur ce sujet. Comme vous, je suis convaincue que, pour répondre aux besoins des usagers, aux attentes des régions mais aussi aux légitimes inquiétudes des agents concernés, nous devons très rapidement nous mettre au travail. Je me saisis pleinement de ce sujet et me réjouis de pouvoir m'appuyer sur les travaux que vous avez déjà engagés. Une personnalité de haut niveau sera nommée dans les prochains jours pour mener la concertation avec les parties prenantes que sont les organisations syndicales, les régions et les entreprises. Il conviendra de trouver la bonne articulation, car ce sujet aura vocation à être pris en compte dans la loi d'orientation des mobilités que je présenterai au premier semestre 2018.

Il faudra continuer à préserver la libre circulation des services et des personnes au sein de l'Union européenne. Mais il faudra pour cela encadrer plus strictement le travail détaché et le cabotage, notamment dans le transport routier de marchandises, surjet sur lequel le Gouvernement est actuellement pleinement mobilisé à Bruxelles. Il faudra aussi lutter contre les pratiques sociales déloyales, dans le transport aérien par exemple. C'est clairement par notre résolution à tenir notre position sur ces sujets que nous parviendrons à redonner l'envie d'Europe qui manque à beaucoup de nos concitoyens. J'aborde maintenant les nouvelles solutions de mobilité. S'il faudra encourager leur développement puisqu'elles permettront de répondre à des besoins souvent insatisfaits ou nouveaux, il faudra aussi s'assurer que les nouveaux acteurs respectent les règles du jeu, qui restent parfois encore à écrire.

Mon troisième pilier est enfin le soutien. Soutenir revient à structurer et appuyer les filières économiques, qu'il s'agisse de l'industrie, de la logistique ou de la mer. En France, nous avons la chance d'avoir des leaders industriels mondiaux reconnus comme Airbus, CMA-CGM, Safran ou Alstom, mais le constat reste unanime sur la nécessité de rassembler davantage les acteurs. Sans se substituer à l'initiative privée, l'État doit ainsi s'impliquer plus fortement et clarifier son rôle, autour de trois axes majeurs. Le premier est de structurer les filières pour organiser la discussion, le deuxième est de soutenir l'innovation et l'investissement au profit des nouvelles mobilités, à travers notamment des appels à projets, et le troisième est de mettre en place les cadres réglementaires adaptés à ces nouveaux écosystèmes. Deux exemples fonctionnent bien et doivent guider notre action. Il s'agit, d'une part, de l'action que l'État mène dans l'aéronautique civile puisque cela fait plusieurs années qu'il soutient la recherche et l'innovation dans ce domaine. À la satisfaction générale, il en ressort une filière structurée avec des entreprises de tailles mondiales, des entreprises de taille intermédiaire (ETI), des petites et moyennes entreprises (PME) et des startups. Il est, d'autre part, possible de s'inspirer de l'action menée autour des drones pour lesquels les pouvoirs publics ont réuni l'ensemble des acteurs concernés autour d'une même table afin de concevoir avec eux une régulation adaptée au secteur. Je pense que cette démarche doit être reproduite pour les véhicules autonomes. La France ne doit pas prendre de retard par rapport aux actions menées aux États-Unis ou en Allemagne. Nous disposons de toutes les compétences industrielles nécessaires, mais devons correctement organiser les filières pour atteindre les premières marches du podium dans ce domaine.

Une attention particulière devra être apportée à la logistique, car son efficacité conditionne le fonctionnement de l'économie et l'attractivité des territoires. Or c'est un secteur en crise, dont les acteurs sont fragilisés et qui peine à orienter les flux vers les modes non polluants. De l'action publique dépendra la capacité du secteur à tenir les engagements d'efficacité environnementale et économique mais aussi écrire le futur de cette activité.

On a beaucoup dit que la France est une grande nation maritime. Je le crois aussi. Mais elle doit l'être non seulement par des déclarations mais aussi et surtout à travers des actes. Notre pays doit montrer la voie d'un secteur maritime décarboné, responsable et à la pointe des nouvelles technologies. Il convient évidemment de tenir compte de la concurrence mondiale dans ce domaine-là. Cette recherche d'un transport plus respectueux de l'environnement devra se faire dans le cadre des instances internationales. Il faut toutefois reconnaitre que l'ensemble des pays est peu enclin à reproduire dans le secteur maritime ce qui a été fait dans le secteur aérien avec un engagement sur le plafonnement des émissions de gaz à effet de serre à partir de 2020.

Il nous faudra aussi réfléchir au modèle économique des ports, aujourd'hui fragilisés dans la compétition européenne. Ayons en tête que dans les conteneurs qui arrivent en France par la mer, une moitié seulement passe par les ports français, les autres passant par des ports étrangers. Nous pouvons nous donner l'ambition de rééquilibrer cette proportion.

Dans un contexte de forte demande de mobilité, l'un des enjeux qui se pose également aux entreprises sera de pouvoir rapidement et massivement recruter dans des secteurs qui souffrent aussi d'un manque d'attractivité. Au travers de réformes telles que celle sur la formation professionnelle, l'État devra contribuer à préparer une main d'oeuvre qualifiée pour les métiers traditionnels comme pour les nouveaux services de mobilité.

Voilà donc les grandes lignes de la feuille de route que je souhaite porter en tant que ministre des Transports. Elle est, vous le voyez, ambitieuse mais elle répond, je crois, aux attentes des territoires. Ces défis, tout aussi contraignants soient-ils, doivent nous aider à opérer un virage vers un nouveau modèle d'action publique, plus à l'écoute des besoins des Français et des territoires et en capacité de mieux y répondre.

C'est le sens de la démarche des Assises de la mobilité que le Gouvernement souhaite impulser dès septembre. Il s'agit de mettre en place une consultation nationale au travers de différents canaux visant à identifier les besoins et attentes prioritaires des Français en matière de mobilité à l'horizon 2030 et de faire émerger de nouvelles solutions. Je suis frappée par le nombre de bonnes idées au sein de nos territoires. Il faut les faire connaître et les mettre en valeur et permettre le partage des meilleures pratiques. Ce sera aussi le sens de ces Assises de la mobilité où les citoyens, les entreprises, les ONG, les associations, les élus seront invités à se prononcer dans ce cadre global. Cette consultation sera menée de concert avec des audits techniques des réseaux routier, ferroviaire et fluvial. Beaucoup de travaux ont été entrepris sur ces sujets au Sénat et je pense qu'il est indispensable de porter à la connaissance de chacun la situation réelle de l'état de nos infrastructures et leurs besoins de remise à niveau.

