Intervention de Nicolas Hulot

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 juillet 2017 à 17h35
Audition de M. Nicolas Hulot ministre d'état ministre de la transition écologique et solidaire

Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Je vous remercie de votre invitation, monsieur le Président. Mesdames et messieurs les Sénateurs, le sujet de la transition écologique et solidaire est particulièrement complexe car il nous impose de combiner, pour la première fois dans la marche de nos sociétés, deux échelles de temps. Cette démarche s'avère difficile. En effet, on est parfois pris de court dans le compromis que celle-ci implique pour ne pas sacrifier l'avenir au présent.

Cette démarche est d'autant plus compliquée que les risques et les menaces, qui se précisent sur le long terme, sont parfois diffus et aléatoires. S'ils sont également difficilement modélisables dans le temps, leurs aspects sont suffisamment connus pour ne plus avoir à les ignorer. Il faut reconnaître que sur les enjeux écologiques comme la crise climatique, l'érosion de la biodiversité ou encore la raréfaction d'un certain nombre de ressources naturelles et de matières premières, le principe de réalité prévaut. Ce sujet est complexe puisque notre société a plutôt tendance à avancer en réaction à des souffrances et des situations très concrètes, tandis que nous devons nous imposer un second degré de lecture et nous forcer à corriger un certain nombre de myopies.

L'écologie - pardon si mes mots peuvent paraître un peu réducteurs - suscite l'assentiment de tous, à l'inverse de sa mise en oeuvre. C'est là toute la difficulté car la transition écologique et solidaire ne se fera ni dans la brutalité, ni dans la division ou la confrontation. J'ai bien conscience que quelles soient mes convictions, je ne pourrai pas les imposer par la force des choses ou par dogmatisme. Nous ne réussirons à construire collectivement une stratégie que si chacun en saisit la pertinence, et si l'on parvient à transformer les contraintes en autant d'opportunités. Si je ne croyais pas possible une telle alchimie, je n'aurais pas accepté d'assumer les responsabilités ministérielles qui sont les miennes.

En matière de climat et de biodiversité, dont l'évolution risque d'être l'une des grandes tragédies du XXIe siècle, les décisions qui vont être prises dans le cadre de l'exercice de responsabilités différenciées et partagées, à l'horizon de la prochaine décennie, nous placeront dans des situations irréversibles ou non. Je ne porte donc pas un sujet d'intérêt particulier ou même national, mais universel. Or, force est de constater que nous sommes pris de court par cette notion d'universalité et cette intrusion du long terme. J'ai ainsi souhaité que mon ministère soit celui de « la transition écologique et solidaire » en raison de sa dimension transversale qui suppose d'impliquer l'ensemble des acteurs, qu'ils soient issus de la société civile ou du monde politique, y compris au sein-même du Gouvernement ; les objectifs qui sont les miens ne pourront en effet être atteints que si chaque membre du Gouvernement apporte sa contribution. Lors de la conférence de Paris, il me semble qu'on a pris la mesure de la gravité de la situation, à savoir que se joue désormais la survie de l'humanité, si tant est que les mots ont un sens : ou l'on force les mots, et alors il faut nous remettre d'équerre, ou un certain nombre de postures ne valent plus face à un tel enjeu. Je ne sous-estime pas la complexité de la situation ni le fait que cette injonction intervient dans un certain contexte de désarroi et de souffrance. Il nous faut donc trouver la bonne combinaison pour répondre à cet objectif dans notre situation actuelle.

