Comme lors de l’examen du projet de loi visant à renforcer la lutte contre la criminalité organisée – la loi du 3 juin 2016 – durant lequel le Parlement avait rejeté cette mesure, la commission s’est opposée à cette mesure pour quatre raisons.
Première raison : aucun cadre juridique n’est prévu pour encadrer la conservation et de l’utilisation de ces données. Il est prévu que ces données soient communiquées aux services de renseignement pour qu’ils puissent, notamment, mettre en place des interceptions. Or aucune durée limite de conservation n’est précisée. Le projet de loi n’encadre ni les finalités, ni les conditions d’utilisation de ces données, ni les personnes qui y ont accès. Aucune voie de recours n’est organisée pour permettre à la personne de contester cette conservation.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, a formulé les plus vives réserves sur cette disposition. Elle considère également que le champ des identifiants de communication – téléphonie fixe ou mobile, transmission vocale par internet, SMS, courriels, messageries instantanées, réseaux sociaux – susceptibles d’être concernés par la mesure n’est ni précisé ni limité par le projet de loi.
Dans sa décision du 2 décembre 2016 en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a rappelé la nécessité, pour le législateur, de prévoir, concernant la conservation des données, des garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. Cette première raison serait suffisante, à elle seule, à rejeter la mesure. Nous en avons pourtant trois autres.
Deuxième raison : cette obligation serait sanctionnée pénalement et porte donc atteinte aux droits de la défense en obligeant la personne concernée à faciliter sa propre incrimination.
Or depuis la décision du Conseil constitutionnel du 4 novembre 2016, « le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire » a valeur constitutionnelle sur le fondement de l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Cette mesure paraît également contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, telle qu’elle ressort de l’arrêt du 22 juin 2017 dans l’affaire Aycaguer c. France.
Troisième raison qui nous conduit à être défavorables à cette mesure et à laquelle je demande au Gouvernement d’être particulièrement attentif : cette obligation n’était pas exigée pendant l’état d’urgence. Il serait paradoxal d’imposer des obligations plus grandes dans le droit commun que durant l’état d’urgence.
Quatrième raison qui me semble résumer toutes les autres : cette demande est complètement inutile. La mesure proposée par le Gouvernement est, certes, de nature à faciliter la mise sous surveillance de la personne, en l’obligeant à livrer elle-même des informations qu’en temps normal les services de renseignement doivent collecter par l’utilisation de toutes les techniques de renseignement que nous leur avons fournies dans les lois précédentes.
Je suis sûr pourtant, monsieur le ministre d’État, que pour prendre la décision d’obliger une personne à demeurer dans une commune, vous avez obtenu quelques informations, fournies par les services de renseignement. S’ils ont pu considérer qu’il fallait contraindre cette personne à rester dans sa commune, ils avaient certainement trouvé ses identifiants électroniques.
La commission ne s’oppose pas à ce que toutes les personnes visées à l’article 3 fassent l’objet de mesures de surveillance, de mise sur écoute et, notamment, de géolocalisation. L’intégralité du droit commun du renseignement doit cependant s’appliquer : il appartient aux services de renseignement d’utiliser les procédures issues de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement afin de pouvoir récupérer les identifiants de connexion.
Il me vient une pensée mauvaise, en fin de compte. La seule justification de cette mesure se trouverait-elle dans votre souhait d’échapper aux dispositions de cette loi de 2015 ? Rassurez-vous, j’efface immédiatement de mes pensées ce soupçon, et je suis certain que vous accepterez de renoncer à cette mesure inutile, sans effet sur l’efficacité de l’administration, mais qui risque de poser de lourds problèmes de contentieux.