Notre commission effectue aujourd'hui sa rentrée législative avec un texte qui habilite le Gouvernement à modifier par ordonnances plusieurs aspects structurants du code du travail. Qu'il s'agisse de l'articulation entre la loi, la négociation collective et le contrat de travail, des institutions représentatives du personnel (IRP), des règles de licenciement ou encore du compte personnel de prévention de la pénibilité, le champ de ce projet de loi est extrêmement vaste et touche à des domaines qui sont parmi les plus techniques de notre droit social.
Compte tenu des contraintes de calendrier inhérentes à cette session extraordinaire, il aurait été préférable de limiter ce texte aux sujets les plus importants et urgents. Dans les délais extrêmement resserrés qui nous sont imposés, nous devons nous prononcer sur des habilitations touchant à près d'une quarantaine d'aspects de la législation du travail, dont certains auraient pu être traités ultérieurement.
Je souhaite qu'à l'avenir, comme l'a très justement demandé le Président de la République devant le Congrès le 3 juillet dernier, le Parlement dispose du temps nécessaire pour concevoir, discuter et voter la loi.
Pour autant, nous ne pouvons qu'approuver la philosophie de ce texte. Je soutiens résolument la volonté du Gouvernement de libérer les entreprises des contraintes juridiques qui entravent leur développement au détriment de l'emploi et de restaurer la compétitivité et l'attractivité de notre économie.
J'observe avec satisfaction que le projet de loi s'inscrit dans la continuité des travaux du Sénat réalisés depuis 2015 et reprend un très grand nombre de nos propositions. Rationalisation des IRP, harmonisation juridique des accords de flexisécurité, simplification du compte personnel de prévention de la pénibilité ou encore création du barème obligatoire prud'homal : autant de thématiques sur lesquelles le précédent gouvernement nous avait opposé une fin de non-recevoir. Que de temps perdu depuis deux ans ! Sur certains points - par exemple, l'article 7 - le Gouvernement nous donne même raison face à la précédente majorité.
Je m'interroge sur la méthode : le Gouvernement nous demande de l'habiliter à prendre des ordonnances, qui ne sont que des contenants, alors même que la définition de leur contenu est loin d'être arrêtée. La concertation avec les partenaires sociaux devrait en effet se poursuivre jusqu'à la veille de la publication des ordonnances, annoncée pour la fin du mois de septembre. Les dispositions qu'entend arrêter le Gouvernement restent dans l'ensemble très floues, en dépit des deux bilans d'étape sur l'évolution de la concertation publiés récemment par le ministère. Après avoir traité de thèmes relativement consensuels, la concertation sociale a abordé des sujets sur lesquels les positions des partenaires sociaux apparaissent difficilement conciliables, comme la réforme des IRP ou celle du licenciement économique. Le Gouvernement a jusqu'à présent refusé d'abattre ses cartes : ce peut être un choix stratégique... ou un signe d'hésitation.
Notre assemblée est convaincue que la réussite d'une réforme en droit du travail dépend de la qualité du dialogue social qui l'a précédée. Depuis 2007 et la création par Gérard Larcher de la concertation préalable des partenaires sociaux, procédure inscrite à l'article L. 1 du code du travail, aucune réforme d'envergure n'a été conduite sans qu'ils soient saisis, même s'ils ont parfois refusé d'ouvrir une négociation.
Le Gouvernement n'a pas rompu avec cette tradition, comme l'a reconnu le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi. Je déplore néanmoins les délais très courts imposés aux partenaires sociaux, le choix du Gouvernement de ne pas formuler des propositions concrètes qui leur auraient permis de réagir ainsi que l'absence de réunions multilatérales pour confronter tous leurs points de vue.
Comme souvent, le temps de la démocratie sociale ne correspond pas à celui de la démocratie parlementaire, et leur articulation reste perfectible. Il est, pour nous parlementaires, malaisé de nous dessaisir de l'élaboration d'une réforme dont le contenu précis sera défini après notre vote par le Gouvernement et les partenaires sociaux.
Ce projet de loi d'habilitation compte dix articles. L'article 1er donne une place centrale à l'accord d'entreprise dans l'organisation des relations individuelles et collectives de travail, approfondissant ainsi la dynamique de la loi « Travail », tout en sanctuarisant le rôle régulateur de la branche. L'accord d'entreprise primerait sur toute autre norme conventionnelle, sauf dans les matières réservées par la loi à l'accord de branche ou dans celles, limitativement énumérées par la loi, que les partenaires sociaux de la branche décideraient de ne pas déléguer en les verrouillant.
