Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'entendre cet après-midi M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. J'ai déjà accueilli monsieur Nicolas Hulot dans ma ville de Mortagne-au-Perche avec laquelle il a des liens familiaux. En effet, à Mortagne vivait son grand-père, personnage en son temps reconnu et immortalisé par Jacques Tati, dans son film consacré à ses vacances. On parle, à Mortagne, de la Maison Hulot où habitent toujours les cousins de notre ministre !
Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur le ministre, sur des sujets importants. Je rappelle que la commission des affaires économiques est en charge de tout ce qui concerne l'énergie et que nous avions été saisis au fond de la loi sur la transition énergétique. Je regrette que nous n'ayons pu organiser une audition commune, la semaine dernière, avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Au cours de cette audition, vous allez nous présenter votre feuille de route, au sein du Gouvernement et sous l'égide du Président de la République.
Lors de l'examen, il y a un peu moins de deux ans, de la loi sur la transition énergétique, nous avions réaffirmé notre attachement au « mix énergétique », dans lequel le nucléaire occupe une place importante. Je relève la contradiction entre ce qui était dans la loi, à savoir l'objectif d'atteindre 50 % d'énergie nucléaire d'ici à 2025 et l'ambition de la neutralité carbone à laquelle pourtant le nucléaire concourt. J'ajouterai un élément important qui se trouve dans la loi et résulte de la volonté du Sénat : en ce qui concerne la fiscalité écologique, la loi prévoit que l'augmentation de la taxe carbone, elle-même introduite par un amendement du Sénat, soit strictement compensée par la baisse d'autres prélèvements. Telle est la loi. Aussi une augmentation forte de la taxe carbone doit-elle impliquer celle des compensations, notamment financières.
Notre commission s'intéresse également aux hydrocarbures et à l'exploration. Vous allez nous parler de la réforme du code minier et de son calendrier. S'agissant de l'interdiction affichée de toute nouvelle exploration d'hydrocarbures, plusieurs questions se posent : le droit de suite, par rapport aux permis d'exploration existants, et l'utilisation des hydrocarbures par l'industrie pétrochimique qui risque aussi de pâtir de cette interdiction. Vous évoquerez sans doute également le véhicule électrique et l'abandon du véhicule thermique. Que deviennent alors les moteurs hybrides ?
Je vous remercie de votre invitation, monsieur le Président. Mesdames et messieurs les Sénateurs, le sujet de la transition écologique et solidaire est particulièrement complexe car il nous impose de combiner, pour la première fois dans la marche de nos sociétés, deux échelles de temps. Cette démarche s'avère difficile. En effet, on est parfois pris de court dans le compromis que celle-ci implique pour ne pas sacrifier l'avenir au présent.
Cette démarche est d'autant plus compliquée que les risques et les menaces, qui se précisent sur le long terme, sont parfois diffus et aléatoires. S'ils sont également difficilement modélisables dans le temps, leurs aspects sont suffisamment connus pour ne plus avoir à les ignorer. Il faut reconnaître que sur les enjeux écologiques comme la crise climatique, l'érosion de la biodiversité ou encore la raréfaction d'un certain nombre de ressources naturelles et de matières premières, le principe de réalité prévaut. Ce sujet est complexe puisque notre société a plutôt tendance à avancer en réaction à des souffrances et des situations très concrètes, tandis que nous devons nous imposer un second degré de lecture et nous forcer à corriger un certain nombre de myopies.
L'écologie - pardon si mes mots peuvent paraître un peu réducteurs - suscite l'assentiment de tous, à l'inverse de sa mise en oeuvre. C'est là toute la difficulté car la transition écologique et solidaire ne se fera ni dans la brutalité, ni dans la division ou la confrontation. J'ai bien conscience que quelles soient mes convictions, je ne pourrai pas les imposer par la force des choses ou par dogmatisme. Nous ne réussirons à construire collectivement une stratégie que si chacun en saisit la pertinence, et si l'on parvient à transformer les contraintes en autant d'opportunités. Si je ne croyais pas possible une telle alchimie, je n'aurais pas accepté d'assumer les responsabilités ministérielles qui sont les miennes.
En matière de climat et de biodiversité, dont l'évolution risque d'être l'une des grandes tragédies du XXIe siècle, les décisions qui vont être prises dans le cadre de l'exercice de responsabilités différenciées et partagées, à l'horizon de la prochaine décennie, nous placeront dans des situations irréversibles ou non. Je ne porte donc pas un sujet d'intérêt particulier ou même national, mais universel. Or, force est de constater que nous sommes pris de court par cette notion d'universalité et cette intrusion du long terme. J'ai ainsi souhaité que mon ministère soit celui de « la transition écologique et solidaire » en raison de sa dimension transversale qui suppose d'impliquer l'ensemble des acteurs, qu'ils soient issus de la société civile ou du monde politique, y compris au sein-même du Gouvernement ; les objectifs qui sont les miens ne pourront en effet être atteints que si chaque membre du Gouvernement apporte sa contribution. Lors de la conférence de Paris, il me semble qu'on a pris la mesure de la gravité de la situation, à savoir que se joue désormais la survie de l'humanité, si tant est que les mots ont un sens : ou l'on force les mots, et alors il faut nous remettre d'équerre, ou un certain nombre de postures ne valent plus face à un tel enjeu. Je ne sous-estime pas la complexité de la situation ni le fait que cette injonction intervient dans un certain contexte de désarroi et de souffrance. Il nous faut donc trouver la bonne combinaison pour répondre à cet objectif dans notre situation actuelle.
Cet exercice est certes délicat, mais le contexte est opportun. Certes, nous avons mis du temps pour acter le constat mais la conférence de Paris a eu pour grande vertu de sceller un diagnostic que, mis à part le nouveau président américain, personne ne conteste plus désormais. La communauté internationale s'est alors fixée une feuille de route, avec des objectifs très ambitieux puisque la situation ne nous permet pas de compromis. L'objectif de maintenir l'élévation de la température moyenne de la planète sous les deux degrés par rapport à l'ère préindustrielle ne relève pas de la pure convenance. En effet, au-delà, nous entrons dans le champ de l'irréversible. Il n'y a pas que des écologistes labellisés qui portent cette crainte : des organismes comme la Banque mondiale font le même constat, qui fait parfois froid dans le dos. L'idée n'est pas d'en rajouter dans le côté anxiogène, mais de voir si nous pouvons faire face à cette contrainte. Or, je pense que le génie humain ne sera pas pris en défaut parce que l'Histoire démontre que la contrainte n'est nullement l'ennemi de la création, elle en est au contraire la condition. Nous avons certes tardé à acter cette contrainte et, dans nombre de domaines de la transition énergétique, nous ne sommes pas parvenus à libérer la créativité. Nous sommes désormais parvenus à un stade de maturité qui va nous ouvrir des portes et nous permettre de dégager des issues de secours, à la condition toutefois de demeurer dans un cadre cohérent.
Pour assurer la réussite de cette transition écologique, il nous faut réunir trois conditions : d'une part, la prévisibilité, qui est la source de la créativité et permet de planifier la mutation écologique, économique et sociale. D'autre part, l'irréversibilité de ses objectifs. Enfin, une exigence de cohérence qui permette d'inscrire l'ensemble des mesures dans un schéma non contradictoire. Pour prendre un exemple à l'échelle mondiale, les énergies fossiles sont reconnues comme les ennemis du climat. L'injonction nous est faite de ne pas exploiter les trois-quarts des réserves d'énergies fossiles qui nous sont aisément accessibles. Dans le même temps, 500 milliards de dollars de subventions ou d'exonérations sont accordés pour soutenir le modèle économique fondé sur l'exploitation des hydrocarbures et occasionnent, d'après un rapport du Fonds monétaire international, quelque 5 000 milliards de dollars d'externalités négatives. Ce type d'incohérence se retrouve d'ailleurs en France. S'il faut s'affranchir des énergies fossiles, je ne comprends pas que l'on continue d'accorder des permis d'exploration qui vont prolonger cette économie carbonée. Si dans le même temps, on n'introduit pas un avantage compétitif, via notamment le prix du carbone, en faveur de l'économie décarbonée, on ne crée pas les conditions favorables à l'émergence d'un nouveau modèle. À cet égard, les actionnaires d'Exxon aux États-Unis souhaitent cette prévisibilité en raison de la diversification qu'elle rend possible. J'ai conscience de la complexité de ma mission et du fait que mon ministère et ma volonté seuls n'y suffiront pas ; c'est pourquoi je souhaite que nous puissions co-construire cette transition de manière apaisée, rationnelle et prévisible.