Les premiers résultats de cette concertation aboutiront à des orientations qui seront ensuite soumises pour débats aux autorités organisatrices de transport, les régions comme les agglomérations. L'ensemble de ces travaux devra se conclure en décembre. Et je voudrais insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une énième consultation sans lendemain. Ces Assises doivent très concrètement préparer la loi d'orientation sur les mobilités, qui vous sera présentée pour être débattue au premier semestre 2018. Cette loi contiendra notamment une vision à moyen terme de nos infrastructures et une programmation, année par année, des projets et des financements de l'État, et ce pour une période de cinq ans.

En cela, nous répondons à une attente forte du Sénat exprimée notamment par votre commission dans le rapport que vous avez présenté, Monsieur le président, en mai dernier, avec votre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ : « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité ». Cette attente a également été exprimée par votre commission des finances, dans son rapport de septembre 2016 : « Infrastructures de transport : sélectionner rigoureusement, financer durablement ». Ainsi, nous allons nous contraindre à équilibrer de façon prévisionnelle, année par année et dans la loi, nos programmes d'investissement. Ces choix structurants, parfois difficiles, seront bien portés ensemble, avec le Parlement, ce dont je me réjouis.

Vous aurez compris que nous souhaitons engager un changement de paradigme. Il s'agit en deux mots de la mobilité pour tous et dans tous les territoires et, pour cela, le fait de ne pas compter uniquement sur des nouvelles infrastructures, mais assurer la pérennité et la modernisation des infrastructures existantes, et proposer plus de services de mobilité.

Ce sont des choix courageux pour penser différemment notre politique de mobilité en France, en étant davantage à l'écoute des citoyens, de leurs besoins prioritaires comme de leurs nouveaux usages, mais également en prenant en compte l'impératif de redressement de nos finances publiques. C'est tout le sens des Assises que nous lancerons à la rentrée, et du travail que nous allons effectuer ensemble dans les prochaines semaines et je m'en réjouis. Je n'ai bien sûr pas eu le temps d'évoquer la totalité des sujets, ils sont nombreux. Mais vos questions me permettront, je n'en doute pas, d'y revenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Je vous remercie, madame la ministre. Je vous reconnais de bonnes lectures et espère que celle du rapport de Louis-Jean de Nicolaÿ et moi-même vous inspireront. Nous sommes très attachés à l'aménagement du territoire qui a, depuis un certain nombre d'années, trop souvent été délaissé.

Les drones que vous avez évoqués constituent un excellent exemple car leur réglementation est le fruit d'une proposition de loi d'origine sénatoriale, adoptée en termes identiques à l'Assemblée nationale et soutenue par le Gouvernement. Il peut donc être parfois très intéressant de s'appuyer sur une proposition de loi d'initiative sénatoriale... Je pense que vous suivez le fil de ma pensée !

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Je me félicite de votre nomination, Madame la ministre, car votre parcours parle pour vous. Il a, à la RATP, été positif et efficace. Vos compétences sont reconnues et vous êtes favorable au dialogue. Cela me fait d'autant plus plaisir que nous avons pu connaitre quelques difficultés dans ce domaine par le passé. Ayant eu la chance de vous avoir rencontré six fois en autant de semaines, j'ai pu me rendre compte de cette volonté d'avancer et vous en félicite.

Lors des États généraux consacrés aux transports qui ont eu lieu avant l'élection présidentielle, nous avions listé sept objectifs principaux. Avec l'arrivée du nouveau Gouvernement, trois ont déjà été remplis. Il s'agit d'un ministère « plein », d'une loi de programmation financière quinquennale, demande très forte de notre part, et de l'ouverture à la concurrence que vous évoquiez. Vous avez expliqué que vous alliez nommer une personnalité qui prendra contact avec les différents acteurs dont les organisations syndicales. Aux côtés du Président Maurey, nous avons déjà entrepris une telle démarche. Il en ressort que, si certaines organisations syndicales sont ouvertes, d'autres ne le sont pas. Je rappelle que, en tout état de cause, l'ouverture à la concurrence est déjà engagée depuis 1991. Je souhaite donc que, malgré les avis négatifs éventuels que vous pourrez rencontrer, nous puissions enfin avancer une fois pour toute sur le sujet.

Les Assises de la mobilité sont une bonne chose pour que chacun puisse s'exprimer. Si une grande loi d'orientation des mobilités est planifiée, nous ne souhaitons pas attendre le premier semestre 2018, comme le Président Maurey l'indiquait, pour engager l'ouverture à la concurrence. Sommes-nous bien d'accord sur le fait que la mise en concurrence volontaire pourra bien démarrer dès 2019 ?

Un rapport vient encore de paraître sur l'état de robustesse de la SNCF. Il s'agit d'un rapport interne où le président du groupe d'experts diligentés précise que : « on ne peut plus continuer comme cela ». Le Sénat et l'ensemble des usagers s'en étaient déjà aperçus ! Les experts ne font que confirmer qu'un vrai défi se dresse devant vous dans ce domaine.

Les autres défis auxquels vous devez faire face sont, selon vos propres termes, en lien avec la révolution digitale et les nouvelles mobilités ainsi qu'avec la transition énergétique. Je ne vous interrogerai donc pas sur le secteur aérien, fluvial ou maritime, sauf pour confirmer le point faible de nos ports. La France possède, en effet, un potentiel énorme qui ne s'exprime pas.

Comment augmenter la part modale du ferroviaire dans les domaines du transport de fret et de voyageurs ? Il s'agit d'un sujet de discussion qui revient souvent mais je n'ai pas compris comment cela est possible quand le transport de voyageur est un secteur qui se porte moyennement et que celui du fret est en baisse ?

Quid de la consolidation de l'industrie ferroviaire ? C'est un problème de fond pour le moyen et long terme.

Nous souhaitons que l'État ait une action plus volontariste pour lutter contre le vieillissement du réseau avec le Grand plan de modernisation du réseau (GPMR), ainsi qu'avec le système européen de surveillance du trafic ferroviaire (ERTMS).

