En rapportant les crédits de la mission « Action extérieure de l'État », Éric Doligé et moi avons découvert que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères possédait des Instituts français de recherche à l'étranger (IFRE), qui se consacrent à la recherche en sciences humaines et sociales, placés également depuis 2007 sous la tutelle du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Cela nous a paru étonnant et j'ai souhaité en savoir davantage sur ces instituts, que j'avais pour certains d'entre eux déjà eu l'occasion de visiter, en particulier la Maison franco-japonaise de Tokyo, le Centre d'études français sur la Chine contemporaine de Hong Kong ou bien encore l'Institut français de Pondichéry.
Pour mener à bien ce contrôle budgétaire, j'ai entendu les tutelles des IFRE à Paris et j'ai envoyé à chacun de leurs directeurs un questionnaire commun, auquel une bonne partie d'entre eux ont répondu, souvent de façon très complète. J'ai également souhaité aller à la rencontre de leurs équipes en visitant le Centre Marc-Bloch de Berlin et le Centre de recherche français de Jérusalem.
À la suite de ces différents échanges, j'ai acquis la conviction que les IFRE sont des outils utiles de la diplomatie d'influence française, mais qu'il est indispensable de mieux les valoriser pour qu'ils puissent pleinement jouer leur rôle au service de notre pays.
Le réseau des Instituts français de recherche à l'étranger (IFRE) compte actuellement vingt-sept établissements et huit antennes, répartis dans trente-quatre pays, sur tous les continents. Aucune autre grande puissance scientifique ne possède un réseau de cette nature, même si l'Allemagne développe actuellement des structures qui se rapprochent des IFRE.
Les IFRE sont particulièrement nombreux sur le pourtour de la Méditerranée et au Moyen-Orient, mais on en trouve également dans les autres régions du monde.
Ce réseau est pour l'essentiel un héritage de l'histoire diplomatique et scientifique de la France. Il n'a pas été conçu avec une vision d'ensemble mais résulte de la création très progressive, tout au long du XXe siècle, d'établissements de recherche français à l'étranger.
Certains d'entre eux, souvent les plus anciens, tels que l'Institut français de recherche en Iran (IFRA), la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA) ou l'Institut français d'études anatoliennes (IFEA) ont été créés dans le cadre des missions archéologiques orientales.
Par la suite, plusieurs IFRE ont été créés au moment des indépendances - je pense à l'Institut français de Pondichéry ou bien encore à la Section française des antiquités du Soudan (SFAS), pour développer une coopération scientifique de haut niveau avec les nouveaux États.
Enfin, l'ouverture de plusieurs centres a accompagné les grandes mutations géopolitiques contemporaines.
La création du Centre Marc-Bloch de Berlin (CMB), de l'Institut français d'études sur l'Asie centrale (IFEAC) ou du Centre d'études franco-russe (CEFR) ont visé notamment à mieux connaître les ex-pays du bloc de l'Est et à développer une coopération scientifique étroite avec eux, dans le contexte de la chute du mur de Berlin et de la disparition de l'URSS.
En 2016, l'ensemble du réseau des Instituts français de recherche à l'étranger (IFRE) ne rassemblait que 144 chercheurs et 244 doctorants ou post-doctorants. La plupart des IFRE possèdent donc une taille modeste, voire très modeste.
Le Centre d'études mexicaines et centraméricaines (CEMCA) ne rassemble ainsi que six chercheurs statutaires, une quinzaine de chercheurs associés (non présents sur place), quatre doctorants et onze agents administratifs de droit local.
À l'inverse, quelques centres, minoritaires, se distinguent par une taille plus importante.
Le Centre Marc-Bloch de Berlin, rassemble ainsi vingt chercheurs statutaires, trois chercheurs affiliés, cinquante-sept chercheurs associés, sept doctorants financés par le CMB et cinquante-trois doctorants rattachés (non financés par le CMB).
Les IFRE mènent des travaux de recherche dont les objets varient beaucoup d'un centre à l'autre, mais de grandes tendances se dégagent.
Comme je vous l'ai dit, beaucoup d'entre eux sont issus d'anciennes missions archéologiques, ce qui explique que l'archéologie continue à occuper une place essentielle dans les programmes de recherche de onze d'entre eux et soit même l'objet d'étude exclusif de deux IFRE.