Notre feuille de route contient un certain nombre de priorités et s'accompagne d'une même méthode : un temps de concertation avec l'ensemble des acteurs, qu'ils soient issus de la société civile ou qu'il s'agisse d'élus, et la fixation d'un horizon qui permette d'anticiper les mutations de demain. Si l'on veut que les choses soient économiquement et socialement acceptables, il ne faut pas les faire dans la brutalité ni attendre le dernier moment, ce qui vaut notamment pour le nucléaire. Nous ne pouvons pas laisser les choses sous le tapis, une loi a été votée, elle fixe des objectifs dont on feint d'ignorer ce que certains imposent en termes de stratégie. . Ce n'est pas en les dissimulant au prétexte de leur complication, et des inquiétudes légitimes qu'ils peuvent créer, que l'on avancera. Mettons les éléments sur la table et disons la vérité.
La transition énergétique est au coeur des priorités du ministère. Je suis acquis avec enthousiasme à cette transition, car je sais qu'elle pourra bénéficier à l'ensemble de nos entreprises et ainsi créer de l'emploi. Cette transition induira un changement profond de notre modèle énergétique. L'impératif climatique vaut pour la France et à l'échelle du monde. Quel que soit l'avis que l'on puisse avoir sur le mix énergétique, qui s'avère nécessaire, je ne voudrais pas que le nucléaire préempte toute la rationalité du débat. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de disposer d'un mix énergétique : cela vaut pour l'hydraulique au Brésil comme pour le nucléaire en France car quoi qu'on en pense, il n'est pas bon de mettre tous ces oeufs dans le même panier. Les énergies renouvelables seront dans tous les cas dopées par l'injonction climatique. Reconnaissons humblement que le charbon, le gaz et le pétrole peuvent figurer parmi les sources des conflits déclenchés depuis la Seconde Guerre Mondiale. Je peux rêver un peu : l'injonction climatique permettra peut-être d'établir une forme d'équité économique entre les pays devenus autonomes énergétiquement. Mon sentiment, c'est que les énergies renouvelables permettront aux pays, notamment du continent africain, de satisfaire les besoins d'énergie élémentaires nécessaires à leur émergence.
Cette transition énergétique est fixée par la loi, avec les objectifs de diversité énergétique, de développement des énergies renouvelables et de la limitation à 50 % de la part du nucléaire dans la production électrique à l'horizon de 2025. Je n'ai fait que rappeler la loi afin d'éviter d'être hors la loi !
Le sujet de la santé environnementale me tient particulièrement à coeur, alors qu'il me semble avoir été, jusqu'à présent, laissé de côté. Nous sommes un peu démunis face à l'injonction du Conseil d'État en matière de pollution de l'air et l'on doit évidemment s'y atteler en profondeur, faute de pouvoir y répondre dans l'urgence ! C'est ce que nous ferons avec mes collègues Agnès Buzyn, ministre de la santé, et Frédérique Vidal, ministre de la recherche. Nous consulterons l'ensemble des acteurs afin de concevoir un plan santé-environnement. J'ai tendance à penser que parmi les différents facteurs concernés, la pollution de l'air reste le plus prégnant. L'agenda climatique concerne aussi la santé publique. D'ailleurs, c'est bien pour lutter contre la pollution de l'air que la Chine est entrée dans la diplomatie climatique !
Un troisième sujet connexe, qui ne relève pas totalement de mes compétences et que je souhaite appréhender avec mon collègue Stéphane Travert, concerne l'agriculture et l'alimentation. Je fais le rêve que les États généraux de l'alimentation permettent de combiner la totalité des points de vue, avec comme objectif préalable l'acquisition d'une sécurité économique, psychologique et environnementale pour les agriculteurs. Le contexte me paraît favorable pour faire tomber les postures. L'agriculture peut participer à la transition énergétique et à la lutte contre le changement climatique. Loin d'être seulement un problème, elle peut être une solution. Il y a de la place pour une diversité de productions agricoles. La question ne me paraît pas tant celle d'une augmentation de ses financements, mais plutôt celle de leur meilleure répartition. En effet, de la fourche à la fourchette, il existe une grande diversité d'intermédiaires dont je ne suis pas certain qu'elle contribue à une répartition équitable de la richesse et de la valeur. L'approvisionnement en aliments d'une meilleure qualité, qui ne me semble pas aujourd'hui assurée, me paraît relever d'une demande plus que sociétale. Je pense que la restauration collective peut, à cet égard, fournir un fantastique levier. De nombreux paramètres permettent ainsi de faire de ces États généraux un moment d'ambition et d'intelligence collectives.
Enfin, je n'oublie pas les fondamentaux de mon ministère que sont la protection de la nature, de la biodiversité et des océans. En effet, ce n'est pas parce que la référence à la mer a disparu de l'intitulé de mon ministère qu'elle ne relève plus de ses compétences ! Par ailleurs, nous partageons avec le ministère de la santé l'économie sociale et solidaire qui devrait connaître la nomination, dans les prochains jours, d'un haut-commissaire.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre introduction. Pour débuter notre débat, je passe la parole au président puis au premier vice-président du groupe d'études sur l'énergie.
Monsieur le ministre, mes quatre questions porteront exclusivement sur notre modèle énergétique. Je vous ai entendu le 10 juillet dernier sur RTL où vous avez évoqué, je vous cite, « la fermeture de 17 centrales nucléaires » d'ici 2025 pour ramener à 50 % la part de l'atome dans la production d'électricité. Une telle perspective est totalement irréaliste pour notre pays. Par quoi allez-vous les remplacer ? L'apport des énergies renouvelables ne sera pas suffisant ! Bien sûr, vous ne remplacerez pas le nucléaire par le charbon et le fuel ! Je pense aussi que les conséquences, en termes de coûts notamment, ne seront pas acceptées par nos compatriotes. Votre objectif consiste à aller cinq fois plus vite que les Allemands dont la facture moyenne, pour les particuliers, s'avère deux fois plus élevée que celle des Français ! En outre, après avoir fermé huit centrales nucléaires, l'Allemagne s'en sort en faisant tourner cent centrales à charbon ! Il faut que vous nous précisiez votre feuille de route et votre calendrier.
Ma seconde question portera sur les tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz. Alors que la Commission européenne réclame leur disparition dans les trois pays où ils existent encore - à savoir l'Italie, la Roumanie et la France - et qu'une décision du Conseil d'État attendue dans les tout prochains jours pourrait ouvrir la voie, à plus ou moins brève échéance, à leur suppression, entendez-vous défendre la pertinence des tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz pour les clients résidentiels ?
Ma troisième question portera sur la disparition des « passoires thermiques » que vous avez appelée de vos voeux. J'y suis tout à fait favorable, comme j'ai pu le rappeler lors des débats de la loi sur la transition énergétique. Vous avez annoncé vouloir faire disparaître ces « passoires thermiques » en dix ans, en y consacrant quatre milliards d'euros du plan d'investissements. Ce montant ne vous semble-t-il pas très insuffisant quand on sait qu'il y aurait environ neuf millions de passoires thermiques - correspondant aux classes énergétiques F et G - et que l'Agence nationale de l'habitat (Anah) a versé en 2016 plus de 500 millions d'euros d'aides pour rénover 70 000 logements ?
Ma dernière question portera sur les concessions hydroélectriques. Alors que la loi - notre loi, oserais-je dire, puisqu'il s'agit pour une bonne part du travail du Sénat - avait réussi à protéger les concessions hydroélectriques, la Commission européenne nous presse de les ouvrir à la concurrence. Où en sont les négociations avec Bruxelles et quelle est votre position sur cette question ?