Lorsque Bercy vous dit qu'il manque quelques milliards pour le financement ferroviaire, je prétends, de mon point de vue, qu'il ne les manque pas. En effet, la taxation des transports rapporte, au travers de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), près de 25 milliards d'euros. Les transports génèrent donc des produits fiscaux. La discussion peut être ouverte quant à leur utilisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Leroy

Mes questions portent sur le Canal Seine Nord et font suite aux déclarations du Premier Ministre d'hier. L'engagement de l'Union européenne pour le financement du projet à hauteur de 40 % est conditionné au démarrage des travaux avant la fin de l'année 2017. Cela a été confirmé par Monsieur Balázs, coordonnateur européen du corridor Mer du Nord-Méditerranée, lors d'un conseil de surveillance le 18 mai dernier. Or, lors de la séance de questions qui s'est tenue hier à l'Assemblée nationale, Monsieur le Premier Ministre a indiqué que « ce nouveau délai ne remet pas en cause les financements européens puisqu'ils sont conditionnés à une signature des marchés au plus tard en 2020 ». J'oserais presque vous demander qui dit vrai.

La région des Hauts-de-France, associée à quatre départements, dont le Pas-de-Calais, a proposé d'assumer la part de l'État pour les années 2017 et 2018 dans le financement du début du chantier. Le projet peut donc être neutre pour le budget de l'État jusqu'en 2019. Or, hier également, le Premier Ministre a évoqué devant l'Assemblée une incertitude sur la recette affectée et les garanties de l'emprunt de 700 millions d'euros que prévoit le plan de financement. Mais il n'y a pas d'incertitude puisque ce sont les péages qui permettront de rembourser le capital de l'emprunt. Quant aux garanties, Monsieur Darmanin, à l'époque vice-président des Hauts-de-France chargé des transports, proposait en novembre dernier qu'elles soient prises conjointement par l'ensemble des collectivités publiques. Peut-on dans ces conditions, madame la ministre, eu égard à l'effort exceptionnel des collectivités territoriales, prendre le risque de ne pas lancer en 2017 les travaux du canal Seine-Nord Europe ?

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Je souhaite rappeler les propos du Président de la République, qui nous a dit lundi dernier, lors de la Conférence nationale des territoires, sa volonté de désenclaver les territoires « oubliés » sur le plan de la mobilité ferroviaire et autoroutière. Il annonçait également, lors de l'inauguration récente des LGV, l'absence à terme d'autre projet de LGV. Vous parliez de fracture territoriale et de territoires à deux vitesses. Je pense qu'il y aura cependant trois vitesses. Certains auront la LGV, d'autres bénéficieront d'une modernisation rapide de leurs réseaux et, enfin, une catégorie restante de territoires n'aura ni l'un, ni l'autre, faute de moyens. Je souhaiterais donc vous demander si vous envisagez de nouvelles ressources de financement à destination notamment de l'Afitf.

En ce qui concerne la libéralisation des réseaux ferroviaires et l'ouverture à la concurrence au niveau européen à l'horizon 2019, vous savez que la ligne Paris-Lyon est la LGV la plus rentable. Sa saturation est annoncée pour 2025-2030, sans parler de la soixantaine de « jours noirs » correspondant à des problèmes récurrents sur la ligne en cas de surcharge. Y aurait-il assez de sillons offerts à la concurrence sur cette ligne en 2019 ? À défaut, quelles solutions alternatives au doublement de cette ligne avez-vous à proposer ?

Vous avez annoncé le désir d'un État stratège alors que la prospective portée par le texte de loi que vous évoquiez ne se fera qu'à un horizon de cinq ans. Je pense que ce délai est trop court pour établir une stratégie. Dans le domaine concerné, il faudrait pour cela des stratégies à quinze ou vingt ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Herviaux

Je m'associe aux félicitations de notre collègue Louis Nègre et me félicite également de votre nomination. Nous connaissons depuis longtemps vos capacités et sommes heureux de vous retrouver en charge de ce ministère. Je partage votre analyse que je trouve claire et bien ciblée. J'ai l'habitude de dire qu'il faut se donner les moyens de la politique que l'on souhaite, mais force est de constater que l'on ne peut mettre en oeuvre une politique que dans la limite des moyens dont on dispose pour cela. Je comprends donc très bien que des choix soient nécessaires et que des priorités se dessinent.

La première que vous évoquiez concerne la taxe sur les poids lourds. Il s'agit d'une nécessité pour participer au financement des nouvelles infrastructures. C'est aussi nécessaire pour lutter contre la dégradation de la santé publique sur les axes où il y a énormément de poids-lourds. C'est également une nécessité de sécurité routière puisque le nombre parfois important de poids-lourds peut poser des problèmes de cet ordre. Nous avons déjà, par le passé, réfléchi à cette idée de taxation. Nous avions, à cette occasion, souhaité établir une différence entre les poids lourds qui transitent par notre pays en ne faisant que le traverser et ceux qui y effectuent des liaisons quotidiennes ou locales. Nous avions également souhaité prendre en compte la périphéricité de certaines régions. Que pensez-vous de ces distinctions ? Ne nous feraient-elles pas prendre le risque d'être rappelés à l'ordre par l'Union européenne ?

La préservation de la sécurité et de la santé publique passe par deux pôles importants que sont le fret ferroviaire déjà évoqué par mes collègues et les places portuaires. Je crois qu'une réflexion est nécessaire sur les noeuds autour des grands ports, mais également des ports secondaires et régionaux. Il existe dans les places portuaires des espaces qui étaient traditionnellement dédiés à la SNCF. Quid de l'avancée de la réappropriation par les places portuaires de ces territoires ?

En ce qui concerne le cabotage, il est évident que la diminution du passage des poids lourds passera par le développement du transport de fret fluvial et ferroviaire.

Quid des autoroutes maritimes ? Certaines de celles qui ont vu le jour n'ont pas répondu aux grands espoirs initialement placés en elles.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Mariant ambitions et réalisme, je trouve que votre discours est le plus construit que nous ayons entendu sur les transports. Il était temps qu'un tel discours émerge, notamment sur les transports du quotidien car il faut arrêter d'empiler les infrastructures.

