Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 20 juillet 2017 à 15h00
Orientation des finances publiques et règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2016 — Suite d'un débat puis adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’ont rappelé le rapporteur général de la commission des finances et mes collègues Philippe Dallier et Serge Dassault, la situation budgétaire de la France est très dégradée, pour ne pas dire alarmante.

Il apparaît totalement incongru qu’une des deux locomotives de la zone euro et de l’Union européenne soit le seul pays européen avec l’Espagne, laquelle a connu une crise autrement plus violente, à être sous le coup d’une procédure pour déficit excessif. Être le champion de la dépense publique, avec une croissance plus faible que les autres pays, pose question.

La France, qui devrait être un exemple en Europe, a une dette supérieure de 13 points à la moyenne européenne. Il est temps de redresser et d’équilibrer nos comptes – si j’osais, je dirais même d’inverser la courbe – en diminuant notre dette. Cela passe assurément par des économies. Mais où les réaliser ? Là est toute la question. Si, messieurs les ministres, j’ai bien compris que nous partagions le même diagnostic, peut-être divergeons-nous sur la posologie.

Je m’attacherai particulièrement à la situation des collectivités locales.

Nous avons eu la chance d’accueillir le Président de la République et de nombreux ministres pour la première Conférence nationale des territoires, ce lundi, au Sénat. À cette occasion, M. Macron a demandé aux collectivités de réaliser 13 milliards d’euros d’économies en cinq ans sur les 60 milliards d’euros de baisse annoncée de la dépense publique.

Je rappelle que les économies étaient initialement réparties différemment : 10 milliards pour les collectivités et, à parité, 25 milliards pour l’État et 25 milliards pour la sphère sociale. Or, si l’effort portant sur les collectivités territoriales passe de 10 milliards à 13 milliards d’euros – soit, excusez du peu, 30 % de plus –, le montant global d’économies évoqué demeure de 60 milliards d’euros, soit 3 % de PIB, conformément au programme présidentiel.

L’effort supplémentaire, demandé en raison de la situation nouvellement dégradée des finances publiques, ne serait donc supporté en grande partie que par les collectivités territoriales.

De surcroît, prendre comme seule référence la part dans la dépense publique, c’est oublier la spécificité des dépenses des collectivités : ce sont, certes, des dépenses de fonctionnement, mais ce sont avant tout des dépenses d’investissement, lesquelles ont représenté 70 % de l’investissement public en 2017, investissement dont on sait qu’il constitue un catalyseur indispensable pour soutenir la croissance.

C’est oublier également que les collectivités ont l’obligation de maintenir à l’équilibre la section de fonctionnement de leur budget, cela sans avoir la possibilité de recourir à l’emprunt.

C’est oublier que, contrairement à celui de l’État, le budget global des collectivités est excédentaire depuis 2015, grâce aux efforts qu’elles ont consentis. Ainsi 3 milliards d’euros d’excédents ont-ils été dégagés en 2016.

C’est oublier que les efforts d’économies des collectivités ont déjà contribué pour moitié à la réduction du déficit public en 2015 et 2016.

C’est oublier que leur part dans la dette publique est inférieure à 10 %.

En réalité, leur demander un effort de 13 milliards d’euros, c’est exiger des collectivités un effort encore plus important que celui qu’elles ont consenti durant le précédent quinquennat. Certains ont d’ailleurs évoqué un « régime de la double peine ». Alors même que nombre de collectivités sont exsangues et ont déjà serré la ceinture au maximum, le rabot ayant fait ses effets, vous vous proposez de les soumettre au garrot ! Prenons-y garde, d’autant que les incessants changements d’échelles et de périmètres imposés par l’État pour gouverner les territoires entravent leur bonne gestion financière par manque de visibilité.

Pour faire passer la pilule, le Président de la République annonce que cet effort passera non pas par une baisse des dotations, mais par un engagement des collectivités à diminuer leurs dépenses de fonctionnement « dans une logique de confiance ». Sans baisse des dotations, il ne peut en effet imposer cet effort sans se heurter au principe constitutionnel de libre administration des collectivités.

Cela passerait donc, peut-être, par une forme de contractualisation, sauf que, a-t-il ajouté, si l’effort demandé n’était pas respecté par certains, un « mécanisme de correction » serait mis en place l’année suivante : le piège se referme ! L’emballage est neuf et plus joli, mais le contenu reste le même.

Ce mécanisme de correction pénalisera, de surcroît, les collectivités qui ont déjà fait des efforts les années passées et favorisera les moins regardantes ou les plus laxistes, qui auront davantage de marges de manœuvre pour atteindre les objectifs de réduction des dépenses.

La seule réelle avancée annoncée par le Président Macron est la contrepartie à cet effort d’économies : dans le cadre d’un « pacte girondin », il promet davantage de pragmatisme, de liberté, de flexibilité, d’expérimentations.

Il propose également une revue générale des normes, avec la règle du 2 pour 1, à laquelle le Sénat souscrit bien évidemment puisqu’il fait partie des institutions qui l’ont défendue.

L’augmentation du temps de travail dans la fonction publique territoriale et le décrochage du point d’indice par une gestion différenciée des fonctions publiques vont aussi dans le bon sens.

Le Président de la République promet en outre la mise en place d’une commission de travail associant les parlementaires, afin de réfléchir à une refonte de la fiscalité locale, pour l’adapter et la moderniser via le transfert d’une part de l’impôt national. Bien évidemment, nous ne pouvons que souscrire à une telle proposition.

Toutefois, un transfert de cette nature ne compenserait pas la suppression annoncée de la taxe d’habitation. En effet, les élus locaux ne pourront décider du taux de l’impôt national. Je le rappelle, le transfert d’une part de TVA aux régions visait à compenser la suppression de leur DGF : une ressource dynamique remplaçait une dotation. La piste avancée par le Président de la République est pour le moins surprenante. En effet, le transfert d’une part de CSG ou de CRDS représenterait de plus une perte de financement pour la protection sociale !

Si, selon le Président de la République, et j’en suis d’accord, la taxe d’habitation est un « impôt injuste », dans la mesure où elle est évaluée de manière « obsolète », pourquoi la maintenir pour 20 % de Français qui seraient fustigés comme étant les « privilégiés » ou les « riches » ?

La réforme de la taxe d’habitation pourrait en outre contrevenir au principe constitutionnel d’autonomie financière des collectivités locales, en faisant disparaître 36 % des ressources propres du bloc communal, dont la part représenterait dès lors 53 % des ressources, soit un taux en deçà du seuil minimum de 60, 8 % imposé par la loi organique.

Pour conclure, nous pouvons nous interroger sur la réalité de la décentralisation, face à des contraintes toujours plus fortes imposées par l’État.

Je veux cependant faire le pari d’un dialogue confiant, même si ma confiance ne sera pas aveugle, car, d’après certains propos entendus, la vision macronienne d’une République décentralisée pourrait s’apparenter à une sorte de IIIe République où le maître d’école, depuis l’Élysée, demanderait aux élus locaux de rendre chaque année leur copie, punition à la clé. Vous l’aurez compris, c’est une situation que je n’ose envisager !

Le défi à relever est trop important pour notre pays. Il nécessite que nous nous fassions tous confiance, et notamment que l’on fasse confiance aux élus, pour lesquels l’engagement est non pas une faute, mais un motif de fierté. Selon moi, il n’y a pas trop d’élus. Ces derniers se sont engagés pour servir à la fois leur commune et la République. Faisons le pari du redressement de la France, laquelle a besoin de toutes les bonnes volontés pour réussir et se construire un avenir meilleur.

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