On entre tout de suite dans le vif du sujet ! La loi sur la transition énergétique comporte un certain nombre d'objectifs parmi lesquels celui de porter la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % d'ici 2025, qu'il m'incombe de mettre en oeuvre. Depuis que j'ai été nommé, j'ai demandé à mes services de préciser ce qu'un tel objectif signifiait concrètement, ce qui, en l'occurrence, n'avait pas été fait jusqu'alors. J'ai répondu à une exigence de vérité, en soulignant que la réalisation de cet objectif, fixé par une loi que je n'étais pas en situation de voter, impliquerait probablement plutôt la fermeture de 25 que de 17 réacteurs. Je partage votre inquiétude et c'est en ce sens que je me suis permis de dire les choses tout haut. Si l'on fait une loi, encore faut-il qu'elle soit applicable. D'ailleurs, dans la première programmation pluriannuelle de l'énergie, autant les modalités de réalisation des objectifs d'efficacité énergétique ou de développement des énergies renouvelables sont bien traitées, autant il n'y a quasiment pas une ligne sur ce troisième objectif ! Je veux revenir dans la rationalité et dans la vérité. Il nous faut regarder ensemble les différents scénarii et je préfère que l'on replanifie les choses dans une perspective réaliste. Pourquoi ai-je évoqué la notion de « contrat de transition écologique ou énergétique » ? Parce qu'il m'importe de définir des horizons acceptables et atteignables, dont on aura examiné les conséquences économiques et sociales et sur lesquels on ne reviendra pas ensuite. Si l'on doit ainsi fermer un certain nombre de réacteurs, il faudra le faire de manière rationnelle et non selon des critères dogmatiques. Si, sur ce sujet-là, je n'ai pas l'intention d'adopter une posture empreinte de brutalité, la seule forme de brutalité, à laquelle nous risquons d'être confrontés, résulterait de notre incapacité à considérer l'ensemble des solutions possibles, et ainsi d'être contraints à décider au tout dernier moment. Comme nous avons déjà perdu des années précieuses, il ne faut pas cacher le fait qu'en l'état, l'objectif va être difficile à atteindre, sauf à rouvrir des centrales thermiques comme vous l'évoquiez. Regardons les choses ensemble : c'est là l'objet de la deuxième programmation pluriannuelle de l'énergie qui fournira le cadre des actions que nous définirons de concert. D'ailleurs, lors de l'émission de RTL à laquelle vous faisiez référence, j'ai bien précisé « peut-être » puisqu'appliquer la loi, en l'état actuel, nous obligerait à faire montre de brutalité. Je n'oublie pas que dans toute centrale, qu'elle soit au charbon ou nucléaire, se trouvent des compétences, des hommes et des femmes. Je n'ignore pas non plus que l'on n'arrête pas une centrale nucléaire du jour au lendemain et que toute fermeture a un coût. C'est la raison pour laquelle je souhaite que nous ne trichions sur rien et que nous fixions des trajectoires que nous serons en mesure de tenir.
Sur les tarifs réglementés, nous allons faire en sorte que les choses se déroulent le moins douloureusement possible. Cependant, nous faisons déjà l'objet d'injonctions et nous pourrons éventuellement lisser les mesures dans le temps. Nous avons déjà repoussé l'échéance et il en va du gaz comme de l'électricité : à un moment ou un autre, il faudra bien nous y plier.
Sur les passoires thermiques, vous avez raison : en l'état, nous ne couvrirons pas la demande. Regardons avec le plan d'investissements comment nous pourrons ajuster les choses pour honorer cette ambition. Cette question s'inscrit dans la notion plus générale de solidarité que j'évoquais précédemment. La priorité pour moi, c'est la précarité énergétique, qui va parfois de pair avec les passoires thermiques, mais pas toujours. Oui, en l'état, ce n'est pas suffisant et nous en avons bien conscience.
Sur les concessions hydroélectriques, nous risquons de rentrer dans des contentieux lourds. Il va nous falloir prendre des décisions en essayant de protéger nos droits, et notamment ceux de notre grande entreprise. Nous ne pourrons pas constamment repousser l'échéance. La loi sur la transition énergétique a déjà prévu la possibilité que les territoires puissent constituer des sociétés d'économie mixte et que l'on puisse regrouper l'ensemble des ouvrages hydrauliquement liés en retenant une date médiane pour retarder l'échéance. En dehors de cela, je ne vois pas beaucoup d'autres marges de manoeuvre.
Gaz à effet de serre, changement climatique, pollution de l'air par les particules, menaces sur les tarifs réglementés ... la tâche sera rude, monsieur le ministre ! Mais vous ne partez pas de rien, puisque la loi sur la transition énergétique a véritablement amorcé un tournant et a d'ores et déjà impulsé un certain élan face à ce qu'il convient d'appeler, dans le cadre de l'Accord de Paris, une « ardente priorité ». Et cela, face au négationnisme climatique de Donald Trump ! Sur le nucléaire, est-il toujours d'actualité de constituer une filière d'excellence dans les métiers du démantèlement ? S'agissant de la précarité énergétique, qui frappe de huit à dix millions de personnes, je ferai remarquer que la transition énergétique ne sera possible qu'à la condition de résorber cette précarité car, sans adhésion sociale, rien ne sera possible. Il faut donc confronter les aides préventives et curatives aussi bien pour le chauffage que pour le transport. Dans ce dernier secteur, la précarité énergétique est importante, notamment en milieu rural où les transports en commun sont particulièrement rares. Le plan climat que vous avez proposé vise à la disparition des passoires thermiques. Sur cette question, je rejoins mon collègue Ladislas Poniatowski : en dix ans, sept millions de bâtiments énergivores seront à traiter. Quels seront les financements et les dispositifs d'incitation à la rénovation destinés aux propriétaires de ces passoires thermiques où résident, très souvent, des personnes en situation de grande précarité ? Sur ce point, j'ai noté que la contribution au partage de l'économie des charges, instauré en 2009, n'a pas connu le succès espéré en raison de sa complexité. Envisagez-vous de consacrer une partie du financement consacré aux mesures préventives à aider les ménages précaires, en amplifiant notamment les mesures curatives comme le chèque-énergie et ce, d'autant que le poids de la fiscalité climatique va alourdir les factures ? Envisagez-vous par ailleurs de faire en sorte que la taxe sur les transactions financières puisse financer l'action climatique et notamment au plan social ? Sur les tarifs réglementés, je n'ai rien à ajouter à ce que vous disait mon collègue Poniatowski.
Sur la filière d'excellence, ma réponse est positive. Quoiqu'il advienne, nous aurons à fermer ou à démanteler les centrales dans le futur. Je rejoins également votre préoccupation sociale : il ne s'agit pas d'ajouter de l'injustice aux inégalités déjà existantes. Certains de nos concitoyens sont en effet touchés par une triple peine à laquelle nous entendons répondre : après avoir été incités par des dispositifs fiscaux à acheter des véhicules diesel, ils ont été éloignés des centres-villes par la hausse des prix de l'immobilier, habitent dans des zones où ils sont privés d'accès aux transports doux et on leur interdit désormais l'accès aux villes. Nous allons poursuivre et améliorer les dispositifs existants qui sont autant de conditions de réussite de cette transition énergétique. Ma réponse est positive là aussi. Bon nombre de dispositifs, comme le chèque-énergie, les certificats d'économie d'énergie ou les incitations au changement de véhicules élargies prochainement aux véhicules d'occasion, vont être maintenus. D'autres dispositifs devraient également voir le jour, notamment dans les prochains plans d'investissements où ce sujet sera prioritaire.