Nous connaissons l'engagement du Président de la République et du ministre d'État Nicolas Hulot sur les questions climatiques avec une forte ambition à l'horizon 2050. Les scientifiques nous disent cependant que le sort de la lutte contre le changement climatique va se jouer dans les toutes prochaines années. Les décisions qui vont être prises dans les prochains mois vont donc être celles qui auront le plus de sens. Mes questions portent donc sur ces décisions.

En matière de mobilité des poids lourds, la France continue de connaître des émissions de gaz à effet de serre très importantes. Elles diminuent peu à cause du transport routier et notamment celui des poids-lourds. La mobilité « gaz » pour les poids lourds - qu'il n'est pas possible de tous supprimer du jour au lendemain - est une réponse de court terme aux effets importants sur les émissions de CO2. Nous savons néanmoins que les motoristes français sont plutôt en retard sur ce sujet et que cela joue dans les arbitrages. Est-ce que la question d'une infrastructure permettant une mobilité « poids lourds - gaz » fait partie de votre feuille de route, la mobilité électrique étant, quant à elle, plus lointaine ?

En ce qui concerne le transport aérien, je ne reviendrai pas sur les projets du passé ! Puisque vous ne souhaitez pas créer de nouvelles lignes aériennes, vous ne desservirez pas de nouveaux aéroports et leur création n'aurait donc aucun sens... Je souhaiterais donc aborder la taxation du kérosène. Je précise que cette problématique ne doit pas être confondue avec celle du ciel européen auquel s'oppose la Chine, ou avec la question des compensations des émissions de CO2 par l'aviation civile, qui reste à concrétiser. La taxation du kérosène en France est possible. Sa mise en oeuvre lèverait une incongruité également synonyme d'un avantage de l'aérien par rapport au transport TGV, par exemple. Les Pays-Bas ont déjà mis en place une telle taxe. S'agit-il d'un axe sur lequel votre Gouvernement souhaiterait s'engager ?

Enfin, nous entendons bien que le projet Lyon-Turin est aujourd'hui sur « pause », mais comment faire concrètement pour réussir à faire passer une partie de la route sur le rail ?

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Il se trouve que j'étais rapporteur de la loi sur les grands ports maritimes en 2008 et que depuis, je rapporte le budget correspondant. Je rappelle que la France est, avec les États-Unis, le premier pays du monde en matière de zone économique maritime alors que notre flotte commerciale continue de diminuer. Je ne sais pas si la pêche relève de votre portefeuille mais je note que 85 % des poissons et crustacés consommés en France sont importés, ce qui soulève une large interrogation.

Nous disposons en France des grands ports les mieux placés d'Europe alors que celui d'Anvers représente à lui seul plus de trafic que tous nos grands ports réunis. Cet état de fait est directement lié aux moyens d'acheminement. Un très gros travail reste à faire dans ce domaine en matière ferroviaire et fluviale. S'il n'est pas fait, nous perdrons du terrain. Si l'on se penche sur la ville de notre Premier Ministre, Le Havre, ou sur Rouen, il est nécessaire de prendre les devants, dans l'hypothèse où le canal Seine Nord serait finalement réalisé. Ne peut-on pas mettre en oeuvre dans ce secteur, le cas échéant avec des fonds européens, des travaux spécifiques à l'intérieur du port du Havre ? Ils porteraient notamment sur des moyens d'acheminement au service d'une meilleure desserte fluviale et ferroviaire. L'idée n'est pas de rester autour de nos grands ports mais bien de se projeter vers des zones à potentiel, comme l'Europe centrale.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Avant de vous laisser répondre, madame la ministre, je souhaite rebondir sur l'ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire. Votre propos m'a un peu inquiété lorsque vous avez indiqué une échéance « avant 2023 », et non « en 2019 ». Ce n'est pas exactement la même chose ! Je ne souhaite pas que vous subissiez trop l'influence de votre administration, dont je salue le directeur général, qui fait preuve d'un peu d'« archaïsme » sur le sujet. Elle est, en effet, la seule partie à considérer que les textes européens doivent être interprétés comme prévoyant l'ouverture à la concurrence « en 2023 » alors que tout le monde considère que c'est « en 2019 ». Je souhaiterais donc que votre administration s'adapte à vous... et non pas l'inverse ! Rassurez-moi très vite quant à cette erreur de langage !

Debut de section - Permalien
Elisabeth Borne

Je pense ne pas pouvoir répondre à la totalité des questions posées par monsieur Louis Nègre, mais nous aurons l'occasion de nous revoir très prochainement. La bonne répartition intermodale des voyageurs et du fret est évidemment un vaste sujet. Sur les voyageurs, une palette de mobilités ne fonctionnera qu'à la condition de construire une chaîne multimodale. Aujourd'hui, je suis déconcertée par la fréquentation des TER : dans la grande région Nouvelle-Aquitaine, 50 000 voyageurs utilisent quotidiennement les TER. D'après le Président Alain Rousset, 600 millions d'euros sont nécessaires à la remise en état du réseau ferré qui s'est dégradé, faute d'entretien. C'est là un sérieux sujet qui nous permet de prendre la mesure des marges de progrès qui sont les nôtres, à la condition toutefois que l'infrastructure soit de bonne qualité et que chacun prenne sa part dans la qualité de l'exploitation.

Il faut penser également les rabattements sur les gares et organiser toute la mobilité. Par exemple, la RATP exploite la ligne sud-africaine reliant Pretoria à Johannesburg et l'aéroport. La concession a été bien pensée, puisque dans son périmètre figurent à la fois l'exploitation de la ligne, les parkings et les bus de rabattement. Les choses fonctionneront à la condition de penser une logique intermodale. Si les trains ne s'arrêteront pas dans tous les villages, ceux-ci doivent avoir droit à une solution de mobilité. Il est inacceptable que des jeunes refusent des stages et que des personnes n'accèdent pas à l'emploi, faute d'une réponse adéquate. Bâtir des chaines de mobilité doit donner toute sa mesure au transport ferroviaire qui doit être un transport de masse. Heureusement, avec la révolution digitale, sous réserve que le réseau couvre l'ensemble du territoire, on sait permettre à un voyageur de démarrer en auto-partage, de prendre ensuite un TER et de continuer avec un vélo à assistance électrique, en l'aidant à construire à son parcours.

