Intervention de Muriel Pénicaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 18 juillet 2017 à 17h00
Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social — Audition de Mme Muriel Pénicaud ministre du travail

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Je suis heureuse de vous présenter la méthode et le contenu de la réforme que nous entreprenons. Conformément à l'engagement de campagne du Président de la République, le Gouvernement a choisi d'aller vite, tant est forte l'attente de nos concitoyens pour une transformation de nos règles. Le code du travail vise des sujets structurants, la réforme aura des effets de long terme, en profondeur, ce qui n'enlève rien à son urgence.

Notre objectif, c'est de libérer la dynamique de création d'emplois, tout en confortant les protections des salariés, réformées pour correspondre au monde d'aujourd'hui et de demain. Nous recourons aux ordonnances parce qu'elles articulent la démocratie politique, avec le débat au Parlement sur les projets de loi d'habilitation puis de ratification - et la démocratie sociale, ce qui est bien le moins pour une loi dont l'objet est de renforcer la démocratie sociale : c'est le sens de la concertation que nous menons avec les partenaires sociaux. Les ordonnances sont ainsi co-construites avec les partenaires sociaux et le Parlement.

Le Président de la République a reçu les trois organisations patronales et les cinq organisations syndicales, puis le Premier ministre et moi-même les avons reçues à notre tour, puis je les ai reçues chacune à deux reprises sur les trois grands sujets que nous avons identifiés - soit 48 réunions depuis le 9 juin et jusqu'au 21 juillet ; cette méthode nous fait aller au fond, examiner les idées nouvelles, les convergences possibles ; à la fin de ce cycle, je rendrai compte de l'ensemble à chaque responsable des huit organisations concernées. Il y a, également, le temps du débat au Parlement, à l'Assemblée nationale et au Sénat, sur la loi d'habilitation. Puis notre objectif sera de rédiger les ordonnances pour fin août, de les transmettre et de les publier avant la fin de l'été, soit le 21 septembre prochain - ce pourrait être lors du conseil des ministres du 20 septembre. Les ordonnances sont d'application immédiate mais nous reviendrons au Parlement pour leur donner force de loi, grâce à la ratification.

Le débat parlementaire est partie prenante. Le projet de loi d'habilitation s'est enrichi de 45 amendements à l'Assemblée nationale, sur 424 proposés, ils sont venus de nombreux bancs ; nous savons combien vous avez travaillé en profondeur sur la réforme du code du travail ces dernières années : vos éclairages sont précieux, notre état d'esprit est d'en tenir tout à fait compte.

Pourquoi rénover le dialogue social dans notre pays ? Nous n'entendons pas toucher à notre modèle social, à ses valeurs profondes qui fondent la société française, mais prendre en compte le fait que la loi a surchargé de détails le dialogue social, au point de le freiner ; la réponse consiste à définir les principes qui fondent le socle à quoi nous tenons, et à ouvrir davantage le dialogue social. De fait, notre code du travail et nos pratiques de dialogue social prennent insuffisamment en compte l'internationalisation de l'économie et les mutations du travail qui sont devant nous - l'OCDE estime par exemple que, dans les dix ans à venir, la robotisation et la numérisation auront détruit un emploi d'aujourd'hui sur dix et transformé profondément un sur deux, tout en ne créant qu'un dixième des emplois d'aujourd'hui. Dès lors, soit on subit cette transformation, avec d'énormes problèmes d'adaptation, soit on l'anticipe en définissant un cadre, pour que notre pays appréhende le futur avec confiance - et la France a tous les atouts pour le faire, technologiques en particulier.

Ensuite, les aspirations des salariés ont évolué, c'est un fait générationnel mais qui touche l'ensemble des salariés : ils demandent à être davantage partie prenante sur leur formation, sur leur évolution professionnelle, sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, nous voulons en tenir compte.

Sur le fond, notre objectif c'est plus de liberté pour les entreprises afin de libérer leur potentiel de création d'emploi quand la croissance reprend, en particulier les TPE et PME, plus de liberté également pour les salariés, mais aussi une protection et une sécurité juridique mieux établies pour les salariés comme pour les entreprises, en particulier parce que nous aurons mis fin à l'insécurité juridique qui est un frein à l'embauche et qui fragilise les perspectives des salariés.

La réforme est un ensemble qui comprend six volets, sur lesquels nous voulons aboutir dans les prochains dix-huit mois.

Premier volet, la refonte du code du travail, c'est l'objet des ordonnances dont je vous présente la loi d'habilitation.

Deuxième volet, l'élargissement de l'assurance chômage, pour que le filet de sécurité qu'il représente bénéficie également aux indépendants et, sous certaines conditions, aux démissionnaires. Aujourd'hui, les protections sont liées aux statuts, ce qui était pertinent quand on avait un emploi à vie ; dès lors que cette forme d'emploi devient marginale, le système de protection par statut laisse de côté de plus en plus de nos concitoyens, dans les trous du filet. Mieux vaut, alors, une protection à la personne et des droits transportables, comme vous l'avez fait avec le compte personnalisé de formation.

Troisième volet, la formation professionnelle. Des réformes ont été prises dans la bonne direction, il faut aller plus loin.

Quatrième sujet, l'apprentissage : nous peinons à atteindre quatre cent mille jeunes apprentis, alors que c'est une voie primordiale pour la professionnalisation, il faut la développer.

