Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 18 juillet 2017 à 14h20
Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme — Question préalable

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la ministre auprès du ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’avoir une pensée toute particulière, emplie d’émotion, pour l’ensemble des victimes et des familles meurtries lors des attentats qui ont frappé notre pays ces dernières années.

Le groupe communiste républicain et citoyen a souhaité déposer une motion tendant à opposer la question préalable, afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Le 9 septembre 1986, il y a trente ans, la France se dotait de sa première législation en matière de lutte antiterroriste. Cette loi instituait un régime dérogatoire au droit commun et créait un corps spécialisé de magistrats. Depuis lors, de nombreuses réformes ont conduit à la mise en œuvre d’un régime procédural dérogatoire en matière d’enquête, ainsi qu’à la création de nouvelles infractions terroristes.

À la suite des terribles attentats du 13 novembre 2015, le conseil des ministres a adopté un décret déclarant l’état d’urgence. En à peine deux ans, cet état d’urgence a été prorogé six fois, deux de ces lois de prorogation – celles du 20 novembre 2015 et du 21 juillet 2016 – ayant largement renforcé ses dispositions.

En parallèle, ont été promulguées, le 24 juillet 2015, la loi relative au renseignement et, le 3 juin 2016, la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité des garanties de la procédure pénale.

Nous nous sommes opposés à l’ensemble de ces textes, qui constituent un arsenal non seulement dangereux pour l’équilibre de notre démocratie, mais surtout inefficace pour renforcer notre sécurité publique, comme en témoigne, hélas, le terrible attentat qui a meurtri la ville de Nice il y a un an.

La présente réforme s’inscrit dans la même lignée et illustre les choix politiques de ces quinze dernières années : des événements de nature exceptionnelle sont utilisés pour justifier la construction d’un droit d’exception.

À ceci près que ce projet de loi porte en lui le coup d’après : prétendant conditionner la levée de l’état d’urgence à l’adoption de ce texte, le Gouvernement introduit en réalité les mesures mêmes de l’état d’urgence dans notre droit commun, dans une version prétendument édulcorée, mais sans la moindre garantie valable.

Aux personnalités du réseau État d’urgence – antiterrorisme, qu’il recevait le 3 juillet dernier, le chef de l’État a affirmé, tranquillement, qu’il s’agissait de la première et de la dernière loi antiterroriste de son quinquennat. Évidemment, puisqu’inscrire l’état d’urgence dans notre droit commun mettra effectivement fin à ses renouvellements incessants !

Je vous l’ai déjà dit lors de mon intervention concernant la sixième prorogation de l’état d’urgence, il y a quinze jours, ici même, des voix de plus en plus fortes s’élèvent contre son contenu : « Renoncer à l’état d’urgence est nécessaire, mais n’autorise certainement pas à en faire notre droit commun », écrit Mireille Delmas-Marty dans une lettre ouverte au Président de la République. Comment ne pas citer ici le texte signé par plus de cinq cents universitaires, chercheurs, juristes, politistes ou sociologues, qui affirment que les mesures contenues dans ce projet de loi sont dangereuses et font peser des menaces sur notre État de droit ?

Lors de son intervention devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet dernier, Emmanuel Macron affirmait : « Le code pénal, tel qu’il est, les pouvoirs des magistrats, tels qu’ils sont, peuvent, si le système est bien ordonné, bien organisé, nous permettre d’anéantir nos adversaires. Donner en revanche à l’administration des pouvoirs illimités sur la vie des personnes, sans aucune discrimination, n’a aucun sens, ni en termes de principes ni en termes d’efficacité. »

J’oserai dire que nous sommes d’accord avec lui, mais, hélas, tout ce qu’il nous propose aujourd’hui avec un tel texte est l’exact opposé de ce qu’il semblait affirmer il y a seulement quelques jours…

Monsieur le ministre d’État, vous légitimez l’accroissement des pouvoirs de l’administratif par un prétendu manque d’anticipation du judiciaire. Pourtant, il est faux de prétendre que seuls l’état d’urgence ou les moyens de police administrative seraient susceptibles de prévenir un attentat, et non les outils relevant du judiciaire : tous les jours, les procureurs et juges d’instruction antiterroristes dirigent des enquêtes visant des personnes pour les projets qu’elles élaborent et non qu’elles ont commis.

À titre d’exemple, les perquisitions administratives menées en nombre n’ont abouti qu’à l’ouverture de trente procédures en matière antiterroriste, alors qu’il n’est pas démontré qu’elles n’auraient pas pu intervenir dans un cadre intégralement judiciaire. Sachant qu’entre novembre 2015 et novembre 2016, tandis que seules vingt enquêtes étaient imputables à l’état d’urgence, cent soixante-dix procédures d’information judiciaire avaient été ouvertes par le parquet de Paris dans un cadre « normal ».

M. Macron écrivait dans son livre de campagne, Révolution, pourquoi il souhaitait sortir de l’état d’urgence. Alors, pour quelles raisons propose-t-il un tel texte ? Si ce n’est par pure démagogie, serait-ce pour utiliser la peur légitime de nos concitoyens ?

La raison en est peut-être plus profonde, c’est en tout cas ce que je crains. Ce texte est idéologique ; au-delà de son pragmatisme apparent, il porte en lui de nombreuses questions : celle des répressions administratives et des pouvoirs grandissants des forces de l’ordre toujours plus exemptes de contrôle judiciaire ; celle des migrations et des contrôles aux frontières ; enfin, celle des inégalités grandissantes entre les citoyens.

« Face à des jeunes qui sont tangents […], si vous défoncez leur porte à 4 heures du matin, que vous les assignez à résidence » – ou, ici, dans une commune… – « pendant trois mois, ce qui a pour conséquence que certains perdent leur boulot, expliquez-moi en quoi ils sont moins dangereux ensuite ? […] Tout homme sensé comprend qu’on attise le feu avec de telles méthodes. On tape n’importe qui, n’importe comment ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, désormais très médiatique.

Face à de telles dérives, qui ne sont plus à prouver, il faut désormais avoir le courage de passer d’une logique de peur irrationnelle, qui justifie une logique de guerre, à une logique de paix.

Pour lutter contre le terrorisme, il n’y a certainement pas de loi instaurant un risque zéro, mais peut-être faudrait-il sérieusement commencer à amorcer une double réflexion ?

Tout d’abord, sur le plan international. Pour combattre ses ennemis, il faut les connaître. Il faut expliquer – contrairement à ce que certains ont pu dire… –, remonter aux origines géopolitiques, rappeler les responsabilités bien réelles des puissances occidentales, ces guerres destructrices en Irak et en Afghanistan, le non-sens de l’intervention en Libye.

Il faut enfin dénoncer le rôle trouble des puissances régionales, comme la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar. Le terrorisme se nourrit de la guerre du pétrole et du trafic d’armes.

Nous le répétons depuis le Congrès de Versailles du 16 novembre 2015 : la coalition internationale est au cœur du problème. Il faut rapidement repenser les choses et cesser d’agir en ordre dispersé. Une large coalition internationale sous mandat de l’ONU doit être mise en place, avec l’ambition – au-delà du combat contre Daech – de reconstruire ces régions, de permettre d’établir une paix durable et, ainsi, le retour de milliers de réfugiés. Sans cette perspective, pas d’issue au terrorisme !

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