Je m'attacherai vraiment à ce qu'on dispose d'une tarification intermodale, puisque cette démarche est connue. De la sorte, chaque mode sera placé dans son domaine de pertinence, avec plus de voyageurs dans les trains.

Dans le domaine des marchandises, si la relance du fret ferroviaire était si simple, quelqu'un l'aurait déjà réussie ! Il faut que notre offre ferroviaire propose des sillons de qualité pour que la marchandise parvienne à l'endroit et au moment voulus par les chargeurs. C'est un travail que j'entends conduire avec tous les acteurs. De nombreuses réflexions ont été menées dans le cadre de la démarche France Logistique 2025 et il nous faut désormais proposer un plan d'action. Une offre ferroviaire et fluviale de qualité est la condition d'instauration du report modal. On ne peut se satisfaire d'avoir autant de camions sur les routes et de tirer aussi peu parti des réseaux ferroviaires et fluviaux. Il faut obtenir un meilleur partage modal.

Sur la compétitivité de nos ports, qui sont géographiquement bien situés, que ce soit au nord de l'Europe ou en Méditerranée, ceux-ci devraient occuper une meilleure place stratégique. Un problème d'hinterland et de desserte se pose. Au-delà, le fonctionnement de nos places portuaires doit être envisagé : il est certain que leur modèle économique est aujourd'hui fragilisé car, dans nombre de cas, celui-ci reposait sur le transport d'hydrocarbures, ce qui n'est guère l'avenir désormais. Nos ports doivent ainsi se repositionner dans la compétition avec les ports voisins, dans un contexte marqué par des enjeux fiscaux, que ce soit en matière d'impôts sur les sociétés ou de taxe foncière. Certes, tout le monde se déclare soucieux de la compétitivité de nos ports, mais aucune collectivité n'a souhaité exonéré les ports de la taxe foncière lorsqu'il était possible de le faire ! Je suis tout à fait d'accord pour que nos places portuaires puissent tirer parti de leur foncier, tandis que les ports concurrents tirent une bonne partie de leurs ressources de la valorisation foncière. Cette démarche permet également de capter de la valeur ajoutée sur les marchandises transportées. C'est aussi l'un des chantiers qu'il nous faut prendre en compte : simplifier les procédures pour tirer parti de la richesse que représente la réserve foncière de nos ports.

Je ne vais pas vous donner un avis sur l'évolution des grandes infrastructures évoquées par les Sénateurs Leroy et Pointereau et ce, d'autant moins que ce sujet doit être discuté avec les acteurs locaux qui, dans tous les cas, sont très engagés sur ces projets promis depuis des décennies. Il n'est pas normal d'avoir placé les gens dans une alternative, à l'instar du domaine ferroviaire, entre le maintien des lignes vétustes ou la construction d'une ligne à grande vitesse. Il nous faut sortir de la logique du tout ou rien qui est caricaturale ! Il va falloir que nos ingénieurs raisonnent autrement, comme dans l'un des projets sur lesquels nous travaillons actuellement et qui, avec 15 % de l'investissement initialement envisagé, assure 50 % du gain de temps escompté. La ligne Poitiers-Limoges a été l'occasion d'un débat en ce sens : lorsqu'on annonce que la seule façon de régler le problème de Limoges réside dans la construction d'une ligne à grande vitesse, je trouve cela anormal. Il faut améliorer la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, la ligne entre Poitiers et Limoges. Puisque la déclaration d'utilité publique a été annulée, c'est bien que ce nous allons devoir faire ! Nous aurions dû suivre cette démarche bien plus tôt !

Nos ingénieurs pourraient faire preuve de plus d'imagination ! Pourquoi les gares sont-elles saturées plus rapidement en France que chez nos voisins européens ? Il faudrait s'interroger sur l'exploitation de nos gares et la manière dont on retourne nos trains ! Il faut ainsi s'emparer réellement des sujets et ne pas placer les gens dans des alternatives qui nous mettent devant des impasses financières et qui nous empêchent d'agir sur les infrastructures existantes. Je viens d'une entreprise dans laquelle on exploitait toutes les deux minutes un RER transportant 2 500 personnes sur le tronçon central de la ligne A, ce qui, en l'occurrence, me semble un exemple de réelle saturation ! Il va ainsi falloir replacer sérieusement nos ingénieurs dans le monde moderne. Il faut d'abord commencer par travailler sur les procédures d'exploitation et ainsi améliorer l'existant, avant de réclamer des milliards d'euros pour la création, à côté, d'une nouvelle ligne. Ce point recoupe d'ailleurs les conclusions du rapport rendu par la SNCF sur la robustesse. Je me réjouis de cette démarche de vérité et de transparence ! Il est ainsi intéressant d'avoir sur la table des propositions dont les deux présidents nous disent qu'ils vont les prendre en bloc ; ce dont je vais d'ailleurs m'assurer, auprès d'eux, dès demain. Une telle perspective laisse entrevoir des améliorations rapides et je vais m'y atteler.

Sur les questions de financement soulevées notamment par madame Odette Herviaux et monsieur Ronan Dantec, il va nous falloir trouver des nouvelles recettes. Je souhaiterais évidemment que les centimes de TICPE, qui avaient été promis à l'Afitf, lui soient d'emblée remis en totalité. C'est un débat interne au Gouvernement et je ne vais pas vous y entraîner. Je pense qu'il faut absolument faire participer les poids lourds en transit, dont j'ai pu mesurer, sur les routes nationales, la dangerosité, notamment sur les RN10, 147 et 149. Ces files continues de poids lourds qui traversent nos villages, allant jusqu'à frotter les façades dans un certain nombre de cas, sont incompréhensibles ! Je n'ai pas la solution clé en main, mais nos voisins ont trouvé une façon pertinente de bien cibler les taxations sur les poids-lourds en transit, de façon pragmatique. On peut le faire à partir de dispositifs comme les vignettes ou les boîtiers. Je n'ai pas de position arrêtée sur le sujet ; l'essentiel étant que cela fonctionne ! On pourra également y parvenir y compris avec des péages en pleine voie, comme dans la RN10 dans les Landes, sans pour autant pénaliser le quotidien des acteurs du territoire en ménageant les entrées et les sorties. Nos sociétés concessionnaires font preuve de beaucoup d'imagination pour nous proposer des plans de relance et je souhaite qu'elles mobilisent toutes leurs capacités de réflexion pour nous proposer des dispositifs de péage et de financement du trafic de transit intelligents.

