Intervention de Stéphane Travert

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 juillet 2017 à 16h35
Audition de M. Stéphane Travert ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Je suis très heureux de pouvoir échanger avec vous aujourd'hui, et de retrouver des amitiés normandes au sein de la chambre haute. C'est toujours un plaisir de venir parler d'agriculture au Sénat, et je reviendrai chaque fois que vous le jugerez utile et nécessaire pour vous exposer les actions que j'entends mener en tant que ministre.

Les sujets sont nombreux, vastes, de natures très différentes. Une chose est sûre : au ministère de l'agriculture et de l'alimentation, on ne s'ennuie jamais ! Il y a tout d'abord la gestion des crises, même si j'ai tendance à leur préférer le terme d'aléas : le gel qui a touché la viticulture, la crise des palmipèdes gras, des abricots, ou encore de la canne à sucre, les épisodes de sécheresse... Viennent ensuite les objectifs à court terme : il m'apparaît nécessaire de restaurer la confiance dans la parole de l'État dans les plus brefs délais. Cela passe notamment par le respect des dates de versement des aides publiques. À moyen terme, la priorité va au renforcement de la position des agriculteurs dans les négociations avec les transformateurs et les distributeurs. En effet, comme le Président de la République l'a rappelé à plusieurs reprises, les agriculteurs doivent être payés au juste prix pour pouvoir vivre dignement de leur métier. Sur le long terme, le financement de la politique agricole commune (PAC) dans un nouveau cadre géographique et budgétaire constitue un véritable défi. Brexit, droit européen en matière de concurrence : autant de chantiers qui nous attendent. Mais si l'Europe est notre horizon, la main invisible du marché ne peut être notre seule boussole. Enfin, des débats plus philosophiques s'inscrivent dans nos objectifs à très long terme : nature de notre alimentation, consommation de la viande, bien-être animal, respect de la biodiversité, cohabitation du loup et de l'élevage en montagne... les sujets ne manquent pas.

Il est très important de pouvoir recenser les sujets et leur temporalité, afin de leur apporter les meilleures réponses concrètes possibles.

Au-delà de ces considérations générales, voilà le constat chiffré : l'agriculture et l'agroalimentaire représentent 11 % de notre PIB et emploient 1,2 million de personnes. La France, première puissance agricole et agroalimentaire en Europe, se voit verser 9 milliards d'euros tous les ans par l'Union européenne, ce qui en fait le premier bénéficiaire de la PAC. Avec 60 % d'exportations à destination de l'Union européenne et un excédent de 9 milliards d'euros en 2016, ces secteurs demeurent structurellement exportateurs. Pourtant, malgré l'ensemble de leurs atouts, l'agriculture et l'agroalimentaire doivent faire face à des difficultés bien connues. Les comptes de l'agriculture ont été publiés il y a quelques jours et montrent que les revenus de certaines filières s'avèrent très mauvais. En 2016, le résultat net par actif et la valeur ajoutée brute de la filière agricole ont diminué respectivement de 21,9 % et 8,4 % par rapport à 2015. Le recul est très marqué, alors que ce taux était positif sur les deux années précédentes. Les filières peinent à se structurer efficacement, le dialogue entre les différents maillons, souvent insuffisant, est parfois même déloyal.

Nos exportations restent dominées par les vins et les spiritueux, les céréales et les produits laitiers. En dix ans, la France est passée de la 3ème à la 5ème place des pays les plus exportateurs. Certains secteurs, comme l'élevage, connaissent des retards d'investissement, entraînant une baisse de compétitivité. Quant au poids économique des industries agroalimentaires dans les outre-mer, il reste concentré sur quelques filières.

La gestion des risques et des aléas pour faire face aux menaces naturelles constitue également un défi qu'il est urgent de relever. La recherche française est excellente, mais ses liens, tant avec l'enseignement supérieur qu'avec le monde économique, sont trop distendus pour augmenter la création de valeur.

En dépit d'un marché de l'emploi plus porteur, les métiers et les formations en agriculture et agroalimentaire souffrent d'un véritable manque d'attractivité. Il est nécessaire de mettre un accent particulier sur la formation, car 95 % des jeunes issus des lycées agricoles, qui maillent notre territoire, trouvent un emploi. Ces établissements font d'ailleurs souvent la fierté des élèves, des parents et des élus.

Enfin, la succession de crises parfois conjoncturelles, souvent structurelles, fragilise de nombreux acteurs et altère encore l'attractivité des métiers. L'enjeu social doit donc être au coeur de nos préoccupations.