Concernant l'Allemagne, certaines idées, que je ne qualifierai pas de reçues, laissent à penser que la sortie du nucléaire aurait entraîné une hausse de l'utilisation du charbon. Or, depuis la catastrophe de Fukushima, celle-ci a été réduite de 6 % outre-Rhin, où les objectifs en matière d'énergies renouvelables fixés à l'horizon 2020 sont par ailleurs en train d'être dépassés. De même, la Chine est parvenue à dépasser, bien en avance, les objectifs de développement des énergies renouvelables qu'elle s'était fixés. En France, il nous manque parfois ce sentiment de confiance dans les énergies renouvelables. Ce n'est pas là une forme d'incantation, mais prenons garde à ne pas nous réveiller trop tard ! Nous n'allons certes pas remplacer les centrales thermiques et nucléaires par des moulins à vent, mais ne sous-estimons pas les ruptures technologiques qui sont en cours. Observons tout de même la chute spectaculaire du coût des énergies renouvelables qui peut aller jusqu'à croiser celui des énergies dites conventionnelles. Ne restons pas à l'écart de ce phénomène, car je crains qu'on ne vienne à le regretter. Puisque le débat se cristallise sur le nucléaire en France, il faut aboutir à un mix énergétique qui serait une sorte de point de rencontre permettant d'avancer à notre rythme. Quelle que soit l'opinion que l'on a sur le nucléaire - chacun connaît la mienne, mais peu importe, car elle ne saurait préempter un examen rationnel de la situation - définissons une transition énergétique sécurisée sur le plan de l'approvisionnement. Les Français ne comprendraient pas de supporter tous les maux concomitamment : la construction d'éoliennes, tant sur terre qu'en mer, le maintien en l'état du parc nucléaire et l'imposition de mesures d'économies d'énergie. Il faut que nos compatriotes comprennent que la réduction mécanique de la part du nucléaire répondra à des critères rationnels et non dogmatiques. Une transition intelligente est possible. L'évidence s'imposera car sur le stockage des énergies intermittentes, des progrès seront enregistrés, j'en suis absolument convaincu. Même dans les pays du Golfe, la transition énergétique est en marche et la recherche sur le stockage des énergies intermittentes avance, comme en témoignent les activités des centres de recherche de Masdar, tout comme, d'ailleurs, à Boulder, dans le Colorado, où se trouve le centre de recherche fédéral sur les énergies renouvelables. Je serais très triste que la France, en proie au doute, arrive trop tard et que ce modèle économique, qui finira par s'imposer, profite à d'autres pays et ce, d'autant plus que nos acteurs économiques ont un réel potentiel de créativité. J'observe également que si nos dispositifs, comme les investissements d'avenir ou les aides de la Banque publique d'investissement, favorisent son émergence, cette créativité va trop souvent s'épanouir ailleurs, faute des conditions idoines de développement.
Je souhaite vous parler d'agriculture, dont certains aspects incombent à votre ministère. Vous avez pu voir comme nous tous la situation sociale et financière des éleveurs. L'élevage est en crise, tout comme la production céréalière et laitière. Notre « pétrole vert » a diminué d'environ 3,5 milliards d'euros, comme en témoigne notre déficit commercial. Pourtant, lorsqu'on regarde le Tour de France, on voit de magnifiques paysages dont l'entretien incombe, en définitive, à nos agriculteurs, que ce soit dans nos plaines ou nos montagnes. Dans quinze ou vingt ans, nos petits-enfants verront-ils encore ces paysages, une fois les agriculteurs disparus ? Dans le domaine céréalier, quelle est votre programmation en matière d'utilisation de produits phytosanitaires ? Serons-nous plus exigeants en France que dans les autres pays européens ? L'élevage de montagne est menacé par la prolifération des loups qui se trouveront bientôt dans tous nos massifs et au-delà. Allons-nous longtemps laisser nos éleveurs ovins dans une telle détresse ? D'une manière plus générale, pensez-vous que le rôle de l'agriculture dans la gestion de l'environnement et des paysages est vraiment reconnu ?
J'attends beaucoup des prochains États généraux de l'alimentation. L'abandon des préjugés - selon certains, les agriculteurs seraient la cause des problèmes environnementaux et, pour d'autres, il n'y aurait qu'un seul mode de production possible - reste la clé d'une sortie par le haut pour tout le monde. Je pense justement qu'un moment d'intelligence collective peut redonner de la considération et de la sécurité économique aux agriculteurs. Certes, nous partageons un sentiment de crise, mais il me semble que dans certains secteurs, celui-ci s'avère relativement permanent. Différents ateliers seront organisés d'ici à septembre. Vous évoquiez l'utilisation des produits phytosanitaires et des différents intrants, nous en sommes effectivement le premier pays consommateur. Nombre de mes amis paysans sont confrontés à des pathologies, qui sont autant de drames humains et familiaux, et se retrouvent isolés face à la maladie et au contentieux avec les prescripteurs de produits. J'ai donc à coeur de sortir de cette situation.
La France ne connait pas qu'une agriculture, elle en connait plusieurs. Il est donc possible de diversifier les modes de production, comme les sources de revenus des agriculteurs. J'avais pu constater, en tant qu'envoyé spécial de la COP 21, qu'un agriculteur qui fait le choix d'élever son bétail sur de la prairie aide à séquestrer du carbone. C'est la preuve que les agriculteurs peuvent participer à la transition énergétique mais il faut pour cela qu'ils s'y retrouvent. La multifonctionnalité doit être accompagnée d'une diversification des rémunérations.
Loin de moi l'idée de stigmatiser les céréaliers, mais un choix s'impose. Soit on conserve le système actuel avec les externalités négatives qu'il comporte soit, au contraire, on aspire à une forme de souveraineté alimentaire. Je ne suis pas certain que cette souveraineté soit compatible avec la gourmandise actuelle que l'on peut avoir vis-à-vis du foncier agricole. Demandons-nous s'il est normal que, face à une augmentation de 33 % de la demande en produits biologiques, nos paysans n'y répondent que de manière marginale au profit d'importations plus importantes. Pour y répondre, il faudra néanmoins un peu de temps. Malgré les postures initiales des acteurs économiques ou des ONG, le Grenelle de l'environnement a fini par créer de l'intelligence. Je suis certain que ces États généraux pourront faire de même.
En ce qui concerne le loup, j'essaie, comme pour l'ensemble des tâches qui m'incombent, de mécontenter le moins d'acteurs possibles. J'entends à la fois les points de vue des deux camps qui s'opposent, les « pro-loups » comme les « anti-loups ». Les seuls que je n'écoute pas sont ceux qui soutiennent les positions extrêmes qui voudraient que l'on ne touche à aucun loup ou, au contraire, qu'on les abatte tous. Dans un contexte terrible d'érosion de la biodiversité mondiale, j'ai en charge de défendre des positions fortes à l'occasion de conventions internationales. Je ne veux pas donner l'impression que nous baissons les bras face à des situations complexes qui nécessitent des réponses appropriées.
Dans un contexte particulier englobant notamment la période de montée à l'estive, j'ai dû prendre récemment des mesures d'urgence autorisant des tirs de défense renforcés avant de fixer un calendrier d'actions à échéance du 30 juin 2018. Il s'agit néanmoins de mesures d'urgence qui ne sont, par nature, pas forcément les plus intelligentes. J'ai donc décidé d'organiser une concertation dès la rentrée afin de planifier notre action sur quatre années à compter de janvier 2018. Cette concertation aura pour but de rencontrer l'ensemble des acteurs et d'évaluer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas à l'échelle de chaque foyer. Car prescrire l'abattage d'un certain nombre de loups ne correspond, pour moi, à aucune réalité scientifique. Je souhaite évaluer le fait de donner la possibilité aux éleveurs de se défendre, le cas échéant, par l'intermédiaire de brigades spéciales venant dissuader le loup et protéger les troupeaux dans des situations difficiles. J'entends la détresse des éleveurs. Je n'aurais jamais pensé signer un jour un arrêté prescrivant de tuer des loups mais je l'ai fait car cette situation ne me laisse pas insensible. Je souhaite néanmoins établir un plan sur quatre ans qui ait du sens.
En ce qui concerne le rôle des agriculteurs pour les paysages, je pense avoir répondu et confirme qu'ils rendent énormément de services, dont la plupart sont d'ailleurs insuffisamment reconnus et valorisés. Mon rêve est de retrouver pleinement un sentiment de respect entre le monde urbain et le monde rural. J'ai récemment visité avec Stéphane Travert, le centre de recherche de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) à Saclay. On essaie d'y limiter le recours aux intrants, sans perte d'efficacité, en utilisant l'intelligence de la nature et l'ensemble du langage chimique. À service ou effet égal, beaucoup d'éléments vont nous permettre de diminuer l'exposition des agriculteurs, voire des consommateurs. Il convient donc de faire l'inventaire des solutions en gestation et de celles déjà applicables.
Les 19 et 20 juillet aura lieu au niveau de l'Union européenne une réunion préalable à un vote afin de savoir si l'on reconduit ou pas l'utilisation du glyphosate pour une durée de dix ans. Cette substance tue nos écosystèmes et est cancérigène. Or, malgré le vote à venir, la Commission européenne se prépare à mettre en oeuvre cette reconduction. Le Doubs, le Dessoubre, la Loue, le Cusancin, la Bienne sont malades du fait du glyphosate. Certains scientifiques pensent que cette situation est en voie de devenir irréversible. Quelle position allez-vous prendre sur ce sujet ? Des intérêts économiques puissants sont présents. Ils nécessiteront du courage de votre part. Je pense que vous en avez assez pour vous opposer à l'utilisation de cette substance dangereuse pour la santé.