Sur les échéances de l'ouverture à la concurrence, je n'entrerai pas dans le débat sur la date-butoir pour les services conventionnés. Attendre la toute-fin de l'échéance n'est pas une solution, en raison de l'attente suscitée et du caractère pernicieux d'un scénario où l'on passe immédiatement du rien au tout. Nous souhaitons donner, dès que possible, la liberté aux régions de mettre en concurrence une partie de leur TER.

Debut de section - Permalien
Elisabeth Borne

Ne reculons pas et avançons avec pragmatisme ! De nombreux sujets devront être débattus et la nomination d'une personne à cette fin devrait y contribuer. Il faut rassurer les salariés même si tous les représentants des personnels ne seront pas convaincus. D'autres sujets, comme le matériel roulant, la billettique et les gares doivent être d'accord. L'ensemble de ces sujets légitime la concertation avec notamment Régions de France, qui a déjà engagé des réflexions. En tout cas, il faut avancer sur ces sujets : plus on le fait progressivement, plus on peut espérer que cette progression se déroule dans la sérénité.

La taxation du kérosène est un sujet compliqué. D'après l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), cette taxation ne saurait s'appliquer au trafic international. On pourrait, le cas échéant, l'appliquer au trafic national au risque de nous placer dans une situation analogue à celle des poids lourds qui prennent leur gasoil chez nos voisins. Prenons garde à ne pas nous singulariser ! Mieux vaut porter ces propositions aux niveaux européen et international pour que tout le monde avance de concert, sans que n'en pâtisse notre transport aérien. Il nous faut être attentif à la compétitivité du pavillon français aérien qui a reculé de 10 % durant cette dernière décennie. On ne saurait se satisfaire d'une telle situation. Notre politique dans ce secteur doit être aussi interrogée et c'est la raison pour laquelle je lancerai des assises du transport aérien en 2018 pour qu'on s'assure qu'il ne soit pas placé dans une situation de moindre compétitivité par rapport aux autres compagnies.

Peut-être un mot sur la motorisation. Si l'on veut tenir nos engagements en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre, il nous faut jouer sur les deux tableaux : reporter, d'une part, vers les modes les moins polluants et travailler, d'autre part, les questions de motorisation. J'ai évoqué l'intérêt pour la mobilité électrique, mais ce n'est pas la seule forme de mobilité disponible. En dehors des centres-villes, il est très difficile d'obtenir un bon équipement en infrastructures de recharge. Pour les poids lourds et les autocars, le gaz naturel pour véhicule (GNV), et plus spécifiquement le Bio-GNV est désormais une technologie mature. Cette filière participe de surcroît au développement de nos territoires ruraux avec la production de bio-méthane et doit être, en ce sens, encouragée. En outre, en termes de bilan d'émission de gaz à effet de serre, cette technologie est la plus efficace. Nous devons également avancer sur le bio-hydrogène et il me paraît essentiel d'assurer la structuration de nos filières dans les technologies les moins matures.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir évoqué les points techniques des dossiers et d'avoir abandonné la vaine grandiloquence et les généralités de vos prédécesseurs. Nous avons plutôt envie de concret et votre démarche nous satisfait. Vous nous avez parlé de fractures territoriales, dont l'enclavement, qu'il soit numérique, ferroviaire ou encore routier, fournit la première forme. Si le premier obstacle demeure le financement notamment de l'Afitf, le second est d'ordre culturel dans l'ensemble des ministères, puisque l'aménagement du territoire est une démarche interministérielle. Dans nos propres territoires, nous ne parvenons pas, d'ailleurs, à faire arbitrer un certain nombre de désenclavements. Vous nous avez parlé de la RN10 qui allait enfin être mise à deux voies en 2019, mais que dire de la RN19 ou encore de la RN57 ? Comment allons-nous faire pour sortir de cet enclavement, avec un faible nombre de véhicules en circulation ? Il faut que vous comptiez sur nous pour vous aider dans ce contexte culturel. Toute seule, malgré votre grande expérience, vous n'y arriverez pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Filleul

Je partage votre bilan et vos perspectives novatrices. Je suis favorable à l'État architecte de mobilités. Sans doute faut-il faire une pause dans la construction des grosses infrastructures. Je suis admiratif de cette démarche et vous assure de notre attention. Cependant, vous n'avez pas parlé d'ubérisation des transports alors qu'une troisième loi sur les taxis et les VTC se profile. Quel est votre avis sur cette question ? Par ailleurs, je suis totalement favorable à la taxe sur les poids-lourds que vous avez exposée lors de votre entretien sur France-Inter. Comment comptez-vous intégrer les régions dans votre réflexion ? Enfin, alors que l'asphyxie des grandes villes est patente, tant en France que dans le monde entier, êtes-vous favorable à une forme de péage urbain ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Madame la ministre, je vous félicite pour votre nomination et je salue, outre votre compétence, votre honnêteté intellectuelle et votre langage vrai. Vous avez évoqué un État stratège en matière de transport, notamment aérien. Je recherche et regarde mais ne vois pas de stratégie de l'État à l'adresse de notre pavillon français, si ce n'est une accumulation de taxes et de redevances toujours un peu plus élevées ! Si la taxe Chirac était une excellente idée, l'assiette ne convient pas. Nous en connaissons les contributeurs et la Cour des comptes a indiqué qu'elle s'élevait à 10 millions d'euros, ce qui est loin d'être satisfaisant. Lorsqu'on mesure le différentiel entre Air France et la Lufthansa, de l'ordre de 500 millions d'euros du fait des charges sociales, on ne peut continuer ainsi. Nous avions débuté, avec votre prédécesseur, une discussion portant sur les parallélismes entre les transports aérien et maritime sur ce point précis. Nous partageons d'ailleurs cette préoccupation avec madame Nicole Bonnefoy. Le financement de la sûreté du transport aérien s'élève à onze euros par passager et l'État y participe à hauteur d'un euro, ce qui me paraît peu, compte tenu du caractère régalien de cette mission. En outre, la commission des affaires européennes vient de voter une proposition de résolution visant à modifier l'article 8 du Règlement de 2003 sur l'Autorité de concurrence pour raccourcir les périodes de contentieux et favoriser la mise en oeuvre de mesures conservatoires. Enfin, sur le Brexit, n'ayons pas la main qui tremble ! Il ne faudrait pas que l'accord qui en ressortira induise des distorsions de concurrence dans l'espace aérien.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Quel courage vous faudra-t-il pour mener à terme la feuille de route que vous venez de nous présenter ! Souscrivant pleinement aux propos de mon collègue Jean-Claude Leroy sur le canal Seine-Nord Europe et associant à ma démarche notre collègue Jérôme Bignon, il vous faudra beaucoup de courage pour expliquer dans les territoires le changement de paradigme entre l'État stratège et l'État engagé. En effet, comment allez-vous expliquer que ce qui était possible, et ce sur lequel l'État s'était engagé il y a quelques mois en matière de grandes infrastructures, ne l'est plus, alors que l'administration reste la même et que des promesses ont été faites ? Je suis profondément inquiet, puisque des engagements ont été également pris par la région des Hauts-de-France au printemps dernier. Sur les TET, que nous dites-vous ? Les engagements d'hier seront-ils respectés ou faut-il faire une pause ? Sur le fond, je demeure très inquiet et vous demande d'inviter les parlementaires, ainsi que les présidents de région et de département de ces territoires à une table-ronde sur la stratégie que vous entendez y conduire.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis-Jean de Nicolay

