Cette absence de vision stratégique de l'État se retrouve en effet à la fois dans le domaine budgétaire, dans celui de l'architecture du système d'information de l'assurance vieillesse et au niveau de l'organisation du système de retraite.
Dans le domaine budgétaire tout d'abord, les priorités d'investissement de l'interrégimes, identifiées dans le COP du GIP, ne sont presque pas abordées dans les conventions d'objectifs et de gestion (COG) des régimes. Ainsi, la COG de la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole signée en septembre 2016, soit un an et demi après le COP du GIP, n'évoque que très indirectement et partiellement les projets de l'interrégimes de retraite. De plus, les participations financières des régimes au GIP sont contenues dans des enveloppes limitatives alors même qu'elles recouvrent également des dépenses d'investissement par nature évolutives. Tous les régimes auditionnés nous ont ainsi confié que la progression non anticipée des crédits du GIP en 2017 avait entraîné une hausse de leur contribution qui avait dû être financée au prix d'une baisse de leurs moyens de fonctionnement en interne. L'imputation des contributions des régimes au GIP sur les enveloppes limitatives des COG devait permettre une meilleure régulation budgétaire de l'interrégimes en nourrissant un dialogue contradictoire entre les régimes et le GIP sur le coût des projets. Toutefois la dynamique constatée des dépenses de projets, insuffisamment anticipée lors de la négociation du COP du GIP en 2014, pose désormais des difficultés.
L'absence d'articulation entre le COP du GIP Union retraite et les COG des régimes ne nous paraît donc plus tenable. Il s'agit là de la principale recommandation que nous formulons. Il apparaît en effet nécessaire d'inscrire dans chacune des COG un chapitre interrégimes identique, identifiant les projets auxquels les régimes sont tenus de contribuer. Le calendrier de signature du COP du GIP et des COG des régimes doit être revu afin de faire coïncider, sur une même période, l'ensemble des priorités et moyens associés de l'assurance vieillesse. Il conviendrait également de pouvoir distinguer, au sein des contributions des régimes au GIP, la part des dépenses relevant du fonctionnement du groupement et celle recouvrant les dépenses d'investissement. Ces dernières doivent pouvoir être inscrites au titre des crédits évaluatifs de façon à ne pas faire peser trop lourdement, sur les crédits de fonctionnement des régimes de retraite, le coût d'éventuelles hausses des budgets finançant des projets structurants. Afin d'associer plus en amont les partenaires sociaux dans la définition des priorités de l'interrégimes, il semblerait opportun de pouvoir faire délibérer les conseils d'administration de chacun des régimes sur le projet de COP du GIP avant sa signature, à l'instar de la pratique en cours pour les COG.
L'absence de vision stratégique de l'État se révèle également problématique au niveau de l'architecture du système d'information de l'assurance vieillesse et plus généralement de la protection sociale. Les projets du GIP ne s'inscrivent en effet dans aucune vision d'ensemble. Le schéma stratégique des systèmes d'information du service public de la sécurité sociale, arrêté en juillet 2013, n'intègre aucun des grands projets actuellement développés par l'interrégimes comme le RGCU ou la liquidation unique des régimes alignés. Si ce schéma stratégique a permis des avancées notables pour sécuriser l'immatriculation et l'identification des assurés et déployer la déclaration sociale nominative (DSN) dans l'ensemble des organismes de la sécurité sociale, il apparaît aujourd'hui obsolète et est en cours de refonte avec comme axe de développement la relation à l'usager.
Par ailleurs, nous avons pu constater au cours de nos auditions que les projets du GIP sont concurrencés par les autres priorités informatiques définies par l'État avec des calendriers souvent plus urgents. Les régimes ont ainsi souligné la lourdeur des développements exigés pour la mise en oeuvre de la déclaration sociale nominative ou encore le projet de prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu qui devait, récemment encore, entrer en vigueur au 1er janvier 2018. Ces projets, annoncés sans tenir compte des plans de charge des régimes, perturbent leur ordre des priorités de développements informatiques. L'accumulation de ces trois projets en particulier- le RGCU, la DSN et le prélèvement à la source- a provoqué une sorte de saturation au sein des régimes qui explique la réticence de ces derniers à appréhender de nouveaux projets au sein de l'interrégimes.
