Je voudrais aussi remercier Jean Bizet qui a su animer notre groupe de travail, et saluer l'excellente collaboration entre les rapporteurs. Après avoir entendu les professionnels, les pouvoirs publics, les experts, notre rapport dresse le panorama du champ de bataille avant que s'engage la réforme à venir de la PAC. Mes collègues ont résumé ce panorama, j'exposerai les stratégies que nous devons déployer, les axes de la réforme et nos exigences.
Tout d'abord, si une réforme ne se mesure pas uniquement à l'argent qu'on y consacre, il n'y aura pas de PAC acceptable sans budget à la hauteur des enjeux et des ambitions que la France doit avoir dans ce domaine. Pour un PIB de 35 milliards d'euros, les agriculteurs français touchent environ 9 milliards d'euros par an de la PAC (auxquels s'ajoutent un peu plus de 3 milliards d'euros d'aide nationale). Un tiers des exploitations aurait un revenu nul ou négatif sans les aides de la PAC. Pour la France, mais aussi pour l'Union, réduire le budget de la PAC n'est pas acceptable. L'argument selon lequel il n'est pas normal que la France touche autant n'est pas acceptable non plus : nous sommes un grand pays agricole avec presque 30 millions d'hectares, dont 18 de terres arables. Il est parfaitement compréhensible que les aides de la PAC, qui sont basées sur les surfaces cultivées, représentent autant pour la France. Conserver une enveloppe d'aides PAC substantielle doit donc être un objectif prioritaire.
Ensuite, il convient d'adapter la PAC aux nouveaux enjeux pour le monde agricole. Le rapport en identifie cinq.
En premier lieu, il faut avancer sur le chantier de la gestion des risques. J'avais, avec Henri Cabanel et plusieurs collègues, été à l'origine du vote d'une proposition de loi en ce sens, l'année dernière. Le cadre national doit évoluer, avec une déduction pour aléas (DPA) plus souple, ou encore en mettant en oeuvre l'instrument de stabilisation des revenus (ISR) dans notre pays. Mais il faut aussi faire évoluer le cadre européen, afin d'utiliser plus d'argent pour la gestion des risques, peut-être au détriment des aides directes, ou encore afin d'abaisser les seuils de sinistre et les franchises pour rendre l'assurance attractive. Plutôt que de se focaliser sur un seul instrument, nous pourrions proposer de mettre à disposition un ensemble d'outils de gestion des risques, que les agriculteurs utiliseraient en fonction de la nature des risques et du niveau de maîtrise possible de l'aléa. Suivant les aléas rencontrés, les outils privés seraient complétés le cas échéant par des interventions publiques. La question de l'obligation de souscription reste ouverte mais la réponse conditionne l'efficience des dispositifs envisageables, assurantiels notamment. Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres on ne peut être efficace que collectivement, si tout le monde joue le jeu. Enfin, la gestion des risques passe aussi par la diversification de l'activité agricole, par la stratégie de gestion de l'exploitation : diversification des productions, mais aussi développement d'activités annexes comme la méthanisation ou le photovoltaïque, qui peuvent apporter d'autres ressources, plus stables dans le temps que des marchés souvent volatils. Pour l'ensemble des acteurs, une montée en compétence devra accompagner la mise en place des dispositifs et outils de gestion des risques.
Un autre enjeu consiste à pouvoir organiser les marchés et intervenir au bon moment en cas de crise. Il s'agit d'abord de conserver les outils qui restent : intervention publique et aide au stockage privé. Mais il faut pouvoir intervenir plus vite en cas de crise, avec des procédures permettant de reconnaître rapidement la réalité de la situation, après l'alerte des professionnels et des États membres. La crise du lait constitue à cet égard le contre-exemple absolu. Parallèlement, la réforme doit renforcer la place des agriculteurs dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire : il faut mettre en oeuvre les recommandations de la Task force, en imposant la transparence sur les prix, y compris aux industriels et à la distribution, en sanctionnant les pratiques commerciales abusives, en permettant aux producteurs de se regrouper sur des bases larges pour mieux négocier. Les exceptions applicables au secteur du lait doivent être généralisées à tous les secteurs.
Troisième point, la PAC ne doit pas tourner le dos à l'objectif de compétitivité : il faut encourager nos agriculteurs à être performants. Mais la performance ne veut pas dire l'uniformité : il existe plusieurs agricultures et la PAC doit pouvoir les soutenir toutes. Le rapport propose aussi que la PAC soutienne les investissements nécessaires pour améliorer la compétitivité, comme les investissements dans le numérique, ou encore dans la formation des agriculteurs.
Quatrième enjeu, la future réforme de la PAC devra prendre en compte la dimension territoriale. Il faudra conserver le soutien renforcé aux zones défavorisées : les zones de montagne, mais aussi les zones défavorisées simples. À cet égard, le redécoupage des zones bénéficiaires de l'ICHN ne doit pas conduire à pénaliser des territoires où l'élevage reste souvent la seule activité possible. La dimension territoriale implique aussi de soutenir les démarches de qualité, comme les appellations d'origine et les indications géographiques. Elle justifie des aides spécifiques couplées à l'élevage. Enfin, le lien au territoire, c'est aussi le lien avec l'emploi. Il ne faudra pas s'interdire d'engager une réflexion sur la modulation des aides de la PAC en fonction de l'emploi créé ou subsistant, comme le propose le député européen Éric Andrieu dans un rapport récent pour le Parlement européen.
Dernier enjeu, l'enjeu environnemental. Il ne faudra pas être en position défensive sur ce sujet. Les exigences environnementales à l'égard de l'agriculture n'ont pas cessé de se renforcer. Les agriculteurs s'en plaignent parfois : il convient donc de simplifier, mais pas de reculer, ce qui fragiliserait la légitimité de la PAC aux yeux de l'opinion. Notre rapport propose plutôt de changer d'approche en insistant plus sur les résultats que sur les moyens. L'agriculture européenne rend des services à la société et à l'environnement et les agriculteurs méritent une rémunération au titre des biens publics qu'ils produisent, les externalités positives, comme le stockage du CO2 dans les sols par exemple. Nous prônons donc un renouvellement de l'approche européenne avec de véritables paiements pour services environnementaux (PSE) rendus par les agriculteurs, dans le cadre du premier ou du second pilier.