Lors du Tour de France, des rivières ont été colorées pour montrer qu'elles sont à l'agonie. Cela a un impact sur le tourisme. Repensons aux tableaux de Courbet qui mettaient en valeur ces belles reculées du Jura où des pêcheurs de l'Europe entière voire des États-Unis se réunissaient. Il n'est plus possible de le faire aujourd'hui. Dans le nord de la Franche-Comté, 400 000 personnes boivent l'eau du Doubs. Cette situation peut donc poser des problèmes majeurs de santé publique. La France doit donc montrer l'exemple et s'opposer à l'utilisation du glyphosate.
Je précise que le vote sur le glyphosate aura lieu en septembre et que les dates évoquées seront consacrées à l'expression des positions des différents États sur le sujet. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une question de courage, mais bien de cohérence. J'entends bien les problèmes de santé et d'environnement mais je constate également l'absence d'alternative actuelle au glyphosate. Il n'en existe pas car le sujet a été sans cesse ajourné par la passé. Il faut que l'on comprenne que les choses vont inéluctablement toucher à leur fin et qu'il est nécessaire de travailler aux alternatives. Ma position sera donc ferme, même si je ne suis pas certain qu'elle sera suivie.
Notre responsabilité sera, à un moment ou un autre, mise en jeu car nous avons suffisamment d'éléments pour prendre des décisions. Si le principe de précaution a été fustigé dans certains domaines, je ne pense pas que l'on y ait abusivement recouru. On se grandirait parfois à le mettre davantage en oeuvre. Le doute a toujours profité à l'excès car les moyens ne sont pas toujours suffisants. Comme pour les perturbateurs endocriniens, les relations de cause à effet s'étalent dans le temps et font parfois intervenir des combinaisons de molécules. Pour en revenir aux perturbateurs endocriniens, je trouve étonnant qu'on en ait identifié certains, que l'on connaisse leur dangerosité et qu'ils restent malgré tout sur le marché. J'ai du mal à comprendre la cohérence de ces mécanismes. J'espère que le XXIe siècle sera à l'hygiène chimique ce que le XXe siècle a été à l'hygiène bactériologique. Je me placerai dans cette démarche aux côtés d'Agnès Buzyn avec une rationalité scientifique, car je ne suis pas scientifique moi-même. Je pense qu'il est pour cela nécessaire de sécuriser la parole de la science et de s'ouvrir aux expertises indépendantes.
Je souhaite connaître votre sentiment sur la politique de l'eau à mener. Vous avez évoqué les objectifs d'universalité et de prévisibilité qui concernent pleinement ce domaine. La crise climatique est synonyme de crise aquatique et nous n'avons pourtant pas ressenti ces dernières années une politique de l'eau de long terme en France.
Contrairement à ce que l'on pense parfois, la France importe de l'eau dans une grande proportion, à hauteur de 25 % de ses besoins au travers notamment de ses importations en alimentation. La politique de l'eau demande beaucoup de prévisibilité et d'investissements futurs, qu'elle soit prise sous l'aspect des économies d'eau, de la qualité des sols, de la réalimentation des nappes phréatiques, de la réutilisation des eaux usées ou de la création de réserves d'eau. L'eau est abondante en France et il convient donc de s'occuper de ces réserves afin de ne pas reporter nos problématiques d'approvisionnement sur des pays plus fragiles, et ainsi éviter de futurs conflits sur l'usage de l'eau. Cette question sera également présentée à l'occasion des États généraux de l'agriculture et de l'alimentation.
Nous sommes dans une situation de stress hydrique important que les variations climatiques ne vont pas arranger. Les prédictions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) datant déjà d'un certain nombre d'années sont en train de se confirmer. Les extrêmes climatiques deviennent presque réguliers et les précipitations tombent au mauvais moment et de manière trop intensive. La France doit déjà s'adapter au changement climatique même si chaque évènement climatique ne doit pas forcément être analysé comme une de ses conséquences. Ce changement n'est pas nécessairement visible de tout le monde. Il l'est des réassureurs, des agriculteurs ou des élus du littoral qui observent parfois le recul du trait de côte. C'est également visible au travers de l'apparition de pathologies qui étaient cantonnées beaucoup plus au sud encore récemment. Comme moi, vous devez entendre les paysans indiquer que leurs réserves d'eau au mois de mai sont aujourd'hui équivalentes à ce qu'elles sont habituellement au mois d'août. La situation était tendue et se tend encore.
Je vais présenter un plan sur le sujet lors du Conseil des ministres du 9 août prochain. Il va nécessiter la participation de tous les acteurs car certains secteurs connaissent une utilisation importante d'eau dont la justification varie parfois. La possibilité d'en stocker doit se faire dans le cadre d'une utilisation rationnelle de la ressource. Il faut également s'éloigner de certaines situations aberrantes, notamment en matière d'utilisation des eaux usées. Dans le cadre de mes anciennes fonctions, il m'avait, par exemple, été interdit d'installer un réseau d'eau de pluie pour alimenter les toilettes d'une école du Morbihan.
Le sujet de l'eau est primordial pour notre pays et il l'est plus encore à l'échelle mondiale où il est un risque majeur de conflit potentiel au XXIe siècle. Certains pays comme la Jordanie ou le Vietnam connaissent des situations critiques où des nappes salines rejoignent les réserves d'eau douce.
Je veux redire notre attachement aux tarifs réglementés qui sont un dispositif protecteur pour l'électricité et, dans une moindre mesure, pour le gaz.
La péréquation tarifaire en matière d'électricité est également un dispositif qui nous tient particulièrement à coeur. Le développement des points d'injection issus de sources renouvelables d'énergie induit un développement horizontal du système qui vient s'additionner au modèle vertical connu depuis l'après-guerre. Le développement des systèmes de production locale et de l'autoconsommation remettent petit à petit en cause la péréquation. Il s'agit d'un principe républicain qui renvoie à l'égalité et à l'équité devant l'accès à l'électricité sur le territoire. C'est ce principe qui permet qu'on ne paie pas l'électricité plus cher dans les Vosges qu'on ne la paie à Paris. Je souhaiterais donc votre avis sur cette question.
Comme vous, je constate que la valorisation des externalités positives en matière d'agriculture est très insuffisante. Un véritable travail reste à mener, notamment à l'échelle européenne. C'est d'ailleurs un des points qui sera souligné dans le rapport que présentera le groupe de suivi de la politique agricole commune.
En tant que membres du Parlement, nous légiférons, évaluons et contrôlons l'action du Gouvernement. Or, je pense qu'il n'est plus possible de le faire dans le contexte actuel de transition écologique et solidaire sans prendre en compte les concepts que ce nouveau contexte fait émerger. J'ai déposé deux propositions de lois en ce sens le 5 juillet dernier. Dans la continuité de la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, dite « loi Sas », ces propositions visent à reconsidérer les indicateurs de richesse. La création d'un conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être est également proposée. Je me tiens à la disposition de votre cabinet pour expliquer cette démarche.
Mon cabinet sera heureux d'en prendre connaissance. En ce qui concerne les tarifs réglementés, je vous renvoie aux explications que j'ai déjà données. J'espère que les choses se feront de la manière la plus douce possible malgré le fait que certaines d'entre elles nous sont imposées.
Nous avons les mêmes attentes d'équité et de justice que vous en matière de péréquation. Je suis favorable à l'autoconsommation sous réserve qu'en soient examinées les conséquences sur les tarifs. Une réflexion en cours porte entre autres sur ce sujet et j'aurai l'occasion d'y revenir de manière plus précise dans les prochains mois. En tous les cas, j'ai bien entendu vos inquiétudes.
Je souhaite aborder le transport de marchandises. Nous étions l'an dernier plusieurs parlementaires à travailler à une mission sur l'attractivité des ports français. J'examinais, pour ma part, précisément celui de Fos-Marseille, ainsi que l'axe du Rhône.