Madame la ministre, la ligne TGV suscite une fronde dans les territoires de ma région, en raison de ses nuisances. Il serait bon que le groupe Eiffage ne fasse pas la sourde-oreille et rencontre rapidement les élus des communes qui se constituent, du reste, en association. L'absence de concertation pourrait ainsi conduire au blocage des trains. S'agissant des autoroutes, il n'y aurait donc plus de plan de relance et ainsi, tout nouvel aménagement ou toute rénovation des échangeurs se ferait par l'augmentation des tarifs ? Considère-t-on les sociétés d'autoroute suffisamment prospères pour qu'elles assurent, sur leurs fonds propres, ces travaux nécessaires?

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

S'agissant du bilan ferroviaire pour les longs trajets, 1 % des longs trajets se font en ferroviaire, pour 16 % des investissements, est-ce bien cela ?

Debut de section - Permalien
Elisabeth Borne

1 % des déplacements représentent en effet des longs trajets en train.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

C'est ce que j'avais compris. Lorsque j'ai été élue en 2014 dans le département de la Vendée, j'ai participé, avec mon collègue Jean-Jacques Filleul, à une mission sur les trains d'équilibre des territoires. Je n'ai pas signé les conclusions du rapport, car les constats ne prennent en considération que la situation d'aujourd'hui. Si ces trains comptent si peu de voyageurs, c'est en raison de la vétusté des rames, de l'irrégularité des trains et du manque de services. Dans un an, vous compterez encore moins de passagers ! Le manque d'investissements pendant des années a induit le report des passagers vers d'autres modes de transport. Avec la délégation sénatoriale aux entreprises, j'ai pu visiter le port du Havre. J'ai vu la qualité des prestations de l'offre maritime de HAROPA. Lorsque vous prenez le train depuis Paris pour arriver au Havre, le service est totalement inadapté par rapport aux infrastructures de ce port qui est tout de même le cinquième port européen ! L'offre de trains, qui était acceptable il y a une dizaine d'années, s'est fortement dégradée. Par ailleurs, je veux bien que les ports soient en mesure de valoriser leur foncier, mais comment pourront-ils y parvenir, du fait de la législation environnementale vétilleuse et tatillonne, comme la loi « littoral », et de l'ensemble des contraintes environnementales auxquelles il leur faut désormais répondre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Madame la ministre, vous avez évoqué la question du covoiturage devant nos collègues de l'Assemblée nationale, et notamment ses aspects fiscaux, comme la déduction des frais réels. Pouvez-vous nous en dire plus ? Pour compléter ce que disait notre collègue Annick Billon, sur le renouvellement du matériel et l'engagement sur les TET, ce point est important et ne concerne pas que les voyageurs et la fréquentation de nos réseaux. C'est en effet l'avenir de notre industrie ferroviaire qui est en question ! Dans votre propos liminaire, vous nous avez indiqué comment vous comptiez adapter les services aux besoins de la population et à l'état des finances publiques. En ce sens, est-il envisagé d'instaurer une nouvelle forme de péage sur les routes nationales, à l'instar de ce qui avait été proposé avec l'écotaxe ? En effet, les transporteurs étrangers sortent de nos autoroutes pour prendre des routes nationales, encombrer les villes et traverser nos villages. C'est un vrai problème pour l'ensemble de nos concitoyens et de nos élus qui n'ont pas de solution.

Debut de section - Permalien
Elisabeth Borne

Je ne résiste pas au plaisir de dire à Madame Annick Billon que je suis moi-même tombée en panne sur la ligne Paris-Caen.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Les élus sont dans la même situation que vous, madame la ministre !

Debut de section - Permalien
Elisabeth Borne

Je mesure ainsi les progrès qui doivent être réalisés. La majorité des déplacements ne se fait pas sur la longue distance. C'est une source de souffrance au quotidien pour les personnes qui se rendent à leur travail si leurs déplacements ne sont pas correctement organisés. On ne peut prendre comme référence la fréquentation de certaines lignes, dont le matériel roulant n'est pas forcément adapté et dont les infrastructures ne permettent pas une circulation à la vitesse normale. J'étais en Charente récemment et l'on va placer des ralentissements sur la ligne entre Limoges et Angoulême, ce qui conduit à une moindre fréquentation. Je suis parfaitement consciente de cette problématique et il nous faut évaluer notre réseau sur la base d'un service de qualité. Il faut également nous préoccuper des procédures administratives d'autorisation. Les espaces littoraux sont fragiles et doivent répondre à des enjeux importants en matière de préservation de la biodiversité. Leurs enjeux sont identifiés et leur prise en compte n'est pas forcément favorisée par l'accroissement des procédures administratives.