Tous les autres se consacrent aux sciences humaines et sociales : histoire, ancienne comme contemporaine, relations internationales, anthropologie, sociologie, démographie, sciences politiques, etc. La présence au sein des IFRE de chercheurs issus de ces multiples domaines fait d'ailleurs de l'interdisciplinarité en matière de recherche une des caractéristiques essentielles de ce réseau.
L'Institut français de Pondichéry, dispose enfin, cas unique, d'un département de sciences « dures » consacré aux questions d'écologie et de gestion de l'eau.
Durant la préparation de ce rapport, j'ai été frappé par la coexistence du réseau des IFRE et de celui des six Écoles françaises à l'étranger - École française de Rome, École française d'Athènes, etc. - placées sous la tutelle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, spécialisées elles aussi en sciences humaines et sociales et en archéologie. Le fait que ces deux réseaux demeurent distincts alors qu'ils ont tant en commun me semble poser un problème de cohérence. C'est pourquoi je plaide pour qu'une réflexion interministérielle soit menée afin d'évaluer la pertinence d'une inclusion dans le réseau des IFRE de ces six Écoles.
Les missions des IFRE leur confèrent un statut très particulier au sein du réseau diplomatique français, puisqu'ils doivent mener des travaux de recherche en sciences humaines et sociales et former des doctorants et post-doctorants à la recherche par la recherche, ce qui est peu courant au sein des organismes chapeautés par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Depuis 2007, le CNRS assure leur cotutelle, en vertu d'une convention-cadre signée avec le ministère en 2012 et qui fera l'objet d'un renouvellement cette année. D'après tous les témoignages que j'ai pu recueillir, cette implication du CNRS dans le réseau des IFRE depuis dix ans est unanimement saluée.
Mais ce qui fait toute l'originalité des IFRE par rapport aux autres unités de recherche du CNRS est précisément leur participation à la diplomatie d'influence de la France, c'est-à-dire à la promotion de notre pays et à la défense de ses intérêts économiques, linguistiques et culturels.
Les IFRE sont en effet un acteur central de la diplomatie scientifique de la France, dont la feuille de route a été dressée par un rapport du Quai d'Orsay de juin 2013, et qui vise à utiliser la coopération scientifique pour aider à établir des liens et renforcer les relations entre les sociétés de deux pays, plus particulièrement leurs communautés scientifiques et leurs élites.
Si la place des IFRE dans leur pays d'accueil varie suivant leur taille et le contexte local, j'ai pu constater qu'ils étaient tous bien implantés et participaient activement au rayonnement scientifique de la France, même si, comme je vous l'expliquerai dans quelques instants, leur potentiel demeure sous-exploité.
Le statut administratif des IFRE est un peu complexe, puisqu'ils abritent à la fois un établissement à autonomie financière (EAF) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et une unité de service et de recherche (USR) du CNRS. Ce double statut implique des lourdeurs en termes de gestion administrative (double budget, double comptabilité) mais, bon an mal an, les équipes des IFRE semblent s'en accommoder, dans la mesure où la dualité des règles qui les régissent leur permet de faire face avec une certaine souplesse à toutes les situations qui se présentent à elles.
Même si j'ai été frappé par la débauche d'énergie administrative que nécessite la gestion des IFRE, pour des sommes parfois dérisoires, l'urgence ne me semble pas être à la création d'un statut juridique unique qui risquerait de créer plus de difficultés qu'il n'apporterait de solutions, mais à la clarification juridique du statut des établissements à autonomie financière (EAF) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui concerne également le réseau des Instituts français.
De fait, de nombreux rapports parlementaires et des rapports de la Cour des comptes ont mis en évidence son incompatibilité avec la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en raison du non-respect des principes d'unité et d'universalité budgétaire. Il est temps à présent que le ministère se mette d'accord avec la direction du budget pour assurer la pérennité des EAF, en résolvant ce problème juridique.