Le mauvais report modal est un élément qui freine l'attractivité des ports français. À Fos-Sur-Mer, 80 % des marchandises débarquées quittent le port par la route via des camions alors qu'il s'agit de la solution la plus onéreuse. 10 % le quittent par voie ferrée. Cela représente une douzaine de trains par jour alors que, par comparaison, 150 trains partent du port de Hambourg tous les jours vers l'Europe du Nord ou l'Europe de l'Est. Un tel marché serait également intéressant pour Fos. Enfin, les 10 % restants empruntent la voie fluviale qui est pourtant la solution de transport la moins chère, avec un prix inférieur de deux tiers à celui du transport routier. Il est vrai que cette solution est la plus longue puisque là où il faut 7 heures à un camion pour relier Fos à Lyon, trois jours sont nécessaires pour accomplir le même trajet sur le Rhône. Néanmoins, il convient de préciser qu'une barge de capacité moyenne armée pour le transport de conteneurs possède une capacité à peu près équivalente à celle de 80 camions.
Des marges de progrès existent donc. S'agit-il d'un chantier dont vous allez vous saisir ? Quels sont vos éventuels projets concrets sur le sujet ?
Mes propos seront courts.
Je partage sur ce sujet ma réflexion avec Élisabeth Borne. Nous avons deux priorités. Nous souhaitons d'abord améliorer le transport quotidien des français en termes de sécurité, de confort ou de régularité. Cette priorité s'impose d'un point de vue économique car repousser l'entretien des réseaux ferrés et routiers ferait prendre le risque de quasiment devoir reconstruire certains ouvrages d'art. La seconde priorité concerne le report modal du transport routier de marchandises vers des solutions ferrées ou fluviales. Notre marge de progression est grande. Cette seconde priorité fait partie d'une stratégie d'ensemble car le transport routier est un thème délicat. Mais ce n'est pas parce que le sujet est délicat que ses acteurs doivent être exonérés de tout effort. La brutalité du système d'écotaxe devra néanmoins être évitée. Il faut cependant noter que si la trajectoire carbone évolue à la hausse, l'exonération dont bénéficie le transport routier variera dans les mêmes proportions. Des signaux devront donc être émis et des objectifs fixés pour rendre notre démarche possible et compréhensible.
Plusieurs de mes collègues sont venus cet été visiter le port de pêche de Lorient. À cette occasion, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) nous a présenté une étude sur des filets permettant de ne pas débarquer tous les petits poissons. Que proposez-vous dans ce domaine si important pour l'avenir de la pêche française ?
Que proposez-vous pour lutter contre les algues vertes dans les Côtes-d'Armor et dans le Finistère ? Les risques sont-ils bien évalués ? Pourra-t-on éradiquer cette pollution dans les années à venir ?
Vous connaissez l'opposition des associations et des élus aux projets miniers en Bretagne. Quelle est votre position à ce sujet ?
Il existe des avancées en matière d'énergies nouvelles. Le concept d'économie circulaire est en marche à Locminé, où la production d'énergie dépasse nettement les prévisions. Une station hydrogène a été inaugurée à Vannes il y a trois semaines. Souhaitez-vous encourager les régions de France à se lancer dans de tels projets ?
L'économie de foncier agricole trouve une limite dans les hameaux où il n'est pas possible de construire. Nous consommons beaucoup plus de terres agricoles que si nous acceptions de boucher ces « dents creuses ».
Je connais les problématiques liées à la Bretagne et ai d'ailleurs pour projet d'y faire un déplacement.
En ce qui concerne les algues vertes, notons que les choses se sont améliorées. Il existe néanmoins beaucoup de marges de progression. Nous aborderons ces sujets lors des États généraux de l'alimentation. Je précise que mon portefeuille ministériel me donne la responsabilité de la mer, mais pas des poissons, comme on peut me le faire remarquer avec humour. Si cette dernière prérogative revient, en effet, au ministre en charge de l'agriculture ce n'est pas pour autant que je vais m'en désintéresser. J'en parlerai donc à Stéphane Travert.
Je suis très ouvert sur le sujet de l'économie circulaire comme sur celui de l'hydrogène et pour faire des régions des territoires d'expérimentation. Ce sera le lieu où nous pourrons valider des processus afin de voir s'il s'agit de solutions économiquement et technologiquement durables. Je vais bientôt réunir au ministère tous les acteurs du secteur de l'hydrogène afin de pouvoir bâtir ma propre opinion. Je n'en ai pour le moment pas car j'entends des arguments parfois contradictoires alors que j'ai tendance à penser que cette filière peut jouer un rôle important dans la transition, et plus vite que prévu. Il s'agit pour le moment d'un sentiment et non d'une conviction. Certains acteurs réticents il y a encore quelques années pensent qu'il est aujourd'hui possible d'aller plus vite et plus loin dans beaucoup de domaines, y compris celui du transport. La transition énergétique et la transition de la mobilité ne se bâtiront pas qu'autour de l'électrique. Je souhaite que se développent aussi des véhicules à hydrogène ou des véhicules hybrides. Et des véhicules thermiques à faible consommation seront peut-être nécessaires dans l'intervalle.
Il existe une véritable « gourmandise » quant à la consommation de foncier agricole qui est parfois justifiée, mais par toujours. La revente de terres peut, il est vrai, représenter une source de bénéfices pour un agriculteur en fin de carrière. Je suis néanmoins favorable à la sanctuarisation de ces terres. Car, dans l'hypothèse inverse, il ne sera plus possible de faire face à nos besoins alimentaires. Je soutiens aussi l'objectif de « zéro artificialisation des sols » nécessaire au gain de la bataille climatique. La neutralité carbone fixée à 2050 ne pourra être atteinte que si nous utilisons la capacité de nos sols à emprisonner le carbone. Il faut donc donner un statut à ces sols.
Venant de Lorraine, région qui avait beaucoup travaillé sur l'hydrogène, je partage l'idée de la nécessité d'aller plus loin dans ce domaine et suis heureux d'entendre vos souhaits.
La situation de l'emploi en France fixe la reconquête industrielle comme une nécessité absolue. Elle ne sera possible que si le prix de l'énergie est prévisible et qu'une stratégie est affichée. Il s'agit d'un préalable au fait que les industriels continuent à investir ou partent à la reconquête de productions. Je souhaiterais donc vous entendre sur le sujet.
Je partage votre propos sur la recherche bien qu'il me surprenne un peu. Lorsque vous et moi étions jeunes, nous avons entendus, éléments scientifiques à l'appui, que le diesel était meilleur pour la santé et moins polluant. J'évoque ce souvenir car je fais confiance à l'homme. Il ne faut pas décourager les jeunes cerveaux de s'investir dans la quête de nouveaux carburants, pas uniquement fossiles, afin de produire de l'énergie correspondant aux nouvelles attentes sociétales sur la santé. Ce schéma fonctionne aussi pour les organismes génétiquement modifiés. Je ne dis pas qu'il faut en produire. Mais dès lors qu'on perd la connaissance scientifique qui y est liée, cela représente un appauvrissement qui ampute la capacité décisionnelle des gouvernants.
La forêt est, enfin, un sujet stratégique. Il conviendrait de savoir si sa vocation est uniquement environnementale ou si, comme je le pense, il faut aussi la considérer sous l'angle de ses formidables capacités productives.
La France possède la chance de détenir de la terre, de l'eau et du soleil. Aurons-nous une ambition agricole en conséquence ?
Je suis pour la prévisibilité du prix de l'énergie. En ce qui concerne l'idée de reconquête industrielle, la réponse est dans la question et je suis évidemment d'accord avec ce propos.
En ce qui concerne la forêt, je ne suis pas convaincu des bienfaits d'une approche environnementale exclusive. Je ne suis d'ailleurs même pas certain que nous ayons pour le moment une véritable approche environnementale. Je note l'absence de stratégie économique en lien avec nos massifs forestiers de la part du secteur public comme du secteur privé. Je viens de participer à deux réunions successives sur le sujet et nous allons y travailler dans le cadre du plan climat. Comme vous, je me désespère, par exemple, de voir notre bien partir en Chine et revenir sous forme de parquet. Les perspectives économiques sont importantes et nous sommes, à l'heure actuelle, en train d'identifier les verrous administratifs ou fiscaux à leur développement.
La fenêtre de la révision de la politique agricole commune est concomitante avec les États généraux de l'alimentation. Ce moment est important car nous devons réfléchir à l'utilisation du deuxième pilier qui concerne la politique de développement rural en matière de création d'emplois ou en matière environnementale.
