Intervention de Éric Doligé

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 juillet 2017 à 9h00
Projet de loi autorisant la ratification de l'avenant modifiant la convention du 14 janvier 1971 entre la france et le portugal tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur :

Notre commission examine ce matin le projet de loi autorisant la ratification de l'avenant, signé le 25 août 2016 à Lisbonne, à la convention fiscale du 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôt sur le revenu.

Cela pourrait vous sembler aller de soi, mais en réalité, il n'en est rien. Lors de l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi de finances rectificative pour 2016, le Gouvernement avait déposé en séance publique un amendement autorisant l'approbation de cet avenant - créant par là même un précédent qu'il aurait sans doute eu la tentation de répéter très souvent.

Le Sénat, suivant en cela l'avis de notre rapporteur général, avait supprimé cet article, estimant que la ratification d'une convention fiscale n'avait pas sa place dans une loi de finances. Le Conseil constitutionnel avait finalement censuré l'article, donnant raison au Sénat.

L'examen des conventions fiscales par le Parlement n'est pas seulement une exigence formelle ; il a plusieurs fois montré son utilité, comme par exemple lord du refus du Sénat d'autoriser la ratification de l'accord de 2011 avec le Panama, ou les engagements obtenus du Gouvernement lors de la ratification de la convention fiscale avec Andorre en 2014.

Sur le fond, cet avenant est une réponse à un problème précis, apparu en 2013, touchant aux règles d'imposition des rémunérations et pensions publiques. En vertu du modèle de référence de l'OCDE, les revenus versés à des agents publics ou à des retraités de la fonction publique sont exclusivement imposés à la source, c'est-à-dire par l'État qui les verse, par opposition aux revenus et pensions privés, imposés dans l'État de résidence du bénéficiaire. Or la convention franco-portugaise de 1971 déroge à ce modèle en autorisant aussi une imposition des rémunérations et pensions publiques par l'État de résidence, à condition que celui-ci élimine les doubles impositions. On parle alors de droit d'imposition partagé.

Cette dérogation est longtemps restée sans effet, ni le Portugal ni la France n'exerçant leur droit d'imposer en tant qu'État de résidence. Mais en 2013, le Portugal, alors en pleine crise économique, a engagé une série de contrôles fiscaux à l'encontre d'agents publics et de retraités de la fonction publique française résidant au Portugal. Plus précisément, les contrôles ont visé les personnels des lycées français de Lisbonne et de Porto, soit quelques dizaines de personnes.

Celles-ci se sont alors retrouvées dans une situation difficile, car même après élimination de la double imposition, le barème de l'impôt sur le revenu est sensiblement plus élevé au Portugal qu'en France. De plus, l'administration portugaise peut effectuer des redressements sur cinq ans - contre trois ans en France -, auxquels s'ajoutent le cas échéant des majorations et pénalités.

À la suite de ces contrôles, la France a entamé des démarches auprès du Portugal, qui a accepté de suspendre les procédures et de faire évoluer les règles applicables, pour les mettre en conformité avec les règles de l'OCDE. C'est l'objet de cet avenant, qui prévoit donc un principe d'imposition exclusive à la source des pensions et rémunérations publiques, assortie de deux exceptions.

D'une part, les pensions publiques sont imposables par l'État de résidence si leur bénéficiaire en possède la nationalité - portugaise, en l'espèce. Cette exception est prévue par le modèle de l'OCDE.

D'autre part, les traitements et rémunérations d'activité sont également imposables par le Portugal si le bénéficiaire en possède la nationalité, mais à la condition qu'il ne possède pas la nationalité française. En d'autres termes, la France a obtenu le droit, dérogatoire au modèle de l'OCDE, d'imposer à la source les fonctionnaires actifs binationaux résidant au Portugal.

Certains ont pu s'émouvoir de la différence de traitement entre fonctionnaires actifs et retraités qui résulte de ces dispositions. C'est tout à fait compréhensible. Toutefois, il faut rappeler que ce sont bien les règles plus favorables - pour les actifs - qui sont dérogatoires à la norme de l'OCDE, et non les règles moins favorables - pour les retraités. L'avenant est donc déjà plutôt favorable à la France sur ce point, et une harmonisation complète des règles n'aurait pu se faire qu'au détriment des actifs, et non en faveur des retraités. Ces dispositions ne concernent que très peu de cas, et sont en tout état de cause plus favorables que celles qui s'appliquent aux salariés et retraités du secteur privé, toujours imposés à la résidence. Par conséquent, cet avenant me semble présenter un bon équilibre, et il convient de l'approuver.

Les parties ont également saisi l'occasion de cette négociation pour moderniser les dispositifs de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, sur deux aspects. Premièrement, la mise en conformité de l'article régissant les échanges d'informations (à la demande et automatiques), étant précisé que la France et le Portugal sont déjà soumis à ces dispositions en vertu de leurs engagements multilatéraux et européens. Deuxièmement, l'introduction de deux clauses anti-abus générales, permettant de refuser le bénéfice de la convention fiscale lorsque le bénéficiaire n'est pas le « bénéficiaire effectif », ou lorsqu'il apparaît que l'opération a un objectif « principalement fiscal ». Ces dispositions constituent des améliorations bienvenues à la convention fiscale de 1971, et justifient l'adoption de l'avenant.

Toutefois, une incertitude plane aujourd'hui sur l'ensemble des conventions fiscales signées par la France. Le 7 juin dernier, les représentants de quelque 76 pays ont en effet signé la convention multilatérale de l'OCDE pour la mise en oeuvre des mesures du plan BEPS (Base erosion and profit shifting) de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Comme nous l'a expliqué Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, lors de son audition du 28 juin, cet instrument vise à modifier en une seule fois les dispositions anti-abus de 1 105 conventions bilatérales existantes, dont la convention franco-portugaise.