Cinquième sujet, la réforme des retraites, que je ne vous présente pas ici.

Sixième sujet, le pouvoir d'achat, c'est en particulier le sens de la suppression des cotisations salariales pour le chômage et la maladie.

Ces six domaines d'action visent, ensemble, à libérer l'initiative économique, donc la création d'emplois, à sécuriser les parcours professionnels adaptés au monde d'aujourd'hui et de demain plutôt qu'attachés à celui d'hier.

Ce projet de loi comprend lui-même trois volets.

Premièrement, il clarifie le rôle de la loi, de la branche professionnelle et de l'entreprise dans le dialogue social, en y renforçant la branche et l'entreprise. L'agilité économique et le progrès social exigent d'être au plus près de l'échelon pertinent, les textes généraux ne peuvent régler les choses dans leur détail, il faut donner plus d'espace au dialogue social et économique : c'est le fil rouge de ce texte. Nous voulons clarifier et étendre le champ des responsabilités des branches professionnelles et des entreprises ; nous sommes parvenus à un accord sur ce point, la répartition est claire, elle va dans le sens de la confiance aux acteurs et de la dynamisation de l'entreprise.

Deuxième bloc, nous voulons réformer le dialogue social dans l'entreprise, avec la fusion des instances d'information-consultation et la recherche d'une solution pour le dialogue social dans les petites entreprises. Actuellement, notre pays compte, et c'est une exception, quatre modes de représentation des salariés, dont trois sont d'information et de consultation, et un de négociation; ce système est complexe, il occasionne des doublons et il sépare artificiellement le dialogue entre la stratégie d'un côté, les questions de santé et de travail d'un autre, et les problèmes du quotidien d'un autre côté encore. La fusion des trois instances d'information et de consultation permettra de débattre de l'articulation entre les questions économiques et sociales, d'avoir une vue d'ensemble - à condition, et nous voulons le garantir, de ne perdre aucune compétence dans la fusion, en particulier celles du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). En revanche, nous considérons qu'il n'est pas pertinent de fusionner ces trois instances avec celle de négociation proprement dite - ce qui n'interdira pas à certaines entreprises volontaires, avec accord majoritaire, d'expérimenter une telle fusion qui a cours dans les pays d'Europe du Nord, je suis convaincue que des entreprises s'y attèleront.

Dans le même bloc, se trouve le sujet de la représentation des salariés dans les petites entreprises, en particulier celles de moins de 50 salariés. Nous savons que sous ce seuil, où travaillent 55 % des salariés, seulement 4 % des entreprises disposent de délégués syndicaux ou de représentants du personnels mandatés par une organisation syndicale - ce qui revient à dire, et l'on ne peut s'en satisfaire que, pour la moitié des salariés, le dialogue social ne peut aboutir à des accords d'entreprise, alors qu'on a particulièrement besoin de souplesse dans ces entreprises. Sur ce sujet, diverses propositions sont formulées, vous y avez travaillé depuis plusieurs années, un débat public est nécessaire. Le dialogue social avec les organisations syndicales est une priorité, la France leur reconnaît un monopole en la matière, c'est notre loi, notre culture - et c'est aussi notre vision. Cependant, on ne peut se satisfaire de ce que 96 % des entreprises de moins de 50 salariés n'aient pas accès au dialogue social formalisé ; nous recherchons des solutions.

Troisième volet, la sécurisation juridique, où plusieurs sujets concernent les PME et TPE. Sur les dommages et intérêt prud'homaux, d'abord, il ne s'agit pas de modifier les indemnités légales et conventionnelles de licenciement mais d'établir un barème, assorti d'un plafond, qui serve de référence. Aujourd'hui, le montant des dommages et intérêts prud'homaux varie du simple au quadruple, c'est une source de préoccupation pour les entreprises mais aussi pour les salariés, qui y voient de l'injustice - c'est aussi une question d'équité. Le sujet tient aussi aux délais de recours et à l'importance prise par la procédure, par la forme, qui en est venue à prévaloir sur le fond : nous connaissons tous des exemples d'entreprises condamnées à des dommages et intérêts au seul motif qu'une lettre de licenciement était mal rédigée, avec des conséquences pécuniaires importantes et, plus durablement, une réticence à toute embauche... Notre but, comme cela s'est passé avec le renforcement de la médiation, c'est de renforcer l'amont de la négociation - nous le faisons aussi en augmentant les indemnités légales de licenciement, qui sont parmi les plus basses dans les pays d'Europe.

Quatrième volet, le télétravail : 18 % des salariés y recourent en général un jour par semaine, la demande de la société est très forte puisque 59 % des salariés - et 71 % des cadres - souhaiteraient y recourir pour mieux s'occuper d'un proche, pour s'épargner des temps de transport mais le défaut de cadre juridique sécurisé les freine, il faut avancer sur ce dossier.

Qu'il s'agisse donc de renforcer la place de la branche professionnelle et de l'entreprise dans les négociations sociales, de fusionner les instances représentatives du personnel, de réformer les indemnités prud'homales et d'instaurer un cadre sûr pour le télétravail, notre objectif est le même : envoyer un signal fort aux entreprises pour qu'elles osent davantage l'embauche et aux salariés pour qu'ils voient leur parcours professionnel sécurisé, dans les conditions actuelles du travail.

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