Sur la recherche, nous sommes d'accord et je partage votre réflexion.
L'énergie hydroélectrique est la première des énergies renouvelables présente en Ariège comme dans tous les massifs. Si nous ne sommes effectivement pas les seuls à décider, il est néanmoins important de tout mettre en oeuvre pour protéger ce patrimoine naturel et ce modèle français auquel nous sommes tant attachés.
Je partage l'idée selon laquelle le véhicule électrique ne sera pas le seul élément de la mobilité propre de demain. Néanmoins, je souhaite vous poser deux questions en lien direct avec son utilisation dans les territoires ruraux et de montagne. La première consiste à savoir comment accélérer le déploiement des bornes de rechargement. Pour la région Occitanie qui regroupe treize départements, seules 1 247 bornes seront en service fin 2017 pour un coût de 17 millions d'euros. Il s'agit d'un début mais je pense qu'il est nécessaire d'accélérer ces installations pour rassurer les utilisateurs et gagner notre pari. Quels moyens financiers pourrons-nous espérer dans les années à venir pour soutenir ce développement ? Il y a peut-être peu de population dans les territoires ruraux mais les espaces y sont grands et nous y avons sans doute besoin de plus de bornes qu'ailleurs. Le problème de l'autonomie des véhicules électriques y est du reste d'autant plus prégnant qu'il est souvent nécessaire de parcourir des distances plus grandes dans les territoires ruraux pour aller travailler ou accéder aux services publics, par exemple.
Ma question porte sur l'application du décret « plage ». En l'état, il signerait la mort de très nombreux établissements de plage et la suppression de nombreux emplois, de Menton à Saint-Tropez, à l'issue de la saison estivale. Ce décret remet en question la durée des concessions dont bénéficient actuellement ces établissements, ainsi que les surfaces exploitables ou les périodes d'ouverture. Il impose de manière extrêmement contraignante aux établissements de plage situés sur des sites artificiels d'être démolis à la fin de l'été, puis reconstruits sous forme de structures démontables et transportables. Les professionnels du tourisme et les représentants des acteurs économiques qui gèrent ces établissements balnéaires réclament la suspension de ce décret afin d'entrer dans de nouvelles négociations. Elles n'auraient pas pour but de transgresser la loi Littoral, mais de faire en sorte que ce texte prenne en compte la situation spécifique de chaque littoral. Toutes les bandes littorales possèdent une identité ainsi que des problématiques propres qui font obstacle à l'application d'un régime unique. La façade méditerranéenne présente des spécificités. Les professionnels du tourisme y ont beaucoup souffert, en particulier à la suite du terrible attentat de l'an dernier. Seriez-vous prêt, comme ils le demandent, à envisager la suspension de ce décret pour l'amender après une négociation ouverte aux professionnels du tourisme et aux acteurs économiques, afin qu'un compromis soit trouvé ?
Au premier septembre 2018, les pesticides néonicotinoïdes seront interdits à la suite des dispositions de la loi « Biodiversité » du 8 août 2016. Nous sommes dans l'attente du texte d'application correspondant. Pouvez-vous nous donner une échéance pour sa publication ?
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) croule actuellement sous les demandes d'autorisations de mise sur le marché. Elle doit néanmoins mettre en place les nouvelles procédures que la loi et le règlement ont prévu afin d'autoriser de manière simplifiée les produits de biocontrôle, d'une part, et d'examiner les 700 préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) en attente d'évaluation, d'autre part. Une partie de ces PNPP sont déjà autorisés en Allemagne et en Espagne. Or, l'Anses, qui aurait les moyens de créer de nouveaux emplois, est victime du plafonnement qui s'impose à elle en la matière. Je souhaiterais donc que vous interveniez en conséquence.
La France est pionnière dans le domaine de l'interdiction des pesticides sur les espaces publics des communes puisque cette interdiction est en vigueur depuis le 1er janvier de cette année. Par une résolution adoptée à l'unanimité, le Sénat interpelle l'Union européenne pour que cette mesure soit appliquée partout. Nous avons besoin de vous pour porter ce point de vue. Je vous suggère, pour cela, d'accompagner une délégation de sénatrices et sénateurs afin de rencontrer le commissaire concerné à Bruxelles.
Enfin, comme Michel Le Scouarnec, j'étais présent à l'inauguration par Morbihan énergies d'une station de production d'hydrogène par électrolyse de l'eau. Le problème est qu'aucune voiture française n'est conçue pour fonctionner avec cette source d'énergie alors que les coréens en fabriquent déjà en série. C'est d'autant plus dommage que l'impact sur le climat est faible puisque ces voitures ne rejettent que de la vapeur d'eau.
Beaucoup d'aspects aujourd'hui évoqués sur l'agriculture sont des sujets sur lesquels nous travaillons depuis longtemps avec beaucoup de motivation, malgré parfois quelques divergences d'avis.
Les élus sont aujourd'hui absolument concentrés sur le sujet de la consommation des terres agricoles. Je souhaiterais que vous vous concertiez avec le ministre en charge du logement car les élus sont écartelés entre leur volonté de préserver les terres agricoles et leurs obligations à construire des logements. Les maires nous expliquent ne pas pouvoir prélever de forêt à cause de leurs lisières, ne pas pouvoir prélever de terres agricoles et avoir beaucoup de difficulté à remplir les obligations imposées par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU.
Je souhaiterais que vous utilisiez votre popularité personnelle pour que l'on arrête de stigmatiser les agriculteurs. Ils sont aujourd'hui dans une crise existentielle et ont en permanence l'impression d'être coupables. Un grand nombre de reportages à charge est diffusé contre eux. La conséquence est que les agriculteurs se braquent contre l'écologie alors qu'ils pourraient tout à fait accompagner ce mouvement. Je vous conseille la lecture du livre de Nicolas Bouzou dans lequel il montre que les innovations se répandent le plus vite dans le domaine de l'agriculture. Vous parliez d'intelligence collective et nous comptons sur vous pour la mobiliser afin de stopper cette stigmatisation.
La présence de l'éradication de la précarité énergétique dans votre projet est pour moi un sujet de satisfaction. On parle souvent d'économie et d'environnement en matière de développement durable mais on oublie régulièrement l'aspect social qui est aussi important que les deux premiers.
Je suis inquiet quant au transfert de l'aéroport de Nantes Atlantique vers Notre-Dame-Des-Landes. Je n'évoque pas ici les aspects liés à l'aménagement du territoire car ils l'ont déjà été largement en d'autres lieux et d'autres temps. Je me permets simplement de vous présenter quelques arguments sur ce transfert liés à la défense de l'environnement.
Le bilan carbone de ce nouvel aéroport sera extrêmement positif. La consommation d'énergie y sera trois fois moins importante par passager que pour l'aéroport actuel de Nantes Atlantique. Les installations et équipements du nouvel aéroport seront, de surcroît, à haute performance énergétique. Au moment où le développement du secteur aérien est exponentiel, il ne suffit pas de construire des avions mais il faut aussi leur fournir des endroits pour atterrir et décoller ! Il me semble donc que vous devriez prendre en compte les aspects environnementaux que je vous ai présentés. Ils pourraient servir d'exemple pour la construction de nouveaux aéroports en France voire à l'étranger.
Sur l'aspect démocratique, je relève que les enquêtes d'utilité publique ont eu lieu. 180 recours juridiques ont été rejetés. Plus de 90 % des terres nécessaires ont été achetées à l'amiable. Un référendum a eu lieu pour lequel 500 000 personnes se sont déplacées. 55 % des votants ont approuvé le projet.
Les aspects économiques, démocratiques et environnementaux ont donc été respectés. Le Premier ministre a déclaré que « ces études, ces décisions judicaires et ce vote démocratique ne peuvent être balayés d'un revers de main ». Après le référendum, vous déclariez vous-même : « On ne peut pas demander d'aller voter et, si le résultat ne nous plait pas, de ne pas en tenir compte ». Êtes-vous d'accord avec le Premier ministre ? Êtes-vous d'accord avec vous-même ?
Quelle est votre position sur la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) que nous aurons l'obligation, nous élus, de mettre en place au 1er janvier prochain ? En ce qui concerne le financement des études obligatoires, les agences de bassin sont prêtes à les prendre en charge à hauteur de 70 % mais le ministère de l'environnement est-il prêt à compléter ?