Cet article prévoit également la suppression de la commission de refondation du code du travail, créée par la loi « El Khomri » et qui n'a jamais vu le jour. Le Gouvernement envisage donc de se dispenser d'une expertise extérieure pour appliquer cette nouvelle architecture à l'ensemble du code du travail et plus seulement aux rémunérations et aux conditions de travail, comme initialement envisagé.
Le texte harmonise et simplifie les conditions de recours aux accords de flexisécurité, à l'instar des accords de maintien de l'emploi (AME) de 2013 et des accords de préservation et de développement de l'emploi (APDE) de 2016. De manière plus large, il pourrait autoriser la création d'un régime juridique unique de la rupture du contrat de travail d'un salarié refusant l'application d'un accord collectif.
Dans le même sens, il donne une plus grande stabilité aux accords d'entreprise en cas de contentieux, en autorisant le juge à moduler dans le temps les effets d'une éventuelle annulation et à encourager le recours à la consultation des salariés pour valider un accord d'entreprise, sans toutefois à ce stade autoriser l'employeur à prendre l'initiative d'y recourir.
Enfin, l'article 1er modifie en profondeur les règles du mandatement syndical afin de faciliter la conclusion d'accords dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical.
L'article 2 pose les jalons de la plus profonde réforme de la représentation des salariés dans l'entreprise depuis trente ans. Il prévoit en effet une indispensable rationalisation. Je vous rappelle qu'aujourd'hui peuvent cohabiter dans les entreprises d'au moins cinquante salariés les délégués du personnel (DP), chargés de faire part à l'employeur des réclamations individuelles et collectives des salariés ; le comité d'entreprise (CE), qui doit être régulièrement informé et consulté sur la marche de l'entreprise ; et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), dont la mission est notamment de prévenir les atteintes à la santé et à la sécurité des salariés.
L'article 2 habilite le Gouvernement à procéder à leur fusion en une instance unique. Cette mesure de simplification est souhaitée par nombre d'employeurs et même par de nombreux salariés, conscients du caractère illisible du système actuel. De nombreux points restent toutefois à préciser, notamment sur les moyens de cette nouvelle instance. Il conviendra de garantir sa capacité à ester en justice ainsi que la reprise intégrale des missions du CHSCT. En même temps, cette réforme n'aura du sens que si elle s'accompagne d'une plus grande efficience dans le fonctionnement de la représentation du personnel en entreprise.
Une incertitude existe sur l'intégration du délégué syndical (DS) dans cette instance unique. Contrairement aux IRP, le DS est chargé de défendre face à l'employeur des revendications, et non des réclamations, au nom des salariés. Surtout, il dispose du monopole de négociation des accords d'entreprise. Le transfert de cette compétence à l'instance unique, qui reste facultatif selon le projet de loi, marquerait une évolution majeure dans l'organisation du dialogue social dans l'entreprise. Elle est souhaitable mais ses conséquences juridiques n'ont sans doute pas toutes été clairement identifiées à ce jour.
L'article 2 promeut également le développement du chèque syndical qui donne la liberté aux salariés de financer le syndicat de leur choix grâce à des bons fournis par leur employeur. Les expériences menées jusqu'à présent, notamment chez Axa, ont produit des résultats mitigés. L'objectif affiché d'augmenter le taux d'adhésion syndicale n'aurait pas été atteint et un salarié sur deux seulement utiliserait cet outil.
Le Gouvernement veut renforcer le rôle des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) qui représentent les salariés et les employeurs des TPE. Les députés ont préféré « redéfinir leurs missions ». Ces commissions, instituées par la loi « Rebsamen » contre l'avis du Sénat, ont été mises en place au 1er juillet dernier. N'est-il pas prématuré de les faire évoluer ?
L'article 3 instaure tout d'abord un référentiel obligatoire pour définir les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce référentiel avait été adopté dans le cadre de la loi « Croissance et activité » de 2015 sans susciter de polémique, avant que le Conseil constitutionnel ne le censure - tout en validant son principe. Il ne remet pas en cause les règles spécifiques applicables aux licenciements entachés par des actes de harcèlement ou de discrimination. Il est très attendu par les TPE et PME pour lesquelles la très grande hétérogénéité et l'imprévisibilité des jugements prononcés par les conseils de prud'hommes sont incompréhensibles et parfois préjudiciables à leur développement.
Ces mêmes employeurs sont parfois condamnés pour des irrégularités de pure forme dans la procédure de licenciement. L'article résout ce problème en faisant primer le fond sur la forme et en ouvrant la voie à une régularisation en cours de procédure contentieuse.
