Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 18 juillet 2017 à 14h20
Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme — Discussion générale

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la ministre auprès du ministre de l’intérieur, mes chers collègues, nous avons adopté, le 4 juillet dernier, la sixième prorogation de l’état d’urgence ; l’Assemblée nationale en a fait de même le 6 juillet, la promulgation de ce texte datant, elle, du 11 juillet.

De sa déclaration, le 14 novembre 2015, au 1er novembre 2017, date de sa fin programmée, notre pays aura vécu pratiquement deux années sous le régime de l’état d’urgence.

Par ailleurs, au cours des quatre dernières années, huit lois ont été adoptées afin de lutter contre le terrorisme : les lois du 18 décembre 2013, du 13 novembre 2014, du 24 juillet 2015, du 30 novembre 2015, du 22 mars 2016, du 3 juin 2016, du 21 juillet 2016 et du 28 février 2017.

Notre pays a pu compter sur l’engagement sans faille du Parlement dans la lutte contre le terrorisme. L’exécutif et le législatif ont conjointement doté notre nation de l’arsenal juridique le plus complet pour combattre le terrorisme, tout en faisant en sorte que notre pays reste une démocratie protectrice des libertés publiques.

Il reste à sortir de l’état d’urgence, régime d’exception dont chacun s’accorde à admettre qu’il ne peut devenir permanent. Tel est l’objet du projet de loi qui nous est soumis, après une réécriture pour tenir compte de l’avis du Conseil d’État du 15 juin, et une deuxième réécriture imposée par notre commission des lois, sous l’impulsion de son rapporteur, Michel Mercier.

Je le dis d’emblée, je ne vais pas reprendre le détail des articles ou des amendements adoptés en commission : le rapporteur et mes collègues viennent de le faire remarquablement. Je voudrais pour ma part insister sur deux éléments.

Premièrement, le texte, dans la version qui nous est proposée, rend assimilables, aux sens politique et juridique, les mesures souhaitées par l’exécutif. Deuxièmement, ce texte me semble être une réussite en ce qui concerne la recherche d’équilibres.

Je commence par l’acceptabilité. L’assimilation politique et juridique des dispositions issues de l’état d’urgence dans notre droit commun répond à la commande passée par le Président de la République et par le Gouvernement.

À l’issue de l’examen du texte en commission des lois, je prenais connaissance du titre suivant d’un article de presse : « Projet de loi antiterroriste : le Sénat ampute les ambitions sécuritaires du Gouvernement ». C’est excessif, mais c’est surtout inexact !

Le travail effectué, avec par exemple la définition plus précise du cadre juridique d’intervention à l’article 2, l’autorisation du juge judiciaire, la proportionnalité, le contrôle parlementaire ou la limitation dans le temps, est bienvenu. Ce travail est aussi nécessaire si nous voulons que le projet de loi passe avec succès les contrôles du Conseil constitutionnel, puis de la Cour européenne des droits de l’homme.

En d’autres termes, le travail qui a été réalisé et que nous nous apprêtons à compléter en séance publique consiste non pas à raboter le texte, mais, au contraire, à en permettre la mise en œuvre effective.

J’en viens maintenant à l’équilibre, ou plutôt aux différentes formes d’équilibre – j’en ai dénombré quatre –, comme fil rouge du travail du Sénat.

L’équilibre entre la lutte contre le terrorisme et la protection des libertés individuelles proposé par le Sénat avec détermination et finesse – je sais que, pour M. le président de la commission des lois, cela va sans dire –, est suffisamment évident pour me permettre d’aller directement à une deuxième forme d’équilibre, à savoir l’équilibre dans la durée entre les pouvoirs exécutif, judiciaire, mais aussi législatif, qui est assuré grâce au maintien du contrôle par le Parlement que vous avez proposé, monsieur le rapporteur.

Une autre forme d’équilibre a été trouvée dans la répartition des rôles entre le juge judiciaire et le juge administratif. Nous n’aurions rien à gagner au maintien de tensions entre ces deux autorités juridictionnelles, et cela n’est pas qu’une question de susceptibilité.

Nous avons assisté au fil des textes à une optimisation ou à une extension de la police dite « administrative » et à la même optimisation en matière de droit pénal.

Les mesures de police administrative ne portent plus simplement sur la prévention, mais se rapprochent de l’objet même du droit pénal, à savoir la sanction, et le droit pénal définit les infractions en matière de terrorisme de plus en plus en amont, de sorte qu’il participe lui aussi à la prévention. Entre le droit administratif spécial de lutte contre le terrorisme et le droit pénal spécial de même objet s’est produit ce que Michel Mercier qualifie à juste titre d’« hybridation » dans son rapport. Pour que cela fonctionne, pour que les dispositions se coordonnent, il faut de la précision et une certaine élégance dans l’écriture.

Enfin, nous avons visé un équilibre entre les notions de droit commun et de droit d’exception. La commande politique était connue : intégrer les dispositions utiles de l’état d’urgence dans le droit commun. Nous partageons cette logique, monsieur le ministre d’État, mais l’état d’urgence ne peut pas fonctionner comme une boîte à mails où l’on transférerait les messages d’une adresse à une autre, ou d’une corbeille à une autre si vous préférez.

Comment l’exception peut-elle devenir le droit commun ? Quelle place donner à l’état d’urgence dans notre système institutionnel si le droit d’exception devient le droit commun ? Comment donner en démocratie une réponse progressive et différenciée à des situations de crise ? L’exercice n’est indiscutablement pas aisé.

Le Parlement accepte de s’y soumettre, puisqu’il est conscient de la gravité de cette guerre menée par les terroristes, qui s’inscrit dans la durée, avec des auteurs endogènes comme exogènes, pour reprendre la formule de l’un de mes prédécesseurs à cette tribune, agissant soit individuellement soit collectivement, après autoradicalisation ou sur des missions sinon commandées, du moins inspirées. Nous avons à l’esprit la fermeté nécessaire dans la durée.

Tel est le sens de la palette d’amendements qui ont été adoptés par la commission, sous l’impulsion de son rapporteur, en espérant que le Gouvernement voudra bien en reconnaître la pertinence pour nous permettre de réussir dans notre objectif commun de lutte contre le terrorisme.

En conclusion, je dirai que le groupe Union Centriste est favorable au projet de doter l’État de droit de moyens lui permettant de se défendre face à une menace terroriste non pas ponctuelle, mais permanente, dans le respect des droits et des libertés.

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