Cet exercice est certes délicat, mais le contexte est opportun. Certes, nous avons mis du temps pour acter le constat mais la conférence de Paris a eu pour grande vertu de sceller un diagnostic que, mis à part le nouveau président américain, personne ne conteste plus désormais. La communauté internationale s'est alors fixée une feuille de route, avec des objectifs très ambitieux puisque la situation ne nous permet pas de compromis. L'objectif de maintenir l'élévation de la température moyenne de la planète sous les deux degrés par rapport à l'ère préindustrielle ne relève pas de la pure convenance. En effet, au-delà, nous entrons dans le champ de l'irréversible. Il n'y a pas que des écologistes labellisés qui portent cette crainte : des organismes comme la Banque mondiale font le même constat, qui fait parfois froid dans le dos. L'idée n'est pas d'en rajouter dans le côté anxiogène, mais de voir si nous pouvons faire face à cette contrainte. Or, je pense que le génie humain ne sera pas pris en défaut parce que l'Histoire démontre que la contrainte n'est nullement l'ennemi de la création, elle en est au contraire la condition. Nous avons certes tardé à acter cette contrainte et, dans nombre de domaines de la transition énergétique, nous ne sommes pas parvenus à libérer la créativité. Nous sommes désormais parvenus à un stade de maturité qui va nous ouvrir des portes et nous permettre de dégager des issues de secours, à la condition toutefois de demeurer dans un cadre cohérent.

Pour assurer la réussite de cette transition écologique, il nous faut réunir trois conditions : d'une part, la prévisibilité, qui est la source de la créativité et permet de planifier la mutation écologique, économique et sociale. D'autre part, l'irréversibilité de ses objectifs. Enfin, une exigence de cohérence qui permette d'inscrire l'ensemble des mesures dans un schéma non contradictoire. Pour prendre un exemple à l'échelle mondiale, les énergies fossiles sont reconnues comme les ennemis du climat. L'injonction nous est faite de ne pas exploiter les trois-quarts des réserves d'énergies fossiles qui nous sont aisément accessibles. Dans le même temps, 500 milliards de dollars de subventions ou d'exonérations sont accordés pour soutenir le modèle économique fondé sur l'exploitation des hydrocarbures et occasionnent, d'après un rapport du Fonds monétaire international, quelque 5 000 milliards de dollars d'externalités négatives. Ce type d'incohérence se retrouve d'ailleurs en France. S'il faut s'affranchir des énergies fossiles, je ne comprends pas que l'on continue d'accorder des permis d'exploration qui vont prolonger cette économie carbonée. Si dans le même temps, on n'introduit pas un avantage compétitif, via notamment le prix du carbone, en faveur de l'économie décarbonée, on ne crée pas les conditions favorables à l'émergence d'un nouveau modèle. À cet égard, les actionnaires d'Exxon aux États-Unis souhaitent cette prévisibilité en raison de la diversification qu'elle rend possible. J'ai conscience de la complexité de ma mission et du fait que mon ministère et ma volonté seuls n'y suffiront pas ; c'est pourquoi je souhaite que nous puissions co-construire cette transition de manière apaisée, rationnelle et prévisible.

Notre feuille de route contient un certain nombre de priorités et s'accompagne d'une même méthode : un temps de concertation avec l'ensemble des acteurs, qu'ils soient issus de la société civile ou qu'il s'agisse d'élus, et la fixation d'un horizon qui permette d'anticiper les mutations de demain. Si l'on veut que les choses soient économiquement et socialement acceptables, il ne faut pas les faire dans la brutalité ni attendre le dernier moment, ce qui vaut notamment pour le nucléaire. Nous ne pouvons pas laisser les choses sous le tapis, une loi a été votée, elle fixe des objectifs dont on feint d'ignorer ce que certains imposent en termes de stratégie. . Ce n'est pas en les dissimulant au prétexte de leur complication, et des inquiétudes légitimes qu'ils peuvent créer, que l'on avancera. Mettons les éléments sur la table et disons la vérité.