Je voudrais répondre à la question du canal Seine-Nord, soulevée initialement par monsieur Jean-Claude Leroy et rappelée ultérieurement par Monsieur Jean-François Rapin. Loin de nous gargariser de termes technocratiques comme le changement de paradigme, je suis parfaitement consciente des enjeux que représentent ces projets pour les territoires concernés. Que vaut la parole de l'État et des engagements souscrits ? En toute transparence, il y a bien 3,7 milliards d'euros de commandes passées pour du matériel TET qui devront être prélevés sur les recettes de l'Afitf qui sont, quant à elles, demeurées stables. Nous avons également un protocole de financement avec le Canal Seine-Nord et aurons un débat avec les collectivités sur les 700 millions d'euros gagés sur des recettes que nous avons du mal à cerner aujourd'hui. Cependant, je suis au regret de vous dire que les besoins de l'Afitf excèdent ses recettes à hauteur de 1,5 milliard d'euros. Je porte le souci que l'État assume ses engagements, mais il me faut partager cette difficulté. Il faut se mettre en ordre de marche pour qu'une telle situation ne se réitère pas. Tel est d'ailleurs l'objectif de la loi de programmation.

La stratégie de l'État s'inscrit à plus long terme que les cinq prochaines années. Prendre des engagements financiers serait compliqué pour nos successeurs et c'est la raison pour laquelle l'horizon de la loi de programmation sera celui du quinquennat. Mais il nous faut réfléchir au-delà. S'agissant des crédits européens, nos deux grands projets - le tunnel Lyon-Turin et le canal Seine-Nord - se trouvent dans les réseaux transeuropéens et bénéficient de financements, à hauteur de 40 %, d'origine européenne. Par ailleurs, le tunnel Lyon-Turin bénéficie de 35 % de financements italiens. Les règles ne sont pas aussi contraignantes que d'aucuns ont pu précédemment vous le dire. Si les paiements ont été effectués très au-delà du cadre financier précédent, nous serons très attentifs à ne pas perdre le bénéfice des crédits européens. On peut certes porter des promesses, encore faut-il s'assurer de leur financement effectif.

Sur l'industrie ferroviaire, j'ai bien conscience que ces commandes représentent du travail pour notre industrie ferroviaire.

Je n'ai pas évoqué l'ubérisation des transports. Je pense qu'il faut se réjouir de l'apparition de ces nouvelles formes de mobilité permises par le digital et l'apparition de ces plateformes qui offrent des solutions à des besoins insatisfaits jusqu'alors. Une telle émergence ne peut pas se faire dans le désordre et l'État doit s'occuper de la sécurité des clients. Tel est le sens de la loi Grandguillaume de 2016 qui impose aux conducteurs de VTC un examen à la fois théorique et pratique. On doit aussi s'assurer de l'existence d'une concurrence équitable et loyale entre ces nouveaux acteurs et ceux qui préexistaient. Enfin, il ne serait pas satisfaisant que ces nouvelles solutions conduisent à l'apparition d'une nouvelle catégorie de travailleurs pauvres ; ce qui milite en faveur d'une prise en compte de la protection des salariés. Des éléments ont déjà été portés par la loi travail du précédent quinquennat, notamment avec l'obligation d'assurance des plateformes vis-à-vis de leurs conducteurs.

Les nuisances de la LGV feront l'objet d'un examen avec le concessionnaire qui devra apporter des réponses aux réactions des communes, dont je vous remercie de m'avoir informée.

Sur la question des autoroutes, chacun a en tête l'existence d'un plan d'investissement, pour ne pas dire de relance, que le précédent gouvernement avait précédemment lancé pour les autoroutes et qui représente un montant de 800 millions d'euros. Ce plan porte précisément sur les aménagements comme les échangeurs pour assurer une meilleure diffusion sur le territoire du trafic routier, les aménagements environnementaux ou encore les aires de covoiturage. Ce programme d'investissement a fait l'objet d'un avis négatif de l'Arafer. On est en train d'examiner comment prendre en compte cet avis et je m'interroge sur le TRI demandé par les sociétés concessionnaires. De nombreux débats sur la rentabilité des sociétés concessionnaires ont eu lieu et il faut que ces dernières l'entendent. Néanmoins, ce programme d'investissements est intéressant. On ne va tout de même pas interrompre les travaux prévus dans les contrats de plan des sociétés concessionnaires ! Depuis 2016, les allongements de concession ne peuvent se faire que par la loi. J'attends des sociétés concessionnaires qu'elles réfléchissent autrement et qu'elles proposent autre chose que des plans de relance fondés sur des allongements de concession. Je pense que nos concitoyens ne comprendraient pas que soit prolongée indéfiniment une telle démarche.

Enfin, nous serons amenés à ouvrir le sujet de la stratégie du transport aérien, avec en ligne de mire la compétitivité de notre pavillon. De nombreux travaux ont été consacrés à cette question et il nous faut à présent réunir tous les acteurs. Cette thématique ne relève pas exclusivement de mon ministère. En effet, si des enjeux de compétitivité relèvent de la régulation, d'autres incombent aux compagnies aériennes. À cet égard, il semble que les derniers accords au sein de la compagnie Air France expriment une forme d'apaisement et constituent un signe très positif. De notre côté, en tant que régulateur de ce secteur, il nous faut prendre en compte la volonté exprimée par les salariés de l'entreprise de participer à la meilleure compétitivité de leur entreprise et les accompagner en ce sens. En outre, je suis bien consciente que les enjeux du Brexit concernent également le transport aérien et maritime. Nous serons particulièrement vigilants à ce que ces questions soient bien traitées en amont et que les décisions prises ne le soient pas dans la précipitation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

S'agissant de la proposition de résolution visant la reformulation de l'article 8 du Règlement de 2003, je souhaitais que cette démarche soit déclinée sur le transport aérien afin de concourir au raccourcissement des contentieux.

Debut de section - Permalien
Elisabeth Borne

Sachant qu'un nouvel encadrement est en cours d'élaboration à Bruxelles. En effet, comme vous le soulignez, les procédures actuelles sont totalement inefficaces et il faut nous remettre au travail sur ces questions, mais au niveau européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Madame la ministre, nous vous remercions du temps que vous nous avez accordé et des réponses que vous nous avez apportées.

La réunion est close à 12 h 50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.