Enfin, le projet de réforme systémique des retraites, aux contours encore incertains, ne manquera pas, dans un premier temps, de freiner l'action de l'interrégimes. En 2010, la réforme des retraites s'était contentée de lancer le débat en demandant que soit remis au Parlement un rapport sur les « conditions de mise en place d'un régime universel par points ou en comptes notionnels, dans le respect du principe de répartition au coeur du pacte social qui unit les générations ». Le Président de la République a précisé, pendant sa campagne, que son projet d'unification des règles des retraites devant tendre à « un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé », n'entraînerait pas forcément la création d'un régime unique. Néanmoins, et c'est bien normal, cette réforme va entraîner des interrogations de chacun des régimes quant à leur propre avenir ce qui aura des conséquences sur le fonctionnement de l'interrégimes dans les prochaines années et sur l'avenir du GIP.
À ce stade, trois pistes semblent possibles pour le GIP, qui dépendent très étroitement du schéma qui sera retenu et sur lequel vos rapporteurs n'ont pas encore d'information. La première verrait le GIP disparaître à l'issue de la mise en oeuvre de la demande unique de retraite en ligne en 2019, parachevant le droit à l'information retraite. La création d'un système de retraite fondé sur des règles identiques voire un régime unique lui ferait perdre son objet social.
La deuxième piste lui ferait jouer un rôle dans la réforme qui s'engage en lui donnant la mission d'approfondir la convergence des régimes de retraite pendant la période de transition. Depuis 2003, le GIP a acquis une connaissance des règles et des modalités de fonctionnement de chacun des régimes qu'il pourrait être pertinent d'utiliser pour la mise en place de la réforme.
Enfin la troisième piste d'évolution serait de transformer le GIP Union retraite en un instrument, non plus seulement interrégimes, mais interbranches. Les travaux liés au schéma directeur du système d'information du service public de la sécurité sociale ont souligné l'importance des problématiques transverses à l'ensemble des organismes de sécurité sociale en matière d'identification des assurés, de simplification de leurs démarches ainsi que de celles des employeurs mais aussi de lutte contre la fraude. Je rappelle que nous avons évoqué ce sujet très récemment devant notre commission avec ma collègue Agnès Canayer. Le portage et le pilotage de cette stratégie commune pourraient être confiés à un GIP, en l'espèce le GIP Union retraite. Ce dernier n'est pas le seul dans la sphère sociale à pouvoir revendiquer ce rôle. Le GIP de modernisation des déclarations sociales, qui met en oeuvre le déploiement de la DSN et que nous avons aussi auditionné pour nos travaux, pourrait également apporter son expertise interbranches.
Quoi qu'il en soit, le bilan de l'interrégimes en matière de retraite représente un héritage positif qui bénéficiera au futur système de retraite. Cet héritage repose d'abord sur les outils créés au sein de l'interrégimes au premier rang desquels le droit à l'information retraite et le futur RGCU. Le GIP aura également permis de faire dialoguer des régimes qui aujourd'hui encore ne parlent pas toujours le même langage, sont gérés selon des règles différentes et sont soucieux de leur identité propre et de leurs spécificités issues de notre histoire sociale. Néanmoins, cette habitude acquise d'un travail en commun aidera sans nul doute à la réforme. Enfin, l'interrégimes a su insuffler une culture de l'assuré à travers son exigence de simplifier les relations avec les régimes de retraite. Ce point me paraît très important à souligner.
Le droit à l'information retraite, qui est une vraie avancée au service de l'assuré, s'est patiemment construit, sans bénéficier sans doute de l'attention qu'il méritait. Puisse ce rapport donner le coup de projecteur mérité au travail accompli depuis quatorze ans.