La transition énergétique est au coeur des priorités du ministère. Je suis acquis avec enthousiasme à cette transition, car je sais qu'elle pourra bénéficier à l'ensemble de nos entreprises et ainsi créer de l'emploi. Cette transition induira un changement profond de notre modèle énergétique. L'impératif climatique vaut pour la France et à l'échelle du monde. Quel que soit l'avis que l'on puisse avoir sur le mix énergétique, qui s'avère nécessaire, je ne voudrais pas que le nucléaire préempte toute la rationalité du débat. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de disposer d'un mix énergétique : cela vaut pour l'hydraulique au Brésil comme pour le nucléaire en France car quoi qu'on en pense, il n'est pas bon de mettre tous ces oeufs dans le même panier. Les énergies renouvelables seront dans tous les cas dopées par l'injonction climatique. Reconnaissons humblement que le charbon, le gaz et le pétrole peuvent figurer parmi les sources des conflits déclenchés depuis la Seconde Guerre Mondiale. Je peux rêver un peu : l'injonction climatique permettra peut-être d'établir une forme d'équité économique entre les pays devenus autonomes énergétiquement. Mon sentiment, c'est que les énergies renouvelables permettront aux pays, notamment du continent africain, de satisfaire les besoins d'énergie élémentaires nécessaires à leur émergence.

Cette transition énergétique est fixée par la loi, avec les objectifs de diversité énergétique, de développement des énergies renouvelables et de la limitation à 50 % de la part du nucléaire dans la production électrique à l'horizon de 2025. Je n'ai fait que rappeler la loi afin d'éviter d'être hors la loi !

Le sujet de la santé environnementale me tient particulièrement à coeur, alors qu'il me semble avoir été, jusqu'à présent, laissé de côté. Nous sommes un peu démunis face à l'injonction du Conseil d'État en matière de pollution de l'air et l'on doit évidemment s'y atteler en profondeur, faute de pouvoir y répondre dans l'urgence ! C'est ce que nous ferons avec mes collègues Agnès Buzyn, ministre de la santé, et Frédérique Vidal, ministre de la recherche. Nous consulterons l'ensemble des acteurs afin de concevoir un plan santé-environnement. J'ai tendance à penser que parmi les différents facteurs concernés, la pollution de l'air reste le plus prégnant. L'agenda climatique concerne aussi la santé publique. D'ailleurs, c'est bien pour lutter contre la pollution de l'air que la Chine est entrée dans la diplomatie climatique !

Un troisième sujet connexe, qui ne relève pas totalement de mes compétences et que je souhaite appréhender avec mon collègue Stéphane Travert, concerne l'agriculture et l'alimentation. Je fais le rêve que les États généraux de l'alimentation permettent de combiner la totalité des points de vue, avec comme objectif préalable l'acquisition d'une sécurité économique, psychologique et environnementale pour les agriculteurs. Le contexte me paraît favorable pour faire tomber les postures. L'agriculture peut participer à la transition énergétique et à la lutte contre le changement climatique. Loin d'être seulement un problème, elle peut être une solution. Il y a de la place pour une diversité de productions agricoles. La question ne me paraît pas tant celle d'une augmentation de ses financements, mais plutôt celle de leur meilleure répartition. En effet, de la fourche à la fourchette, il existe une grande diversité d'intermédiaires dont je ne suis pas certain qu'elle contribue à une répartition équitable de la richesse et de la valeur. L'approvisionnement en aliments d'une meilleure qualité, qui ne me semble pas aujourd'hui assurée, me paraît relever d'une demande plus que sociétale. Je pense que la restauration collective peut, à cet égard, fournir un fantastique levier. De nombreux paramètres permettent ainsi de faire de ces États généraux un moment d'ambition et d'intelligence collectives.

Enfin, je n'oublie pas les fondamentaux de mon ministère que sont la protection de la nature, de la biodiversité et des océans. En effet, ce n'est pas parce que la référence à la mer a disparu de l'intitulé de mon ministère qu'elle ne relève plus de ses compétences ! Par ailleurs, nous partageons avec le ministère de la santé l'économie sociale et solidaire qui devrait connaître la nomination, dans les prochains jours, d'un haut-commissaire.

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