La transition écologique repose largement sur la transition énergétique. Bien qu'il soit nécessaire de réduire considérablement nos besoins en énergie dans tous les secteurs - bâtiment, industrie, consommation, etc. -, je souhaiterais insister plus spécifiquement sur le domaine des transports. La réduction de la dépendance à la route et au camion passe par des mesures d'amélioration des lignes ferroviaires mais aussi par les voies fluviales. Parmi les alternatives crédibles au « tout routier », deux se dégagent. Je veux parler de la liaison ferroviaire Lyon-Turin et du canal Seine-Nord Europe. Ce canal a fait l'objet d'un large consensus transpartisan dans les régions concernées et alimente en ce moment toutes les conversations. Or, ce projet ne se résume pas à une simple infrastructure car il s'agit d'une vision de l'aménagement du territoire, du développement de la flotte fluviale et du développement économique de nos territoires. En dépendent des activités industrielles, des plateformes multimodales, des bateaux à grand gabarit et dix mille emplois à la clé auxquels personne ne souhaite renoncer. Ce dossier a donc un caractère vital pour le territoire. C'est aussi une chance unique donnée par l'Europe à travers un financement de 40 %. Je souhaiterais donc que vous puissiez préciser votre approche de ce dossier d'un point de vue écologique.
L'exercice de vos prérogatives passe par des plans d'actions mais l'on sent au travers de votre discours que votre ambition est de dessiner un projet de société. Votre ministère doit rechercher des équilibres à partir d'objectifs centraux prioritaires. Comme vous y avez fait référence, cela nécessite de l'intelligence collective, un certain pragmatisme et l'abandon de postures que vous avez également pu citer. Lorsque vous prenez l'exemple de « zéro artificialisation des sols » que l'on peut partager et comprendre, on voit tout de suite que des lieux vertueux peuvent se retrouver face à de la spéculation foncière et que la dimension sociale devient alors incompatible avec un tel objectif. Sont par exemple concernés les lieux où l'on a su protéger l'environnement à travers des espaces boisés classés ou ceux qui, malgré la pression immobilière considérable sur le littoral, ont su préserver de l'agriculture. Comment concilier ces différents objectifs ?
Vous nous avez indiqué qu'il ne fallait pas que la France se réveille trop tard et avez cité des pays en exemple, comme l'Allemagne ou la Chine. Nous sommes tous ici favorables à la promotion des énergies renouvelables - certains plus que d'autres - et nous sommes également favorables au maintien de la biodiversité. Il en est de même pour les élus de mon département mais ces derniers sont souvent bloqués par une administration sévère envers eux. Vous avez plusieurs fois indiqué vouloir prendre des décisions sur la base de critère rationnels. Je vous demande donc si vous vous engagez à ce que votre administration ait, comme vous, des critères rationnels pour juger certains projets et qu'elle ne le fasse pas de ses bureaux parfois très éloignés du terrain, quitte à juger sur place lorsque cela se montre nécessaire.
Le décret « plage » crée un sentiment probablement légitime de panique. Je me dis cependant que si je crée une exonération sur la façade littorale méditerranéenne, les autres façades auront beau jeu de demander la même chose. J'ai entendu les arguments des uns et des autres, notamment ceux qui évoquent le fait que rendre démontables les superstructures nécessiterait de faire venir des engins sur les plages et que cela n'est pas positif. Mais si je comprends votre demande, je ne suis pas spontanément enthousiaste au fait d'y répondre positivement.
En ce qui concerne les voitures électriques, la réalité montre que nous gagnons en autonomie. J'ai moi-même acheté une voiture électrique il y a quelques années et son modèle équivalent a vu aujourd'hui son autonomie multipliée par deux. Je comprends la nécessité de bornes en milieu rural car je vis dans un tel milieu et il ne m'est pas possible de faire un aller-retour entre Saint-Malo et Rennes avec mon véhicule.
Pour répondre à Joël Labbé, l'arrêté d'application sur les néonicotinoïdes sera pris au début du mois d'août. J'ai bien compris le goulot d'étranglement que représente l'Anses et nous allons étudier la situation de saturation de cette agence vers laquelle beaucoup de choses convergent.
En ce qui concerne la stigmatisation des agriculteurs, je tiens à répéter qu'il en va des agriculteurs comme de l'agriculture et qu'il en existe différents types. J'ai rencontré beaucoup d'agriculteurs heureux qui s'en sortent très bien, parfois au travers de méthodes alternatives. Je constate aussi que beaucoup d'agriculteurs sont en détresse. Les stigmatiser condamne d'emblée l'issue des États généraux de l'alimentation. Ce n'est donc pas du tout l'état d'esprit dans lequel je me trouve. Stéphane Travert et moi-même avons conscience qu'il nous faut sortir ensemble par le haut de ces difficultés. Nous possédons une ambition et une vision communes sur le sujet.
Je comprends bien la difficile équation des élus sur la consommation de terres agricoles et les injonctions contradictoires qui s'adressent à eux. Je peux également témoigner que le sacrifice de terre agricole n'est pas toujours justifié par une dimension sociale. Ils sont parfois utilisés pour attirer de grandes enseignes dont la venue fait parfois fermer d'autres enseignes déjà implantées, ce qui peut engendrer des friches industrielles de l'autre côté de la route. L'économie doit être le principe de mise lorsque l'utilisation des terres agricoles n'est pas justifiée, notamment d'un point de vue social.
Notre-Dame-Des-Landes fait actuellement l'objet d'une médiation voulue par le Président de la République afin de voir si toutes les alternatives ont été étudiées. Tout le monde connait mon point de vue sur la question mais je ne souhaite pas m'exprimer sur le sujet afin d'éviter toute interférence. J'observerai, comme vous, l'issue de cette médiation.
Le transfert de la compétence Gemapi est déjà prévu depuis plusieurs années.
S'agissant du canal Seine-Nord Europe, j'entends bien que le contexte budgétaire, attesté par le dernier rapport de la Cour des comptes, a quelque chose de sidérant. Il ne servirait à rien que l'État s'engage sur des promesses qu'il ne pourrait pas tenir. Il en va de même pour la réduction de moitié de la part du nucléaire dans la production d'énergie d'ici 2025. Notre première attitude a été de suspendre le projet pour voir si l'ensemble des sous-projets qui étaient déjà engagés ou en voie de l'être étaient raisonnablement réalisables en tenant nos promesses. Ce n'est pas la première fois que je suis alerté sur les aspects économiques du dossier. Je suis d'ailleurs plus sensible aux arguments relatifs à l'activité économique générée qu'à celui du seul report modal qui semble relativement limité, de l'ordre de 500 camions par jour. Il ne sera, en tout état de cause, pas possible de réaliser tous les projets, sous peine d'abandonner le réseau routier et le réseau ferré avec les conséquences que nous connaissons. Ce n'est pas une attitude facile à tenir pour nous. Lorsque le maire de Toulouse nous demande que le TGV rejoigne sa ville, il est difficile de ne pas comprendre son attente. Il en va de même lorsque l'on nous demande la réalisation de l'A45 entre Clermont-Ferrand et Lyon. Mais faire des promesses à tout le monde risquerait de ne conduire qu'à des désillusions. En ce qui concerne le canal, je rappelle que la suspension est une mesure conservatoire et qu'elle n'est pas synonyme du retrait de tous ces projets. Ils seront analysés sous l'angle de la vérité et du réalisme.
Notre administration peut être rationnelle. Il ne s'agit pas de lui faire des procès d'intention. Un effort de simplification a été demandé par le Président de la République auquel notre propre ministère a décidé de contribuer. Les fameux guichets uniques constituent un début. Le Président souhaite également un changement de mentalité afin que notre administration se place dans un état d'esprit d'accompagnement, plutôt que dans un état d'esprit de sanction systématique. Le droit à l'erreur procède de cette démarche. Il ne s'agit cependant pas d'une licence à l'erreur.
Ma porte vous est grande ouverte pour prolonger nos discussions. Je vous remercie de votre patience et de votre compréhension.
Je vous remercie, monsieur le ministre pour le temps que vous avez bien voulu consacrer à nos échanges.
La réunion est close à 19 heures 25.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.