En 2016, la dotation budgétaire du ministère de l'Europe et des affaires étrangères consacrée aux IFRE a représenté une somme de 4,79 millions d'euros en exécution (AE=CP), soit une diminution de 5 % des crédits par rapports au montant voté en loi de finances initiale (5,05 millions d'euros). La somme votée pour 2017 est de 4,80 millions d'euros. Elle s'impute sur les crédits de l'action 04 « Attractivité et recherche » du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État ».
Cette dotation, qui représente environ 180 000 euros par institut, est destinée, selon les documents annexés au projet de loi de finances pour 2017, à financer des dépenses de fonctionnement, hors programme de recherche, des vingt-sept IFRE.
Le CNRS, pour sa part, a consacré aux IFRE en 2016 une subvention de fonctionnement de 846 000 euros.
Au total, les financements publics en faveur des IFRE, hors masse salariale, se sont donc limités à 5,64 millions d'euros en 2016, soit un montant de 209 000 euros par IFRE en moyenne.
En ce qui concerne la masse salariale, je ne dispose malheureusement pas du montant des traitements versés par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Je peux en revanche vous dire que le CNRS versait en 2016 8,2 millions d'euros de traitements bruts à l'ensemble de ses personnels en poste dans les IFRE.
Au total, les sommes que j'évoque apparaissent très modeste au regard de l'envergure du réseau des IFRE et de son rôle dans la recherche et la diplomatie scientifique de notre pays.
De mon point de vue, le « retour sur investissement » des IFRE en termes de recherche sur les grandes aires culturelles et d'influence scientifique, ne fait donc guère de doutes.
Parallèlement, les IFRE sont parvenus à obtenir 4,8 millions d'euros de ressources propres hors dotations du ministère des affaires étrangères et du CNRS en 2016, soit près de la moitié de leurs ressources dédiées au financement de leurs dépenses de fonctionnement.
Alors que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères fait l'objet depuis de nombreuses années d'une diminution régulière de ses crédits, et que, de l'avis général, le CNRS devrait avoir le plus grand mal à s'engager davantage financièrement en faveur des IFRE, leur bon fonctionnement et, a fortiori, leur développement, reposera donc à l'avenir sur le dynamisme de leurs ressources propres.
Celles-ci peuvent être de plusieurs natures.
Les IFRE peuvent tout d'abord obtenir des subventions de la part des autorités ou des institutions universitaires et de recherche de leur pays d'accueil, à l'instar du ministère fédéral allemand de l'éducation et de la recherche (BMBF) qui contribue depuis 2001 au financement du Centre Marc-Bloch de Berlin.
Ils peuvent également bénéficier du mécénat de fondations privées, comme le Centre de recherche français de Jérusalem (CRFJ), qui a bénéficié de 2013 à 2015 d'une subvention de 210 000 euros de la fondation Bettencourt Schueller pour financer des mobilités étudiantes. Ce recours au mécénat doit être développé et encouragé avec vigueur par les tutelles des IFRE.
Enfin, un enjeu très important pour les IFRE est également d'essayer d'obtenir des financements en répondant aux appels à projets internes au CNRS, mais également à ceux de l'Agence nationale de la recherche (ANR) et du Conseil européen de la recherche (ERC), le succès obtenu à ces appels à projets très sélectifs étant par ailleurs une reconnaissance de l'excellence scientifique d'un projet.
J'en viens à présent à la nécessité de faire des IFRE un outil mieux identifié et plus efficace de la diplomatie scientifique française.
Même si les interactions des directeurs et chercheurs des IFRE avec le reste du dispositif diplomatique français de leur pays d'accueil sont dans l'ensemble plutôt satisfaisantes, je crois néanmoins qu'il serait possible d'associer encore davantage les IFRE à la prise de décision publique, eux qui travaillent sur des thématiques d'une brûlante actualité pour les pouvoirs publics, tels que les migrations, les radicalisations, la préservation du patrimoine en danger ou bien encore l'urbanisme.
À l'échelon local, les services des ambassades se doivent d'avoir systématiquement recours aux analyses des chercheurs des IFRE pour améliorer leur compréhension des grandes problématiques de leurs pays de résidence.
