Intervention de Philippe Esnol

Réunion du 18 juillet 2017 à 14h20
Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme — Discussion générale

Photo de Philippe EsnolPhilippe Esnol :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, mes chers collègues, dans son ouvrage Effondrement, le géographe américain Jared Diamond s’attache à démontrer quels mécanismes décisionnels précipitent les sociétés vers leur disparition ou, à l’inverse, leur permettent de se maintenir.

Il met notamment en évidence qu’une des premières qualités des sociétés qui résistent dans le temps face aux aléas réside dans leur capacité à prendre conscience des maux qui les traversent pour pouvoir ensuite formuler des solutions. Les sociétés qui, au contraire, tarderaient à regarder la réalité en face accéléreraient, quant à elles, leur « effondrement ».

En adossant à une sixième loi de prorogation de l’état d’urgence, votée la semaine dernière, ce projet de loi renforçant la sécurité intérieure, le Gouvernement manifeste clairement sa volonté d’ériger la lutte contre le terrorisme en priorité. Alors que nous venons de commémorer l’attentat de Nice, qui a coûté la vie à 86 innocents qui n’avaient d’autre tort que de vouloir admirer le traditionnel feu d’artifice du 14 juillet, c’est une preuve, plutôt rassurante, je trouve, qu’il a pris la mesure de la gravité de la situation dans laquelle se trouve notre pays.

Je le dis quitte à paraître insistant, car je sais que ce texte ne laisse pas indifférent, voire inquiète, et que des tentations existent, dès lors que pas moins de cinq lois relatives à la lutte contre le terrorisme ont été adoptées ces dernières années, de porter un coup d’arrêt à ce que l’on qualifie de « logique sécuritaire ».

Sans balayer d’un revers de la main les arguments avancés par les tenants d’une telle position, je veux vous faire partager ma conviction, mes chers collègues, que nous avons besoin, plus que jamais, de faire preuve de réalisme et d’efficacité pour maintenir notre société en vie.

Cela étant, je suis persuadé, comme la majorité d’entre vous, de la nécessité de sortir de l’état d’urgence pour lui redonner son caractère exceptionnel, dès lors que la menace terroriste est devenue permanente.

Dans les Yvelines, mon département, qui a été marqué par l’attentat de Magnanville, commis contre un couple de policiers, assassinés dans leur maison et sous les yeux de leur enfant, mais également ailleurs, l’état d’urgence a été conduit avec un grand professionnalisme par les autorités préfectorales, sous le contrôle attentif des juges administratif et constitutionnel. Depuis novembre 2015, les forces de l’ordre ont fait preuve d’un dévouement exemplaire pour mettre en œuvre ces mesures exceptionnelles, dans des circonstances particulièrement dangereuses.

Cependant, il faut bien admettre que le régime de l’état d’urgence, désormais, s’essouffle. Son efficacité décroît, et sa seule évocation est devenue un signal paradoxal pour les Français, qui exigent que soit maintenu un niveau de vigilance maximal, mais aspirent à « tourner la page » des attentats meurtriers.

Face à ce constat, monsieur le ministre d’État, vous proposez de créer de nouveaux outils administratifs permanents, tirés du bilan de l’application prolongée de l’état d’urgence après retour d’expérience.

Ainsi, certaines mesures se sont montrées particulièrement efficaces et il apparaît donc pertinent de faire en sorte de pouvoir profiter de leur bénéfice sur le long terme, sans avoir à passer par la lourde procédure de l’état d’urgence : je pense notamment aux perquisitions administratives.

Vous proposez également de nouveaux dispositifs, tels que la protection des lieux et événements soumis à une menace particulière ou encore la fermeture administrative de lieux de culte.

Ces mesures répondent à des évolutions concrètes de la menace terroriste. Les lieux accueillant des événements culturels ont en effet montré leur vulnérabilité, que l’on pense à l’attentat du Bataclan ou encore à celui, plus récent, qui a endeuillé Manchester.

De même, la nouvelle procédure de fermeture des lieux de culte sur décision du préfet pour endiguer les phénomènes de radicalisation constitue un outil intéressant et complémentaire de la possibilité qui leur est déjà offerte de recourir à l’expulsion de prédicateurs radicalisés étrangers ou d’interdire les réunions. Il s’agit également d’un message fort de responsabilisation adressé aux propriétaires des lieux de culte, qui ne peuvent tout simplement pas fermer les yeux sur ce qui se passe dans leurs murs.

Cependant, nous ne légiférons pas ex nihilo, et, depuis l’Habeas Corpus, de nombreux textes ont construit une architecture institutionnelle équilibrée destinée à assurer notre sécurité tout en protégeant nos libertés. C’est la raison pour laquelle les membres du RDSE, dans une démarche de coconstruction avec le Gouvernement, ont proposé d’introduire quelques modifications afin de garantir cet équilibre.

Le texte ayant été ainsi doté de garde-fous destinés, notamment, à ce que ses dispositions ne puissent être détournées de leurs fins, le RDSE ne souhaite dès lors pas priver l’État des outils qu’il réclame, même si nous ne nous privons pas de lui dire que, seuls, ils seront insuffisants. C’est pourquoi nous voulons réaffirmer dans le même temps que lutter efficacement contre le terrorisme suppose aussi de donner des moyens à la justice et, surtout, aux services de renseignement.

Enfin, permettez-nous de regretter que, s’agissant d’une loi aussi importante pour notre régime démocratique, le choix de la procédure accélérée ait de nouveau été fait.

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