L'article 3 autorise également le Gouvernement à définir le périmètre géographique et le secteur d'activité dans lesquels doit être appréciée la cause économique d'un licenciement prononcé par une entreprise appartenant à un groupe international. En l'absence de définition légale, il est revenu au seul juge judiciaire de déterminer le niveau pertinent. Il s'agit le plus souvent, d'après une jurisprudence constante de la Cour de cassation, du niveau européen - voire mondial dans certaines affaires. Cette approche n'est pas partagée par la majorité de nos voisins et méconnaît la réalité économique.
Cet article encourage aussi le développement de certaines formes particulières d'emploi. Les accords de branche pourront ainsi adapter les règles de recours au CDD, à l'intérim et au « CDI de chantier ». Le développement du télétravail est encouragé, tout comme le prêt de main d'oeuvre entre de grands groupes et des start up.
Le Gouvernement entend également renforcer la conciliation prud'homale. Je crains que ce souhait n'ait pas plus d'effets que les mesures prises depuis 2013. Seule une réforme globale et ambitieuse des conseils de prud'hommes pourrait corriger les graves dysfonctionnements, liés notamment à un manque criant de moyens et de formation, qui pénalisent employeurs comme salariés.
Les députés ont adopté un amendement du Gouvernement prolongeant de trois mois le mandat des conseillers prud'hommes sortants, qui arrive à expiration le 1er janvier prochain, afin qu'ils puissent juger les dernières affaires dont ils auront eu à connaître.
L'article 4, très technique, adapte les règles d'extension et d'élargissement des accords de branche.
L'article 5 constitue le socle de la réforme à venir du compte personnel de prévention de la pénibilité que le Sénat n'a eu de cesse d'appeler de ses voeux. Le Premier ministre en a récemment présenté les grandes lignes et vous avez sous les yeux la lettre qu'il a adressée sur ce point aux partenaires sociaux. Les quatre critères de pénibilité les plus difficiles à mesurer - manutention manuelle de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques et agents chimiques dangereux - ouvriront droit à un départ anticipé à la retraite, après examen médical, en cas de maladie professionnelle ayant conduit à un taux d'incapacité d'au moins 10 %. Leur suivi annuel n'aura plus à être réalisé par l'employeur. Par ailleurs, le financement de ce dispositif sera désormais assuré par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) : nous en débattrons sans doute lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le Gouvernement pourra procéder à la mise en cohérence du code du travail pour tenir compte des différentes lois adoptées depuis 2015 en application de l'article 6. L'article 7 proroge d'un an la période transitoire dont disposent certains commerces pour s'adapter à la réforme du zonage dérogatoire en matière de repos dominical. L'article 8 fixe à trois mois à compter de la publication des ordonnances le délai de dépôt de leurs projets de loi de ratification. L'article 8 bis, inséré en séance publique à l'Assemblée nationale, est une demande de rapport, dans un délai de dix-huit mois, sur les effets des ordonnances - on sait ce qu'il en sera... Enfin, l'article 9 autorise le report d'un an de la mise en place du prélèvement à la source. Notre commission en a délégué l'examen au fond à la commission des finances.
Le périmètre et les implications de ces réformes sont comparables à ceux de la loi « Travail » qui nous avait mobilisés l'an dernier pendant deux semaines entières dans l'hémicycle. Nous n'en sommes certes qu'au stade de l'habilitation mais les délais et les conditions d'examen de ce texte ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Ce texte place sur un pied d'égalité des réformes structurelles ou techniques urgentes, d'autres tout aussi importantes mais moins urgentes ainsi que différentes mesures plus secondaires qui auraient eu davantage leur place dans un projet de loi ordinaire ultérieur. Le Gouvernement fait le pari qu'il pourra publier toutes les ordonnances dans un délai de six mois à compter de la promulgation de cette loi, à l'exception de celles de coordination prévues à l'article 6 pour lesquelles le délai est de douze mois.
Sans remettre en cause son équilibre général, je souhaite renforcer l'ambition de ce texte en poursuivant trois objectifs : développer la compétitivité et l'attractivité de l'économie ; tenir compte des spécificités des petites entreprises ; rationaliser notre droit du travail au profit des salariés et des employeurs. C'est l'objet des amendements que je vous présenterai.
Même si je n'appartiens pas à la majorité présidentielle, je souhaite sincèrement le succès de cette réforme qui peut moderniser le modèle social français en levant les trop nombreux freins qui pèsent sur l'emploi. Nous habiliterons la semaine prochaine le Gouvernement à transformer notre droit social. J'espère qu'il sera à la hauteur des attentes du Sénat : nous en jugerons lors de l'examen des projets de loi de ratification.