À l'échelon central, le Centre d'analyse et de prospective du Quai d'Orsay doit jouer un rôle d'intermédiaire opérationnel entre les chercheurs des IFRE et les directions régionales, mais également à l'intention du cabinet du ministre, afin que l'immense potentiel de savoirs et de connaissance développé par la recherche ne demeure pas trop souvent sous-exploité.
Deuxième axe de travail : une véritable mise en réseau des IFRE, dont beaucoup demeurent trop isolés et ne bénéficient pas assez des multiples opportunités susceptibles d'être offertes par un véritable travail en commun.
Si des initiatives ponctuelles existent déjà, c'est à tous les niveaux administratifs que la mise en réseau des IFRE doit être stimulée : les tutelles doivent régulièrement organiser à Paris des réunions des directeurs et ceux-ci devraient voir figurer dans leurs lettres de mission, parmi leurs objectifs, celui de développer des partenariats avec d'autres IFRE, a minima au niveau régional, mais également dans une perspective plus large, dans la mesure où de nombreuses problématiques, du réchauffement climatique aux migrations en passant par le terrorisme islamiste concernent tous les continents.
Troisième objectif : le développement de partenariats les plus étroits possibles avec les établissements universitaires et scientifiques de leurs pays d'accueil, portant sur la mise en place de projets de recherche scientifique communs, sur la formation des jeunes chercheurs locaux, sur l'organisation de colloques ou bien encore de séminaires d'enseignement.
Un exemple de ce type d'insertion dans la société du pays d'accueil est sans doute le Centre Marc-Bloch de Berlin, que j'ai visité dans le cadre de la préparation de ce rapport. Depuis 2015, celui-ci abrite un gemeinütziger Verein, une association reconnue d'utilité publique de droit allemand. À ce titre, il reçoit des financements allemands et accueille chercheurs et étudiants allemands.
C'est pourquoi je plaide pour que le modèle du Centre Marc-Bloch représente un objectif pour chacun des IFRE susceptible de devenir une institution partagée avec le pays d'accueil, pour peu naturellement que celui-ci contribue financièrement à son fonctionnement et garantisse une entière liberté et une absence totale de contrôle politique sur les recherche qui y seront menées.
Quatrième axe de travail : améliorer la communication des IFRE. Celle-ci, à laquelle contribue la Fondation Maison des sciences de l'homme, a marqué d'importants progrès ces dernières années avec la mise en ligne d'un nouveau portail internet dédié aux IFRE en 2015, une présence plus affirmée sur les réseaux sociaux et la création d'une publication commune, intitulée « Les cahiers des IFRE ».
Mais la communication locale des IFRE reste très insuffisante et surtout, leur nom, qui prête à confusion puisqu'il ressemble à celui des Instituts français, constitue un réel handicap en termes de visibilité.
Il me paraît donc indispensable de rebaptiser le réseau des IFRE, de préciser les obligations qui pèsent sur eux en matière de communication et d'étudier la mise en place d'une gestion mutualisée de celle-ci.
Dernier grand chantier, enfin : donner une place plus importante aux IFRE dans le champ de la recherche française en sciences humaines et sociales.
En effet, les IFRE demeurent trop peu connus des communautés universitaires et de recherche.
De fait, seuls deux IFRE à ce jour ont mis en place de véritables partenariats, dans la durée, avec des universités, des communautés d'universités et d'établissements (COMUE) ou des organismes de recherche français.
Le fait qu'un réseau de vingt-sept instituts de recherche ne dispose que de deux accords de partenariat avec des institutions de recherche français est très décevant : le développement de ce type de partenariats, sources d'échanges scientifiques, de mouvements de chercheurs et d'apports de financements complémentaires, doit devenir une priorité pour les directeurs des IFRE et pour leurs tutelles.
De façon générale, il est essentiel que tant le ministère de l'Europe et des affaires étrangères que le CNRS veillent à mieux valoriser les IFRE auprès de l'ensemble des établissements de recherche français, en mettant en exergue le fait qu'ils peuvent offrir à leurs étudiants comme à leurs chercheurs un accès au terrain et un encadrement de très grande qualité.
Pour finir, je souhaitais souligner devant vous que les IFRE font un travail remarquable et qu'ils constituent un formidable lieu de formation pour nos jeunes chercheurs. C'est donc un réseau qu'il faut maintenir et soutenir.