Or, en l'absence de version consolidée de la convention disponible à ce jour, il est extrêmement difficile de mesurer précisément l'impact de l'instrument multilatéral. Ainsi, la France considère que la convention franco-portugaise de 1971 contient déjà une clause permettant d'éviter le contournement de la notion d'établissement stable telle que décrite à l'article 12 de l'instrument multilatéral, et n'émet aucune réserve sur l'application de cet article. Mais le Portugal, de son côté, se réserve le droit de ne pas l'appliquer dans son intégralité, et ne considère expressément aucune de ses conventions bilatérales comme déjà conformes.

Des divergences de ce type, très techniques, sont susceptibles d'apparaître sur d'autres points, et dans d'autres accords. Il me semble donc indispensable qu'à l'avenir, une convention fiscale ne puisse pas être approuvée par le Parlement sans que celui-ci dispose d'une information claire et exhaustive sur ce que change l'instrument multilatéral. Il incombera le cas échéant au Gouvernement de fournir les informations qui ne seraient pas disponibles via les outils que prépare actuellement l'OCDE.

Pour finir, je souhaiterais évoquer, bien qu'il ne figure pas dans le présent avenant, le statut avantageux des résidents non habituels (RNH). Institué en 2009, il permet aux particuliers qui résident au Portugal plus de 183 jours par an, sans y avoir été résidents au cours des cinq années précédentes, de bénéficier, pendant une période de dix ans, d'une exonération totale d'impôt sur le revenu sur leurs revenus de source étrangère.

Initialement réservé à certains profils à haute valeur ajoutée - médecins, professeurs, artistes, avocats fiscalistes par exemple -, le statut de RNH a été étendu aux retraités du secteur privé à partir de 2013, faisant du Portugal une destination fiscalement très attractive. Cela n'a pas échappé à de nombreux retraités français, bien informés par maints reportages sur le sujet, et trouvant pour les aider une multitude d'intermédiaires et de sociétés de conseil plus ou moins recommandables.

En principe, un tel régime relève de la souveraineté fiscale du Portugal, qui en tant qu'État de résidence peut choisir d'exercer ou non son droit d'imposer. Il existe depuis longtemps un consensus international sur le sujet. Mais, par deux décisions de 2015, le Conseil d'État a jugé que pour se voir reconnaître la qualité de résident fiscal d'un État, il ne fallait pas seulement être imposable dans cet État, mais y être effectivement imposé. Portant en l'espèce sur des fonds de pension allemand et espagnol, exonérés dans leurs pays d'origine, ces décisions pourraient trouver à s'appliquer au cas du Portugal, mais aussi à d'autres États qui offrent des avantages similaires aux retraités, comme par exemple le Maroc.

Il s'agit d'un sujet complexe, dont les conséquences dépassent largement le cadre du Portugal, et qui à mon sens devrait être apprécié au cas par cas. L'enjeu est de concilier deux principes : la lutte contre la concurrence fiscale déloyale d'une part, et le respect de la souveraineté fiscale des États d'autre part.

Ainsi, faudrait-il aller jusqu'à appliquer ce principe aux exonérations accordées par certains États aux familles nombreuses, ou aux foyers aux revenus modestes ? Faut-il mettre sur le même plan la non-imposition d'une multinationale du numérique dans une juridiction complaisante et l'exonération accordée par un pays en développement en échange d'un investissement productif, ou de la construction d'infrastructures dans une zone géographique isolée ? Accepterait-on qu'un autre État remette en cause le choix de la France d'exonérer les organisateurs de Jeux olympiques de 2024 ?

Nous aurons sans doute l'occasion de nous pencher à nouveau sur cette question d'importance. Toutefois, une clarification de la position de l'administration concernant le Portugal serait bienvenue.

À titre personnel, il ne me semblerait pas opportun d'imposer rétroactivement les Français qui ont fait le choix de demander le statut de RNH au Portugal, car ils l'ont fait de bonne foi et en toute conformité les stipulations de la convention fiscale. Au demeurant, la fiscalité n'est peut-être pas toujours leur motivation principale : beaucoup de binationaux figurent parmi ceux qui ont choisi ce statut.

Néanmoins, le statut de RNH constitue une forme de concurrence fiscale offensive, d'ailleurs parfaitement assumée par le Portugal dans un contexte de difficultés économiques. Ce pays a également institué un golden visa accordant aux ressortissants d'un pays n'appartenant pas à l'espace Schengen un visa, un permis de travail et un permis de résidence, en échange d'un investissement immobilier de 500 000 euros.

Le régime des RNH a suscité des réactions de certains partenaires du Portugal. La Finlande ainsi a obtenu la négociation d'une nouvelle convention fiscale, qui met fin à ce statut pour les retraités finlandais qui s'installent au Portugal, et la Suède envisagerait de le faire.

À l'avenir, le maintien d'une imposition à taux zéro pendant dix ans pourrait donc devenir plus difficile à défendre. Il me semble toutefois que des solutions conciliant la souveraineté fiscale des uns et les bases fiscales des autres pourraient être trouvées - par exemple un taux d'imposition réduit, sans pour autant être abusif.

Dans le contexte actuel d'évolution des règles de la fiscalité internationale, la question de la définition de la résidence fiscale ne manquera pas de se poser à nouveau. Reste qu'à ce jour, elle ne relève pas des conventions fiscales, et n'aurait de toute façon pas eu sa place dans le présent avenant que je vous propose donc d'approuver, au vu des avancées importantes qu'il contient.

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