Une fois ce constat sur nos atouts et nos fragilités partagé, quel est notre cap ?

L'urgence est de redonner confiance en l'action des pouvoirs publics. Celle-ci a été profondément altérée par les retards de paiement des aides de la PAC, notamment les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). Je me suis récemment rendu à l'agence de service et de paiement (ASP) où nous avons établi un calendrier de résorption des retards et instauré un contrôle hebdomadaire de la situation. Je ferai tout pour que les délais de paiement soient enfin respectés. L'action publique, c'est dire ce que l'on fait, mais aussi faire ce que l'on dit ; la restauration de la confiance dans l'action publique passe aussi par là. Chacun d'entre nous, qu'il soit membre du Gouvernement ou parlementaire, est concerné.

Régler l'urgence, c'est important ; penser à l'avenir, c'est essentiel. Conformément aux engagements du Président de la République, nous lancerons demain les États-Généraux de l'alimentation (EGA). Cette démarche, innovante et transversale, associera les secteurs de la santé, de l'économie, de l'environnement, de l'enseignement supérieur, des affaires européennes et de la recherche. Nous mobiliserons les parlementaires et les élus locaux, les experts, les représentants des différentes filières, les transformateurs et les distributeurs ; nous mobiliserons aussi, et surtout, les deux bouts de la chaîne, les producteurs et les consommateurs, qui ignorent bien souvent qu'ils ont des intérêts communs.

Les EGA visent à redonner de la force au triptyque « producteur-transformateur-distributeur ». La création et la répartition de la valeur seront donc au centre des débats. Il faut que la voix du producteur retrouve toute sa place dans la chaîne de valeur. Cela passe par notre capacité à trouver des compromis, qui ne soient ni des compromissions, ni des consensus mous. Je crois fermement que nous pouvons trouver ces compromis qui, dans le respect de chacun, permettront au triptyque « producteur-transformateur-distributeur » d'être un triptyque « gagnant-gagnant-gagnant ».

Les premières orientations réglementaires et législatives, qui viseront à renforcer le rôle des organisations de producteurs dans la perspective des futures négociations commerciales, seront connues dès la fin des EGA. À la rentrée, nous poursuivrons nos travaux pour avancer sur la voie d'une alimentation plus sûre, plus saine, plus durable, plus accessible et plus équilibrée. Nous travaillerons donc sur le gaspillage alimentaire, mais aussi, en lien avec la ministre de la Santé, sur la malnutrition et l'obésité. Les effets des campagnes menées il y a quelques années pour inciter à manger cinq fruits et légumes par jour commencent à s'estomper ; nous relancerons donc une campagne autour de la consommation des fruits, et notamment des fruits français, soumis à une forte concurrence. Il faut que nos consommateurs puissent compter sur nos filières d'excellence. Beaucoup a déjà été fait, mais nous devons continuer d'accroître notre excellence. Les questions sociétales, de sécurité sanitaire ou de gaspillage, trouveront ainsi toute leur place dans les débats.

Pour conclure, je souhaite partager avec vous une conviction que j'ai chevillée au corps : sans production, pas de marché ; sans marché, pas d'emplois ni de répartition de la richesse ; sans qualité des produits, pas de fidélisation des consommateurs ; et sans agriculteurs, pas de territoires ruraux. Si j'affirme ces convictions ici, au Sénat, c'est que je sais à quel point vous êtes attachés à la vitalité de ces territoires ruraux. L'agriculture française est la plus belle et la plus performante au monde. Je crois en la richesse de nos filières, en notre capacité à aller encore plus loin ; j'ai confiance dans les acteurs de nos filières agroalimentaires et dans notre capacité à porter les bons débats pour que, demain, nos exploitations soient plus fortes et plus compétitives. Je crois fermement à la compétition, à l'innovation et à la transmission. Je crois surtout à la complémentarité des modèles agricoles : elle fait l'image de la « ferme France », et c'est elle que je veux porter.

Le défi est immense, la situation urgente. Les mois qui viennent seront décisifs, car lors des prochaines négociations de la PAC, nous devrons user de toute notre diplomatie pour faire valoir une politique ambitieuse et défendre les intérêts de la France.

J'en appelle ainsi au soutien de chacun, dans l'esprit qui l'anime, dans les convictions qui sont les siennes, pour accompagner notre agriculture, nos modèles et nos filières.

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